L’avez-vous remarqué? Il y a bien des années que les Coco Girls de Stéphane Collaro ne nous chantent plus, toutes cuisses à l’air, “Ce mec est too much ce mec est trop“, mais on constate que l’adverbe de quantité trop – qui véhicule une idée d’excès – est en passe de supplanter son vénérable collègue très – qui n’apporte, lui, qu’une nuance d’intensité.
Les jeunes générations (vingt-cinq ans et au-dessous) disent “c’est trop bien”, ou écrivent tré dans leurs textos, là où les aînés se contentaient d’un “très bien”, voire, avec détachement, du “pas mal” hérité peut-être de l’understatement britannique qui fut si à la mode, comme tout ce qui arrivait d’outre-Manche et d’outre-Atlantique, dans les années d’après-guerre (nous parlons là, bien entendu, d’un temps que les moins de soixante ans ne peuvent pas connaître – et ils en ont, de la chance, les galopins!). Comme si, épuisée de normalité et de mesure, la jeunesse, à tout prix, se devait de trouver sa propre norme dans l’excessif et l’hyperbolique. Elle retrouverait ici, en l’ignorant sans doute, un terrain balisé: “Allons jusqu’à l’excès, et ce ne sera peut-être pas assez” écrivait avant 1914, à propos de bien autre chose, c’est vrai, le colonel de Grandmaison.
L’exemple, on l’admettra, vient de haut. De Nicolas Sarkozy, par exemple, qui impose depuis 2007 un style forcené à la présidence de la République. Fallait-il, pour autant, en faire sans réflexion un hyper-président, selon un qualificatif devenu cliché? On en doute. De même qu’il n’eût pas été sage, ni raisonnable, ni juste, de voir en tel ou tel de ses prédécesseurs un “hyper-soliveau” ou un “hyper-truqueur”. Mais à chacun son style, après tout, et la France, hier, aujourd’hui et demain, sera aussi bien gouvernée que possible vu les circonstances, la conjoncture, le déclin de l’Europe prophétisé par Spengler, le cours de l’euro et la vitesse du vent à travers les barreaux de chaise. D’ailleurs, elle en a vu d’autres – d’autres à sa tête, veut-on dire, et des plus divers entre pires et meilleurs. Ce serait également manquer à la galanterie que d’affubler la pauvre Ségolène Royal (on cite son nom comme ça, au hasard de la plume) d’une épithète du modèle “hyper-candidate”.
Reconnaissons toutefois que Nicolas Sarkozy gouverne – ou qu’il croit gouverner – même en se rasant, et que la présidente de Poitou-Charentes, on en jurerait, est candidate lors même qu’elle se démaquille. Un peu too much dans le côté insistant chez l’un et chez l’autre, non?
Ce trop envahissant s’accompagne souvent d’un genre à toutes mains, substantif devenu explétif par suite d’on ne sait quel processus langagier: “C’est genre trop bien” a pu s’entendre ces jours-ci dans les bouches les plus intellectuelles ou les plus pulpeuses pour indiquer le plaisir et/ou la satisfaction. On le découvrait aussi écrit en toutes lettres dans les magazines qui mêlent la mode – si trendy cette saison, en vintage sur des stilettoes à la Louboutin, qu’on la croirait sortie d’un bad remake de Sex and the City – et les peoples. Par souci de clarté, on n’écartera pas l’hypothèse que la promotion de trop ne soit, après tout, à l’instar de “même pas mal” ou “que du bonheur”, que le tic – ou le TOC – d’une classe d’âge. sacrifiée par l’Éducation Nationale à la méthode globale et au pédagogisme. Si c’était exact, nous verrions sous peu apparaître des enfants puristes et des adolescents académiques. Ça, ça nous changerait! On peut toujours rêver, c’est facile, c’est pas cher, etc..
“Ah, c’est trop, c’est trop!” s’écriait – il nous le contait – l’une des belles amies de Georges Brassens qui voulait l’inciter “à monter à l’assaut derechef“. Et le malheureux n’avait d’autre ressource que de rétorquer par le plus éculé des avis de faiblesse ou d’impuissance “Pas ça, madame, pas ça!”. Bref, pour lui, c’en était trop. Était-il très fatigué? Ou trop las? Nous n’en saurons jamais rien. Cette ignorance même, faut-il la juger trop triste? ou très regrettable? À chacun d’en décider – sans trop se casser la tête, s’il vous plaît.
L’avez-vous remarqué? Alors que l’hiver “prend vigueur” comme le dit la chanson, on en vient – enfin! – à contester de toutes parts les ayatollahs du réchauffement global, ceux qui nous prédisaient la fin de notre monde, sinon la fin du monde, pour très bientôt. Et, dans nos journaux favoris, leurs défenseurs patentés – on ne citera pas de noms, en vertu de la sacro-sainte confraternité qui n’est pourtant, chacun le sait, qu’une “haine vigilante” – commencent à baisser le ton: on les sent soudain plus frileux. On a même des raisons de croire que quelques-uns d’entre eux vont, avant peu, retourner leur veste (ce qui n’est pas forcément la pire manière, au vrai, d’affronter les froidures) .
