Faut-il fesser Struwwelpeter ou l’éducation terroriste ?

La fessée, le coup pied au cul, la bonne vieille gifle… Comme tout le monde, j’y ai goûté quelques rares fois. Le châtiment de mon postérieur n’a pas renforcé de manière significative mon sens des bonnes valeurs, ni marqué quelque interdit que ce soit dans ma conscience. Ce sont des claques plus psychologiques qui, de rejets en adhésions, m’ont permis de me construire.

 

Une étude réalisée à l’occasion des 20 ans de la “Convention des droits de l’enfant”, beaucoup demandent « un surcroît d’autorité » de la part des adultes, un meilleur encadrement. Pourtant, si le châtiment physique est en recul général, la fessée ne semble pas passée de mode. Cette information pourrait disqualifier d’office la proposition de loi de la députée UMP Edwige Antier, qui souhaite l’interdiction de la fessée. Or, l’autorité efficace doit permettre que l’identification de l’éduqué au précepte de son éducateur, sans quoi il sera rejeté. Précisément, c’est une autorité par l’adhésion « au contrat éducatif » qui est recherchée et non sous la contrainte de la peur ou de la violence même symbolique.

J’ai testé comme vous la fessée

J’en garde un vague sentiment d’injustice. Mais surtout la satisfaction inconsciente de « l’enfant testeur » parvenu à ses fins : acculer l’adulte moralisateur dans ses contradictions, lui faire perdre ses moyens.

La fessée, c’était presque une victoire de garnement. Elle signifie que l’on atteint les limites de l’argumentation. Elle scelle l’échec de la démarche éducative civilisée. Elle traduit l’aveu d’une incapacité à faire triompher puissance logique du précepte ou de la limite éducative qu’elle est censée inculquer. On se réfugie dans la supériorité physique lorsque la domination morale et intellectuelle ne suffit pas. La fessée s’administre par faute de temps, elle est le ressort du parent indisponible.

Pan-pan cul-cul, c’est même souvent contreproductif. Source de crainte, la fessée agit comme un ressort dissuasif qui cesse de fonctionner dès qu’il est appliqué.

La violence n’apporte ni sagesse ni intelligence, la contrainte légale non plus.

La fessée me semble incarner le degré zéro de la pédagogie : une réaction primitive et instinctive de survie destinée à forger par la peur et le traumatisme les outils de survie de l’enfant. C’est le geste de ceux qui n’ont pas le temps ou les moyens d’emporter la conviction par l’adhésion. Elle intervient pour couper court, pour sortir l’adulte d’une situation inconfortable que génèrent parfois ses contradictions, dans lequel s’engouffre « l’enfant testeur ».

fessee

Cela dit, la plupart des fessées relèvent heureusement de l’anodin, et c’est notamment à cause son inefficacité relative que cette pratique mérite d’être marginalisée et réservée aux situations extrêmes. La violence est l’un des ressorts premier de l’éducation par la terreur, mais à mon sens, pas le plus efficace, voire dévastateur.

Cette méthode d’éducation inculque des valeurs subies, donc mal intégrées. Elles se trouvent plus tard facilement perpétuées par la violence. La fessée ne tue pas, mais elle ne contribue pas non plus à l’intelligibilité de l’imprécation éducative.

Interdire par la loi, exposer « les fesseurs contrevenants » à une éventuelle condamnation, c’est tenter de fesser les fesseurs. La contrainte légale n’a que peu de sens et laisse perplexe quant à sa mise en application. La clé de l’évolution encore une fois réside dans l’adhésion des parents, comme de l’enfant, et l’adoption d’un outil psychologique qui paraîsse plus adapté. Plutôt que d’interdire la fessée, la comptine pourrait être réhabilitée… Avec précautions toutefois.

La peur comme outil pédagogique

Ce qui m’a vraiment traumatisé, par contre, c’est un manuel allemand de contes moraux, à l’usage des enfants entre trois et six ans, que me lisait ma grand-mère, originaire de Trieste : les horribles histoires de Struwwelpeter (Traduction d’époque : “La repentance de Pierre l’ébouriffé, joyeuses histoires et images drolatiques“, mais on le nomme également “Crasse-tignasse“).

Nous sommes en 1847, aux balbutiements de la psychologie et à la veille d’une flambée révolutionnaire. A Francfort (où se trouve aujourd’hui un musée Struwwelpeter),  Heinrich Hoffman contribue à poser les jalons de la psychiatrie moderne et décide de produire une série d’historiettes qui connaissent un incroyable succès auprès des petits allemands de l’époque. Hoffman entend se distinguer des contes fantasques et hermétiques dans la lignée des frères Grimm pour se focaliser sur un réalisme cru. Il est un des fondateurs de la pédagogie “psychologiquement répressive“.

