Normalement, on devrait être au pic de la grippe A. Pour l’instant, moi ça va, mais je lis des articles qui en parlent un peu partout, notamment sur Slate.fr. Et même si je ris en songeant aux gymnases réquisitionnés pour la vaccination qui restent vides, c’est jamais rassurant d’entendre trop parler d’épidémie. Alors qu’en bande dessinée, la maladie, c’est la plupart du temps distrayant.
Petite, je me souviens avoir eu un peu peur quand mes cousins détectives se sont mis à avoir des moustaches et des cheveux très longs et colorés. Au-début j’ai cru qu’ils avaient cédé au flower power, mais en 1950, ils auraient été un peu en avance sur leur temps… Au pays de l’Or Noir, les Dupondt se sont aussi mis à prendre de drôles de couleurs et à cracher des bulles de savon, en plus de leurs désarrois capillaires. Et ils ont eu une sacrée rechute dans la fusée qui les emmenait vers la lune. A la base, ils avaient simplement pris un comprimé d’aspirine. Enfin, ce qu’ils croyaient être un comprimé d’aspirine, et qui les a en fait rendu malades comme des chiens. Pas étonnant que le vaccin de la grippe A suscite la méfiance après ça (surtout que les Simpson nous l’ont dit il y a quelques années déjà, le vaccin contre la grippe a été créé pour contrôler nos esprits)! De fait, dans le tube d’aspirine qu’ils avaient trouvé dans le désert se cachaient des comprimés de N14, un produit qui faisait exploser moteurs et briquets, et que l’infâme Docteur Müller comptait utiliser comme arme de guerre.
Il y a aussi la fois où mon vieil oncle druide a perdu la mémoire. Les romains avaient tenté de l’enlever, mais Obélix, en voulant le secourir, lui a malencontreusement envoyé un menhir sur la tête. Rassurez-vous, c’est le genre de contretemps qui arrive en Armorique. Mais enfin, le pauvre Panoramix, en plus de l’amnésie, est devenu complètement fou. La preuve: il s’est mis à apprécier la musique d’Assurancetourix, c’est un comble! Le plus drôle c’est quand même quand Obélix s’est dit qu’il pouvait guérir Panoramix en répétant l’opération menhir, alors que le druide venait de guérir…
Et puis je me rappelle de ce voyage organisé, quelque part aux confins de l’Himalaya, au Touboutt-Chan, pour soigner des patients hoquetants. Le docteur Placebo était persuadé qu’en collant la frousse aux trousses de ses patients, ils seraient guéris, et il avait raison. Mais l’ironie de l’histoire, c’est qu’un des organisateurs, en l’occurrence Fantasio, va lui tomber malade pendant le voyage. Piqué par un moustique porteur d’un virus, il devient fou furieux et complique sacrément la tâche de Spirou pour se sortir vivant de la Vallée des Bannis. D’ailleurs, les compères Spirou et Fantasio ont souvent été confrontés à la maladie ou aux drogues dans leurs péripéties, notamment dans “Z comme Zorglub” où, entre les rayons hypnotiques et les drogues, ils ne savent pas comment s’en sortir face au vilain le plus célèbre de leurs albums.
Déformation des personnages, changement d’identité (elle est pour toi cette référence, XIII), course à la guérison… La maladie, en bande dessinée, est un formidable ressort dramatique. Elle permet d’innombrables gags, qu’elle soit physique (les Dupondt chevelus) ou mentale (Panoramix fou). Parfois elle suscite le rire de manière légère, parfois c’est un peu plus gras. Dans “Cryozone“, des colons humains cryogénisés dans un vaisseau spatial sont victimes d’une infection qui les transforme en zombies. Suit, film holywoodien, tronçonneuse Black et Decker et jeux de mots faciles. Mais je vous rappelle que l’on a le droit d’être une fille et aimer poutrer du zombie. Mais qu’elle fasse peur ou qu’elle fasse rire, la maladie suscite des réactions fortes. Comme l’amour ou la mort, en tant qu’expérience commune, elle est très chargée émotionnellement, et fait appel aux instincts primaires du lecteur. Elle peut inspirer la compassion, comme dans “Chaque chose“, une BD de Julien Neel sélectionnée en 2008 à Angoulême, centrée sur les rapports entre un père et son fils, alors que le plus âgé des deux est gravement hospitalisé. Elle peut être une menace angoissante, comme dans “Les Sept Boules de Cristal“, avec ses savants qui sont frappés de démence à heure fixe, tous en même temps.
Les BD de prévention
La bande dessinée décide aussi parfois de parler de maladies bien réelles. Les BD de prévention sont innombrables. Souvent un peu ennuyeuses, car très convenues, elles constituent toutefois un outil particulièrement utile pour faire passer des messages sanitaires. Au Kenya, une BD de prévention du SIDA fait ainsi un tabac dans les journaux, car sa forme est plus plaisante que n’importe quel article sur le sujet. La bande dessinée permet surtout de toucher des publics spécifiques. Toujours autour du SIDA, “Réseau Positif“, avec ses personnages typés manga, permet de toucher un public jeune. “Le voyage de Luna“, qui traite des maladies héréditaires, s’adresse carrément aux enfants. Auprès de populations illettrées, la bande dessinée peut également être un formidable moyen de prévention.
Enfin, la bande dessinée peut servir à des malades ou à des gens qui ont été confrontés à la maladie de témoigner. Deux affections tiennent (logiquement) le haut du pavé : le SIDA et le cancer. Le plus bel ouvrage écrit sur le VIH (et pourtant, ils sont nombreux!) n’est pas une oeuvre de fiction, mais un témoignage bien réel, celui de Frederik Peeters dans “Pilules Bleues“. L’auteur narre sa propre rencontre avec Cati, jeune femme mère d’un enfant. Le courant passe bien entre eux et très vite Cati doit avouer à Frederik son lourd secret: elle est séropositive. Tout est raconté avec une extrême justesse, sans pathos excessif ni atténuation volontaire. Ca sonne tout simplement très vrai. Pour lire sur le cancer, il faut traverser l’Atlantique. Evoquons tout d’abord Harvey Peykar, qui dans sa célèbre chronique autobiographique American Splendor, n’hésite pas à parler de son cancer et de la façon dont il le vit avec sa compagne. A noter que la bande dessinée a été (bien) adaptée au cinéma il y a quelques années. Et puis il y a le plus récent “Cancer in the City“, où la new-yorkaise Marisa Acocella Marchetto raconte avec humour et légèreté sa confrontation avec la maladie.
Kari de Amruta Patil est sans doute l’une des BD les plus déroutantes. Là aussi, on y parle SIDA et cancer en phase terminale. Mais c’est écrit par une Indienne, cela se passe à New Delhi, cela montre l’envers d’un sous-continent que l’on connaît parfois mal. Où une génération, en déshérence, passe d’une maladie à l’autre, d’une bordure de caniveau à des toits d’immeubles sales et poussiéreux. La ville est sombre, le monde est noir, les virus n’en sont que les symboles. Les jours passent, il n’y a plus d’espoir. A la fin? La mort.
N’oublions pas “Virus”, une aventure de Spirou (par Tome et Janry, non non pas le chat et la souris) sur fond de maladie infectieuse.
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Sans oublier non plus “Mom’s cancer” (le cancer de maman) de Biran Fies. Magnifique également.
Amusant sinon. En ce moment je lis “On a marché sur la Lune” à ma fille et elle est très impressionnée par les mésaventures capillaires des Dupondt. Elle s’arrête plusieurs minutes sur les pages concernées en me posant des tas de questions plus ou moins inquiètes.