Les avait-on cependant assez rebattues, nos malheureuses oreilles, avec les conclusions du GIEC, ce Groupement Intergouvernemental d’Experts sur l’Évolution du Climat qui prétend régenter nos mœurs et nos pensées: Le Big Brother d’Orwell s’est armé d’un thermomètre et d’un baromètre, comme un médecin de Molière de sa seringue à clystère. On sait aujourd’hui (les aveux les plus doux sont ceux qui se mangent froid, aurait affirmé sans désemparer notre ami le maire de Champignac) que lesdits experts se contentent de recopier, sans les vérifier, des affirmations péremptoires, mais fausses, publiées on ne sait pas trop où par on ne sait pas trop qui: du réchauffé, mal réchauffé d’ailleurs, en quelque sorte.
Ainsi des glaciers de l’Himalaya qui devaient avoir disparu, par fonte et ablation, en 2035. Maldonne et gourance, ce n’était pas prévu en réalité avant 2350 – ce qui apporte, pour le coup, une différence de degré (on ne fait pas allusion ici à des degrés centigrade, même si on ne s’est jamais refusé, on doit l’avouer, au plaisir d’un calembour, en général, et, en particulier, à la joie profonde d’un mauvais calembour), outre une différence de nature. Devant cette perspective à long terme, plus de trois siècles, on peut penser qu’il n’y a pas encore péril en la demeure, et que bien des événements, non prévus parce qu’imprévisibles, même par des experts, peuvent survenir d’ici-là. Appelons Lord Keynes à la rescousse pour rappeler que “à long terme, nous serons tous morts“, ce qui contribue, somme toute, à redresser les perspectives.
Le GIEC, tout le montre, adopte un comportement de secte ou de parti stalinien: hors de nos dogmes, point de salut. Foin, d’ailleurs, de la méthode scientifique. Le GIEC réchauffe entre amis sa petite soupe dans son petit coin, façon apprentis sorciers touillant des bouillons d’onze heures entre cornues et alambics, et tout un chacun est prié d’avaler sans se plaindre le brouet élaboré par ces messieurs. Y a-t-il, même pas des opposants, des incrédules? Le GIEC, mails à l’appui entre les conjurés et secret professionnel en bandoulière, va d’abord les ignorer avant de les excommunier pour climatoscepticisme, par le truchement de plumitifs promus motu proprio inquisiteurs, comme on ostraciserait, à bon droit cette fois, des pseudo-fascistes pour populisme.
Le GIEC, à vrai dire, évoque la Jolie Rousse d’Apollinaire qui n’était ni jolie ni rousse, ou encore le Peloton de Protection et de Reconnaissance du “Hussard bleu” de Roger Nimier “où on ne protégeait rien du tout, et où on reconnaissait seulement qu’on s’ennuyait ferme”. À savoir que ses membres, à en juger par ce qui transparaît maintenant, ne sont ni experts, sauf en communication, ni capable de déterminer l’évolution du climat. Au demeurant, qui le pourrait en considérant les ignorances des meilleurs scientifiques – qui sont aussi, comme par hasard, les plus modestes? S’il revenait parmi nous, Georges Clemenceau dirait peut-être que le climat, encore plus mal connu que la planète au XVIIème siècle, est une chose bien trop sérieuse pour être, à vues humaines, confiée à des climatologues.
Nos citations, on le reconnaît, ont quelque chose de réchauffé. Espérons seulement qu’elles contribueront à nous rafraîchir les idées.
L’avez-vous remarqué? Les Régionales approchant, il n’est plus question, de toutes parts, que de bouger les lignes.
Sans illusions sur la chose mais passionné du mot, on avait noté depuis longtemps la fortune de cette expression qui, semble-t-il, a pris naissance, au fil des apartés, chez des politiques et des journalistes qui assistaient au tournoi de Roland-Garros (au lieu de se trouver à leur poste de travail à l’Assemblée, au Sénat, ou dans une rédaction – mais c’est une autre histoire sur laquelle, forcément, on reviendra à loisir). Notez bien, d’ailleurs, qu’assister au tournoi ne signifie pas que l’on suit tous les matches, particulièrement si les températures sont élevées: ces dames et ces messieurs
1) ne veulent pas prendre le risque d’un coup de soleil qui leur gâterait le teint et nuirait à leur prochain passage en studio ou sur un plateau
2) ne tiennent pas à être surpris par les caméras, tellement indiscrètes, n’est-ce pas, en flagrant délit d’absentéisme (on en reparlera) – quand ce n’est pas en plein adultère, concubinaire aussi souvent que conjugal (voici encore une autre histoire, sur laquelle, forcément, on s’abstiendra de revenir, respect de la vie privée oblige)
3) pensent que l’on distingue mieux les échanges devant un écran HD de plus de 100 de diagonale en buvant frais.
Bref et d’un mot, ayant entendu, peut-être d’une oreille distraite, les propos des arbitres, sans préjudice des oukases du juge-arbitre, ces dames et ces messieurs se sont avisés que le tennis, à n’en pas douter, serait de plus de simplicité dans sa pratique si l’on pouvait bouger les lignes blanches qui délimitent l’espace de jeu sur le court (C’est le moment et le lieu de faire étalage de votre culture tennistique et d’interroger sans avoir l’air d’y toucher: Le court? Lequel? Le Central? Le Suzanne-Lenglen? Le numéro 1? – Avec ça, foi de chroniblogueur (1), vous pourrez aller loin). Ils sont alors passé du particulier au général et ont pensé qu’il devrait être possible, en politique aussi, de bouger les lignes pour se sortir du carcan, voire du lit de Procuste, des préjugés, idées reçues, courants, idéologies et autres appareils, sans oublier les pesanteurs sociologiques et les égarements de l’opinion.
