Son nom était personne
Pour présenter la collection anniversaire des 20 ans (printemps-été 2009), la maison Martin Margiela avait choisi le 104, lieu culturel implanté sur le site d’anciennes pompes funèbres municipales. Etait-ce une mise en bière annoncée pour un créateur qui choisit aujourd’hui de passer d’une forme d’invisibilité orchestrée à la démission, à la disparition ?
La nouvelle du départ de Martin Margiela de sa maison éponyme en décembre ne semble pas avoir fait beaucoup de remous dans le landernau de la mode. Sans doute pour deux raisons : 1° Les rumeurs sur l’absence du créateur aux commandes de ses collections circulent depuis de longs mois. 2° Le refus de paraître de Martin Margiela empêché toute matérialisation affective à son sujet, il est et restera l’homme invisible de la mode.
En 2004 la démission de Tom Ford était surmédiatisée, celle de Martin Margiela, pourtant un des créateurs majeurs du XXème siècle, ne suscite pas de vagues. Serait-ce aussi un signe à interpréter dans le sens crise de la mode et désintérêt pour la création dans ce secteur ?
Diplômé de l’académie royale d’Anvers, Martin Margiela est un peu le D’Artagnan des mousquetaires de la première génération des créateurs belges un temps réuni sous l’appellation de groupe des six : Ann Demeulemeester, Dries van Noten, Walter van Beirendonck, Dirk van Saene, Dirk Bikkembergs et Marina Yee. Assistant de Jean Paul Gaultier, Martin Margiela crée sa maison en 1984 avec dès le départ une ligne de conduite bien personnelle. Ses premières collections travaillent le recyclage (larmes de regrets sur un pull composé de chaussettes de l’armée, mais oeil brillant en pensant au gilet en assiettes cassées et au bustier en affiche de métro lacérée et peinte que je thésaurise) qui donne une nouvelle vie au vêtement. Son style semble dans le droit fil des Japonais qui avaient déjà bien bousculé la mode, mais il y ajoute aussi une trace d’austérité sans doute dans l’esprit des provinces du nord de la Belgique. Les ourlets souvent laissés à bords vifs ajoutent une touche de non finito qui tourne le dos à la couture et inscrit la mode dans un registre presque grunge.
En guise de signature, le créateur choisit l’anonymat d’une étiquette vierge (en coton écru), mais éminemment paradoxale puisque le label, cousu de fils blancs aux quatre coins, rend finalement le vêtement identifiable à l’extérieur !
Ce goût pour l’anonymat, l’effacement se retrouve aussi dans la présentation des défilés qui oblitèrent les visages des mannequins de maquillages, de bandeaux, de perruques, de masques… jusqu’à la négation de la personnalité pour que le corps anonyme soit juste au service du vêtement, porte manteau de chair.
A cette quête d’effacement, de dépersonnalisation s’ajoute la construction du personnage de celui qui choisit de se mettre à l’abri derrière le label « Maison Martin Margiela », remplaçant le je par le nous d’une équipe. La part de mystère a été aussi amplifiée avec le refus catégorique d’apparaître en fin de défilé et de se laisser photographier (là je suis immodestement fière d’avoir pu prendre deux photos de l’homme invisible). Amateur d’ombre et d’anonymat, il est le Salinger de la planète mode. Quant aux interviews, elles se passent uniquement par écrit (fax ou mail) et avec des réponses en signature collective.
Les lieux choisis pour les défilés ont aussi écrit l’histoire de la maison avec le choix d’espaces atypiques, étranges : garages, voitures de train, terrain vague, métro Strasbourg Saint Denis, armée du salut… des lieux improbables loin des paillettes qui allaient souvent de pair avec le système de la mode. Et si l’opération permettait d’être différent, elle avait aussi l’avantage de se pratiquer à moindre prix.
Mais Martin Margiela, c’est avant tout un style. A ce grand créateur on doit une forme de déconstruction du vêtement, un work in progress magnifique illustré notamment par sa veste façon stockman qui s’habille de mousselines noires (dé)montées sur bolducs…
On lui doit aussi une mode qui fait son numéro avec des chiffres donnés aux différentes lignes en fonction du type de vêtement. Sur les nouvelles étiquettes blanches se sont ainsi ajoutés des nombres de 0 à 23, celui qui est cerclé qualifie le produit. 0 signifie collection artisanale, 1 la femme, 4 garde-robe femme, 8 lunettes, 10 collection homme, 11 accessoires, 12 bijoux, 13 objets et publications, 22 chaussures…
Dans son inventaire à la Prévert, ont été (re)découverts des stocks de vêtements de théâtre, une housse d’emballage avec du scotch transparent, des trompe-l’oeil, des vêtements s’accrochant comme des pièces de bétail, de l’oversize, des demi-vêtements (serait-ce l’influence de saint Martin ?)…
A Margiela on doit la puissance du blanc qui s’oppose au noir des Japonais (même si parfois il est aussi un homme du noir dans ses basiques). Envahissant, le blanc partout se répand, peint artisanalement des chaussures (vive les modèles nippons inspirés des chaussures pour tabis), pose des housses immaculées, habille le personnel de la maison, sert de thème majeur en décoration (Carte évidemment blanche pour la Suite Elle Deco à la Cité de l’architecture et la suite Margiela au spa Caudalie, blanche avec une touche de rouge divan…).
