Mercredi, trois dirigeants de Google ont été condamnés à six mois de prison avec sursis par la justice italienne pour atteinte à la vie privée. Au même moment, la Commission européenne a décidé d’ouvrir une enquête, sur la base de trois plaintes, pour déterminer si les pratiques commerciales de la firme californienne respectaient la législation anti-trust édictée par Bruxelles. Et s’il y avait un dénominateur commun à ces deux événements? Sans verser dans le conspirationnisme geek (“ces manœuvres ne sont qu’une horrible machination destinée à bouter l’omnipotent moteur de recherche de l’espace Schengen”), ce double coup de semonce révèle en fait les failles d’une forteresse qu’on jurait imprenable.
Pour l’heure, Google s’inquiète surtout de ses déboires chez nos amis transalpins, et de la dimension politique qu’ils sont en train de prendre. Sur le blog européen de l’entreprise, un responsable ne prend pas de gants : si leur cas fait jurisprudence, tous les éditeurs de contenus web deviendront des directeurs de la publication responsables devant la loi, “le web tel que nous le connaissons cessera d’exister, et beaucoup des bénéfices économiques, sociaux, politiques et technologiques qu’il apportent disparaîtront”. Le constat est fondé, mais avant de pousser des cris d’orfraie, il faut prendre en compte le particularisme italien. Quelques semaines avant de condamner les gros bonnets de la Silicon Valley, les ouailles de Silvio Berlusconi ont fait voter une loi qui oblige les internautes à soumettre leurs contenus vidéo à l’approbation du gouvernement.
L’autre contentieux est beaucoup moins surprenant. En venant cannibaliser un marché, Google s’est aliéné des rivaux plus petits qui font cause commune. Déjà, certains se demandent si la décision de la Commission ne va pas ouvrir les vannes. Sur le Technology Blog du Guardian, Bobbie Johnson estime qu’elle pourrait “marquer le début d’une longue et tortueuse suite de plaintes pour [l’entreprise]”. Comme Microsoft il y a quelques années, Google donne l’impression d’une bulle prête à éclater, devenue si grosse qu’elle met une partie des pays de l’UE sous respirateur artificiel. C’est ici que le bât blesse.
Un indice démocratique?
Au mois de janvier, la Ministre de la justice allemande, Sabine Leutheusser-Schnarrenberger, avait exprimé avec véhémence ses doutes à l’encontre de Google dans une interview au Spiegel. Elle y dénonçait la stratégie “agressive” de l’entreprise américaine, et sortait même de ses prérogatives pour la taxer de “mégalomanie” (qu’elle a ensuite requalifié en “appétit pour les grands projets”, plus diplomate).
La nouvelle Firme majuscule aurait-elle la folie des grandeurs? Quand l’entreprise de Bill Gates (puisqu’on y revient toujours) a inventé la notion d’ordinateur personnel et propulsé Windows au rang de totem, elle visait surtout à ne laisser personne lui tailler des croupières. Google est allé plus loin. En faisant de la neutralité du Net et de l’ouverture des réseaux un principe fondateur, elle a voulu s’imposer comme un vecteur de pacification et un indice démocratique. Au moment du discours d’Hillary Clinton sur la liberté du web, j’évoquais déjà la montée en puissance de cette “diplomatie Google“, aussi discrète qu’implacable – basée sur un algorithme.
Par analogie, on pourrait considérer le méta-moteur de recherche comme la RAND Corporation (Research ANd Development) du XXIe siècle, un think tank aux ramifications multiples, qui affecte tous les aspects de la vie civile, jusqu’au processus décisionnel. Après tout, la realpolitik trouve une raison d’être dans l’ecosystème volatil d’aujourd’hui, à travers les appels passionnés de l’administration Obama pour un internet libre. Maintenant que Google essuie un feu nourri, le gouvernement américain va-t-il venir à sa rescousse?
Olivier Tesquet
(Photo : CC @Pathfinder Linden)
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