Calvi, Platini, même génie.

 

J’avoue, bien que j’aime à fanfaronner à longueur de post sur ma propension toute naturelle à n’apprécier personne, à jouer sans forcer de ma misanthropie, encline à me faire enrager de dédain devant la crétinerie avérée, dûment constatée, de mes contemporains, à ne m’épanouir que dans la déconstruction systématique de l’autre, n’importe quel autre, vous, moi, l’amant de ma sœur, la sœur de ma cousine, la cousine de mon chat, il existe pourtant, sur cette maudite terre, un être pour qui j’éprouve un sincère élan de sympathie, une réelle adoration, un être que je place très haut dans mon Olympe personnel, d’habitude peuplé d’êtres qui ont quitté cette vallée de larmes depuis bien longtemps. Cet être, ce ne peut être que vous Yves Calvi. Oui je l’écris ici, Yves Calvi, je vous aime. Sans ambages, sans une virgule d’ironie, sans aucune trace de second degré.

Pour vous, si vous me le demandiez, je serais prêt à traverser l’Allemagne à cloche-pied et à pactiser de bon coeur avec mes cousins germains, à partager la couche d’une paysanne bavaroise à la poitrine dégoulinante de chair à saucisse, à m’accoquiner avec une ouvrière édentée des chantiers navals de Gdansk, à partir en voyage d’étude à Varsovie avec Ségolène Royal comme camarade de chambre. Pire, je serais prêt à reconnaître la supériorité intrinsèque de l’Olympique Lyonnais sur l’AS Saint-Etienne, à confesser que Jean Michel Aulas m’a toujours été sympathique, et à proclamer que Philipe Sollers demeure à ce jour le plus grand écrivain de langue française du sixième arrondissement de la Capitale.

Étudiant en journalisme, j’aurais choisi comme sujet pour ma thèse de doctorat, Yves Calvi ou la quintessence du Génie Français, un condensé de ce qui compose la panoplie parfaite de la magnificence de l’esprit français à travers les âges : la bonhommie feinte, la roublardise teintée de mauvaise foi, l’intelligence pétillante alliée à une capacité à se déjauger toute en finesse.

Platinien. Voilà l’adjectif qui me vient spontanément à l’esprit si je le laisse vagabonder sur la faconde éblouissante d’Yves Calvi, sur cette manière toute finaude qu’il a de mener son émission, avec cette même maestria que Platini avait de régaler Boniek, de transversales arrivant toujours à bon pied ; cette aptitude, qui est la marque des plus grands, à endôsser le rôle du cancre de service, pour que le téléspectateur le plus ahuri finisse par comprendre à quoi ca sert au juste une agence de notation, est-ce-qu’une centrale nucléaire, ça peut véritablement finir par provoquer une explosion comme celle d’Hiroshima, est-ce-que si l’essence précède l’existence, pourquoi les taxes sur l’essence continuent-elles à prospérer… tout ce florilège de questions, que même ivre mort, on n’oserait poser à son compagnon de beuverie, de peur de se faire rembarrer et d’être obligé de rentrer chez soi en frôlant les murs.

Au contraire des autres grands dadais du petit écran imbus de leurs mesquines personnes, le Calvi ne la ramène jamais, lui. Même s’il connait son sujet sur le bout de sa tonsure, il prend toujours un malin plaisir à jouer au corniaud de service, établissant dès lors une véritable complicité avec le téléspectateur qui, du coup, dans le vaste désert de son ignorance infinie, se sent un peu moins seul, et peut se retourner vers sa chérie, occupée à préparer la purée du repas vespéral, en lui disant tu vois, lui aussi, il n’y comprend rien à cette histoire de triple AAA.

Calvi c’est l’ami idéal avec qui on a envie de descendre cul sec une bouteille de calva tout en allant chanter sous les fenêtres du président de France Télévision que les bourgeois c’est comme les cochons, plus ca devient vieux, plus ca devient bête.

Calvi, c’est le tonton adoré de nos repas de famille du dimanche après-midi qui en a toujours une bonne a raconter, qui aide la maitresse de maison à débarrasser, une fois les agapes achevées, et qui s’en va jouer après, à la balle au prisonnier avec tous les marmots de la famille, pendant que le reste de la troupe sirote son café en se foutant de sa gueule. Le voisin qu’on n’hésiterait pas à déranger pour voir si d’aventure il ne veut pas aller parlementer avec le locataire du dessus pour le prier gentiment de baisser un peu la musique. Le type à qui on demanderait, sans même le connaître,  de nous aider à changer le pneu de la Renault vu que moi en mécanique…. Tout juste si on ne se réjouirait pas de savoir qu’il est l’amant de votre femme.

Calvi, c’est Flaubert se prenant pour Bouvard dans Bouvard et Pécuchet, avec ses expressions bien à lui, “moi je sais pas mais depuis que je suis journaliste j’ai toujours entendu “et dieu sait que nous autres français quand il s’agit de critiquer ou de se plaindre on n’est jamais les derniers”, “vous voyez parfaitement ce que je veux dire mais vous ne voulez pas répondre ce que je peux comprendre tout à fait”, “voilà qu’est-ce que ça veut dire exactement que la Grèce est en faillite et je vous demanderai d’être le plus clair possible tant on n’y comprend plus rien à cette affaire”

Yves Calvi, apprenez que pour la première fois de ma vie, moi, tout Sagalovitsch que je suis, j’ai été amené à envoyer, pas plus tard que la semaine dernière, un mail au service des réclamations de France Télévision, non pas pour confier mon inquiétude de trouver que depuis quelques jours, vous aviez une petite mine, ou que décidément votre chemise couleur violette jurait de trop avec la cravate jaune de votre invité posté juste à votre gauche.

Non, non, pour me livrer à ce genre de préoccupations, j’attends de me retrouver dans les catacombes d’une maison de retraite, au fin fond de la Dordogne. Cette fois là, l’affaire était plus que sérieuse. Vos patrons, pour un prétendu droit à l’image, nous avait coupé, à nous autres expatriés, déracinés et autres déportés de leur terre natale adorée, la retransmission de vos émissions. Comme ça, du jour au lendemain. Sans un mot d’explication. Plus rien. Deux cent fois, j’ai relancé mon abruti ordinateur pour qu’il consente à me donner ma ration quotidienne de C’est dans l’air. En vain. Stupéfaction. Anéantissement. Très vite sont apparus à peu près les mêmes symptômes que j’avais éprouvés lorsque j’avais essayé d’arrêter net de suçoter mes pastilles de temesta.

Des tremblements inopinés, des crises de larmes soudaines, des envies irrésistibles de défenestration. Je voyais mon existence défiler sous le joug monotone d’une vie privée de votre auguste lumière. Je songeais très sérieusement à écrire à David Douillet, mon tout nouveau secrétaire d’Etat, pour lui demander d’user de tout son poids, afin que France 5 revienne sur cette décision des plus sottes. Heureusement d’autres que moi s’en sont chargés, se sont facebookés sous l’intitulé, rendez-nous c dans l’air!!, et depuis hier, vous êtes à nouveau à mes côtés. Mais quelle frayeur.

Je vous en conjure, plus jamais ça, mon cher Yvon. Mon coeur n’y résisterait pas.

 

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