Une bande d’académiciens en habits verts.
« La bande dessinée a sa place à l’Académie ! ». La phrase est d’Erik Orsenna, écrivain et académicien, jamais à court de bons sentiments. Le mois dernier, il a ainsi expliqué à ActuaBD que la BD n’était pas un art mineur et qu’elle pouvait tout à fait envisager d’entrer à l’Académie des Beaux-Arts. Elle pourrait même prétendre à la vraie Académie, celle des immortels en habits verts. Malheureusement, selon Orsenna, la BD n’est pas encore considérée par nombre d’académiciens comme un art majeur, quand bien même ils en lisent. Et, tout comme Didier Pasamonik qui l’interviewe, il verrait bien Moebius être candidat.
D’un certain côté, Pasamonik et Orsenna ont raison. La BD a sa place à l’Académie française. Sa vitalité depuis des décennies, sa capacité à inspirer les autres arts -cinéma, litérature, télévision ou peinture- en font un acteur incontournable de la scène culturelle francophone et mondiale.
Mais serait-ce une bonne idée pour la bande dessinée? Non, bien sur que non, elle aurait tout à y perdre. Qu’est-ce que l’Académie aujourd’hui? Un bâteau sans capitaine, des salles immenses et des couloirs vides, et des vieilles personnes, sympathiques certes, mais qui ne pèsent que très rarement sur le débat national, à moins de considérer qu’une chronique dans le Figaro Magazine a une quelconque influence.
L’Académie, créée en 1635, n’a écrit que 8 éditions de son dictionnaire en 375 ans, soit une édition tous les 47 ans, alors que normalement c’est son rôle premier! La dernière complète, la huitième, remonte à 1932-1935. Cela fait déjà quelques décennies que les écrivains ne se poussent plus vraiment pour l’intégrer, ayant bien compris qu’il y avait d’autres moyens pour devenir immortel (et je ne parle pas d’Enki Bilal). JMG Le Clézio (Prix Nobel), Pascal Quignard (ah l’excellent Le Sexe et l’effroi), Patrick Modiano, Philippe Sollers ou Milan Kundera ne postulent pas, comme le rappelait un article du Monde d’Alain Beuve-Méry. En 2007, il y avait sept sièges vacants sous la Coupole, la moyenne d’âge y était alors de 79 ans! Depuis Simone Veil, Claude Dagens, Jean-Luc Marion, Jean-Christophe Rufin, Jean-Loup Dabadie et François Weyergans et ont été élus, ce qui n’a d’ailleurs pas vraiment arrangé la moyenne d’âge.
Larcenet transformé en tabouret?
De toute évidence, l’Académie peine à se renouveller. Alors, oui, comme pour les cinéastes, intégrer des dessinateurs de BD permettrait peut-être d’apporter un vent nouveau, un soupçon d’impertinence. Mais pourquoi sauver ce qui ne veut pas l’être. L’Académie se complait dans sa magnificence surannée, dans le fait de vivre hors du temps, loin de ses évolutions et de ses contraintes. Elle me fait parfois penser aux prêtres de la caste des connaisseurs, que l’on croise dans les aventures de Valérian et Laureline, qui, obnubilés par leur propre savoir, en jouissent jusqu’à en devenir fous, en se déinstéressant du sort du monde.
La Coupole c’est plus fort que toi. Seule Alain Robe-Grillet y résista mais pour cela il n’y mit jamais les pieds! Entrer à l’académie serait trop risqué pour nos dessinateurs, qui, par le poids des traditions et de la bienséance, risqueraient de voir annihiler leur capacité de création. Le blog Le Comptoir de la BD sur Le Monde.fr, jamais à cours de bonnes intentions non plus, s’enthousiasme pour cette idée d’entrer à l’académie et cite toute une floppée de dessinateurs potentiellement candidats. Malheureux! Imaginez, des auteurs dans la force de l’âge, n’ayant pas encore atteint la cinquantaine, entrer là-bas? L’habit vert leur ferait prendre un demi-siècle d’un coup. Ils auraient des rides, ne pourraient plus produire 5 albums par an comme le fait Sfar aujourd’hui.
Non, au contraire, la BD doit rester un art libre, “mineur” si vous le voulez bien. Elle n’a pas besoin de recevoir la bénédiction de gérontes qui ressemblerait plus à une malédiction. Marcel Pagnol ne disait-il pas : “L’Académie française est une étrange machine qui arrive à transformer une gloire nationale en fauteuil“? Je n’ai pas envie de voir Manu Larcenet transformé en tabouret moi! Pour la nomination de Simone Veil, Pierre Assouline a écrit sur son blog La République des Livres que l’Académie était “cet endroit qui tient son charme à ce qu’il ne sert à rien sinon à maintenir une tradition“. La tradition n’est asolument moteur de création, elle est plutôt frein et obscurantisme. Amis dessinateurs, n’écoutez pas les conseils pleins de bonne intentions! Fuyez, plutôt!
