Sous le régime est-allemand, tout était idéologique, même la bande dessinée
Autant le dire tout de suite, l’Allemagne, en général, n’est pas un grand pays de bande dessinée. La plupart des grands succès d’édition sont des traductions soit de bandes dessinées européennes (Tintin ou Astérix par exemple), soit de comics américains (je ne reviendrai pas sur le succès fou de Donald en Europe du Nord). Pourtant, le pays a vu s’épanouir des pionniers dans l’art de raconter des histoires en dessins successifs. Citons par exemple Wilhelm Busch, qui dès 1865 avec Max und Moritz, préfigure la bande dessinée moderne (et notamment les Katzenjammer Kids, publiés trente ans plus tard aux Etats-Unis). L’autre grand succès allemand d’avant-guerre en bande-dessinée, c’est Vater und Sohn (“Père et Fils”, en français) d’Erich Ohser, qui parut à la fin des années 1930, sous pseudonyme. Car l’auteur de cette BD sans paroles, pleine d’humour et de poésie, et qui n’est pas sans rappeler Sempé chez nous, s’était illustré avant l’avènement d’Hitler par ses dessins satiriques dans la presse démocratique. Il sera arrêté par le régime nazi et se suicidera le 5 avril 1944, la veille de son procès pour “opinions néfastes au Reich”. Triste histoire. Quoiqu’il en soit, les grands auteurs allemands de BD se comptent sur les doigts d’une main.
L’occupation militaire alliée, à la fin de la Seconde Guerre Mondiale, entraîne un développement de la bande-dessinée en Allemagne. Les comics sont traduits, et connaissent un certain succès. Surtout, l’influence américaine se fait sentir sur les auteurs allemands qui adoptent les styles d’Outre-Atlantique. Ainsi, Manfred Schmidt, qui détestait Superman, crée en 1950 le détective Nick Knatterton comme une parodie des comics américains de super-héros, mais il en copie du coup le style graphique. Trois ans plus tard, Rolf Kauka dessine Fix und Foxi, deux renards directement inspirés de l’univers Disney. Bref, qu’il s’agisse des traductions ou des productions originales, la bande-dessinée décolle véritablement en Allemagne dans l’immédiat après-guerre.
Et à l’Est, alors ? Comme à l’Ouest, où est créé l’Office fédéral de contrôle des écrits en 1954, on voit très vite apparaître un contrôle des BD. Les bandes dessinées de l’Ouest se retrouvent très vite inscrites à l’index des “publications mauvaises et obscènes”. Plus généralement, la bande dessinée a mauvaise réputation, accusée de pervertir la jeunesse. Un peu comme partout en Europe, y compris en France, comme je l’ai déjà évoqué. D’après le très complet site DDR-Comics, c’est l’écrivain est-allemand Ludwig Renn qui, en définissant la bande dessinée comme des “histoires d’images”, redonne des lettres de noblesses à cet art, qui va se développer dans des limites très strictes.
“Être joyeux et chanter”
Deux journaux dédiés à la jeunesse sont créés par le régime. Il y a le bien nommé Frösi, pour “Fröhlich sein und singen” (littéralement, “Être joyeux et chanter”), chaperonné par les Pionniers Ernst Thälmann, l’organisation officielle des moins de 14 ans. Mais si, vous savez, les jeunes avec le foulard bleu qui chantent dans Goodbye Lenin. Et puis, quand ils grandissent, les ados est-allemands peuvent lire Atze, l’organe de la Jeunesse Libre Allemande, l’organisation officielle des 14-25 ans. Dans Atze, on peut lire les aventures de Fix und Fax, les pendants socialistes de Fix un Foxi, qui sont deux souris grises et non plus deux renards. Les deux publications resteront, de leur création dans les années 1950 à la chute du régime en 1990, au prix fixe de 20 Pfennig. Et puis il y a Mosaik, la seule publication de BD est-allemande qui a survécu à la chute du Mur, narrant entre autres les aventures des Digedags (devenus les Abrafaxes à la mort de leur créateur, Hannes Hegen), un trio façon Pieds Nickelés. Le tout sous le contrôle de l’Etat, bien évidemment.
Dans Frösi et surtout dans Atze, on trouve aussi des articles décrivant la vie quotidienne en RDA ou bien l’histoire des luttes sociales et de la résistance communiste au fascisme. Ainsi, cette histoire, parue en 1982, et qui raconte sur huit pages comment les cloches de Novgorod, en URSS, ont été sauvées de l’avancée nazie en 1941. Les héros sont des enfants et des adolescents, qui se donnent du “Genosse” (“Camarade”) à tout va. Heureusement à la fin, tout est bien qui finit bien et on apprend que “Novgorod est aujourd’hui une des plus belles villes de l’Union Soviétique“.
