Délices d’initiés: un dico de la gastronomie

«La gastronomie est une mine de récits passionnants, à la croisée des chemins entre la politique, la littérature, les arts et la société». En partant de ce constat, le chroniqueur gastronomique Emmanuel Rubin a concocté avec Aymeric Mantoux un Dictionnaire rock, historique et politique de la gastronomie, qui sort ce jeudi 30 août.

Nos façons de (bien) manger ont sérieusement à voir avec nos évolutions sociologiques, politiques, historiques. Elle sont mondialisées, médiatisées. Selon les auteurs, “l’ère du melting-popote est arrivée”!

Ce dictionnaire bien rempli entend nous donner les «anecdotes qui font le lien entre la petite histoire de l’aliment et la grande histoire des hommes» grâce à une «nouvelle sociologie de cuisiniers, de mangeurs et de gastrosophes, pressée d’inédites manières de table, forte d’une fraîche ethnographie alimentaire, ruminant son passé, salivant son futur». Tout un programme, plutôt bien ficelé dans ce dictionnaire qui se lit comme un grand roman de la bouffe.

On peut y apprendre un tas de choses, par exemple:

A comme ANGLAISE (cuisine): Jacques Chirac aurait un jour dit à Tony Blair «on ne peut faire confiance à des gens dont la cuisine est aussi mauvaise». Gordon Ramsay ou Jamie Oliver se chargent de le contredire, et Joël Robuchon a même un jour déclaré en 2010 que Londres est la ville du monde où l’on mange le mieux. Selon les auteurs du dictionnaire, on a piqué aux anglais l’art du sandwich, les chutneys, le brunch, le crumble ou le fish & chips chic. Et on ferait mieux de leur laisser la viande bouillie ou le pudding…

B comme BANQUET REPUBLICAIN: «Chez nous, le pouvoir s’est exprimé par la cuisine, en développant une cuisine de cours qui s’est ensuite répandue, sous la République, à toutes les couches de la population», raconte le spécialiste de la gastronomie Jean-Robert Pitte. Pompidou disait même que «les repas sont devenus un des moyens de gouverner». Alors, pour les politiques, la table est «un outil de domination» tout comme «un rite de partage collectif». Les banquets, sous quelque forme que ce soit, font donc partie du «mythe républicain».

D comme DROITE HAMBURGER: En Suisse, c’est l’équivalent de la gauche caviar, mais dans l’autre sens… Il s’agit de «gens riches, ces bourgeois, qui ont l’argent et le pouvoir mais qui se fondent au peuple en adoptant ses habitudes alimentaires, comme le burger, symbole de la malbouffe». Bon, pas sûr que cette définition marche en France, où le burger est parfois devenu un met de choix et pas vraiment bon marché.

F comme FOOD NAME DROPING: C’est le «gentil travers» qui consiste à bourrer les cartes des restaurants d’appellations connues: du pain de chez Cherrier, des viandes d’Yves-Marie Le Bourdonnec, du beurre Bordier. Mais, même si de bons produits sont un indice de qualité du lieu, «une bonne épicerie ne suffit pas à faire un bon restaurant»…

M comme MINISTRY OF FOOD: Winston Churchill avait créé un ministère de la Nourriture et de l’Alimentation, pour gérer le rationnement alimentaire de la période de la guerre… Un ministère qui lançait des campagnes pour encourager les gens à éviter le gaspillage et à manger sainement, pour participer à l’effort de guerre. Le chef Jamie Oliver a lancé un mouvement éponyme, pour encourager les Anglais à mieux manger.

R comme RAW (cook it): les adeptes du  “Cook-it-Raw” (Cuisinez le cru) travaillent les produits tout crus, cherchent les produits bruts et veulent limiter le gaspillage d’énergie. «Ces locavores cherchent à exalter les richesses de la nature, sans se soucier de la technique ni des habillages des plats traditionnels», et se transforment en chasseurs, cueilleurs, pêcheurs, pour préparer le dîner du soir.

Des dizaines d’autres articles nous racontent des anecdotes sur le cannibalisme, le come-back de la cocotte, l’eat art, l’art d’accommoder les restes, Un dîner presque parfait, et même sur… Zorro, dont le nom sert mystérieusement d’enseigne à de nombreuses pizzérias du monde.

Lucie de la Héronnière

Délices d’initiés, Dictionnaire rock, historique et politique de la gastronomie, Emmanuel Rubin avec Aymeric Mantoux, Don Quichotte éditions.

Photo: Fourchette/ strelitzia via FlickCC License by

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Bien avant Marmiton, les livres de recettes communautaires

Des millions de personnes partagent des recettes sur Pinterest, des blogs ou des sites de cuisine communautaires, comme Marmiton et consorts. Mais il y a plus d’un siècle, aux Etats-Unis, les gens partageaient leurs prouesses dans des livres de recettes communautaires, comme l’explique Npr.

Ces ouvrages étaient bien plus que des simples catalogues de bons petits plats. La plupart constituaient un moyen d’amasser des fonds pour la bonne cause ou d’exprimer des idées. Aux Etats-Unis, le premier de ces livres de cuisine de charité, A Poetical Cookbook, écrit par Maria J. Moss, a été publié en 1864 pour subventionner les frais médicaux des soldats de l’Union blessés pendant la guerre de Sécession.

En voyant le succès de l’ouvrage, d’autres organisations ont voulu utiliser des recueils de recettes pour lever des fonds: 3000 «livres de cuisine de charité» ont été publiés aux Etats-Unis entre 1864 et 1922… Les groupes religieux se servaient beaucoup de cette méthode. «Si l’Eglise avait besoin de réparer son clocher ou d’un nouveau bâtiment, on demandait aux femmes de la congrégation», explique Andrew Smith, prof d’études sur la nourriture à New York. Chacune donnait sa petite recette, et on publiait la compilation.

Mais ces livres de recettes pour lever des fonds n’étaient pas le privilège des dames d’Eglise… Npr explique qu’en 1886, un groupe de femmes du Massachusetts a vendu The Woman Suffrage Cookbook, le Livre de recettes du Suffrage des femmes, pour financer une campagne pour le droit de vote des femmes mais aussi diffuser leurs idées.

Avec des recettes équivoques comme la Mrs. Mary F. Curtiss’ Rebel soup (la soupe rebelle de Mrs. Mary F. Curtiss, aux tomates), ou la Miss M.A. Hill’s Mother’s Election Cake (le cake de l’élection de la mère de Miss M.A. Hill, au Saindoux et à la noix de muscade)… Toujours sur le même principe, chaque personne donne sa petite recette secrète, et cela donne un livre complet. Notons que la liste des contributeurs contient un seul homme.

Ces vieux livres ont inspiré un nouveau genre de littérature culinaire: des histoires de personnes et de groupes, entrelacées à des recettes. Pour Andrew Smith, ces livres de cuisine communautaires donnent «un aperçu de l’histoire qu’on ne trouve pas avec d’autres sources». Les livres de recettes qui traînent dans nos cuisines seront sans doute d’excellents témoignages historiques dans quelques siècles… Comme, plus largement, nos façons de consommer et de manger.

Photo: Timeless Books/ Lin Pernille Photography via Flickr CC License by

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