Laureline Karaboudjan
Illustration : Extrait de “Les Dalton en cavale”, DR.
“L’Académie, depuis plusieurs siècles, n’a toujours pas réussi à terminer son dictionnaire. ”
Cela n’est pas vrai ! Le Dictionnaire de l’Académie en est à sa neuvième édition : cette dernière, en effet, est très lente et prend beaucoup de temps… Mais il y a eu huit éditions complètes avant elles. Et, évidemment, la langue évoluant, ces “remises à jour” sont nécessaires. Le travail lexicographique est perpétuel, mais cela ne peut pas amener à dire que le Dictionnaire de l’Académie n’est pas fini 🙂
Tiens, sbarthes m’a grillé : j’allais également protester, Non seulement l’Académie a terminé son dictionnaire, mais elle l’a terminé huit fois !, et s’est remise à une 9e version : il faudrait corriger votre billet sur ce point.
Pas d’accord non plus quand vous dites que la tradition n’est absolument pas moteur de création. Allez dire à tous les créateurs de manga qu’ils devraient virer la tradition graphique dans laquelle ils s’inscrivent sciemment, afin d’être plus créatifs, vous verrez leur réaction !
Bien sûr qu’il faut une part d’impertinence, de rupture, mais cela nécessite d’être à l’intérieur d’une tradition bien digérée; n’est pas Lewis Trondheim qui veut.
Quant aux vertus soporifiques de l’Académie, peut-être (et de toute manière tout cela reste très très virtuel) – mais j’ai du mal à imaginer Moebius se laisser figer par une institution, quelle qu’elle soit…
@LeCheich et @sbarthes:
Merci j’ai corrigé!
“L’Académie, créée en 1635, n’a écrit que 8 éditions de son dictionnaire en 375 ans, soit une édition tous les 47 ans, alors que normalement c’est son rôle premier! La dernière complète, la huitième, remonte à 1932-1935.”
Qui a crié au fond de la salle que j’étais de mauvaise foi?
Laureline.
L’existence de l’Académie n’a jamais mis un frein à la créativité dans le monde littéraire, je ne vois pas pourquoi il en serait autrement pour la BD.
Entendons-nous bien, je ne parle pas de la créativité de ses membres, mais justement de ceux qui n’y sont pas : des jeunes écrivains ou dessinateurs qui se foutent de l’habit vert comme de leur premier Fruit-of-the-Lum et qui créeront dans une chambre de bonne.
Quant aux membres, soyons sérieux, à leur age on n’attend plus d’eux la moindre étincelle créactrice, donc si ça leur fait plaisir d’aller faire la sieste en habit brodés sous les ors de la République… après tout, un peu de folklore n’a jamais fait de mal à un pays.
A ce titre, on peut tout à fait penser à des dessinateurs qui auraient toutes leur place sous la coupole. Au risque de paraître iconoclaste, les Moebus, les Bourgeon, les Bilal, les Schuiten sans même parler des Uderzo et autres vieilles barbes recuites, pourraient bien aller finir leurs vieux jours à l’Académie que la bédé ne s’en porterait sans doute pas plus mal.
Ils ont apporté des choses, mais aujourd’hui ils sont figés dans leur style et ne produisent plus que de mauvaises reproduction d’eux-mêmes.
La bédé n’est pas qu’un monde de jeunes fous à la sensibilité exacerbée, on y compte aussi pas mal d’individus qui feraient de bons candidats à l’immortalité.
Oui, c’est vrai qu’on peut mettre Uderzo à l’Académie. Si ça peut l’empêcher de commettre de nouveaux Astérix… 😉
[…] Ce billet était mentionné sur Twitter par Louis Moulin, Laureline K, Matt, Quentin Girard, Sophie Lebrun et des autres. Sophie Lebrun a dit: RT @quentingirard: RT @LaurelineK La BD à l’Académie française? Non merci! http://bit.ly/c15GEV […]
Neuvième édition, neuvième art.
Je suis fâché et déçu. Lenteur des institutions culturelles. Même un “vieux réac” est sensible à la leçon politique du Schtroumpfissime, un plus tordu relit Reiser, un peintre reconnu admire la folie de Moebius/Giraud, un nostalgique savoure la richesse d’un Tintin etc. En 50-60 ans, la b-d commence à peser plus lourd que quelques siècles de “littérature” (appréciée et reconnue par les Immortels (on dirait presque un nom de b-d)), plus dense, plus riche, plus intello…
Désacraliser la culture, la rendre accessible, ça passera par la reconnaissance de la bande dessinée, en tant qu’art (pour de vrai!).