Bonne nouvelle : les Smiths ne se reforment toujours pas

C’est le plus grand fantasme de n’importe quel organisateur de festival de musique au monde : annoncer à la planète médusée que le temps d’un concert les Smiths se reformeront.

Le festival de Coachella qui se tient courant avril, en Californie, pensait avoir décroché le pompon. Ils avaient même assuré Morrissey, bouffeur de légumes crus devant l’éternel, que durant les festivités, il ne serait procédé à aucun holocauste de viande.

Evidemment, comme d’habitude, se drapant dans sa splendeur immaculée, le Moz a dit niet. Moi vivant, les Smiths resteront ce qu’ils ont toujours été : le plus grand groupe de pop anglaise depuis les Beatles. Voir d’avant les Beatles.

Au lecteur ahuri qui se gratterait les couilles enfarinées en se disant mais c’est qui les Smiths au juste, je n’aurai qu’une seule amicale parole : dégage de cette page et va te palucher en écoutant Oasis. Les autres peuvent rester.

Pour le fan des Smiths, la possible reformation de leur groupe chéri sonnerait comme un désaveu cinglant et anéantirait à tout jamais l’admiration quasi-religieuse qu’il porte à ce groupe.

Ce serait accepter que finalement, à postériori, les Smiths étaient un groupe comme les autres. Qu’eux aussi, au final, étaient prêts à souiller leur âme juste pour amasser quelques euros de plus.

Prêts à feindre la joie de retrouvailles forcément factices qui sonneraient comme autant de renoncements aux valeurs quasi sacramentelles qui ont fondé l’essence et l’unité même du groupe : la pureté, l’intransigeance, la radicalité, le refus de tout compromis, la promesse de ne jamais tricher, de ne jamais se soumettre aux lois du marché, de tracer leur route sans jamais s’acoquiner avec l’industrie racoleuse et putassière des grands majors imposant leurs diktats à des groupes prompts à accepter tous les renoncements pour s’imposer sur la scène musicale.

Moi je suis intact et ça m’est égal écrivait Rimbaud dans une saison en enfer.

Les Smiths ne peuvent pas se reformer.

Ce serait ressenti comme un crachat lancé à la face de leur étincelante jeunesse.

Un affront à tout ce qu’ils ont pu représenter et incarner dans l’imaginaire de ceux qui continuent à les révérer comme le groupe qui aura su, mieux que quiconque, consoler leur coeur pour mieux leur dire qu’ils n’étaient pas seuls au monde : cette grâce inouïe, cette mélancolie buissonnière, cette tristesse joyeuse et soyeuse que dégageait chacune des chansons composées par Marr/Morrissey/Joyce/Rourke.

Même s’il est vrai que la plupart d’entre nous n’ont jamais vu les Smiths en live.

Et que de temps à autre, dans nos moments de faiblesse, il nous arrive  de penser que de les voir en concert ne serait-ce qu’une seule fois, ce serait comme une apothéose. Ce serait inimaginable d’intensité et d’émotion. Ce serait beau à en chialer. Ce serait comme de remonter le temps et de croire encore tous les lendemains possibles.

Sauf que non.

Une fois le concert achevé,  une fois l’euphorie des retrouvailles passées, une fois ce moment de grâce à jamais évanoui, nous nous réveillerions au petit matin blafard avec un goût amer de cendres dans la bouche.

Ce même goût atroce qui nous étreint le cœur quand après des années de poursuite assidue, la femme de nos rêves se donne enfin à nos envies pour mieux se débarrasser de nous.

Alors l’image de  cette femme devenue par principe inacessible, perchée dans des olympes dorées, s’affadirait.

Alors elle nous apparaîtrait comme soudainement laide et affreusement banale.

Et très vite nous en viendrions à regretter cette virgule de de félicité où durant une nuit brûlante nous avons cru la posséder.

Il faut continuer à rêver qu’un jour les Smiths finissent par se reformer. En priant le ciel pour que ce souhait ne soit jamais exaucé. C’est là le prix à payer pour que les Smiths restent ce qu’ils ont toujours été : le plus grand groupe du monde de la terre.

 

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Les mariés de l’ennui

A priori je n’ai aucune compétence particulière pour traiter de l’épineux sujet du mariage gay : je ne suis pas marié pas plus que je ne suis gai. Concernant cette dernière non-qualification, je n’ai aucun mérite. Il est bien connu que, de toute éternité, enfin mettons depuis l’éradication sauvage et radicale de Sodome et Gomorrhe, il n’existe pas, bien entendu, de juifs gays. Ça se saurait. Aussi impossible à dénicher qu’un catho qui vote à droite ou qu’un musulman qui supporte le PSG. Une impossibilité métaphysique passible de provoquer chez la mère juive une envie irrépressible de défénestration voire d’un génocide de toute la famille, chats et chiens compris.

