La cuisine totalitaire (ou l’art de bien manger en ex-URSS)

«La cuisine totalitaire»… Le titre de cet ouvrage est quelque peu trompeur. On s’attend à un recueil de recettes des pires dictateurs de l’Histoire du monde. En fait, il s’agit d’un livre sur la cuisine soviétique, la popote pratiquée en ex-URSS, de l’Azerbaïdjan à la Sibérie, en passant par le Tatarstan…

Les auteurs, Wladimir et Olga Kaminer, ont grandi en Russie et ont obtenu la nationalité est-allemande juste avant la réunification. Ils expliquent que la cuisine russe est extrêmement simple, avec pour unique but de remplir l’estomac.

Mais que «si, sous l’Empire totalitaire, on voulait ravir ses papilles, il fallait plutôt regarder du côté de la cuisine soviétique. Pendant un demi-siècle, l’URSS a retenu le meilleur des recettes de ses quinze républiques: les plats pimentés du Caucase, les mets crémeux d’Ukraine, la nourriture exotique d’Asie, l’alimentation équilibrée des pays baltes, et une douzaine d’autres comme ça».

Alors les deux auteurs malicieux nous embarquent dans un voyage drôle et très intéressant en ex-URSS… Pour une bonne partie des anciennes Républiques soviétiques, ils nous livrent des anecdotes alimentaires décapantes, datant d’avant et d’après la chute du mur. Comme celle de Gleb, l’ami biélorusse qui fabrique à l’armée des pommes de terre sautées à partir de trois fois rien. Ou celle de la dégustation du Lula Kebab dans la famille d’une nouvelle fiancée en Azerbaïdjan. Ou encore celle de la pseudo drogue ouzbek qui s’avère être un thé très fin. Plein d’histoires drôles qui en disent beaucoup sur ces contrées et leurs habitudes alimentaires.

Wladimir et Olga entendent aussi démonter nos idées reçues. Ainsi, «les vrais russes n’aiment pas le caviar». Après avoir été «un objet politique instrumentalisé», ce met est réservé aux tables de fête, mais souvent peu apprécié. «Ils ont mangé tout le hareng et les cornichons, mais ils ont laissé le caviar», se plaignait souvent la mère de l’auteur. En fait, même les nouveaux riches russes, pour frimer, ne mangent pas du caviar à la louche, mais préfèrent se faire livrer des sushis en jet privé ou engloutir… de l’ananas.

Pour l’auteur, loin de cliché caviar et pelménis (un ravioli farci), «le seul plat qui corresponde vraiment aux clichés sur les Russes et leur cuisine nationale est la vodka, qui est bien souvent considérée comme un plat principal en soi».

A côté de ces anecdotes, de quoi mettre en pratique: des recettes typiques des Républiques soviétiques. Comme par exemple la salade d’orties arménienne, le tolma (filet de veau avec des coings) géorgien, la tarte “petite patate” biélorusse, le bortsch ukrainien, le poisson aux canneberges et au miel sibérien, le pudding de carottes letton, la soupe nomade tatar ou encore le Teftelen (boulettes à la viande hachée) à la mode cosaque de Russie du sud… Certaines préparations demandent un certain esprit d’aventure culinaire, d’autres sont simplissimes à reproduire.

Enfin, au cas où, les Kominer nous mettent en garde: “l’ingrédient le plus important de la cuisine russe est l’humeur du cuisinier. Dans un bon jour, il est capable de sortir de sa toque un esturgeon rempli de caviar, de jongler avec des brochettes devant la table, ou de cracher du feu avec de la vodka. Dans un mauvais jour, cela peut devenir encore plus acrobatique. Il faut absolument vider son assiette, car les cuisiniers russes sont très susceptibles”. Nous voilà prévenus.

Lucie de la Héronnière

La Cuisine totalitaire, Wladimir et Olga Kaminer, Gaïa Editions, Septembre 2012.

Photo: The map of USSR/ cod_gabriel via FlickCC License by

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Bien avant Marmiton, les livres de recettes communautaires

Des millions de personnes partagent des recettes sur Pinterest, des blogs ou des sites de cuisine communautaires, comme Marmiton et consorts. Mais il y a plus d’un siècle, aux Etats-Unis, les gens partageaient leurs prouesses dans des livres de recettes communautaires, comme l’explique Npr.

Ces ouvrages étaient bien plus que des simples catalogues de bons petits plats. La plupart constituaient un moyen d’amasser des fonds pour la bonne cause ou d’exprimer des idées. Aux Etats-Unis, le premier de ces livres de cuisine de charité, A Poetical Cookbook, écrit par Maria J. Moss, a été publié en 1864 pour subventionner les frais médicaux des soldats de l’Union blessés pendant la guerre de Sécession.

En voyant le succès de l’ouvrage, d’autres organisations ont voulu utiliser des recueils de recettes pour lever des fonds: 3000 «livres de cuisine de charité» ont été publiés aux Etats-Unis entre 1864 et 1922… Les groupes religieux se servaient beaucoup de cette méthode. «Si l’Eglise avait besoin de réparer son clocher ou d’un nouveau bâtiment, on demandait aux femmes de la congrégation», explique Andrew Smith, prof d’études sur la nourriture à New York. Chacune donnait sa petite recette, et on publiait la compilation.

Mais ces livres de recettes pour lever des fonds n’étaient pas le privilège des dames d’Eglise… Npr explique qu’en 1886, un groupe de femmes du Massachusetts a vendu The Woman Suffrage Cookbook, le Livre de recettes du Suffrage des femmes, pour financer une campagne pour le droit de vote des femmes mais aussi diffuser leurs idées.

Avec des recettes équivoques comme la Mrs. Mary F. Curtiss’ Rebel soup (la soupe rebelle de Mrs. Mary F. Curtiss, aux tomates), ou la Miss M.A. Hill’s Mother’s Election Cake (le cake de l’élection de la mère de Miss M.A. Hill, au Saindoux et à la noix de muscade)… Toujours sur le même principe, chaque personne donne sa petite recette secrète, et cela donne un livre complet. Notons que la liste des contributeurs contient un seul homme.

Ces vieux livres ont inspiré un nouveau genre de littérature culinaire: des histoires de personnes et de groupes, entrelacées à des recettes. Pour Andrew Smith, ces livres de cuisine communautaires donnent «un aperçu de l’histoire qu’on ne trouve pas avec d’autres sources». Les livres de recettes qui traînent dans nos cuisines seront sans doute d’excellents témoignages historiques dans quelques siècles… Comme, plus largement, nos façons de consommer et de manger.

Photo: Timeless Books/ Lin Pernille Photography via Flickr CC License by

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