L’expression a mieux prospéré que les géraniums sur le fumier. Tout(e) politique digne de ce nom se doit d’affirmer que lui (elle) au moins saura faire bouger les lignes. Par parenthèse, on a noté, année après année, que nul ne proclame davantage la nécessité de bouger les lignes que les tenants, Droite et Gauche réconciliées, d’un solide immobilisme: on fait allusion, par exemple, pour ne pas les nommer, à la laïcité selon Jean-Luc Mélenchon ou à la réforme vue par Frédéric Lefèbvre. Mais il y en a tant d’autres, encore plus conservateurs qu’eux et pour jamais enkystés dans leurs certitudes, qu’on présenterait pour un peu des excuses à ces deux-là s’ils s’étaient senti un tant soit peu devenus têtes de Turc. Va donc, eh, p’tite tête! dit-on chez les Jivaros, paraît-il. Et à propos, interrogera-t-on au passage, se trouverait-il par hasard des Jivaros en Poitou-Charente: ils pourraient avoir du travail en vue de la conservation, au profit des ans à venir, du profil si bien travaillé de la Madone du chabichou.
Ne perdons pas nos lignes de vues. Ne reculant devant aucune figure de style, à l’instar d’un de nos modèles, le maire de Champignac, nous n’hésiterons pas à proclamer que les lignes à faire bouger irriguent la vie nationale et apportent du sel à la routine des masses. Sans lignes, que deviendrions-nous? Que deviendrait la France? Sans doute sombrerait-elle corps et biens dans l’ennui d’abord, dans le néant ensuite. Ce néant qui a dévoré (On laisse à chacun(e) le soin d’imaginer un néant passablement cannibale en train de casser la croûte) sans coup férir une autre formule toute faite, pourtant bien partie: arrêter le curseur. Souvenez-vous qu’il y a peu, ceux (celles) qui savaient jusqu’où on peut aller trop loin (Et un cliché, un!) se devaient de déterminer précisément où arrêter le curseur quant ils bougeaient les lignes. Des lignes bougées sans curseur arrêté ne pouvaient mener qu’à la catastrophe, pire au cataclysme, et, pire encore se glissait-on dans les milieux autorisés avec les mines adéquates, à une défaite sans phrases à la cantonale partielle de Blouzy-les-Berlingaux (2).
Plus la date du scrutin s’approchera et plus les lignes bougeront, jusqu’à nous en donner le tournis. Ou peut-être pas: tout immobiliste bien né sait d’instinct qu’il n’est meilleur moyen de conjurer le changement que d’en parler.
(1) Nous avons, à l’instant, inventé ce mot qui nous semble de bonne venue, et de bonne tenue, afin de caractériser la fonction du chroniqueur de profession, écriveur de métier, qui tient un blog – à distinguer de l’amateur, aussi éclairé et de plume talentueuse soit-il, que nous proposons de qualifier plutôt de blogueur conjoncturel (et pas de blogueur d’occasion, qu’on nous entende bien). L’écriveuse professionnelle, plutôt consœur en journalisme qu’écrivaine (ah, le vilain nom!) sera, tout naturellement, une chroniblogueuse.
(2 ) Blouzy-les-Berlingaux, grosse bourgade de nos provinces, n’est pas très éloigné du Gleux-les-Lure où naquit le sapeur Camember et illustre les servitudes et les grandeurs de la France “du seigle et de la châtaigne” selon le mot du doyen Vedel.
L’avez-vous remarqué? De nos jours, celui (celle) qui agit plus ou moins en sous-main, pour ne pas dire dans la coulisse, à des fins quelquefois aussi peu avouables que les moyens mis en œuvre, est réputé “à la manœuvre” ou “aux manettes”.
En vérité, nous sentons bien qu’être à la manœuvre, c’est se livrer à d’obscures magouilles – quasi-tautologie, puisque le concept de magouille paraît incompatible, jusqu’à plus ample informée, avec le grand jour et la lumière crue des projecteurs, à LED il va de soi, de l’actualité. Le manœuvrier qui manipule les manettes préfère, à l’évidence, la pénombre des couloirs, ou la noirceur des coulisses et leur remugle qui offense les narines: ce n’est pas seulement au royaume de Danemark qu’il y a “quelque chose de pourri”. Mais tant mieux pour lui puisqu’il est vrai qu’il faut “la pourriture pour la splendeur des plus belles fleurs”, comme nous l’affirmait dans les années 70 un vieux confrère du “Journal de Genève”. Il se souvenait de la SDN des années 1930, ou l’idéologie de la Paix et du Désarmement, si chère au Solal d’Albert Cohen, coexistait assez bien avec la remise d’enveloppes à qui de droit, sans préjudice du chantage et autres “pressions amicales”. La pureté démocratique de la Troisième République s’accommodait de ces procédés, à tel point que par tradition, le chef de la Sécurité de la SDN – et de l’ONU et de ses organisations satellites dans la ville de Calvinaujourd’hui encore – appartenait, et appartient, à la DST ou à feu les RG. On n’est jamais si bien servi etc. Non?
