L’avez-vous remarqué? Il y a bien des années que les Coco Girls de Stéphane Collaro ne nous chantent plus, toutes cuisses à l’air, “Ce mec est too much ce mec est trop“, mais on constate que l’adverbe de quantité trop – qui véhicule une idée d’excès – est en passe de supplanter son vénérable collègue très – qui n’apporte, lui, qu’une nuance d’intensité.
Les jeunes générations (vingt-cinq ans et au-dessous) disent “c’est trop bien”, ou écrivent tré dans leurs textos, là où les aînés se contentaient d’un “très bien”, voire, avec détachement, du “pas mal” hérité peut-être de l’understatement britannique qui fut si à la mode, comme tout ce qui arrivait d’outre-Manche et d’outre-Atlantique, dans les années d’après-guerre (nous parlons là, bien entendu, d’un temps que les moins de soixante ans ne peuvent pas connaître – et ils en ont, de la chance, les galopins!). Comme si, épuisée de normalité et de mesure, la jeunesse, à tout prix, se devait de trouver sa propre norme dans l’excessif et l’hyperbolique. Elle retrouverait ici, en l’ignorant sans doute, un terrain balisé: “Allons jusqu’à l’excès, et ce ne sera peut-être pas assez” écrivait avant 1914, à propos de bien autre chose, c’est vrai, le colonel de Grandmaison.
L’exemple, on l’admettra, vient de haut. De Nicolas Sarkozy, par exemple, qui impose depuis 2007 un style forcené à la présidence de la République. Fallait-il, pour autant, en faire sans réflexion un hyper-président, selon un qualificatif devenu cliché? On en doute. De même qu’il n’eût pas été sage, ni raisonnable, ni juste, de voir en tel ou tel de ses prédécesseurs un “hyper-soliveau” ou un “hyper-truqueur”. Mais à chacun son style, après tout, et la France, hier, aujourd’hui et demain, sera aussi bien gouvernée que possible vu les circonstances, la conjoncture, le déclin de l’Europe prophétisé par Spengler, le cours de l’euro et la vitesse du vent à travers les barreaux de chaise. D’ailleurs, elle en a vu d’autres – d’autres à sa tête, veut-on dire, et des plus divers entre pires et meilleurs. Ce serait également manquer à la galanterie que d’affubler la pauvre Ségolène Royal (on cite son nom comme ça, au hasard de la plume) d’une épithète du modèle “hyper-candidate”.
Reconnaissons toutefois que Nicolas Sarkozy gouverne – ou qu’il croit gouverner – même en se rasant, et que la présidente de Poitou-Charentes, on en jurerait, est candidate lors même qu’elle se démaquille. Un peu too much dans le côté insistant chez l’un et chez l’autre, non?
Ce trop envahissant s’accompagne souvent d’un genre à toutes mains, substantif devenu explétif par suite d’on ne sait quel processus langagier: “C’est genre trop bien” a pu s’entendre ces jours-ci dans les bouches les plus intellectuelles ou les plus pulpeuses pour indiquer le plaisir et/ou la satisfaction. On le découvrait aussi écrit en toutes lettres dans les magazines qui mêlent la mode – si trendy cette saison, en vintage sur des stilettoes à la Louboutin, qu’on la croirait sortie d’un bad remake de Sex and the City – et les peoples. Par souci de clarté, on n’écartera pas l’hypothèse que la promotion de trop ne soit, après tout, à l’instar de “même pas mal” ou “que du bonheur”, que le tic – ou le TOC – d’une classe d’âge. sacrifiée par l’Éducation Nationale à la méthode globale et au pédagogisme. Si c’était exact, nous verrions sous peu apparaître des enfants puristes et des adolescents académiques. Ça, ça nous changerait! On peut toujours rêver, c’est facile, c’est pas cher, etc..
“Ah, c’est trop, c’est trop!” s’écriait – il nous le contait – l’une des belles amies de Georges Brassens qui voulait l’inciter “à monter à l’assaut derechef“. Et le malheureux n’avait d’autre ressource que de rétorquer par le plus éculé des avis de faiblesse ou d’impuissance “Pas ça, madame, pas ça!”. Bref, pour lui, c’en était trop. Était-il très fatigué? Ou trop las? Nous n’en saurons jamais rien. Cette ignorance même, faut-il la juger trop triste? ou très regrettable? À chacun d’en décider – sans trop se casser la tête, s’il vous plaît.