Les importations de BD, comme de tout le reste en fait, n’étaient pas légion en Allemagne de l’Est. Evidemment, aucune bande-dessinée en provenance de la RFA n’avait droit de cité en RDA. Ce qui ne les empêchait pas certaines BD de l’Ouest de parvenir quand même de l’autre côté du rideau de fer. L’auteur du site DDR-Comics témoigne ainsi : “Je peux dire de ma propre expérience que les fans de BD pouvaient se procurer de tels ouvrages. Mickey Mouse et Fix und Foxi étaient en circulation, […] et j’en ai lu étant enfant et adolescent. En particulier, les professeurs intellectuellement progressistes de l’école de musique n’étaient pas trop regardants quand les bouquins passaient de mains en mains pendant les pauses”. La plupart des imports officiels provenaient des “pays frères”, essentiellement d’Union Soviétique ou de Hongrie. Le plus gros succès d’importation russe, c’est Hase und Wolf (“Lapin et Loup”), des comics-strip (adaptés ensuite en cartoon) reprenant le principe bien connu de la course poursuite comme dans Tom et Jerry ou Titi et Grominet.
Les quelques auteurs de l’Ouest autorisés en RDA l’étaient par proximité idéologique. Le Danois Herluf Bidstrup fait ainsi paraître ses dessins dans les journaux NBI ou Wochenpost parce qu’ils étaient originellement publiés dans Land og Folk, l’organe du parti communiste danois. On ne s’étonnera pas non de voir Placid et Muzo, du français Arnal, publiés dans Frösi, eux qui ont fait les beaux jours de l’Humanité en France. Mais le représentant français le plus connu à avoir été édité en Allemagne de l’Est, c’est Jean Effel, l’humoriste en ligne claire qui officiait, entre autres, dans le Canard Enchaîné ou qui a fait une Marianne assez connue. Mais quand on a reçu le Prix Lénine pour la paix en 1968, c’est tout à fait normal…
Laureline Karaboudjan
Illustration : Couverture du magazine Atze, DR.
J’ai découvert ce blog il y a peu, mais je me régale à chaque nouvel article : c’est intéressant, bien écrit, et en plus j’apprends des tas de choses, comme aujourd’hui.
Qui aurait cru que la BD est-allemande puisse être un sujet passionnant ?!
Chère Laureline, bravo, et continuez comme ça !
C ‘est effectivement fabuleux ce blog.
Chère Laureline, vous citez ” Placid et Muzo”, mais quand est-il de Pif, le chien communiste et de son ennemi juré (K)rapulax ?
…pardon…qu’en est-il ?
Juste une remarque d’ordre technique : le flux RSS de ce blog me renvoie une dizaine d’articles de “sayseal” (Le médialab de Cécile) à chaque parution d’un article des “bulles carrées”. Slate est au courant ?
Bonjour
J’ai transmis l’information à l’informaticien, on règle ça
Q.G.
Slate.
Vous avez raison, je n’ai pas parlé de Pif, pourtant le personnage le plus célèbre d’Arnal. Il se trouve qu’il a lui aussi traversé le rideau de fer pour paraître entre 1967 et 1968 dans les colonnes du “Berliner Zeitung am Abend”, qui comme son nom l’indique était un journal du soir. Mais pas vraiment “Le Monde”, plutôt du genre tabloïd à gros titres (et à tirage de 200 000 exemplaires.
C’est bien ces recherches, ça me fait pratiquer mon allemand! 🙂
Merci pour la réponse ( que je ne connaissais pas ).
Bonne continuation.
Social comments and analytics for this post…
This post was mentioned on Twitter by LaurelineK: En RDA, la BD sous surveillance http://bit.ly/3pgCDL…
Très intéressant 🙂
je voudrais savoir, si les dessins animés disney étaient autorisés en RDA. merci de répondre vite !!! 🙂 merci.
J’avoue n’en avoir aucune idée. J’imagine que oui, mais sans certitude…
mm.. strange thread!
Bonjour,
Les citoyens de la RDA avaient-ils connaissance de Couik,l’oiseau “préhisto”, qui a accompagné une partie de mon enfance ?
Si Couik est passé à l’Est pourriez-vous me donner un lien où l’on pourrait voir le Couik socialiste ?
Merci.
Joseph
J’en ai aucune idée. A vrai dire, je ne sais même pas si Couik, BD française, a passé le Rhin.
En rda la bd sous surveillance.. May I repost it? 🙂