Personnage central, Struwwelpeter incarne tout ce qu’abhorre la bienséance du 19ème siècle : une sorte de hippie, 110 ans avant Mai 68. Le garçon porte les cheveux longs, emmêlés en d’inextricables « dread locks », des ongles longs, une hygiène générale déplorable… Peter refuse de se laver depuis un an. Par l’humiliation publique, il sera ramené sur le droit chemin. Mais son histoire cruelle n’est pas la plus choquante du recueil.

 

« Paulette et les allumettes »

Paulette n’est pas allée à l’école

Père et mère ont quitté le foyer

Elle se retrouve seule et souhaite s’amuser

Elle danse donc et sautille comme une folle.

A l’improviste elle tombe nez à nez

Avec une belle boite d’allumettes décorée

« Cela doit être un bon jeu

Je veux m’amuser avec le feu !

Je vais allumer une belle flamme

Comme le fait chaque jour maman ».

Ses petits chats pleurent et supplient

« Tu es trop petite, n’essaye pas 

Laisse-les à leur place ce n’est pas sérieux

Ne prends pas ce risque c’est dangereux !»

L’air de rien Paulette craque l’allumette

Qui brûle vigoureusement.

Reviennent les chats aux sages paroles :

« C’est interdit par le père et la mère ne veut pas,

S’ils l’apprennent tu seras privée de dessert ! »

Quel jeu terrible et idiot !

Voici déjà les flammes qui gagnent ses vêtements

Elles brûlent les collants, la robe et le nœud de ses cheveux

Les sous-vêtements s’enflamment en un éclair.

Les chats crient malheureux

Appellent à l’aide désespérément,

Personne ne vient personne n’entend !

Oh, disgrâce, pauvre maman

Qui n’est pas là pour sauver son enfant !

Le feu la dévore inexorablement […]

A cause de ce jeu stupide,

La fillette brûle avec ses couettes blondes 

Si bien qu’il n’en reste bientôt rien

Seul un petit tas de cendres et ses souliers rouges

La fête tragique est terminée

Les chatons attristés et déçus

Pleurent par rivières et torrents !

Charmant pour un enfant de six ans…

rublapointe

Croyez bien qu’à 6 ans, avec un tel happy-end, je n’ai jamais eu envie de craquer une allumette. Comme quoi l’impact d’une historiette peut être bien plus durable que celui d’une éphémère claque. 

suppenkaspar_1

Une dizaine d’autres textes du cru accompagnent les tribulations de l’hirsute Struwwelpeter. On retiendra celle de «Gaspar qui ne voulait pas manger sa soupe», et qui devint maigre jusqu’à mourir de faim. Ou encore celle de « Konrad suce-pouce » : persistant à sucer son doigt malgré les ordres de sa mère, celle-ci s’en remet au tailleur. Ce dernier s’empressera d’amputer l’enfant de ses deux pouces…

 Struwwelpeter

On reste coi face à une telle violence. La fessée apparait comme le lointain vestige d’une époque où l’éducation rimait avec contrainte et terreur. Cette même éducation dite « patriarcale » que recevaient mes aïeux dans les classes des hussards noirs de la république, et qui les a menés tout droit mourir à la guerre, trop longtemps dociles et obéissants, abreuvés de poèmes vindicatifs de Paul Déroulède.

Le succès des petites histoires de Hoffman font de «Crasse-Tignasse» une icône, maintes fois détournée pour dénoncer la morale bourgeoise. Si cet ouvrage est heureusement désormais mis à l’index des livres pédagogiques, il aura marqué des générations entières, notamment dans les pays germaniques et anglo-saxons. Il laisse ouverte une piste éducative et marque une transition du geste vers le symbole : le châtiment corporel y est raconté, non plus infligé, un premier pas.

Le débat sur la fessée à défaut d’être déterminant, montre que même à l’UMP, on n’en a pas terminé avec la liquidation de Mai 68. L’interdire, c’est lui donner un caractère dramatique qu’elle ne mérite pas, si ce n’est bien sûr en cas de maltraitance. Vous êtes choqués par ces historiettes ? La fessée procède des mêmes mécanismes, avec une efficacité probablement moindre.

Fessée ou pas, que nos marmots s’estiment tout de même heureux : selon l’étude produite par la conservatrice Union des Familles en Europe (association pro-fessée), 10% des parents déclarent encore recourir au martinet. Méfions-nous cependant de leur panel…

6 commentaires pour “Faut-il fesser Struwwelpeter ou l’éducation terroriste ?”

  1. En ce moment, c’est incroyable le monceau de pontificat ions que j’entends sur la fessée.
    J’y ai toujours coupé court avec une seule phrase :
    “vous avez combien d’enfants?”
    bizarrement, tous ceux qui expliquent qu’il est absolument inutile, contreproductif, barbare, inacceptable absurde, inefficace, déplacé, pathétique ou choquant d’avoir recours à une fessée n’ont pas d’enfant ou alors âgés de moins de 3 ans ou alors ce n’est pas eux qui s’en occupent.