On notera que l’homme (la femme) à la manœuvre n’opère jamais pour son propre compte ou rarement. Être à la manœuvre est la prérogative, presque le privilège, des hommes (des femmes) de main, des seconds couteaux, des traîne-patins – ou des fidèles, si l’on préfère apporter une touche de couleur à cette peinture au bitume. Voilà un rôle dans lequel se sont illustrés, pour ne citer qu’eux et sans ordre de préséance, un Michel Charasse pour François Mitterrand, un Michel Poniatowski auprès de Valéry Giscard d’Estaing, un Brice Hortefeux avec Nicolas Sarkozy, un Pierre Juillet inséparable d’une Marie-France Garaud chez Georges Popmpidou puis, pour un temps, chez Jacques Chirac, un François Lamy aux côtés de Martine Aubry, peut-être un Jean-Pierre Mignard (mais, ici, on ne jure de rien) ou, plus vraisemblablement, une Sophie Bouchet-Petersen dans l’entourage de Ségolène Royal. Après tout, cependant maîtres de la stratégie et de la tactique, Richelieu avait son Père Joseph et le général de Gaulle son Foccart.
Cet usage s’est étendu, comme par osmose, à la Francophonie. On évoquera seulement “Monsieur le gouverneur” qui appartenait, à Abidjan et Yamoussoukro, au proche entourage de Félix Houphouët-Boigny, ou André Azoulay dans les palais d’ Hassan II.
Posons donc en principe la nécessité, pour gouverner l’État ou un parti, un syndicat ou une entreprise, d’installer à la manœuvre quelqu’un (quelqu’une) qui n’aura pas peur de se salir les mains (un cliché, un!) pour accomplir les basses œuvres et mener à bien – ou à mal, c’est selon – les manipulagouilles (nous aimons ce mot qu’illustre notre roman “Walkyrie vendredi””: publicité gratuite, il va de soi, pour notre éditeur) qu’exigera la conjoncture (la situation, les circonstances, le rapport de forces, la Crise de 2008-2009, la sortie de Crise, le Congrès, la mondialisation, les résultats de la cantonale partielle de Blouzy-les-Berlingaux – rayer les mentions inutiles). Mais, cliché davantage encore éculé si c’est possible, on ne fait pas d’omelette sans casser d’œufs.
Pas d’angélisme, cependant. Les journalistes sont les premiers à vouloir apprendre qui est à la manœuvre pour supputer les chances de succès des manigances et deviner qui tire vraiment les ficelles derrière le décor. Dans celui (celle) qui est à la manœuvre, il y a, par une mise en abyme qui n’est pas sans parenté avec la Caverne de Platon, du montreur de marionnettes – mais il (elle) ne recueillera en fin de compte que des miettes, aussi imposantes soient-elles, des bénéfices du castelet où il exerce ses talents.
En attendant, il (elle) fera parler de lui (d’elle). C’est toujours ça.
L’avez-vous remarqué? La question fondamentale, existentielle, que posait naguère Ernest Hemingway revient au premier plan de l’actualité. Quelle question? “En avoir ou pas”, bien sûr. Mais avoir de quoi? demandez-vous. De l’empathie, il va de soi.
Aujourd’hui, un homme (une femme) politique n’a plus besoin d’une vision, tel le général de Gaulle, ni d’habileté, à l’instar de François Mitterrand, ni de ténacité à l’exemple de Jacques Chirac, ni, comme Valéry Giscard d’Estaing, du sens de la modernité (limitée certains jours, vous en souvenez-vous, à des petits déjeuners), ni la ruse de Georges Pompidou. Non. Si vous voulez réussir à la tête de l’État, du Gouvernement, de l’Opposition ou, plus simplement, à la mairie de votre commune de 837 habitants, il vous faut d’abord de l’empathie. Hors l’empathie, mesdames et messieurs, point de salut.
Qu’est-ce que l’empathie? demandez-vous. Voici, précisément, la question de fond. Les uns, les raffinés, la rattachent à l’intuition. Les autres, plus brutaux, l’assimileront à une forme raffinée de démagogie. Nous dirons, nous, que l’empathie est un outils à toutes mains qui permet à un leader (une leadeure? une leadeuse? une she-leader?) politique ou managérial(e) de prendre le pouls de l’opinion publique – et un cliché, un! – et d’y conformer son propos.
Du populisme? Vous n’y êtes pas. Ce serait confondre Édouard Balladur avec Jean-Marie Le Pen, ou Marie-George Buffet avec Olivier Besancenot (au passage, mention spéciale au NPA pour avoir tenté l’exercice dialectique qui consisterait à démontrer que le voile islamique est l’un des attributs d’une laïcité, non pas puérile et honnête, mais, pour le coup, roublarde et sans scrupule).
