Vous avez sans doute déjà croisé dans votre frigo des oranges entourées d’une fine couche de pourriture couleur cendre ou un fromage devenu presque poilu. Un poulpe en décomposition, des œufs purulents, un steak grouillant de vers blancs ou un ananas à moitié bleu, c’est déjà moins fréquent.
Le photographe Klaus Pichler s’est demandé si la nourriture pourrie pouvait être esthétique, dans une série intitulée One Third. Npr chronique son travail, «un régal pour les yeux, même s’il retourne l’estomac».
Des aliments divers et variés en stade avancé de décomposition… mais d’où vient cette idée tordue? L’artiste est parti du fait qu’un tiers des aliments produits chaque année dans le monde pour la consommation humaine est perdu ou gaspillé au lieu d’atterrir dans nos estomacs, selon l’ONU. Les Etats-Unis et l’Europe gaspillent 10 fois plus de nourriture par personne que l’Afrique Subsaharienne ou l’Asie du Sud.
Le photographe Klaus Pichler affirme que ce gaspillage de choses tout à fait comestibles est le symptôme d’une culture qui «dévalorise la nourriture»: «dans les supermarchés, on prend beaucoup de décisions spontanées. Les gens ne prennent pas le temps de se demander s’ils achètent trop ou pas. Ou s’ils pourraient réutiliser les restes au lieu de les jeter…».
Pour mettre en évidence cette idée et dénoncer ce gaspillage, Klaus Pichler a choisi de traiter les photos comme s’il s’agissait de publicités haut de gamme. Il a fait pourrir quelques semaines des aliments basiques comme du fromage, des fraises ou du chou-fleur. Puis il a arrangé tout cela comme une image de luxe. Le fond noir et l’éclairage dramatique font ressortir les couleurs vives de la pourriture, bleu moisi, vert infect et jaune putride…
Pour Npr, «le contraste entre la pourriture et le luxe de la photo est frappant». Mais est-ce que les conséquences du gaspillage alimentaires, exploitation économique, malnutrition et famine, peuvent vraiment être appréhendées via ces photos magnifiques? Pichler répond: «ces photos vous provoquent. Alors vous commencez à penser à votre propre comportement de consommateur…».
Chaque photo est accompagnée d’informations sur le lieu et la date de production, la distance parcourue et l’empreinte carbone, pour enfoncer le clou sur l’absurdité du gaspillage. Pichler précise aussi qu’il a mené l’ensemble du projet dans sa maison de Vienne. De l’achat à la photo, en passant par l’étape de la putréfaction… Et ce n’était pas toujours joli joli, surtout quand il avait en même temps du poulet cru et du poulpe en décomposition. Mais le photographe pense qu’il est aussi important de «coexister avec la nourriture pourrie» pour prendre conscience de la valeur de la nourriture…
Vous pouvez voir toutes les photos de la série One Third sur le site web de Klaus Pichler. Après ça, vous réfléchirez en effet à deux fois avant de laisser pourrir une vieille salade au fond de votre réfrigérateur.
Photo: Capture d’écran sur le site de Klaus Pichler.
“La grâce, plus belle encore que la beauté.” – Jean de La Fontaine