Camille Adamiec est doctorante en sociologie à l’Université de Strasbourg. Elle a soutenu un mémoire de Master II sur l’orthorexie, perçue comme une nouvelle forme d’obsession alimentaire ou une nouvelle pathologie nutritionnelle, liée aux quêtes de l’équilibre et de la perfection des individus et des sociétés contemporaines. Ses recherches – réalisées en France sur un échantillon de blogs, forums et sites de partages – poursuivent celles de Steven Bratman.
Qu’est-ce que l’orthorexie ?
Camille Adamiec: Les orthorexiques sont obnubilés par l’idée de manger sain, selon des règles établies. Ils se sentent coupables dès qu’ils mangent un petit quelque chose considéré comme «malsain». Etymologiquement, c’est l’obsession de «manger droit»: les orthorexiques s’imposent de nombreuses règles, auxquelles il est impossible de déroger, par exemple dans le choix des aliments ou leur cuisson. Les grands principes de l’orthorexie sont donc la rigidité, la maîtrise (du temps, des courses, des lectures, des discussions, de l’ingestion…), et la rigueur. C’est une ascèse diététique, et donc une forme de désordre alimentaire. Il y a aussi un sentiment de supériorité, la fierté d’avoir une vie propre, soignée et ordonnée. On a la confortable illusion d’une vie plus longue. Pour les orthorexiques, la seule raison acceptable de manger, c’est la santé. C’est en quelque sorte une dictature du plaisir…
Qui sont les orthorexiques ?
C.A.: Je différencie deux profils, qui ne s’excluent pas. D’abord, le militant peut vivre en communauté, en suivant un mode de culture et de préparation des aliments. Il y a alors une volonté de prêcher l’alimentation saine. A ses yeux, cette morale devrait servir pour tous. L’autre profil, c’est le malade, qui a un désir de voir son mal-être reconnu. Il n’est pas responsable de son trouble mais en subit les conséquences sociales. Pour le processus de guérison, il doit mettre des mots sur sa souffrance. D’ailleurs, il n’y a pas encore vraiment de reconnaissance médicale, scientifique de l’orthorexie. L’orthorexie peut ainsi être considérée comme une maladie, ou comme un mode de vie. Les gens se sont emparés de cette notion, via les blogs, les forums…
Vous parlez même d’un versant spirituel de l’orthorexie ?
C.A.: Oui, on s’accroche à des valeurs morales, on veut donner un sens à sa vie… En outre, l’achat, la préparation, la cuisson des aliments correspondent presque à un rituel. L’orthorexique doit purger son corps: pour plus de légèreté, de transparence… Il recherche la tranquillité absolue, la transparence lumineuse… Il opte pour le monde des esprits plutôt que pour celui des hommes. Il a la sensation d’avoir le pouvoir de transformer sa cuisine en sanctuaire. Mais cela tue la spontanéité de la vie. C’est un idéal de spiritualité sans dieu, sans dogme, tout comme une tentative de suppression de la vieillesse.
Quelles sont les conséquences sur les relations sociales ?
C.A.: L’orthorexie tue aussi la convivialité, puisque pour pouvoir maintenir un manger «droit», il est plus simple de s’isoler. Et du coup, pas question d’accepter un resto! C’est un enfer, à cause de la nécessité constante de se justifier. On doit refuser de sortir ou emmener sa nourriture. C’est difficile de faire des nouvelles rencontres. Le contrôle isole. Quand on ne mange pas, on s’exclut du groupe.
Photo: salad/ karomanah 1980 *كارومانة* via Flickr CC License by
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