Mais l’empathie… ah, l’empathie! Plus un seul commentateur, de nos jours, n’oserait apprécier un passage à la télé de Nicolas Sarkozy, un point Presse de Martine Aubry, un entretien au coin du feu (façon de parler) de François Hollande, un lamento barytonné par François Fillon, une billevesée de Ségolène Royal, une éructation de Jean-Luc Mélenchon, une savonnette glissée par Jean-François Copé sous les pieds de vous devinez qui (non, on ne fait pas allusion à Bernard Accoyer qui, n’en peut mais, le pauvre, ni à Xavier Bertrand), une philippique de François Bayrou (jamais découragé, toujours fringant, coucou, le revoilou!), une Chiracade à la Voltaire déclamée par Dominique de Villepin ou la plus récente palinodie de Vincent Peillon sans y déceler un peu, beaucoup, passionnément, à la folie ou pas du tout d’empathie.
L’empathie, notez-le bien, c’est de la forme, et ce n’est que ça. Que vous en ayez ou pas, les commentateurs ne parleront que d’elle. Qu’avez-vous dit, ou fait? Il importe peu. Le fond, ici, est phagocyté par la forme. Récitez un peu pour voir l’annuaire du téléphone (si vous en possédez encore un exemplaire papier, il va de soi). On se pâmera à l’envi si vous savez y mettre ce qu’il faut d’empathie: il (elle) a été très convaincant(e), affirmera-t-on aussitôt. Mais malheur à vous si vous négligez l’empathie: il (elle), grincera-t-on, n’a rien apporté de neuf (Parbleu! Quoi de plus rabâché que l’annuaire du téléphone, non?).
Tout cela est bel et bon mais quelques désespéré(e)s font valoir que l’empathie, précisément, on l’a ou on ne l’a pas. Que nul ne se décourage. L’empathie, si c’est quelque peu freudien, mesdames et messieurs, ça peut s’apprendre par coaching. Ou, mieux encore, ça peut se simuler: “Toutes les femmes vous le diront” chantait Georges Brassens – à propos d’autre chose, on l’admet.
Les Régionales approchent. Nous allons sous peu déborder d’empathie, tant chacun va se sentir le devoir d’en rajouter une couche (autre cliché, bien entendu!). Allons, si la France, ces jours-ci, manque peut-être de dynamisme, elle ne risque sûrement pas de subir une pénurie d’empathie. Craignons seulement qu’à tellement empathiser, ces dames et messieurs qui nous dirigent ou aspirent à nous diriger ne finissent par susciter l’antipathie.
TACLONS COMME LA LUNE
L’avez-vous remarqué? On ne contredit plus Untel, on ne s’oppose plus à Unetelle, on ne se conduit plus en adversaire de Telautre, on le (la) tacle.
“Pied du pied, sécurité” affirme, à juste titre, l’un de mes excellents voisins de blog. Je lui répondrai: “D’accord, ami, mais ne néglige pas l’adage en vogue: si tu tacles, beau spectacle”.
Car ce tacler envahissant a bien entendu à voir avec la politique spectacle. Et les chroniqueurs de compter les points avec gourmandise: Frédéric Lefèbvre a taclé Ségolène Royal, Ségolène Royal a taclé Benoît Hamon (on se tacle plus facilement entre camarades), Benoît Hamon a taclé Jean-François Copé, Jean-François Copé a taclé Stéphane Guillon (à qui on va remettre illico la gidouille en plaqué toc et à chaînettes du même métal de Suprême Tacleur du règne, en attendant de lui décerner le hochet à vis péroxydée et niveau à bulle financière de Grand Truqueur Devant l’Éternel avec majuscules), Stéphane Guillon a taclé Nicolas Sarkozy, Nicolas Sarkozy a taclé Martine Aubry, Martine Aubry a taclé Frédéric Lefèbvre… et, hop, la boucle est bouclée!
Négligeons pour les besoins de la démonstration les tacles qui volent bas échangés entre Mme Pécresse et M. Huchon sous les yeux attentifs de Melle Duflot et les regards voraces, autant qu’ubiquitaires, de la tribu Le Pen – pour ne rien dire, élections aidant, du foisonnement des tacles provinciaux constatée sans joie par nos confrères de la PQR: pour jargonner à la mode d’aujourd’hui, on se tacle en régions aussi bien que dans la capitale et ses environs. Georges Brassens, dans “L’Assassinat”, le chantait déjà en précurseur:
“C’est pas seulement à Paris
Que le crime fleurit”.
Qu’ont donc dit tous ces éminents personnages lorsqu’ils taclaient à loisir? On n’en sait rien du tout, et, à la vérité, qui s’en soucie? Ils ont taclé, et cela seul importe, car le tacle, à l’analyse, se présente comme un outil médiatique à toutes mains qui supplante le débat et élimine la politique. On a taclé, circulez, y a plus rien à voir ni à faire. Nos voisins helvétiques le diraient fort bien: on se tacle parmi – comprenez: entre soi. Le tacle, en effet, n’appartient qu’au microcosme des gouvernants et de leurs rivaux, des vrais patrons de l’économie ou de ce qu’il en subsiste après la crise (“Deux salaires pour Proglio / Bon Dieu, que c’est rigolo!” auraient pu chansonner un Bruant ou un Montéhus), du Social (Chérèque tacle Thibaut qui, à son tour, tacle Jean-Claude Mailly et ainsi de suite), de la Culture et du Show-Biz.
