L’avez-vous remarqué? La question fondamentale, existentielle, que posait naguère Ernest Hemingway revient au premier plan de l’actualité. Quelle question? “En avoir ou pas”, bien sûr. Mais avoir de quoi? demandez-vous. De l’empathie, il va de soi.
Aujourd’hui, un homme (une femme) politique n’a plus besoin d’une vision, tel le général de Gaulle, ni d’habileté, à l’instar de François Mitterrand, ni de ténacité à l’exemple de Jacques Chirac, ni, comme Valéry Giscard d’Estaing, du sens de la modernité (limitée certains jours, vous en souvenez-vous, à des petits déjeuners), ni la ruse de Georges Pompidou. Non. Si vous voulez réussir à la tête de l’État, du Gouvernement, de l’Opposition ou, plus simplement, à la mairie de votre commune de 837 habitants, il vous faut d’abord de l’empathie. Hors l’empathie, mesdames et messieurs, point de salut.
Qu’est-ce que l’empathie? demandez-vous. Voici, précisément, la question de fond. Les uns, les raffinés, la rattachent à l’intuition. Les autres, plus brutaux, l’assimileront à une forme raffinée de démagogie. Nous dirons, nous, que l’empathie est un outils à toutes mains qui permet à un leader (une leadeure? une leadeuse? une she-leader?) politique ou managérial(e) de prendre le pouls de l’opinion publique – et un cliché, un! – et d’y conformer son propos.
Du populisme? Vous n’y êtes pas. Ce serait confondre Édouard Balladur avec Jean-Marie Le Pen, ou Marie-George Buffet avec Olivier Besancenot (au passage, mention spéciale au NPA pour avoir tenté l’exercice dialectique qui consisterait à démontrer que le voile islamique est l’un des attributs d’une laïcité, non pas puérile et honnête, mais, pour le coup, roublarde et sans scrupule).
Mais l’empathie… ah, l’empathie! Plus un seul commentateur, de nos jours, n’oserait apprécier un passage à la télé de Nicolas Sarkozy, un point Presse de Martine Aubry, un entretien au coin du feu (façon de parler) de François Hollande, un lamento barytonné par François Fillon, une billevesée de Ségolène Royal, une éructation de Jean-Luc Mélenchon, une savonnette glissée par Jean-François Copé sous les pieds de vous devinez qui (non, on ne fait pas allusion à Bernard Accoyer qui, n’en peut mais, le pauvre, ni à Xavier Bertrand), une philippique de François Bayrou (jamais découragé, toujours fringant, coucou, le revoilou!), une Chiracade à la Voltaire déclamée par Dominique de Villepin ou la plus récente palinodie de Vincent Peillon sans y déceler un peu, beaucoup, passionnément, à la folie ou pas du tout d’empathie.
L’empathie, notez-le bien, c’est de la forme, et ce n’est que ça. Que vous en ayez ou pas, les commentateurs ne parleront que d’elle. Qu’avez-vous dit, ou fait? Il importe peu. Le fond, ici, est phagocyté par la forme. Récitez un peu pour voir l’annuaire du téléphone (si vous en possédez encore un exemplaire papier, il va de soi). On se pâmera à l’envi si vous savez y mettre ce qu’il faut d’empathie: il (elle) a été très convaincant(e), affirmera-t-on aussitôt. Mais malheur à vous si vous négligez l’empathie: il (elle), grincera-t-on, n’a rien apporté de neuf (Parbleu! Quoi de plus rabâché que l’annuaire du téléphone, non?).
Tout cela est bel et bon mais quelques désespéré(e)s font valoir que l’empathie, précisément, on l’a ou on ne l’a pas. Que nul ne se décourage. L’empathie, si c’est quelque peu freudien, mesdames et messieurs, ça peut s’apprendre par coaching. Ou, mieux encore, ça peut se simuler: “Toutes les femmes vous le diront” chantait Georges Brassens – à propos d’autre chose, on l’admet.
Les Régionales approchent. Nous allons sous peu déborder d’empathie, tant chacun va se sentir le devoir d’en rajouter une couche (autre cliché, bien entendu!). Allons, si la France, ces jours-ci, manque peut-être de dynamisme, elle ne risque sûrement pas de subir une pénurie d’empathie. Craignons seulement qu’à tellement empathiser, ces dames et messieurs qui nous dirigent ou aspirent à nous diriger ne finissent par susciter l’antipathie.