A ses collections s’ajoute un travail de simplicité et d’élégance pour des collections femmes chez Hermès (de 2.000 à 2.004). Ses réalisations simples et classiques étaient alors disponibles dans les matières les plus belles.
-On doit à Martin Margiela une perception hors saison de la mode. Il n’hésitait pas à reproduire des vêtements déjà créés en indiquant leur date de conception.
-On lui doit le principe des collections artisanales avec des pièces uniques qui travaillent des compositions de pièces de récup ou autres (capsules de bouteilles, bandes velpeau, faux cils, brides de chaussures, cartes à jouer,…). Une création désormais présentée au moment de la haute couture dans son atelier du XIème arrondissement. Les journalistes sont conviées à regarder presque façon peep-show ses modèles via des ouvertures mystérieuses pratiquées dans des cabines où se meuvent à peine d’anonymes mannequins vivants.
-J’ai adoré sa collection en hommage à Barbie où les vêtements de la poupée américaine étaient taille humaine en respectant proportions et taille des boutons (« ma » chemise Ken à carreaux).
En 2004 Martin Margiela signe avec Renzo Rosso et s’associe ainsi au groupe italien Only the brave (Diesel), l’histoire a continué quelques saisons et puis a été perçue une évolution, le créateur semblait de moins en moins impliqué dans ses collections jusqu’au dernier défilé, caricatural.
La maison Martin Margiela va continuer sans lui et sans mettre en avant un nouveau talent mais avec les équipes déjà en place et en retravaillant les principes chers de la marque. Pourquoi pas ? Mais encore faudrait-il ne pas renier les fondements de la maison. Voir un défilé « normal » pour la collection printemps-été 2010 avec une musique tonitruante, des modèles sur des filles vaguement aguicheuses, un vrai podium… était un spectacle aux antipodes de ce que ceux qui apprécient (et j’en suis) ses créations n’ont pas eu le goût d’aimer. Les mariages du business et de la création sont rarement heureux.
Alors pour continuer le souvenir de Martin Margiela, il vaut mieux se plonger dans le bel ouvrage (Editions Rizzoli ) qui rend hommage à ces vingt années qui ont marqué la mode du XXè siècle. Et si l’on a qualifié sa mode de conceptuelle, oui dans le sens où sa création a fourmillé d’idées novatrices, amusantes, originales, mais non dans le sens où sa mode est parfaitement et simplement accessible à tous dans la majorité de ses modèles.
La rumeur prête à Martin Margiela des envies de peintures, de restauration… L’avenir le dira.
Mais on attend avec impatience LE parfum Martin Margiela (un numéro, un objet sans nom ?) sur la création duquel il a participé au développement avec L’Oréal. Avec un créateur atypique, on espère une fragrance hors tendances et originale. A découvrir très bientôt.
A nous, les inconditionnelles de Martin Margiela ,de sauvegarder notre vestiaire historique et unique ! Je porte depuis 20 ans ses créations , j’ai tout conservé, tout compilé et tout adoré.Mes placards débordent d’étiquettes écrues , de boites blanches , de manches insolites , d’une couette -manteau , d’un imper à4 manches,d’une Robeàlenvers, de demi vètements , d’un sac à main Ballon de rugby, de ma veste Barbie , de mes jeans xxxxlarges, de mon manchon de fourrure et tout et tout …J’ai mm une photo de lui parue dans un magazine il y a 20 ans , format timbre poste et jalousement conservée dans mon Musée Martin Margiela.
C’est curieux d’avoir eu cette monomanie , chaque collection était à la fois un ravissement , puis une angoisse puis une torture, (le prix , la culpabilité ) et enfin la joie totale d’admirer mon trésor, le porter ou pas , en tout cas le posséder pour toujours , l’entretenir , le ranger dans sa boite blanche avec du papier de soie , le laver moi mm à la main , le repasser moi mm…
Habitant la province il m’est arrivé de téléphoner à l’atelier , affolée car j’avais perdu une partie du bouton pression géant de ma veste Barbie , en rigolant MMM m’en a expédié 4…
J’espère que Martin Margiela n’a pas dit son dernier mot , on l’attend avec impatience sous d’autres latitudes ,égal à lui mm , marrant , farfelu , innovant .Je me sens tj prète à l’adorer, car j’ai tj eu l’impression que c’est à moi qu’il s’adressait !!
Christine