Le bon peuple n’a jamais son mot à dire, pas plus ici qu’ailleurs. Mais il ne tacle guère. Il n’appartient pas au cercle enchanté où l’on se tacle autant que l’on s’embrasse (dans le genre baiser de Judas et patin de catcheur). Sans nul doute obéit-il à d’autres préoccupations. Le chômage ou le pouvoir d’achat, par exemple. L’AFP annoncerait, à propos de bien autre chose on le concède, que le tacle “supprime et remplace” la démocratie. “Je tacle donc je suis” aurait affirmé Descartes s’il avait eu la télévision dans son poêle également meublé d’un PC afin de surfer sur la Toile.
Et à propos de tacle, venons-en, non sans hardiesse, à un sujet pas encore abordé dans cette chronique bloguéante (rien à voir ici avec Claude G., “première gâchette chez Sarkozy” aurait ricané Michel Audiard) que nous aurions peut-être dû baptiser “poil à gratter” si la vulgarité, à notre avis parfois découragé, ne méritait pas d’être considérée comme un crime contre l’Humanité, ou – demeurons dans la pilosité – “à rebrousse-poil”. Raymond Domenech, puisque c’est de lui qu’il s’agit, fut tenu, en son temps, pour un tacleur d’élite, adepte et praticien, selon les connaisseurs, d’un football “rugueux” – formule codée qui signifie, à la vérité, qu’il eut force tibias, péronés et chevilles à son actif. Tibias, péronés et chevilles des adversaires, s’entend, car, aux dires de l’Évangile, “il y a plus de joie à donner qu’à recevoir”. “Raymond, il mettait la godasse” ajouteraient les susdits connaisseurs. Il avait le verbe haut, en outre, mais dans le style “cœur sur la main, et main dans la figure du voisin”.
Du moins taclait-il au sens propre, “dans le cours du jeu” et “sans jamais se faire prendre par la patrouille” (se faire repérer et sanctionner par l’arbitre), à défaut de tacler proprement, ce que ses dirigeants et son entraîneur, de toute certitude, ne lui demandaient pas.
Il est aujourd’hui l’homme le plus taclé de France. Trente millions d’agités (encore ne compte-t-on que le sexe masculin, en négligeant les enfants qui ne parlent pas encore, et les vieillards sur leur devant, selon la belle expression du Midi, qui ne peuvent plus parler) le taclent tous les jours. Ils traitent de tous les noms “ce pelé, ce galeux”, ils exigent sa démission sur l’heure, ils requièrent à la Fouquier-Tinville sa démission, et ils proposent dix noms de remplaçants. Pour tacler, madame, ça tacle dans les chaumières! Sans négliger, de la part de certains, le coup de pied de l’âne dont il existe une variante tacligère.
Mais supposons, puisque c’est déjà arrivé, que Domenech conduise la France une seconde fois en finale au Mondial d’Afrique du Sud, dans quelques mois. Qui c’est-y alors qui se taclera la poitrine et clamera sans trêve à tous les échos “je vous l’avais bien dit”, à l’instar collectif de la rédaction de “L’Équipe” après le succès des Bleus d’Aimé Jaquet en 1998? Voyons, c’est l’agité de service, que nous avons nous-même bien du plaisir à tacler.
L’avez-vous remarqué? De bons esprits lancent aujourd’hui un appel pour une France “multiculturelle et post-raciale”. Pourquoi pas? Puisque l’on s’interrogeait, ces jours-ci, sur l’identité nationale, toutes les contributions , en particulier si elles posent le primat de la tolérance, doivent être les bienvenues. Bienvenues pour ceux qui ne refusent pas ce débat-là, il va de soi.
Mais une question se pose tout de suite: pourquoi multiculturelle et post-raciale? Une France multiraciale et post-culturelle n’aurait-elle pas aussi bien convenu à ces esprits éclairés? On avait cru comprendre que l’essence du Black-Blanc-Beur qui fit florès une bonne année durant, et même deux, au même titre que la si fameuse “grève par procuration” d’un Pierre Bourdieu jetant ses derniers feux – ou son ultime venin -, résidait dans la multiracialité et le syncrétisme culturel. Un Jack Lang ou un Jean-Jacques Aillagon, multicartes culturels patentés, ou bien Bernard-Henri Lévy et Luc Ferry, philosophes reconnus de l’école studiale (studial: qui a rapport avec les studios de télévision), ne seraient pas de trop pour débrouiller ce nœud gordien ou trancher cet écheveau.
D’ailleurs, pourquoi post-raciale (ou post-culturelle)? La mode, nous ne le savons que trop, est cette année au post-quelque chose, au post-ceci, au post-cela, voire à un post-n’importe quoi qui eût, n’en doutons pas, réjoui Vladimir Jankélévitch.
Au vrai, lorsque nous lisons ou entendons “post-moderne” dans des bouches non moins éclairées que les esprits précités, nous évoquons aussitôt la grosse voix de Jacques Perret, caporal épinglé pour l’Éternité, raillant “les avant-gardes qui marchent en queue de colonne”, ou nous remémorons le spectateur d’un sketch de Pierre Dac et Francis Blanche qui aurait sous peu, selon le Sâr Rabindranath Duval, “son avenir dans le dos”. C’est à croire que le futur du passé, à moins que ce ne soit le passé du futur, a de beaux jours devant lui. Ou derrière lui, c’est selon.
