Tintin au Congo a été retiré des rayons de la bibliothèque de Brooklyn et en France, le Cran réclame un additif au début de l’album. Le gentil Winnie l’Ourson a lui été placé sur une liste noire en Russie. La censure qui vient de les frapper est vieille comme la BD.
Si vous habitez à Brooklyn, New York, et qu’il vous vient l’idée d’aller à la Brooklyn Library, il vous sera très difficile de consulter Tintin au Congo. L’ouvrage paru pour la première fois en 1931 a été relégué au fond des réserves et n’est plus consultable que sur demande depuis 2007. Au contraire, Mein Kampf reste en accès libre. Le New York Times a publié récemment les lettres d’échange entre les plaintes et le comité de lecture de la librairie et le blog la République des Livres a relayé l’information en France. Patrick Lozès, le président du Conseil représentatif des associations noires de France, approuve cette décision: “dans sa forme actuelle, Tintin au Congo me semble offensant et je soutiens sans réserve la sage décision de la Ville de Brooklyn”. Depuis, il revient régulièrement sur l’affaire sur son blog. Dans un communiqué publié le 9 septembre, il souligne que “le CRAN est favorable à ce qu’un additif soit placé en préface de l’album pour expliquer, tout particulièrement à l’intention des plus jeunes, l’idéologie illustrée par cet album” et il demande au ministre de la culture Frédéric Mitterrand de se prononcer sur la question.
Dans la même semaine, en Russie, Winnie l’Ourson vient d’être interdit. Le petit ours se retrouve inclus dans une liste de publications “extrémistes”, après que le tribunal Ordzhonikidzevsky d’Ufa, la capitale du Bashkortostan, en ait décidé ainsi après qu’il ait été trouvé, chez un néo-nazi local, des images de Winnie orné d’une swastika. A coup sûr, c’est ce grand malade de Tigrou qui l’a embrigadé… Ces deux exemples récents, un peu incongrus, viennent nous rappeler que dame Anastasie retaille des bulles depuis que la bande-dessinée existe.
Pour l’œuvre d’Hergé, la polémique est récurrente. Il y a deux ans un réseau de libraires anglais avait aussi retiré Tintin au Congo de ses rayonnages pour enfants. Là, la bibliothèque de Brooklyn s’est exécutée après des plaintes de mécènes, plaintes qui sont d’ordinaire peu suivies d’effet. Une dénommée Laurie Buck a ainsi écrit une lettre de plainte où elle estime que le livre est “Racially offensive to black people”. Après deux semaines de réflexion, le comité de sélection de la librairie lui a répondu en expliquant qu’il était d’accord avec son analyse et que le livre était ajoutée à la Hunt Collection, sélection de livres pour enfants disponibles uniquement sur demande et consultés “principalement par des étudiants et des chercheurs”.
Tintin au Tibet chinois
Puisqu’on parle de Tintin et de censure, évoquons les tribulations du petit reporter en Chine populaire. L’oeuvre d’Hergé a pu être officiellement traduite dans l’empire du Milieu en 2001, même si de nombreuses versions non-autorisées circulaient déjà depuis longtemps dans les marchés chinois. Je suis d’ailleurs l’heureuse propriétaire d’un exemplaire pirate de Tintin au Tibet, acquis dans les années 1990 sous un manteau chinois (voir photo). Ironie de l’histoire, peu après le lancement des versions officielles de Tintin en Chine, un responsable chinois des traductions a été convaincu de piratage. On ne s’étonnera pas que l’album Tintin au pays des soviets, violemment anticommuniste, ne fasse pas partie du catalogue autorisé en Chine. Quant à l’album (logiquement) le plus populaire dans le pays, Le Lotus Bleu, il a subi un certain nombre d’arrangements. Il n’y a plus le passage où il est dit que les Chinois passent leur temps à inventer des supplices. Quand on évoque les bébés chinois que l’on jette à l’eau dès leur naissance, une justification “parce qu’on ne peut les nourrir” a été ajoutée. Tintin se fend enfin d’un “Les occidentaux connaissent mal la Chine, ils connaissent mal le peuple chinois” qui n’existe pas dans la version française.
Mais l’exemple le plus fameux de la censure du pouvoir chinois dans les aventures de “Dingding”, c’est évidemment dans Tintin au Tibet. Enfin, “Tintin au Tibet chinois“, ainsi qu’avait été nommé l’album à sa sortie, déclenchant un véritable incident diplomatique entre les ayant-droits d’Hergé et l’édition gouvernementale chinoise de livres pour enfants chargée de la traduction. (Remarquez que sur ma version pirate, le titre est lui complètement différent puisque c’est “Tintin et l’abominable homme des neiges” selon la traduction d’un camarade sinologue). Histoire de saisir l’ampleur de la crispation, rappelons que Fanny Rodwell, la veuve d’Hergé, ainsi que son dernier mari Nick, qui gèrent les droits de Tintin, sont tous deux convertis au bouddhisme, proches du Dalaï Lama et solidaires de la cause du peuple tibétain (ce qui n’empêche pas Nick Rodwell d’être peu zen et d’avoir des crises de colère très violentes contre les journalistes). Finalement, l’éditeur chinois fera très vite marche-arrière et “seuls” 10 000 albums “Tintin au Tibet chinois” ont effectivement été imprimés. Dernière anecdote sur les enjeux politiques de Tintin au Tibet, relevons cet ajout à la fin de la traduction taïwanaise, datant de 1980 : “Même si Tintin a sauvé son ami Tchang au Tibet, les Tibétains continuent de vivre sous l’emprise du Parti communiste, c’est vraiment trop pathétique”.
