Je suis né en 1987, quand les ordinateurs tournaient sous Windows 2. A l’époque, on recensait à peine 10 000 noms de domaine sur Internet. L’hypertexte n’avait pas encore vu le jour, et le World Wide Web se bâtissait dans l’esprit de Tim Berners-Lee. Et après? Tout s’est accéléré quand le 2.0 a fait basculer la Toile dans la 3D, un gigantesque réseau à la profondeur insondable. Ces deux dernières années, ce n’est plus un monde parallèle, mais le fluide qui circule dans la démocratie. Et parfois, les rouages se coincent, la machine crache, grince, fait du bruit. Quand les outils du net rencontrent (ou percutent) la sphère publique, voilà ce qui m’intéresse.
Le champ d’étude est vaste. Pour reprendre quelques exemples de l’actualité récente, il s’étend du grand pare-feu chinois au Climategate, en passant par le rôle de Twitter en Iran. Ne vous attendez pas à des kilomètres de chiffres, ni à une analyse technique, seulement à la perception d’un digital native, penché au-dessus du volcan. Bien entendu, comme vous l’avez remarqué dans la phrase précédente, Internet charrie son lot de barbares sémantiques, a fortiori quand les implications sont politiques : mots-valise, néologismes, jargon, argot. Pour ne pas se perdre dans la traduction, débroussaillons ensemble quelques mots-clés, qu’il faut avoir en tête quand vous venez par ici.
Cat-and-mouse game : Tout le monde connaît l’expression “jouer au chat et à la souris”, soit. Mais son application en ligne est moins évidente. Prenez l’exemple de l’Iran. Plus de six mois après la réélection largement contestée de Mahmoud Ahmadinejad, l’opposition continue de protester contre le régime, notamment sur Internet, et le régime continue de mener des actions coup de poing, en se servant notamment d’Internet. La souris (l’opposition) n’est pas assez forte pour contester l’autorité du chat (le régime), qui n’est pas assez vif et agile pour avaler la souris.
Crowdsourcing : Quand Jeff Howe, journaliste à Wired, a utilisé pour la première fois le terme, en 2005, il réagissait surtout à la grande mode de l’outsourcing, l’externalisation des tâches pour les entreprises. Aujourd’hui, l’idée a fait du chemin, jusque dans les rédactions, où la méthode est utilisée pour mener des enquêtes riches en données (quand le Guardian demande à ses internautes d’éplucher les dépenses des parlementaires britanniques, après le scandale révélé par le Telegraph)
Cyber-hédonisme : “Technolâtrie”, c’est joli, mais un peu suranné. Aujourd’hui, on parle plus volontiers de cyber-hédonisme, une attitude qui consiste à penser que le salut du monde passe par le web. Les extrapolations autour de la “révolution Twitter” en Moldavie, en avril 2009, sont un symptôme de ce maximalisme numérique.
Digital Natives : En français, l’expression a donné “natifs numériques”. Si elle désigne assez bien ma génération, celle qui a grandi avec un clavier au bout des doigts et un téléphone portable à l’oreille, elle évacue la notion de nouvelle norme (qui s’oppose aux “immigrants digitaux”, donc). Pour en saisir toutes les nuances, je vous invite à consulter le projet mis en place par le Berkman Center de l’Université d’Harvard, sobrement nommé… Digital Natives.
Intoxnet : voir Spinternet
Slacktvisim : contraction de slacker et activism (littéralement “activisme paresseux”), ce mot-valise désigne tous les moyens viraux que nous utilisons pour soutenir une cause : signer une pétition en ligne, adhérer à un groupe Facebook. Ou mettre en place une balise de couleur, comme l’a fait Twitter pendant la Journée mondiale contre le Sida, avec #Red.
Spinternet : Le “siphonnage d’Internet” est le cheval de bataille d’Evgeny Morozov, sur son blog Neteffet, chaudement recommandé. A ses yeux, les régimes autoritaires ont relevé le défi du web 2.0, et n’hésitent plus à retourner les outils contre ceux qui s’en servent. Dans une tribune pour le New York Times en mars dernier, il laissait même entendre que cette stratégie pourrait être encore plus redoutable que la censure pure et simple.
Whistleblowers : Une fois de plus, la version originale est plus explicite que la traduction, “lanceur d’alerte” (que j’ai quand même utilisé ici, mais pas dans les tags…). Pas forcément spécifique à Internet, cette forme de veille a pris une nouvelle dimension avec des sites comme Wikileaks, qui agrègent les sources pour mieux jouer les contre-pouvoirs.
Ce glossaire est collaboratif. N’hésitez pas à proposer des mots ou des expressions dans les commentaires.
(Photo – Tron – CC @loic.photo)
Olivier Tesquet