    La fessée sert une fois : à montrer qu’elle peut arriver. Il est effectivement peu utile de mettre une fessée sous le coup de la colère, par contre, prévenir un enfant qu’il va en avoir une s’il continue à désobéir malgré la demande, puis l’explication, puis la seconde explication, puis la hausse du ton puis la menace, puis la contrainte physique puis la menace de fessée.

    Et les petits malins qui ont toujours le temps d’expliquer à l’infini ont des enfants qui ne vont pas à l’école, qui ne bougent pas pendant qu’on leur explique et qui sont remarquablement obéissants et silencieux : je me permet de m’esclaffer.

    Faites des gosses et revenez philosopher quand vous les aurez élevés…

  2. Vous posez là et de manière très intéressante un problème de fond : celui de la rivalité entre le langage et le rapport de forces physique pour affirmer un pouvoir. En gros, pour faire entrer une règle de vie dans l’esprit d’un enfant – ou pour persuader un adulte qu’on a soi-même raison et qu’il doit se soumettre -, le geste, le coup vient en relais du langage quand les mots échouent. Je crois aussi qu’il y a quelque chose de primaire dans le coup porté ; on ne construit pas une vie collective sur la raison du plus fort (arbitraire de la distribution naturelle des forces entre les êtres). Mais voilà, le langage est souvent inopérant, et son usage ressemble parfois étrangement aux codes comportementaux de la jungle (les cris, la langue de bois, le mensonge manipulateur, toutes les formes langagières vides de sens ou à sens dévoyé sont aussi des violences). Les histoires de Struwwelpeter, oui, elles sont très violentes, comme l’étaient dans leur forme originelle bien des contes (le petit chaperon rouge… broyé, dévoré par le loup, mort), mais là les mots sont loin d’être vides : ils mettent en scène au contraire les angoisses les plus fortes, ils les scénarisent, leur donnent figure. Alors on peut penser que le sentiment, l’angoisse, dont la source est perçue comme abstraite ou diffuse ou excessive reposerait sur une réalité possible, à venir peut-être, dans le réel.

  3. chouette article!
    dans la lignée des contes crus, les plus fameux ont pu connaitre au fil du temps un adoucissement certain, où les soeurs de cendrillon ne font rentrer le soulier non plus en s’arrachant les orteils mais en forçant juste un peu le talon… ou la belle mère ne finit plus dans un tonneau plein de serpents et de clou puis jeté du haut de la falaise, mais simplement à se coltiner la lessive à vie. un siècle à suffit pour adoucir ce monde de l’imaginaire, dans la foulée on interdit les punissions et autres châtiments à l’école comme à la maison, on tente un monde bisounours? quand, de manière contradictoire et faux-cul, on sait comment les grands se comportent (et tout ce qu’on ne sait pas…) ça élargie considérablement le débat, on s’en éloigne aussi peut être. mais bon.

  4. […] se fait discret depuis que la députée UMP Edwige Antier a lancé son appel à la croisade contre la fessée. Certains prétendent que sa petite entreprise serait sur le point de mettre la clé sous la porte. […]

  5. “Rester coi”, et non pas “quoi”, du latin “quietus”, calme. En anglais les gens connaissent “quiet”, nous avons “quiétude”.
    A part cela, vraiment bravo pour votre article.
    Je suis tombé dessus en faisant une recherche, car j’ai eu dans les mains l’autre jour un exemplaire du “Struvelpetero” en espéranto ! Il semble que ce soit “el la germana trad. Applebaum. 1921 24p.”, donc traduit en 1924.
    Le dessin qui m’a toujours fait frissonner le plus est celui du tailleur sadique avec ses ciseaux. Personnellement, lorsque j’étais enfant et que je suis tombé sur ce livre, ma première réaction a été de me demander si une telle méthode d’éducation par la terreur n’était pas en partie responsable de certaines tendances à l’embrigadement et à l’obéissance aveugle que l’on put constater en Allemagne dans les années 30. Réaction d’enfant sans doute…

  6. Bonsoir,
    Merci de votre regard alerte, C’est corrigé. Je n’ai moi -même pas assez de deux yeux (ou alors pas pris assez de fessées) pour bien relire après avoir écrit. Heureusement que quelques bonnes âmes me soutiennent et que les lecteurs vigilants me permettent de garder le droit chemin.
    Pour ce qui est de l’effet de ricochet de notre struvelpetero dans les esprits, je dirais qu’il n’y a même aucun doute. Il est lui même la conséquence d’une vision de la société et des rapport humains bien particulière et relativement impitoyable.

« »