L’histoire de la bande dessinée est émaillée d’interdictions politiques. Les éditions Delcourt viennent ainsi de republier en français Che, une bande dessinée argentine sortie pour la première fois en 1968 et qui a été longtemps interdite du côté de Buenos Aires. L’ouvrage, scénarisé par Hector Oesterheld et dessiné par Alberto et Henrique Breccia (père et fils), alterne l’évocation de l’ultime campagne d’Ernesto Guevara en Bolivie et des flash-backs de différents moments de sa vie où il s’est forgé son idéal révolutionnaire. Un instrument d’édification pour les masses, en quelque sorte. D’ailleurs, Hector Oesterheld et Alberto Breccia avaient prévu toute une série de bandes dessinées sur les révolutionaires sud-américains, comme Zapata ou Sandino. Ils n’eurent pas le temps. En 1974, Isabel Perón prend le pouvoir en Argentine et combat avec virulence les mouvements de gauche dans le pays. La bande dessinée Che est officiellement interdite et les planches originales sont brulées. Deux ans plus tard, la junte militaire menée par Jorge Videla renverse Isabel Perón et instaure un régime de terreur dans le pays et fait disparaître quelques 30 000 opposants. Hector Oesterheld et ses quatre filles en font partie. Quand, en 1979, le journaliste italien Alberto Ongaro a questionné la disparition d’Oesterheld, on lui a répondu “Nous l’avons éliminé parce qu’il a écrit la plus belle histoire de Che Guevara jamais faite”.
L’autre grand type de censure, qui frappe la bande-dessinée comme n’importe quelle œuvre, c’est la censure liée aux mœurs. En Inde, Savita Bhabhi, une bande-dessinée érotique en ligne, a récemment fait scandale. Lancée en mars 2008, elle raconte les aventures sexuelles de Savita, une indienne mariée mais très libérée. Elle n’hésite pas à coucher avec les hommes qui croisent son chemin, à l’insu de son conjoint, chose inimaginable normalement dans la société indienne. “Un an après, le site est devenu un des plus fréquentés du pays (en 82ème position selon le quotidien Hindustan Times) avec plus de 60 millions de visiteurs par mois”, signale le site Aujourd’hui l’Inde. Devant tant de succès, le ministère indien des Technologies de l’Information a décidé finalement d’interdire l’accès au site internet début juillet. Pourtant la population a un accès libre à des milliers de sites pornographiques, mais Savita aurait une identité beaucoup trop indienne ce qui choque, l’image de la “femme facile” étant généralement attribuée à l’Occidentale.
Boule et Bill censurés!
La France n’a pas été avare non plus en matière de censure. Nous venons d’ailleurs de “fêter” les 60 ans de la loi du 16 juillet 1949 sur les publications destinées à la jeunesse, véritable outil répressif dont on a usé et abusé. Cette loi a instauré la Commission de surveillance et de contrôle qui veille à s’assurer à ce que ne parviennent dans les mains des mineurs que des publications sans “aucune illustration, aucun récit, aucune chronique, aucune rubrique, aucune insertion présentant sous un jour favorable le banditisme, le mensonge, le vol, la paresse, la lâcheté, la haine, la débauche ou tous actes qualifiés crimes ou délits de nature à démoraliser l’enfance ou la jeunesse”, ainsi que le stipule la loi. Cette définition extrêmement large permit, au cours des années 1950 et 1960, à la Commission de moraliser à plein la bande dessinée francophone.
Quelques exemples de coups de ciseaux? Dans l’album Hors la Loi de Lucky Luke, Morris confronte pour la première fois le lonesome cowboy aux frères Dalton, mais les vrais, Bob, Grat, Bill et Emmet et non leurs cousins fictifs Joe, Jack, William et Averell qui apparaîtront un peu plus tard. A la fin de l’album, le dessinateur belge décide de mettre en scène la mort de Bob Dalton en 4 cases particulièrement réussies (et crues). Ca ne passera pas auprès de la Commission et Dupuis fait modifier le passage. En 1952, c’est le Marsupilami qui est visé. La Commission s’émeut car “cette créature absurde et imaginaire pousse des cris inarticulés”. Rappelez-vous, je vous avais parlé dans une précédente chronique de Chott et de son fabuleux Fantax, le super-héros masqué à la française. Et bien, très logiquement, il fut reproché à l’auteur “une suite ininterrompue de scènes de meurtre, de pillage, de violences de toutes sortes”. Parfois, on touche au sublime, comme quand la Commission fait interdire, en 1963, un album de Boule et Bill (des chantres de la subversion, donc), parce qu’elle juge que quand Bill entortille volontairement ses longues oreilles de cocker pour distraire Boule et son ami Pouf, il s’agit de “cruauté envers les animaux”. Non Brigitte Bardot n’y est pour rien, cette année-là, elle jouait dans le Mépris (Et ma censure? Tu l’aimes ma censure?).
