Twitter ne sauvera pas le monde, c’est Slate qui vous l’a dit. Depuis sept mois que dure la crise iranienne, la presse occidentale a pourtant pris le temps de se perdre en conjectures. Dans ce concert, j’ai joué plus qu’à mon tour la partition du laborantin, je le confesse. Maintenant, il est peut-être temps de retourner le canevas pour démêler certains nœuds. Posons la question franchement: Internet peut-il sauver l’Iran ? Pas sûr…
«La vie civile n’est pas créée par l’action d’individus, mais par celle des groupes, écrivait récemment Clay Shirky, l’un des ayatollahs des médias sociaux, sur le site de la revue britannique Prospect. Pour cette raison, la démocratisation des téléphones portables et d’Internet va profondément la bouleverser, en changeant les interactions entre les membres de la sphère publique». En guise de conclusion, il estimait que l’exemple iranien serait «un test-clé». Les réseaux ont agrégé le mécontentement, l’ont exposé aux yeux du monde. Peuvent-ils devenir la composante mutante d’une nouvelle société civile au pays des mollahs?
Par mails interposés, j’en discutais il y a quelques semaines avec Evgeny Morozov, éminent blogueur pour Foreign Policy. Dans ce champ d’études flambant neuf, il est l’un des rares à avoir endossé le costume du méchant sceptique (voir la vidéo ci-dessous, en anglais). Spécialiste des pays autoritaires (il est d’origine biélorusse…), il estime – et je ne crois pas trahir sa pensée en l’exprimant en ces termes – que le pouvoir du web est proportionnel au degré démocratique de chaque pays. Si on s’en tient à ce constat simple, c’est une mauvaise nouvelle pour l’Iran.
Pour Evgeny Morozov, les régimes autoritaires ont de bonnes raisons d’aimer le web…
La matraque est une carotte
La première théocratie mondiale compte 30 millions d’internautes. C’est plus que l’Espagne ou le Canada. Près d’un habitant sur deux y dispose d’une connexion. C’est autant que l’Italie. Sont-ils tous des opposants au régime pour autant ? N’en déplaise aux plus optimistes, la Toile ne fait pas encore le distinguo entre les beaux et les moches, les gentils et les vilains, les partisans de Moussavi et ceux d’Ahmadinejad, un étudiant et un basij. C’est triste, mais la matraque peut prendre l’apparence d’une carotte.
Début juin, dix jours avant le scrutin présidentiel si contesté, Babak Rahimi, professeur de farsi et d’études islamiques à l’Université de San Diego, avait publié «La politique de Facebook en Iran», une étude approfondie des implications du réseau social dans la vie civile. Fermée deux fois par le régime à quelques semaines des élections, la plateforme communautaire avait finalement été rouverte, à la surprise générale, et sans plus de précisions. «En relançant Facebook, le régime créé un sentiment d’ouverture et d’équité à l’approche des élections, écrivait alors Babak Rahimi. Mais les services de renseignement sont également capables de mieux contrôler l’activité des dissidents, qui pourraient se sentir plus libres d’exprimer leur opinion».
Maintenant, couplez cette présomption à la théorie de la cascade de l’information. Bien connue des sociologues, cette hypothèse fait notamment référence aux «manifestations du lundi». A l’automne 1989, des rassemblements spontanés contre la politique de la RDA commencent à Leipzig. Au fil des semaines, par capillarité et mimétisme, le mouvement essaime à travers toute l’Allemagne de l’Est, drainant à chaque fois plus de contestataires, passant de quelques centaines à plusieurs milliers. Quelques semaines plus tard, le mur de Berlin tombe. Dans le cas de l’Iran, ce sont les classes aisées iraniennes, les plus connectées, et surtout la diaspora, qui jouent les carillonneurs numériques. Mais, cette fois-ci, pour qui sonne le glas?
Avec Internet, le pouvoir viral se double d’une porosité qui rend la voix iranienne particulièrement fragile. Début décembre, le Wall Street Journal nous apprenait ainsi que la communauté persane de l’étranger était directement prise pour cible par les autorités zélées du régime. Menaces par mail, faux comptes Facebook, intimidation, confiscation d’ordinateurs à l’aéroport de Téhéran, les théocrates ne reculent devant aucun obstacle pour juguler la dissidence. Et si, dans ce jeu du chat de la souris, c’était la censure iranienne qui possédait un coup d’avance ?
Leipzig 1989 – Téhéran 2009?
Vous pouvez m’épeler votre nom, s’il vous plaît?
Alors que j’évoquais mon envie de me rendre sur place, un ami franco-iranien m’a assuré cette semaine que je n’obtiendrai pas de visa touristique. «Ils vont éplucher ton activité web, trouver des traces de tes articles ou de tes tweets, et t’interdire de pénétrer sur leur sol», soutient-il. Si l’ambassade a balayé mes questions d’un revers de main (sans y répondre, mais en me demandant quand même d’épeler mon nom…), les actes sont là. Parce qu’un blogueur iranien aujourd’hui emprisonné avait participé à une de leurs conférences, deux chercheurs au Berkman Center de Harvard ont été déclarés persona non grata par les autorités, pouvait-on lire fin décembre dans le Boston Globe.
A y regarder de plus près, chaque spasme qui vient secouer Internet déclenche désormais une réaction du gouvernement iranien. Une certaine idée de la riposte graduée ? Alors que le mouvement se radicalisait à nouveau ces dernières semaines, les autorités viennent d’adopter une série de mesures destinées à entraver le web iranien de nouvelles chaînes.
Fin décembre, Psiphon, une entreprise spécialisée dans la création de réseaux privés virtuels, nous apprenait sur Twitter que le régime était en train de siphonner les connexions sécurisées. Jab. Le 3 janvier, Davoud Ahmadinejad (le frère de), secrétaire du Comité de défense passive, annonçait la mise en place de cyber-patrouilles, tout en exhortant les esprits les plus cartésiens du pays à servir leur pays en mettant leurs compétences informatiques à profit. Uppercut. Tout récemment, enfin, la justice iranienne publiait une nouvelle liste des “délits Internet” passibles de prison, un an après avoir voté une première loi. Sont désormais visés les sites «contraires aux valeurs religieuses […] à la paix sociale» ou «hostiles aux responsables et aux organes gouvernementaux». Signe du temps, les logiciels permettant de contourner les filtres officiels sont également dans le collimateur. KO ?
Olivier Tesquet
(Photo : CC @SIR : Poseyal & @zumpe)
[…] Ce billet était mentionné sur Twitter par Mettout et Olivier Tesquet, Olivier Tesquet. Olivier Tesquet a dit: [Déclassifiés] Internet ne sauvera pas l'Iran http://j.mp/55ZlSe #IranElection […]
Mouais, pas sur que internet soit si indispensable que ca a l’opposition iranienne, mais il est vrai que internet n’est peut etre que le reflet de la société …
[…] les affaires intérieures de l’Iran». Si vous suivez ce que j’ai pu écrire sur les initiatives Internet du régime de Téhéran, vous serez peut-être d’accord avec moi : les malveillants qui ont piraté Baidu semblent […]
[…] préfèrent écrire l’Encyclopédie du troisième millénaire. Le premier disserte sur la révolution Twitter en Iran (ne riez pas), pendant que le second, président de l’Arcep, en appelle à D’Alembert pour […]