«Vous avez demandé Internet, un conseiller va vous répondre»

Mardi, l’Arcep (le gendarme des télécoms) organisait un colloque en forme de grand barouf sur la neutralité des réseaux. Quelques jours après le lancement d’une consultation publique (PDF) par le secrétariat d’Etat à l’économie numérique, l’objectif était d’expliciter dans toutes ses composantes – et une bonne fois pour toutes ? – ce que signifie la «neutralité du net». Je ne vais pas revenir sur le concept, déjà expliqué sur Slate par Giuseppe de Martino, autrement plus qualifié que moi. Non, ce qui m’intéresse, c’est la notion d’«Internet premium» soulevée par certains intervenants, et qui ressemble fort à un miroir aux alouettes.

Aujourd’hui, l’accès à votre connexion est un service «best effort» proposé par votre fournisseur d’accès. C’est-à-dire que celui-ci ne garantit pas le délai d’affichage d’une page web, de la même façon que la Poste ne peut pas avancer la date de réception d’une lettre. Sauf si celle-ci est recommandée. Sauf si vous payez un supplément, au nom duquel votre opérateur engagera sa responsabilité. Avec une bande passante de plus en plus sollicitée (sur ZDNet, Pierre Col, expert des réseaux, estime «qu’en deux ans, le trafic Internet mobile a été multiplié par 10»), certains FAI verraient d’un bon œil l’instauration d’un nouveau spectre de forfaits, et la mise en place du fameux «Internet premium», destiné à «gérer la rareté». D’ailleurs, cette option figure dans le document mis au point par les équipes de NKM avec l’évocation d’«une tarification au volume».

Le sénateur MPF Bruno Retailleau a immédiatement réagi, pointant du doigt «un danger citoyen». Et on comprend pourquoi. S’il existe un réseau réservé à ceux qui sont prêts à y mettre le prix, qu’adviendra-t-il du «web de base», condamné à l’engorgement et à la congestion? On sait par expérience que les forfaits «illimité» sont en réalité plafonnés (quel utilisateur d’iPhone n’a jamais reçu un message indiquant «vous avez dépassé le seuil d’usage de 500Mo»?). Sous couvert d’un service plus efficace, le premium est tout aussi traître: il voudrait nous faire croire que le Net est compartimenté.

Droits de l’internaute et pacte social

Il y a quelques semaines, le journaliste Jeff Jarvis a publié dans le Guardian une «déclaration des droits des internautes». En neuf points, il détaille ses recommandations, qu’il considère comme le ferment de la vie en société dans le «cyberespace». On peut citer son article 1, «nous avons le droit de nous connecter»; son article 8, «ce qui est public est d’utilité publique»; son article 9, «Internet devrait être construit et opéré de manière ouverte». Si elles peuvent paraître séduisantes et pleines de bon sens citoyen, les exhortations de Jarvis manquent de précision. Mais elles essaiment. Dans la foulée, le Parti pirate a créé une plateforme pour échafauder un texte similaire. On peut y lire que «l’accès à Internet est un droit inaliénable», que «nul ne peut être arbitrairement privé de l’accès à Internet», qu’«Internet  est un espace universel ouvert à tous, et [que] nulle entité ne peut se l’approprier dans sa globalité», et surtout, qu’«Internet est un bien commun».

Lors des tables rondes, le terme de «bien public informationnel» est revenu à plusieurs reprises. La terminologie fait tiquer les activistes du Net, qui défendent la vision d’un réseau déterminé par les internautes. Mais si on va au-delà des querelles sémantiques, l’idée d’une charte consacrée dans la loi n’est pas qu’une simple profession de foi. En prenant la parole mardi, Isabelle Falque-Pierrotin, présidente du Forum des droits sur l’internet et vice-présidente de la CNIL, a posé la question du «pacte social que nous voulons autour de l’internet». Au-delà des considérations techniques et économiques, longuement évoquées par les acteurs de la conférence, la dimension «politique et sociétale» (telle que la nomme NKM) ne doit pas être escamotée. Parce que c’est précisément cet aspect qui affecte «l’utilisateur final», ce terme barbare pour désigner l’internaute.

«Le débat sur la neutralité du Net ne doit pas devenir le point Godwin de l’économie numérique», a ensuite répété Nathalie Koscisuko-Morizet dans son allocution. En janvier, elle avait dit la même chose à propos de la pédopornographie. Si la ministre affectionne tant ce symbole de la culture web, elle a désormais l’occasion de le sauver des affres de l’«internet pas premium», ce minitel 2.0 réservé aux petites bourses.

Olivier Tesquet

Photo: Minitel / Flickr CC license by nicolasnova

Un commentaire pour “«Vous avez demandé Internet, un conseiller va vous répondre»”

  1. Non seulement le net doit devenir contrôlé par les états (peut-être à cause d’un manque de légimité…? ) MAIS en plus, les revenus publicitaires ne rapportent plus assez.

    Allez les pauvres : sortez vos sous !!

« »