Angoulême, le festival qui n’aurait pas dû avoir lieu

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Pour des problèmes de subventions, Angoulême a failli ne pas avoir lieu cette année. Est-ce que cela aurait été si grave ?

Angoulême débute aujourd’hui.  Pour cette 37ème édition, plusieurs centaines d’auteurs et de maisons d’éditions sont réunies. 200 000 visiteurs devraient braver le froid et oser aller jusqu’en Charente. Encore cette année, cela reste le principal festival de BD en France. Le seul vraiment relayé par les médias et qui permet, le temps d’une semaine, de voir les pages BD se multiplier dans les journaux comme par magie. Et, ensuite, de disparaître.

Sauf que cette année, le festival a failli ne jamais avoir lieu. Encore jusqu’à fin 2009, l’organisation n’était pas pérennisée. Stupeur chez l’amateur lambda pour qui c’est un rendez-vous aussi incontournable et donc immuable que le festival de Cannes pour les cinéphiles ou le Tour de France pour les fabricants de produits dopants. Normalement, la ville d’Angoulème assure 1 million d’euros de subventions directes. Mais la ville, pour protester contre le désengagement de l’Etat auprès des collectivités locales a un temps décidé de ne pas prendre en charge la totalité des frais techniques qui s’élèvent à 400 000 euros supplémentaires. Philippe Lavaud, le maire et le vice-président du Conseil Général de Charente, a ainsi expliqué en octobre 2009 à Sud Ouest, “rien n’empêche Neuvième Art + [la société organisatrice du festival, ndlr.] de facturer aux éditeurs l’intervention de son prestataire pour le montage des stands.” Mais Franck Bondoux, délégué général du FIBD a estimé ne pas pouvoir, pris à brûle-pourpoint, assurer les prestations indispensables. Et de râler en expliquant que le festival apporte tout de même chaque année “des dizaines de millions d’euros de retombées pour l’économie régionale et a beaucoup servi l’image de marque de la ville”. On a eu ainsi le droit à un coup de gueule du dessinateur Philippe Druillet, fondateur des Humanoïdes associés :

« Cette ville, qui représente le neuvième art, passe son temps à insulter la bande dessinée. Chaque année, il y a un scandale. Aujourd’hui, c’est le maire, Philippe Lavaud, qui fait chier. Un maire socialo, ce qui me fout encore plus les boules. J’ai l’impression qu’il a oublié le message de Jack Lang, qui s’était battu pour le Festival d’Angoulême pendant des années. »

Je viens en partie de cette région et je ne leur donnerai pas totalement tort. Parce qu’Angoulème, à part la BD… Le site spécialisé Actu BD préfère lui relativiser: «C’est près d’un million et demi d’euros, soit près de 50% du budget du Festival qui sont payés par 43.000 Angoumoisins. Rapporté au foyer fiscal, on imagine l’impact. Il n’est donc pas juste de dire que cette ville « passe son temps à insulter la bande dessinée » ». En comparaison, Paris, deux millions d’habitants versent 2,5 millions de subventions directes au PSG.

Globalement, le tout nouveau maire élu en 2008, socialiste pourtant, semble en avoir marre de mettre la main au portefeuille pour financer des évènements culturels puisque le Festival du film francophone d’Angoulême est lui aussi en difficulté (mais bon eux ils sont aussi en bisbille avec Ségolène Royal, la présidente de la Région). Finalement, pour la BD, mairie et gouvernement se sont mobilisés. Le haut commissaire à la jeunesse a accordé une  subvention exceptionnelle à hauteur de 40.000 euros et en a profité pour créer un prix. Et surtout la ville et le festival se sont mis d’accord dans un communiqué commun.

Si personne n’a vraiment pensé que le festival allait disparaître, cet évènement traduit bien les tensions qui existent entre le festival et les acteurs locaux (parfois entre eux) au niveau local. Tensions qui n’ont pas de grands liens avec la bande dessinée.

Si Angoulême disparaissait, est-ce que se serait si grave?

Et, dans le fond, est-ce que cela aurait été si grave pour la bande dessinée qu’il n’y ait pas de festival cet année ? Comme toutes les manifestations culturelles de cet ordre, le festival de BD d’Angoulême est l’objet de critiques récurrentes. La sélection des ouvrages en compétition est un terrain idéal pour qu’elles s’expriment. Les accusations de copinages et le manque de représentativité des bandes dessinées représentées reviennent chaque année. Sur ActuaBD, Laurent Boileau et Didier Pasamonik s’interrogent encore, à l’occasion de ce 37ème festival :

«On aimerait connaître la philosophie de cette sélection dont les motifs ne nous apparaissent pas transparents. La représentativité de la production actuelle, au sein de laquelle le jury final choisirait subjectivement les meilleurs, nous semble relever du bon sens. Or, nous constatons que cette représentativité n’est pas assurée”. »

Beaucoup de Delcourt, peu de Glénat dans la sélection officielle. Et des noms qui reviennent tout le temps : Sfar, Sattouf, Loisel, Rabaté, Larcenet… De la très bonne BD, bien sûr, mais qui n’est pas forcément représentative de la réalité du paysage général de la bande-dessinée. Les grandes séries d’humour et d’aventure, poids lourds commerciaux du neuvième art, peinent à trouver leur place à Angoulème. Du coup, l’image d’un festival “élitiste”, «éloigné du public », s’impose facilement.