À beaucoup de braves gens sans malice ni méchanceté, nous souhaiterions marquer avec l’assurance du désespoir, au risque, assumé sans mollesse, du cliché et de la vulgarité: “Hé, y a pas écrit post, là!”. On voudrait, sans oser l’espérer, que ce post à toutes les sauces soit réservé désormais au galimatias – on y reviendra un de ce quatre – des marchands d’art, des critiques et des conservateurs, très occupés, chacun dans son coin, à spéculer sur sa valeur: Dans quelle proportion le post fait-il grimper la cote, cher ami? Combien le post, petite madame, se vendra-t-il chez…
On laissera ici des points de suspension pour ne pas risquer de se fâcher avec M. LVMH, pas davantage qu’avec M. PPR, propriétaires l’un et l’autre de maisons de vente célèbres et, par ailleurs, enragés collectionneurs des post- (cf. supra) que des conseillers leur dénichent sur les marchés. Rendons hommage à ces talentueux dégoteurs (tentons pour l’occasion ce néologisme de facture assez Belle Époque et profitons-en pour chanter les louanges du verbe dégoter, trop négligé de nos jours), puisque certains d’entre eux, plus secrets que Bernard Berenson – on entend ici: moins connus du grand public -, ont été quelquefois l’honneur de la Culture.
Si la tendance est à lancer des appels, nous préférerons cependant pousser un cri d’alarme (au risque assumé… etc. cf. supra bis). Il faut alerter les populations hexagonales, ultramarines et, plus généralement, voltaroglossophones (de la langue de Voltaire, bien entendu. Celle-ci, qui vient de sortir, il faut l’oser, hein!), sur la jargonnification bredouillifère de notre langue par emberlificité (Salut à Régis Debray), complexissitude (Nos hommages empressés à Sa Permanente Candidature Ségolène 1ère) et obscurcirage (Bien le bonjour, Henri Guaino) de notre langue.
“Bon Dieu, aux chiottes, le post-, et la quille, bordel!” n’aurait -il pas grogné, avec bon sens, devant cette invasion par la postité, un adjudant de notre connaissance?
L’avez-vous remarqué? Nous avons pu assister, en direct, jeudi soir, à la naissance d’un mot, fait suffisamment rare pour que nous nous en félicitions, quels qu’en soient, par ailleurs, le contexte et les conséquences.
Donc, grâce à Vincent Peillon, nous avons suivi, en temps réel, l’apparition de la peillonnade, sur le modèle de la populaire mais efficace couillonnade, bien entendu. Ce vocable désignera désormais une figure de style de la vie politique française – et, très bientôt, on en prend ici le pari, de la vie économique, de la vie sociale et, à coup sûr, de la vie culturelle. Tant il est vrai que nombre de gens brûlent de se rendre aussi médiatiquement notoires que Maurice Clavel, sans discerner qu’il n’est pas donné à tout le monde d’imaginer, puis de lancer, en prenant le pays entier à témoin, le “Messieurs les censeurs, bonsoir!” qui les fera entrer, d’un coup, dans l’immortalité.
Qu’est-ce que la peillonnade, au fait? On suggère ici de la définir, en première approximation, comme un action de communication dérivée de la conciliation des contraires (notion banale en philosophie depuis les penseurs allemands du XIXe siècle, à commencer par Hegel, et, de son état, Vincent Peillon est philosophe) qui vise à s’assurer plus de présence virtuelle – dans les médias et sur Internet – grâce à une absence réelle. De manière plus triviale, on pourrait dire que c’est mettre la dialectique au service de la Com.
La peillonnade, en effet, de l’aveu même de son créateur, se donne pour finalité de créer le scandale – entendons le buzz: “Calomniez, calomniez, il en restera toujours quelque chose sur le Web” écrirait Beaumarchais aujourd’hui. En bref, pour la faire courte ainsi qu’on a tort de le répéter dans une luxuriance de vulgarité dépassée seulement par l’innommable “rien que du bonheur”, peu m’importe que vous disiez du mal de moi, puisque c’est de moi que vous parlez. Guy Béart, naguère, le chansonnait: “Parlez-moi de moi, y a que ça qui m’intéresse”. Ce qui nous amène à relever que l’égocentrisme apparaît comme l’un des composants essentiels de la peillonnade. Tel qui se voudrait François (Mitterrand) n’est au fond que Ségolène (Royal).
Soyons justes. Il est clair, d’ores et déjà, que la peillonnade n’est pas l’apanage de la Gauche. Ou, plus exactement, que la Droite, depuis peu, en possède l’équivalent sous la forme, mille fois ressassée, jusqu’à la saturation, de la lefèbvrerie qui lui ressemble comme deux gouttes d’eau. Peillon et Lefèbvre même combat!
On ne se hasardera pas à prédire l’avenir de la peillonnade et de la lefèbvrerie. Mais on est convaincu qu’elles n’apportent rien au débat: Com 1 – Démocratie 0.
L’avez-vous remarqué? On mutualise beaucoup ces temps-ci. Hors la mutualisation, point de salut. Qu’est-ce qu’on mutualise? Tout, mais, d’abord, les risques et les ressources.
