La sortie de la rentrée littéraire (3)



Fin septembre, le sort est jeté : il existe désormais la confrérie, très sélect et partant très courue, des écrivains qui peuvent se vanter de figurer sur la liste des prix, affichée sous le préau de la préfecture de la république des lettres, et les autres, tous les autres, la cargaison des cancrelats de la rentrée littéraire, qui parcourant, les jambes flageolantes la liste des candidats à l’élection du plus grand écrivain de leur génération, découvrent, horrifiés, que leur nom n’apparait nullepart, ni du coté des Médicis, ni chez les Goncourt, pas plus auprès des Renaudot. Les académiciens les ont superbement ignorés, le Flore et le Deux-Magots ne savent même pas qu’ils existent, le Wepler et le Décembre sont au regret d’annoncer que ce ne sera pas pour cette année, le Femina ne répond plus, l’Interallié leur tournent le dos.

Voilà c’est fini.

Votre concierge ne vous salue plus, votre chat refuse de jouer avec vous, vos enfants vous traitent de raté dans votre dos et se contentent de répondre désormais, quand on les questionne sur la profession de leur père, par un laconique “chômeur et encore”, votre femme voit s’envoler ses rêves de manteaux de vison, de résidence secondaire sur la côte d’opale, de dîners protocolaires avec Bernard Pivot comme maître de cérémonie à la table des grands restaurants de la capitale, et se met à souffrir, du jour au lendemain, de migraines atroces.

Votre attachée de presse vous oblige à payer le café qu’elle a daigné prendre avec vous, entre deux agapes avec des écrivains, eux, dûment sélectionnés ; votre éditeur vous traite d’incapable et joue aux fléchettes avec vos invendus ; votre libraire, sitôt qu’il vous voit débarquer dans sa boutique, file tout droit se planquer derrière la pile des livres plastronnant en tête des ventes, des livres qui, eux, vont se vendre et lui permettront d’embaucher une sémillante et pétillante stagiaire pour préparer les fêtes de noël, pas comme votre torchon dont la pile n’a pas bougé depuis une éternité, depuis le jour où en fait, vous avez dû soudoyer votre meilleur ami ou votre neveu, pour qu’il daigne s’en aller acheter un exemplaire de votre roman.

Recalé. Mis au rebut de la société. Hors jeu. Désormais vous gênez. Jusqu’alors, même si vos ventes ressemblaient à l’encéphalogramme d’Ariel Sharon depuis son accident vasculaire de janvier 2006, c’est à dire une ligne morne, étale, accablante de monotonie lasse, on espérait encore, au regard de la qualité indéniable de vos écrits, de la richesse somptuaire de votre style, de l’originalité de votre histoire, de cette façon bien à vous que vous aviez de détourner les codes romanesques pour mieux vous les réapproprier (cf. à la quatrième de couverture écrite au temps où votre éditeur croyait encore en vous) que les jurés des prix littéraires, en conscience, ne pourraient rester insensibles à la qualité de votre œuvre, et s’empresseraient de vous coller un triple AAA, délirant d’enthousiasme, synonyme de figurer en bonne place dans la kommandantur de livres à lire toutes affaires cessantes, sous peine de passer pour le crétin de service lors du prochain repas de famille quand, après avoir évoqué et réfléchi sur le problème de la dette grecque et des conséquences éventuelles de sa sortie de l’euro, on se tournera vers vous, en disant, au fait, toi qui est de la partie, t’en penses quoi du dernier Concourt (facile, je sais, je suis fatigué et j’ai faim)?

Sauf que, la plupart du temps, les dits jurés n’ont jamais, jamais, jamais lu votre livre. Et pour cause. Non seulement ces messieurs dames, vu leurs âges avancés, souffrent bien souvent de cataractes à répétition qui les amènent à confondre, lors de l’heure de leur souper, servi à 5 heures tapantes par une domestique à demeure, un pavé de saumon avec une tranche de jambon sans sel, mais de plus, ils voient décliner, jour après jour, leurs facultés intellectuelles, qui, si elles ont existé un jour, ce qui reste encore à prouver, ne sont plus désormais que des souvenirs lointains, des phares abandonnés qui ne servent plus que de reposoir à des vagues fatiguées.

Sans parler de leur forme physique, aussi pétaradante que celle de Nicolas Anelka lors du dernier mondial.

Si bien que tenter de tourner la page d’un livre leur demande des efforts surhumains qu’ils payeront plus tard, lors de la rituelle partie de bridge, avec leurs chers confrères du cercle de gériatrie de la société des gens de lettres, à laquelle on ne peut adhérer qu’après avoir répondu à des critères très stricts : être âgé de plus de 75 ans, penser que le Général de Gaulle est encore en vie, payer l’impôt sur la fortune, tenir ou avoir tenu une rubrique dans les pages de Madame Figaro, posséder un château en Bourgogne, être passé à Apostrophes, un jour de novembre 1977, avec Jean d’Ormesson ou Michel Tournier comme voisin de droite, penser que la littérature française n’a pas d’égal dans le monde, que les américains sont des péquenots incultes, les anglais des pédophiles en herbe, ou que la littérature espagnole n’est qu’une vue de l’esprit.

Demeure le dernier espoir. Celui du deuxième jeudi d’octobre quand sur le coup de midi, le prix Nobel de littérature sera décerné, en grandes pompes, par l’académie suédoise. Sauf que, là aussi, la vieillesse inhérente à ce genre d’institution engendre immanquablement des comportements débilitants. Soyons sérieux, quel crédit apporter à une institution qui a récompensé Pearl Buck, Doris Lessing, Gunter Grass, William Golding, Le Clézio et a oublié Joyce, Kafka, Fitzgerald, Proust, Woolf, Lowry, Nabokov, Mailer, Miller, Borgès, Simenon, Musil, Grombowicz, Pynchon, etc, etc, etc ? Un peu comme si le ballon d’or avait oublié de révérer Platini, Van Basten, Cruyff, pour le refiler à Ribery, Toulalan et Govou.

Vous mourrez donc inconnu.

Enfin pas tout à fait. Statistiquement, il est presque impossible, si vous persistez à écrire des romans qu’un éditeur persiste à publier, de ne pas recevoir un jour ou l’autre un prix littéraire. Il en existe, selon le site prix-littéraire.net, 1932 en tout. Si après tout cela vous n’êtes pas fichu de recevoir un prix, peu importe lequel, que ce soit le Grand prix de la bibliothèque municipale de la piscine municipale du stade municipal Eugene Delacroix de la banlieue de Mourmelon, ou le premier prix du deuxième étage, chambres impaires, de la maison de retraite Jeanne Calmant, ou encore, pour les cas plus désespérés, le prix des écrivains croyants, il reste deux solutions à envisager : soit vous êtes un génie absolu, soit…

 

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