Jobard comme Jobs

 

En pleine nuit, le rédacteur en chef imaginaire de Slate m’a convoqué au bout du fil en me disant Saga, lèves toi et écris, Steve Jobs démissionne- Qui? – Steve Jobs- Qui donc ? – Steve Jobs- Job? Mais c’est impossible, je viens de recevoir de lui une carte postale où il me raconte qu’il a été avalé par une baleine avant d’être relâché aux confins de la mer septentrionale en Assymérie Orientale- Tu confonds avec Jonas, morpion de séfarade que tu es. Je te parle de Job là. De Steve Jobs. Le Big Boss de chez Apple- Connais pas- Apprends à le connaître. Je veux un papier dans l’heure. Topic: Le Monde ne sera plus comme avant.

J’ai raccroché. J’ai servi un grand whisky à mon chat et je suis allé annoncer la nouvelle à mon ordinateur. On doit écrire un papier sur Steve Jobs- Pourquoi il est mort? Non il démissionne- Ah. Et alors?- Rien. On doit juste écrire un papier dessus- Pourquoi?- Je ne sais pas, je suppose que cela doit être grave. Tu connais Steve Jobs toi?- Moi, non, tu sais bien que je suis en froid avec les Macintosh, depuis que ma femme m’a quitté pour un Ipad, dernière génération- Dur. Je ne savais pas, désolé- Pas bien grave. Alors comme ça ce bon vieux Steve jette l’éponge?- Il paraît. Sers moi une partie de solitaire, tu veux bien? Sans glace. Sec. J’ai besoin de chauffer mes neurones.

Le Monde ne sera plus comme avant.

 

La nouvelle est tombée, froide, sèche, glaciale. Avec des accents funèbres et des soupirs tragiques: Steve Jobs, l’éminence grise de chez Apple, le bâtisseur génial d’un empire tentaculaire, le génie révolutionnaire de notre époque, à démissionné de ses fonctions pour des raisons médicales.

Le Monde ne sera plus comme avant.

Visionnaire avant l’heure, autodidacte, doué d’une intelligence hors du commun, Steve Jobs a changé notre facon de concevoir et d’appréhender le réel et a modifié d’une maniere profonde, les fondements même de notre existence. Depuis Einstein et sa théorie de la relativité, le monde n’avait connu pareil bouleversement, opéré par la seule puissance de la pensée d’un individu. En proposant de commercialiser son invention, consistant à établir un système opérationnel à même de permettre à la grande bourgeoisie de se différencier du peuple, lors de l’achat de son matériel informatique, il a créé une frontière décisive et ultime entre les gens ordinaires et les meilleurs d’entre nous.

 

Il a permis à toute une classe dirigeante de s’émanciper des fanges stagnantes de la médiocrité quotidienne, où elle était forcée de cohabiter avec le commun des mortels, pour s’élever et s’épanouir grâce à une gamme de produits vendue à des prix sublimement prohibitifs.

Le Monde ne sera plus comme avant.

Le tout accompagné d’un design dont l’originalité toute dépouillée, avec pour seul signe distinctif, une simple pomme déclinée sous toutes les couleurs tout en étant suavement croquée par une bouche imaginaire, et ce, afin de ne pas la confondre avec une cerise, fruit comestible issu du merisier sauvage, et, par essence, incroquable, contribua à faire chavirer de bonheur et d’extase des générations de consommateurs, fiers d’appartenir à une élite enfin reconstituée dont les mots d’ordre seraient, envers et contre tous, classe, raffinement, élégance.

Le Monde ne sera plus comme avant.

La classe inimitable d’un ordinateur racé et véloce comme un vol de guépards, le raffinement inné de téléphones portables au port inimitable, l’élégance éblouissante d’un Ipad tactile à la délicatesse infinie, telles étaient et demeurent les termes fondateurs, constituant le paradigme jobsien, la représentation d’un idéal consumériste communautaire incarné par la figure tutélaire de patriarche de bâtisseur de Steve Jobs qui, mieux que quiconque, avant tout le monde, avant Marx et Engels, avait compris que pour tenter d’exister dans une époque caractérisée par son affligeante uniformité et sa morne appétence pour une démocratie bâtarde où chacun se renverrait son image à travers la découverte de son téléphone portable, il était plus que jamais nécessaire de proposer à ceux, désireux de ne pas sombrer dans l’infâme mainstream des illusions communes, des produits capables d’apporter à l’âme d’une civilisation tristement formatée un salutaire sursaut.

Le Monde ne sera plus comme avant.

J’ai rien compris m’a dit mon ordinateur- Moi non plus- Tu crois que le chef sera content?- On s’en tape, il est en vacances, il ne rentre que Lundi- Une petite partie de solitaire vite fait alors?- D’accord mais il nous faut un titre avant- Rabbi Jocobs?- Marche pas, il est goy- Pauvre comme Jobs?- Tu parles il est riche comme Crésus- Jobard comme Jobs ? Ca ne veut rien dire- Justement, c’est comme ton papier-  Bien vu, marché conclu. Envoie les cartes.

 

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