Les prix font aussi toujours débat. Une réforme a été menée cette année, alors que le précédent changement datait de… 2007. Motifs invoqués par Benoît Mouchart, directeur artistique du festival : “On a eu un retour mitigé des libraires. Le public n’accordait pas forcément de valeur aux prix ex aequo”. Du coup, cette année sera remis le Fauve d’Or, récompensant le meilleur album, et six prix Essentiels (Fauve d’Angoulême) : prix spécial du jury, prix de la série, prix révélation, prix de l’audace, prix intergénérations et prix du public. Histoire de faire plaisir à tout le monde ? Peut-être. En tous cas, on a parfois du mal à distinguer les différences entre les prix : le prix spécial du jury, qui “récompense un ouvrage sur lequel le jury a particulièrement souhaité attirer l’attention du public, pour ses qualités narratives, graphiques et/ou l’originalité de ses choix” ressemble quand même beaucoup au Fauve d’Or, vous ne trouvez pas ? Et le prix de l’audace, qui “récompense une œuvre développant une approche innovante (formelle ou narrative) de la bande dessinée”, il ne recouvre pas un critère du Fauve d’Or lui aussi ? Quant au prix du public, il sonne presque comme un aveu d’échec de la part du jury, qui n’arriverait pas à récompenser par lui-même des BD populaires.

Le déroulé lui-même du festival est sujet à critiques. L’aspect très commercial du festival en rebute plus d’un. Les longues files amenant aux auteurs qui dédicacent, aussi. Quand on attend devant un stand, on a parfois l’impression d’être dans La littérature à l’estomac de Julien Gracq, d’être ce «public en continuel frottement comme un public de Bourse a la particularité bizarre d’être à peu près constamment en ” état de foule “.: même happement avide des nouvelles fraîches, aussitôt bues partout à la fois comme l’eau par le sable, aussitôt amplifiées en bruits, monnayées en échos, en rumeurs de coulisses. »

L’auteur de bande dessinée Morvandiau commençait ainsi un article paru l’an dernier dans le Monde Diplomatique :

«Qui serait prêt à payer pour entrer dans une librairie ? Qui serait prêt à payer pour entrer dans une librairie avec l’intention d’acheter des livres ? Qui serait prêt à payer pour entrer dans une librairie avec l’intention d’acheter des livres et de faire la queue afin d’obtenir des dédicaces ? Vous ? C’est possible. Le phénomène concerne déjà plusieurs centaines de milliers de personnes chaque année en France. On l’observe notamment en janvier, à Angoulême, à l’occasion du Festival international de la bande dessinée.»

Bien sûr (et l’auteur de l’article le reconnaît), Angoulême ce n’est pas que ça. Il y a aussi des expositions (cette année, pas moins de 300m² pour Léonard de Turk et De Groot), des ateliers, etc. Il n’empêche, le modèle “entrée payante, file de dédicace” a essaimé un peu partout dans des festivals de moindre ampleur qui se tiennent en France pendant toute l’année.

Mais finalement, est-ce que ce n’est pas la vocation d’un festival leader que d’être l’objet de critiques continuelles? Comme Cannes pour le cinéma ou le Goncourt pour la littérature, on se plait à dénigrer Angoulême, parce qu’il faut bien dire que c’est le lot de tous les événements majeurs dans n’importe quelle discipline.

Laureline Karaboudjan

Photo Flickr, la fille des remparts, galerie Marsupilami92. 6 boulevard Pasteur, Angoulême.

2 commentaires pour “Angoulême, le festival qui n’aurait pas dû avoir lieu”

  1. Regretter qu’il existe un prix du public, c’est pas un peu de mauvaise foi? On laisse pas parler les gens, on est techno; on les laisse parler, on est populo, voire carrément pas pro…

    Le festival de la BD reste un festival où les gens peuvent aller à la rencontre des auteurs, c’est l’essentiel. Eh oui, ya la queue, ben qu’est ce que vous voulez… franchement, je vois pas la polémique, franchement. Si ya un problème c au niveau de la sélection et du manque de transparence, et là, c’est une ligne dans une citation de l’article. Frustrant.

    Et les fautes d’orthographe, pardon, mais là…

  2. Un petit mot sur le palmarès (dont deux prix sont, pour le moins, étonnants) ?

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