Fallait-il ressusciter le 11-Septembre?

En 2001, Twitter n’existait pas. A mon grand désespoir, je n’avais même pas de connexion Internet et je rêvais de modernité en usant mes fonds de culotte sur les bancs d’un collège parisien. J’ai appris les attentats du 11 septembre par le truchement de mon rutilant Nokia 3310, quand ma mère m’a envoyé un SMS après avoir appris la nouvelle… à la télévision. Juste avant la clôture des années 2000, Wikileaks, un site collaboratif spécialisé dans la mise en ligne anonyme de données confidentielles, réécrit l’Histoire. Ou plutôt, les histoires. Il y a deux semaines, les lanceurs d’alerte ont mis en ligne 573 000 messages de pagers, envoyés à travers les Etats-Unis le jour des attaques contre le World Trade Center et le Pentagone.Pour gagner en résonance, ces bonnes âmes de la démocratie 2.0 ont monté en vitesse un site dédié, découpé leurs rafales alphanumériques (le charabia codé des bipeurs) en tranches de cinq minutes, et instauré une balise sur Twitter, #911txts. Mais c’est une autre initiative qui a attiré mon attention. Ils ont décidé de publier les messages « en temps réel ». Le 25 novembre 2009, à 8h36, on pouvait lire ce genre de tweets surréalistes :

« @wikileaks: 9/11 impact in exactly ten minutes, 08:46 New York time »

J’en ai parlé avec le porte-parole de Wikileaks, Daniel Schmitt, qui m’a assuré que ce choix était avant tout dicté par « un souci de lisibilité pour les internautes ». En d’autres termes, faciliter le crowdsourcing, l’approvisionnement par la foule. Il n’a pas complètement tort. Ces données créent une nouvelle chronologie – épidermique – du 11-Septembre, chose impossible à l’époque. Mais elles suscitent aussi le malaise. Si on prélève un échantillon entre 9h05 et 9h06, au moment très précis où le terme « terroriste » fait son apparition (4 minutes après l’impact du second avion), on peut plonger dans l’inconscient collectif des New-Yorkais. Au milieu des algorithmes boursiers, les crises d’angoisse se disputent à l’humour déphasé :

« 2001-09-11 09:05:55 Arch [0978646] B ALPHA 13-PLEASE CALL YOUR WIFE AT HOME RIGHT AWAY. »

« 2001-09-11 09:06:33 Skytel [002232082] A ALPHA [NFC] [09/11/01-09:01:01] FYI: We may lose WTC Building, due to a huge fire. »

« 2001-09-11 09:06:40 Skytel [004543325] D ALPHA Tom, I hope it wasn’t you and Scott that crashed into the World Trade Center! –ml »

« 2001-09-11 09:06:55 Skytel [004209088] A ALPHA [email protected]||It was 2 planes. One in each tower. Could be terrorists.

Certains penseront qu’il y a matière à écrire en pointillés une histoire officieuse du 11-Septembre, en épluchant soigneusement ces milliers de témoignages. J’y ai pensé. Sur son blog Neoformix, le statisticien Jeff Clark a analysé 100 messages, pour essayer de dégager des mots-clés. Entre 8h et 20h, devinez quelles phrases ont été les plus utilisées ? « Call home ASAP », « please call », « call home », « call your wife », « call your mother », « call your brother ».

Là où le bat blesse, c’est finalement sur le principe. Les activistes de Wikileaks le répètent comme un mantra, ils se battent pour la transparence démocratique, la déclassification des documents sensibles, l’assouplissement législatif sur ces questions. Devaient-ils pour autant mettre en ligne des messages souvent personnels, parfois nominatifs, et par définition privés ? Selon Schmitt, « cette initiative en appelle d’autres ».

Il ne croyait pas si bien dire. Au même moment, une autre équipe de mystérieux internautes a commencé à mettre en ligne sur le site Detainee 063 – et sur un compte Twitter – les retranscriptions d’interrogatoire de Mohamed al-Qahtani, détenu à Guantanamo pour son implication dans les attentats du 11-Septembre. Plus que le fond (Time avait déjà mis la main sur 49 pages de transcript entre 2005 et 2006), c’est encore une fois la forme qui interpelle. A l’instar de Wikileaks, les auteurs de cette initiative ont décidé de publier leur contenu en « en temps réel différé », jusqu’à la fin du mois de janvier. C’est la date-limite qu’avait fixée Barack Obama pour la fermeture de Guantanamo lors de son élection.

Olivier Tesquet

(Photos – World Trade Center Tribute in Light 2008 – CC @NJSCott )

3 commentaires pour “Fallait-il ressusciter le 11-Septembre?”

  1. […] que la traduction, “lanceur d’alerte” (que j’ai quand même utilisé ici, mais pas dans les tags…). Pas forcément spécifique à Internet, cette forme de veille a […]

  2. […] leur action en pleine lumière. Tout a commencé en novembre dernier, avec la mise en ligne des messages de pagers du 11-Septembre. En février, ils ont été à l’origine d’une initiative islandaise visant à faire de […]

  3. […] leur action en pleine lumière. Tout a commencé en novembre dernier, avec la mise en ligne des messages de pagers du 11-Septembre. En février, ils ont été à l’origine d’une initiative islandaise visant à faire de […]

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