Comme on ne se refuse rien, on mondialise – ah, le charme discret de la mondialisation… – afin, nous dit-on, de mieux mutualiser. L’inverse, semble-t-il, n’est pas vrai. On ne mutualise guère afin de mieux mondialiser, encore que cette proposition pourrait être infirmée par les fusions, réalisées ou en cours, de grandes compagnies aériennes qui, sans trop l’avouer, serait-ce au nom de la rationalisation, mutualisent dans le but de prendre des parts supplémentaires du marché planétaire.
Bref et d’un mot, tout responsable politique, tout chef d’entreprise, tout intellectuel même (nous ne manquerons pas, au passage, de déplorer la disparition du Grand Intellectuel Français, avec trois majuscules, type humain, de Péguy et Barrès à Foucault et Derrida, dominant la pensée durant un siècle), qui négligerait de parler de mutualisation dans un discours, une intervention, une interview, un essai ou un article, voire un propos de table (on aimerait réhabiliter cette appellation ancienne de la “petite phrase”), dérogerait à son statut. Il ferait illico très petit genre. Alors que la mondialisation, elle, n’apparaît déjà plus comme un discriminant social. On laissera désormais son emploi aux journalistes débutants qui ont à maîtriser l’art subtil du cliché, aux étudiants de deuxième année (qui disent par nature n’importe quoi, foi d’étudiant de troisième année) et aux gouvernants en mal de justification: la crise, c’est pas moi, m’sieur, c’est la faute à la mondialisation. Il va de soi que vous avez renoncé depuis très longtemps à délocaliser – sauf si vous vous appelez François Chérèque ou Bernard Thibaut.
Vous voici prévenus. Mutualisez tant qu’il vous plaira, mais, par grâce, sachez d’urgence ne plus mondialiser. À moins que vous ne maîtrisiez assez l’anglais pour pouvoir gloser à loisir sur la globalization, nettement plus chic. Auquel cas, snob jusqu’au bout, vous défendrez des arguments puisés à bonne source: dans la Lex column du Financial Times, s’entend.
Et puisque nous en sommes au global, notons en passant que le global warming – c’est à dire le réchauffement climatique – a pas mal de plomb dans l’aile ces jours-ci. Entre l’échec de la conférence de Copenhague – qui a jeté un froid, soit dit en plaisantant à peine – et les chutes de neige, voici l’Europe ramenée à sa condition de péninsule à peine tempérée. Ça serait-y pas le Gulf Stream qui ferait des siennes, par hasard, ma bonne dame? En fait de réchauffement, n’entrerions-nous pas dans une nouvelle glaciation? Quitte à passer pour climato-sceptique – haro! -, nous chérissons cette hypothèse. Elle nous rappellerait la dureté des hivers de notre jeunesse. Qui n’a pas connu le grand frimas de 1956 n’a rien connu.
À propos, contre le froid, ne serait-il pas de nécessité publique de mutualiser les gants et les manteaux comme l’eût prôné saint Martin? Ce serait toujours plus amusant, comme le disait Georges Charpak, que de mutualiser les idées reçues.
Dans les courtoisies de naguère qu’illustrait la baronne Staffe, PPC signifiait “Pour Prendre Congé”. Il s’agit ici, au contraire, de congratuler les (nombreux, on l’espère) membres d’une communauté vouée, non à la contemplation, moins encore à la prière, mais au sauvetage des mots: aux mots, s’entend, qui ont perdu leur sens d’être trop répétés et aux idées tellement reçues qu’on les croirait passées par la machine à décerveler du Père Ubu.
À tous, présents et à venir, salut, fraternité et bienvenue dans cette abbaye, non point de Thélème (comme l’eût écrit notre bon maître Rabelais, ciseleur de mots s’il en fût jamais), mais de Logophilie. Oui, nous aimons les mots, à la condition qu’ils veuillent encore dire quelque chose. Aujourd’hui, que de mots, employés à tort, à travers et dans trente-six positions, ne disent plus rien à personne! SOS vocabulaire, c’est nous!
Voici nos trois règles:
1) De deux deux mots choisissons toujours le moindre.
2) Aux grands mots opposons les grands rires.
3) Moquons ceux qui, ne sachant pas que le ridicule ne tue plus, se portent candidats au suicide.
Tenez, commençons tout de suite par les naïfs et les pleureurs (tels les saules) qui ont qualifié de catastrophe l’échec, aussi prévisible que prévu, de la conférence de Copenhague. Heureuse catastrophe qui ne fait d’autres victimes que des illusions perdues et des amours propres chiffonnés! Heureuse catastrophe, puisque elle ouvre les yeux de ceux qui croyaient que les États-Unis et la Chine pouvaient avoir d’autre souci que d’eux-mêmes: froids ou pas, les monstres n’en demeurent pas moins des monstres.
On nous le jure déjà, notez bien, on fera mieux la prochaine fois! L’Apocalypse est pour demain mais, comme disait Mme du Barry, “Encore une minute, monsieur le bourreau”. Demeurons dans le style Louis XV: “La Terre, ton climat fout le camp!”.
Allons, soyons heureux de danser sur un volcan – et non point dessous à la Malcolm Lowry.
La fin de l’année est propice aux bilans. Nous nous pencherons très bientôt sur l’antisarkozysme qui, davantage que le bon sens (assez mal en point ces jours-ci) paraît aujourd’hui la chose du monde la mieux partagée.
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