Un effet de bulle sur la WebBD

BD 2.0

Certaines personnes ne se refusent rien. 14 auteurs du site Webcomics.fr ont lancé un manifeste du 18 juin (le grand Charles doit se retourner sur sa serviette de bain). «Nous, auteurs de bandes dessinées numériques, cartoonistes du web et passionnés de webcomics, déclarons offrir à tous du rire, de l’évasion, du plaisir, des larmes, de l’action et du mystère. Nous déclarons que le monde de la bande dessinée s’est enrichi d’un nouveau format : la bande dessinée numérique, ou “webcomics”, lisible par tous, partout et à tout moment.» L’enjeu est clair: (ré)affirmer que la bande dessinée peut s’échapper du support papier. Pour Julien Falgas, un des fondateurs du site Webcomics.fr, «Internet apporte à la bande dessinée la même chose que ce que la scène apporte à la musique: un direct, une rencontre privilégiée avec l’œuvre et son auteur».

Pourquoi aujourd’hui, pas demain ou le jour de l’anniversaire de la tante du petit Spirou, tante Phlébite, alors que le site Webcomics existe depuis deux ans déjà. C’est pour notre bien? Ne crachons pas dans la soupe: l’initiative est pétrie de bonnes intentions. Pour Julien Falgas, créateur du site, «par son caractère un peu luxueux, l’album cartonné reste réservé à un public très restreint là où la bande dessinée sur Internet peut renouer librement avec ses origines populaires». Plus prosaïquement, juge l’auteur Martin Vidberg du blog l’Actu en Patates, «les auteurs du site Webcomics se lassent de la centralisation tout à fait compréhensible des médias pour quelques “gros” blogs BD.»


Un tel manifeste permet donc de se faire un peu de publicité. Il faut dire que le créneau est déjà particulièrement encombré. Des auteurs pro ou des amateurs qui diffusent leur œuvre sur des blogs, il y en a des dizaines, peut-être des centaines. Une immense fourre-tout dans lequel il n’est pas facile de s’y retrouver pour les lecteurs lambda. Entre les auteurs confirmés qui s’amusent comme Throndheim, les «stars» du web (Boulet, Vidberg, Pénélope Jolicoeur…) et tous les autres, on se perd facilement. Certains sites proposent toutefois une sélection classique, mais intéressante, comme BlogandBD. Fred Boot, l’un des auteurs du Manifeste l’avoue: «Il s’agit d’une initiative d’auteurs, donc forcément cela n’est pas sans promotion, mais c’est avant tout à destination du public». Surtout, pour Julien Falgas, il y a une vraie différence entre blogs BD et webcomics: «un blog BD est un agrégat de billets qui peuvent aussi bien parler du quotidien de leur auteur que présenter un petit récit de fiction ou un extrait d’un travail en cours pour un autre support. Un webcomic est un récit à part entière, souvent sur le mode du feuilleton, publié avec une certaine régularité». Peut-être, même si, dans les faits, il est un peu simple de réduire les blogs BD à l’autobiographie. Boulet se met en scène mais il rencontre un peu trop souvent des dragons et autres monstres étranges pour qu’on considère son oeuvre comme totalement autobiographique. Et à ma connaissance, Martin Vidberg ne s’est jamais retrouvé abandonné sur une île déserte.

La jungle de la web-bédé

Je dois avouer que dès que je sors des sentiers battus de mes petits blogs préférés, l’immense majorité du temps, je suis désappointée. Sur Webcomics par exemple, j’ai eu beau chercher, je n’ai rien trouvé de vraiment intéressant. J’ai souri parfois, j’ai trouvé une bonne idée par là, mais à peine plus. Au final, je me suis dit que j’aurais mieux fait de lire une bonne BD papier. Alors on va encore me dire que je suis un vieux cargo azéri né en l’an mil mais j’ai rarement lu de BD longues, fouillées et intenses sur Internet comme il en existe sur du papier. Au mieux, des excellents strips d’une page grâce à Vidberg ou Trondheim ou de quelques pages grâce à Boulet. Ou alors de bons détournements, comme Tintin en Irak.

Pourquoi? Tout simplement parce qu’une bonne BD, c’est un boulot à plein temps, et de l’argent. Martin Vidberg l’explique, «pour le moment et malgré quelques exceptions notables, la bande dessinée n’est pas rentable sur Internet. Il faut donc publier sur papier pour espérer en vivre.» La BD sur Internet a surtout permis à ceux qui connaissaient un joli succès de gagner la confiance des éditeurs, comme Pénélope Bagieu. Tant qu’il n’y aura pas un système (les produits dérivés, la téléphonie mobile?) qui assure des revenus à peu près sûrs aux auteurs sur Internet, ils tenteront tous de se tourner vers le papier ou, pour les plus connus, garderont le meilleur pour le papier. Boulet en blog, c’est bien, Boulet qui dessine un Donjon, c’est encore mieux.

L’auteur du blog l’Actu en Patates est un privilégié. Avec une moyenne de 20 à 30.000 visiteurs uniques par jour, il confie pudiquement qu’il gagne suffisamment pour «compléter son mi-temps d’enseignant». Fred Boot avoue aussi, un peu cyniquement, que «pour la majorité des auteurs de blogs BD et de webcomics, il s’agit d’un espoir de tremplin vers l’édition papier, il ne faut pas s’en cacher. Maintenant, ce serait intéressant de voir les raisons de cet espoir. Qui “croit” vraiment en l’objet livre? Qui pense plutôt au pécule que l’édition classique peut générer?» Lui espère trouver un modèle nouveau en ligne, avec l’indispensable question de la rémunération: «à long terme, l’un des buts est de créer un système viable financièrement comme cela se passe en Amérique du Nord ou en Corée du Sud». Pour l’instant, Julien Fargas l’explique, «nous en sommes aux débuts. Les livres imprimés à la demande marchent plutôt bien, quoique cela reste dans des ventes de l’ordre de la dizaine pour chaque livre».

La bande dessinée sur Internet, c’est aussi le piratage. On peut ainsi trouver des milliers de titres scannés téléchargeables en fichiers torrents et lisibles avec des logiciels gratuits tels que CDisplay. Si les séries européennes sont plutôt préservées du phénomène (on ne trouve que les plus célèbres, XIII par exemple), les comics américains sont pratiquement tous disponibles le jour même de leur publication. Un moyen pour les fans européens de ne pas attendre les traductions en bénéficiant du travail de scans de plusieurs collectifs de pirates. Des collectifs qui laissent leur logo à la fin de chaque fichier avec, très souvent, l’invitation à acheter tout de même les éditions papiers pour ne pas tuer le comic.

Laureline Karaboudjan

Image de une: La vie est un jeu d’enfants” par Pates

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