Le Roi de la Pope

 

Le Vatican n’est plus ce qu’il était. En choisissant Madrid comme lieu de villégiature pour la jeunesse bâtarde du monde entier, il pensait avoir choisi une destination de rêve à même de combler de joie et de grâce mêlée, des centaines de milliers de brebis estivales, assoiffées de conseils pour comprendre comment ne pas se perdre sur les sentiers vénéneux de l’existence, écouter les paroles du roi de la pope et repartir, une bible dédicacée sous le bras, avec, dans sa trousse de secours, entre deux stylos en forme de crucifix et trois stickers de la vierge, un précieux fascicule à apprendre par cœur dans l’avion du retour, expliquant comment continuer à croire dans nos sociétés despiritualisées et matérialistes et suivre à la lettre le chemin tracé par la star auto-proclamée du Nouveau Testament que Dieu, dans son infinie sagesse, adopta comme porte-parole, pour nous rappeler que sans Amour, la vie ne valait tripette.

Patatras, non seulement l’office de tourisme de la cité vaticane, a dû se taper la grève soudaine des footballeurs espagnols, inquiets de ne pas pouvoir arriver à payer les traites de la douzième Ferrari offerte pour la bar mitzva de leur chien adoré, empêchant le troupeau égaré de se rendre en pèlerinage à San Bernabeu pour contempler, éperdu d’admiration toute christique, les dribbles de moins en moins fantasques de Ronaldo et les tacles de plus en plus gracieux de Pépé le Moko, mais de plus un orage à ne pas mettre un pape dehors a empêché ce dernier de réciter son homélie homérique devant une foule trempée jusqu’aux os, condamnée à barboter dans des flaques d’eau grandes comme le lac de Tibériade.

Bref, une bien mauvaise semaine pour les redresseurs de torts et les détenteurs de la Vérité.  

N’empêche, on a beau jeu de se moquer et de ricaner sous cape comme le dernier des cancres, on reste toujours un peu embarrassé et perplexe devant ce genre d’hallucination collective, estomaqué par le nombre fantasque de bambins pèlerins accourus en rang serré, d’un peu partout du globe, pour chastement fraterniser en se tenant la main, afin de mieux prier le Sauveur de venir les éclairer et les aider, au lieu de parfaire, en toute décontraction, leur kamasutras personnels à l’ombre de Clubs Med lubriques où coups de reins dévastateurs et roulages de pelle intensifs constituent les principales activités de la journée.

 

C’en serait presque émouvant cette volonté forcenée de vouloir s’élever de sa propre médiocrité et léviter dans des latitudes où l’esprit triomphe enfin sur le corps, de s’essayer à devenir coûte que coûte meilleur et plus attentif aux souffrances de son prochain, de ramener l’homme au centre de ses préoccupations, de tenter de remettre du sens là où ne règne plus que le chaos et la confusion des sentiments.

Alors que pour la plupart d’entre nous, rendus cyniques et désabusés par un monde de plus en plus indéchiffrable, nous avons depuis longtemps baissés les bras, déposé les armes, amers de découvrir qu’il n’y avait plus d’idéal à construire, plus de châteaux en Espagne à bâtir, plus de cause à défendre, si ce n’est celle de surveiller son propre compte en banque, condamné à verser dans le nihilisme ou dans la surconsommation d’objets parfaitement inutiles, empruntant des voies de garage qui nous rendent désillusionnés et passifs, englués dans les épaisseurs de nos confortables canapés d’où l’on assiste, indifférents, à la dégringolade d’une civilisation censée promouvoir, à son origine, le bonheur pour tous, paix sur la terre et Noël à tout les repas.

En même temps, voir tout ces gosses tomber en pâmoison devant un vieux monsieur en sandalettes recèle quelque chose d’infiniment triste. Comme un parfum d’abandon. 

Comme si ces adolescents, alors même que la partie n’a pas encore commencé, disaient stop, je ne veux pas jouer, vivre comporte trop de risques, les tentations sont trop nombreuses, je n’ai pas la force de m’affronter, je n’y arriverai pas, je sens que je risque à tout moment la sortie de route, je ne veux pas me précipiter dans le ravin, je veux rester à jamais dans le confort douillet d’une existence vouée à un être qui me comprend et me prend par la main, m’indique où se cachent les pièges et comment parvenir à les éviter.

La vie est trop effrayante pour moi, je n’ai pas confiance en moi, je ne veux pas souffrir, je ne veux pas connaître le doute, je ne veux pas me perdre dans la luxure et la débauche, je veux être préservé de toutes ces horribles tentations, je renonce, voilà c’est ça, je renonce. Je renonce à vivre. J’ai l’assurance que cette vie là n’est pas la vraie vie. La vrai vie est ailleurs. Dans l’au-delà. Ici je ne suis que de passage. Juste un mauvais moment à passer. Suffit que je ferme les yeux et tout se passera bien. Je sais que je suis dans le vrai.

Du coup, fatigué par mes propres errances et séduit par ce discours apaisant, je me suis converti en ligne. Sur le site du Vatican. A la rubrique Nous Contacter. J’ai renoncé à tout mes péchés capitaux. Mon maigre pécule, je l’ai viré à la banque papale. J’ai envoyé paître femmes et maîtresses. J’ai juré fidélité à ma paroisse. Je me suis débarrassé de tout mes biens matériels qui encombraient mon corridor. Je n’ai gardé que mon chat qu’à la seule condition qu’il obéisse à une diète de quarante jours.

Déjà je ressens les premiers bienfaits de mon amour et ma nouvelle dévotion pour Lui.

Hier, Saint-Étienne a arraché un match nul inespéré contre l’OM. Remy a flingué le poteau. L’arbitre a oublié de siffler un pénalty. Ils sont sur le podium.

Du coup, je songe à me recirconcire la queue. Sans anesthésiant bien sûr. Si après ça on n’est pas champion….

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