Toutefois, à en croire Bernard Joubert, l’auteur d’Images interdites, l’ouvrage dont sont extraits tous ces exemples, la censure administrative est une époque révolue. Dans le dernier Pilote, spécial 69 année érotique, Bernard Joubert consacre un (trop) court article au sujet où il note que : “depuis quinze ans, aucun auteur de BD n’a été condamné, pas même ceux spécialisés dans la pornographie. Il y a dix ans, une association de moralité publique d’extrême droite […] porta plainte contre une Fnac et mit ainsi à mal la diffusion des BD érotiques dans ces librairies […]. La psychose qui s’ensuivit est aujourd’hui terminée. Une autre association déclara partir en chasse contre Titeuf et appela ses adhérents à harceler les libraires”. Aucune de ses actions n’eut un résultat probant. En France, il n’est plus vraiment de mode de se mobiliser contre une BD, les associations de bonne moralité préférant maintenant s’attaquer à Internet ou aux jeux vidéos.
Laureline Karaboudjan
Ayant eu envie de tester le service books.google.com, j’ai cherché “bandes dessinées” puis ai parcouru les premières pages d’un livre de Pierre Pascal : “BD passion” de 1993 (il y avait des planches 😉 ! ).
Je suis tombé sur deux passages particulièrement représentatifs des moeurs de l’époque vis à vis du racisme et des noirs, moeurs dans lesquelles évoluait naturellement Hergé. Voici ces extraits :
Page 17 [cela se passe en 1938-39] :
“Nous allions regarder devant la caserne quelques soldats noirs, pauvres types arrachés à leur village pour défendre la mère-patrie. Nous leur offrions des chaussettes multicolores tricotées par les dames patronnesses avec leurs restes de laine. Il ne fallait pas les teindre parce que la bariolé plaisait à ces “grands enfants”.”
Page 28 [Le Téméraire était un journal pétainiste] :
“La partie rédactionnelle du Téméraire était plus virulente que la partie Bande Dessinée ; les articles “éducatifs” faisaient carrément l’apologie du racisme (Les secrets du sang. Du singe à l’homme, etc.) mais cela ne choquait guère, c’était le climat de l’époque.”
[…] accusée de pervertir la jeunesse. Un peu comme partout en Europe, y compris en France, comme je l’ai déjà évoqué. D’après le très complet site DDR-Comics, c’est l’écrivain […]
Au-delà de ces quelques exemples souvent risibles, il y a de véritables drames humains, qui tournent tous autour de l’acharnement judiciaire des héritiers de Hergé, et notamment du dénommé Nick Rodwell qui n’a jamais connu Hergé et qui s’arroge le droit d’être le gardien du Temple, accompagnés d’une armée de juristes et d’une avocate, à la place de laquelle j’aurais du mal à me regarder dans la glace.
La presse s’est récemment fait l’écho du cas de Bob Garcia, condamné à payer 40000 euros pour avoir publié des romans policiers à tirage confidentiel et ne contenant pas la moindre image de l’oeuvre d’Hergé.
Et je connais quelques autres cas, tout aussi dramatiques bien que moins médiatisés.
[…] Evidemment, il y a Tintin au Congo. Impossible de ne pas en parler, c’est un peu la matrice des clichés sur l’Afrique en BD. Tout y passe : les Noirs sont fainéants (”Moi y’en a fatigué”), lâches, bêtes (”Li missié blanc très malin”). L’Afrique de Tintin, c’est une Afrique où l’on vit dans des cases perdues au milieu d’animaux sauvages, avec le bon missionnaire blanc comme point de repère. Nulle peine d’en rajouter, la BD est connue de tous, les raisons de ses torts aussi: elle a été écrite en 1930-1931, à l’apogée de l’empire colonial belge et publiée dans un journal de la droite chrétienne, Le Petit XXème. A l’époque où en France, on organise une exposition coloniale tout aussi nauséabonde. Soulignons plutôt que Tintin au Congo n’est malheureusement pas un cas isolé, et qu’à l’époque, l’Afrique en bande dessinée c’est nécessairement des clichés. Cette histoire continue encore aujourd’hui de faire régulièrement polémique, notamment à l’étranger. Elle a ainsi été retirée des rayons de la bibliothèque de Brooklyn. […]
[…] de chacun sont courantes en BD, comme je l’avais déjà expliqué dans un article en septembre dernier. Tintin au Congo revient ainsi régulièrement dans l’actualité suite à des critiques […]
à moins que le(s) Manga ne soient pas de la BD
il y a eu des censures concernant ce genre
durant la decenie 1990/2000 et peu-être même aprés
[…] de BD le plus censuré en France? Bernard Joubert (dont je vous ai déjà parlé dans ce post sur la censure) s’est proposé de le faire découvrir au cours d’une conférence dont le festival […]