Le syndrome du web fâné

Quand il s’agit de parler du web vertueux et de ses formidables débouchés démocratiques, les pays occidentaux ne sont pas du genre à passer leur tour. On se souvient du discours enflammé d’Hillary Clinton en janvier dernier, au Newseum de Washington. «Pour de multiples raisons, l’information n’a jamais été aussi libre», avait-elle déclaré en préambule, alors que Google venait de dégoupiller sa grenade chinoise. Dans ses différentes allocutions, au colloque de l’ARCEP ou ailleurs, Nathalie Kosciusko-Morizet a répété qu’internet était un outil «indispensable», «formidable», «incontournable». Et pourtant, Google Suggest continue de nous proposer «Internet est un outil… dangereux».

Il faut dire que la conjoncture et les législateurs alimentent les craintes avec la régularité chronométrique d’un robinet qui fuit. J’essaie encore de distinguer l’œuf de la poule (l’agenda de l’actualité), mais il n’y a qu’à jeter un œil furtif à la proposition de filtrage européen de la commissaire suédoise Cecilia Malmström. Bien sûr, les raisons avancées sont toujours nobles: lutte contre la pédophilie, protection de la vie privée, etc. En plus d’être ineptes – ce que j’ai déjà mentionné à de multiples reprises sur ce blog –, ces velléités de contrôle global traduisent une volonté assez repoussante d’infantiliser l’internaute. La riposte ne se fait d’ailleurs pas attendre, puisque une vidéo parodique, mettant en scène un «Cleanternet» orwellien et aseptisé circule abondamment depuis quelques jours.

Sur le ton détaché du discours marketing, une douce voix nous met en garde et nous rassure la seconde d’après:

«Si vous allez en ligne de nos jours, partout où vous regardez, il y a des sites remplis de pornographie infantile. Les pédophiles ne partagent plus seulement ces images sur des réseaux sûrs et sécurisés. Non ! Ils utilisent des sites publics facilement accessibles. Mais nous avons une solution.» (traduction d’Ecrans)

Mais l’alarmisme n’est pas l’apanage de l’UE. En France, certains élus n’hésitent pas à brandir le sécateur, celui qui permettra de tailler des croupières au web amoral. En octobre 2008, c’est en ces termes précis que le député UMP de la Marne, Jean-Claude Martin, a réclamé «l’interdiction d’accès à certains sites répréhensibles depuis le territoire français». Aux Etats-Unis, c’est l’ombre portée de la cyberguerre qui pousse les législateurs à reconsidérer leur position vis-à-vis d’un internet ouvert. Comme l’expliquent deux chercheurs dans une tribune pour le Christian Science Monitor, l’argument sécuritaire est au mieux fallacieux, au pire dangereux:

«Nous devons être attentifs aux appels pour une plus grande supervision d’internet par le gouvernement. La semaine dernière, dans le cadre d’un plan national, la Commission fédérale des communications (FCC) a lancé une enquête pour déterminer l’utilité d’«un programme de certification volontaire pour la cybersécurité ». A travers cet outil, la FCC pourrait certifier les opérateurs du web sur la base de critères qu’elle aurait elle-même préétabli, ou indirectement, par le biais d’un tiers. Plus menaçants, les sénateurs Rockefeller et Snowe ont proposé un Cybersecurity Act, qui prévoit de changer le fonctionnement d’internet pour satisfaire aux impératifs de sécurité. Cette initiative permettrait également de créer un système national de professionnels de la sécurité, et de verser des subventions à des « centres de cybersécurité régionaux » ainsi qu’à d’autres programmes.»

La consultation publique sur le droit à l’oubli lancée récemment sur le site flambant neuf du secrétariat d’Etat à l’économie numérique l’a prouvé, les autorités préfèrent légiférer sur un texte global que de sensibiliser les foules aux dérives du web communautaire. Comme en atteste le Guide de l’autodéfense numérique, dans un écosystème mutant, l’internaute est le premier verrou apposé sur une page Facebook. Il doit agir comme un filtre. Pourquoi? Parce qu’il est plus fiable et plus adapté qu’un algorithme préprogrammé. Oui, le web évolue à une vitesse subsonique, et la vie politique peine à suivre la cadence. Mais pour reprendre une expression consacrée, à haute teneur obscurantiste: la peur ne doit pas changer de camp.

Olivier Tesquet

Image de une: Flower & friend / Flickr CC License by fotologic

Un commentaire pour “Le syndrome du web fâné”

  1. […] voilà, je crois qu’il faut défendre ce peu de liberté qu’il nous reste. Et ça commence par boycotter ce genre de méthodes. En effet, si Facebook tombe, aucun doute […]

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