La sortie de la rentrée littéraire (I)

 

Pendant que les français sont encore en vacances à jouer à la marelle avec leurs marmots tout en veillant à ce que belle maman ne chope pas un méchant coup de soleil en jouant au jokari avec le canari de la voisine, les libraires eux sont au taquet.

Les nouveautés de la sacro sainte rentrée littéraire ont débarqué en masse dans l’arrière boutique, près de huit cents inutiles et, pour la plupart d’entre eux, illisibles romans, parqués dans des containers fourre tout, qui partouzent sans vergogne, en attendant de grimper dans un wagon de la mort qui les conduira sur une étagère anonyme, planquée au fin fond des catacombes de la librairie où, pour nombre d’entre eux, ils resteront cantonnés pendant quelques semaines, le petit doigt sur la couveture, sans même avoir l’honneur d’être jamais visités, palpés, touchés, humés.

Avant de retourner par un dimanche pluvieux dans l’arrière boutique, puis d’être conduits un beau matin, à l’aube, dans la basse fosse d’une usine de décontamination et d’incinération afin de servir comme purin pour des couches culotes recyclables.

 

Et pendant ce temps là, les écrivains, enfin n’exagérons rien non plus, disons les personnes qui ont commis un livre qu’un aimable éditeur pour des raisons obscures a décidé en fin de compte de publier, feignent de jouer à l’indifférent, tout en parcourant de long en large, de jour comme de nuit, comme des fantômes du chapelier, les rues de leur ville, passant à toute vitesse devant la vitrine des librairies, déguisés de pied en cap pour ne pas être reconnu, en priant pour que leur poulain ait l’honneur de trôner dans la devanture du libraire de la grand place ou du moins qu’il soit bien disposé sur la table d’honneur du bouquiniste ou encore qu’il se retrouve planqué sous la table du banquet ou alors qu’il colonise la petite table de pique nique toute branlante que le marchand désabusé a rapporté de ses vacances en Ardèche et qui se trouve être postée tout à côté de sa collection de remèdes homéopathiques contre les hémorroïdes.

On ne dira jamais assez l’effroi de l’écrivain, enfin disons de celui qui a empilé des pages et qu’un complaisaint éditeur pour des raisons mystérieuses a décidé d’assembler en livre, qui, rentrant par mégarde dans une librairie, ne trouve pas du premier regard sa grande œuvre.

C’est aussi traumatisant et déstabilisant que de se rendre à la maternité après l’accouchement de madame et de ne pas découvrir son nouveau né dans la nurserie où s’entassent pêle mêle les nouveaux nés gémissant et braillant à tûe tête. Sauf que généralement dans ces cas là, après une seconde d’égarement, une gentille infirmière tapote à travers la vitrine pour vous dire que l’affreuse petite chose toute écarlate qui gigote dans le berceau, situé au troisième rang, cinquième colonne en partant de la gauche du milieu, vous appartient bel et bien.

L’écrivain, enfin disons celui qui a tapoté des mots sur un ordinateur et qu’un bienveillant éditeur pour des raisons toutes personnelles, a décidé d’imprimer sous forme de livre, lui, reste seul. Atrocement seul. Hagard. Le regard vitreux. Les bras ballants. La mine ahurie. Le visage décomposé. Voyons, voyons, j’ai du mal regarder, il doit sûrement se trouver sous mes yeux mais, fébrile comme je suis, j’ai dû le manquer.

Et le voilà reparti bille en tête pour une visite en règle de la librairie.

Après une bonne demie heure passée à fureter ici et là, à jongler avec les dernières nouveautés que quelques journaux bien télémarisés et leurs affidés labelisés ont déja consacré comme « un livre d’une beauté ensorcelante à lire toute affaire cessante «,  il finit par retrouver son chérubin de roman, égaré au beau milieu une pile disgracieuse toute foutraque qui monte au ciel en colimaçon, la plupart du temps un seul exemplaire qui crève déjà de solitude glacée, et qui le regarde d’un air coupable en lui disant comment tu as pu me faire ça.

Bien souvent l’écrivain, enfin disons celui qui a torché sur un cahier d’écolier une histoire à dormir debout et qu’un affable éditeur pour des raisons insoupçonnables s’est décidé à lui offrir un abri de fortune sous la forme d’un livre, s’achètera son propre rejeton en veillant à payer en liquide pour ne pas attirer les soupçons du libraire intrigué, non pas de voir qu’un écrivain achète son propre livre ( qui d’autre ?) mais bien  plus qu’un tel livre puisse exister.

Je sais, je l’ai vécu. Dans ma chair. Certes, ayant tout de même ma fierté (et surtout étant fauché comme une plantaison de mais génétiquement modifiés après un passage de la bande à Bové) je n’ai pas été jusqu’à me l’acheter mais c’est tout comme.

Mais ceci ne constitue que la première étape. Vient ensuite le temps de l’humiliation. La vraie. Cela commence par une visite obligée chez Monsieur Joseph Gibert Le Jeune, l’infâme bouquiniste parisien du boulevard Saint Michel qui prospère sur la misère des pauvres gens et courtise depuis la nuit des temps, des générations de pauvres hères obligés de se séparer des cadavres de leurs œuvres favorites pour payer la bouffe de leur chat.

Là au moins vous êtes assurés de trouver votre bambin. Et qui plus est en grand nombre. En très grand nombre même. Une vraie pile, cette fois. Seul problème : il est vendu contre la somme symbolique d’un euro, affublé d’une affreuse étiquette jaunâtre, estampillée livre d’occasion alors que bien entendu il est aussi frais qu’un poisson vendu sur un étal d’un maraîcher breton. Le coupable : l’enfoiré de critique à qui l’écrivain, enfin… blablabla  l’éditeur…blablabla…a publié, quelques semaines plus tôt, a envoyé son livre, accompagné d’une dédicace toujours niaiseuse et dégoulinante d’imbécillités aimablement circonstanciées, vu que petit un il n’a jamais partagé sa couche avec le dit critique, et que petit deux, il se trouve être à sa deux cinquante septième dédicace de la matinée et n’a plus de monnaie pour payer l’horodateur.

Et donc pendant que l’écrivain…blablabla…que l’éditeur .. blablabla a publié , effectuait, à ses propres frais, son pèlerinage à Lourdes pour demander à Bernadette de veiller sur son chef d ‘oeuvre, le critique lui en profitait pour se délester en douce du livre chez Madame Gilbert, 5o euros, capote comprise. Sans même l’avoir ouvert évidemment.

Je sais, je l’ai vécu. Je veux dire que, dans une autre vie, j’ai aussi pratiqué la tactique du critique apatride fréquentant assidûment le service social de chez Monsieur Gibert…

( A suivre)

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