J’avoue, fort de mon ignorance crasse sur le sujet, que je ne comprends pas bien cette obsession enragée de la communauté gay de vouloir à tout prix s’en aller saluer Monsieur le maire avant de se rouler une pelle devant le parterre de la mairie sous une pluie de riz basmati. Être gay pensais-je c’était comme être punk.

 

L’affirmation enragée d’une rébellion à l’ordre public, un crachat envoyé à la face de la bourgeoisie bien-pensante, un bras d’honneur adressé à l’endroit de l’ensemble des corps constitués. Le refus obstiné des conventions. Une manière de vivre bien à soi qui n’admet aucune concession. Vivre à la marge tout en assumant pleinement sa différence. Effrayer le bourgeois et s’en féliciter. Se rire des regards offusqués de la concierge de l’immeuble.

Au lieu de quoi, une frange non négligeable de la communauté gay et lesbienne réclame à cor et à cri sa part de normalité. Les voilà qui veulent à tout prix rentrer dans le rang. Se fiancer, publier des bancs, se marier, s’endetter pour s’offrir une soirée de gala dans un hôtel des beaux quartiers, s’emmerder à aller de table en table pour s’assurer que le saumon est bien goûtu, se trémousser en cadence sur C’est bon pour le moral de la Compagnie Créole, s’enquiquiner avec des marmots de substitution, régler ses impôts sous le régime commun, s’acoquiner avec un plan d’épargne, s’acheter une concession commune au cimetière municipal.     

Arthur Rimbaud acceptez-vous de prendre pour époux Monsieur Paul Verlaine ? Gertrude Stein acceptez-vous de prendre pour épouse Mademoiselle Alice B.Toklas ? Steve Morrissey acceptez-vous de prendre pour époux Steve Morrissey ? Non, messieurs dames, je refuse. De toute mon âme. Je ne suis pas comme vous. Je ne veux surtout pas être comme vous. J’ai en horreur tous ces protocoles sentencieux qui ne sont là que pour rassurer la société et l’empêcher de dérailler. Je suis un hors-la loi.

En voulant renoncer à leur pouvoir de provocation, les gays ne sont-ils pas en train de se perdre et perdre de leur force de déstabilisation ? Ne sont-ils pas désireux avant tout de s’embourgeoiser, de se normaliser au risque se de détourner de ce versant sulfureux qui les rend si indispensables au bon déroulement de la vie moderne ? A l’image des juifs qui veulent à tout prix s’assimiler, se fondre dans le décorum et le grand barnum de la République, au risque de se diluer et in fine de disparaître, de renoncer à ce qu’ils sont : des empêcheurs de tourner en rond, des êtres impossibles, inclassables, dérangeants, des êtres du dehors voués à servir de repoussoir et de bouc-émissaires.

Le juif assimilé est tout autant utile à la société qu’un gay banalisé. Il rejoint le troupeau des masses bien-pensantes, propres sur elles, impeccables de rectitude, pétries de sens commun, réduites à mastiquer une existence sage comme la mort, sans aspérités, sans heurts ni fracas.

Une vie peureuse qui n’engendre que des comportements rassis et des sentiments moisis.

Des vies au rabais.

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Mes disques de l’année

Les fins d’années n’en finissent jamais d’en finir avec leurs fins qui n’en finissent pas d’en finir et d’en finir encore, agonie de jours que chacun d’entre nous a l’obligation d’aborder une plume dans le cul et le sourire aux lèvres. Un sourire de circonstance dicté par l’air du temps qui exige, réclame, somme le couillon de service que nous feignons croire être toujours le voisin d’à côté, de se tenir à carreaux durant une quinzaine pendant laquelle la valse accélérée du monde se fige, le temps suspend son vol, tout le beau monde, invité à fraterniser, la main sur le cœur, rivalise de sottes amabilités convenues juste avant de reprendre les hostilités.

Le temps béni des cadeaux inutiles, des embrassades forcées, des souhaits prononcés mais jamais vraiment pensés, du bilan amer de nos vies qui, dans le chas d’une année, se sont encore un peu plus effilochées, de nos espérances défuntes, du carrousel de nos promesses non tenues qui nous rendent encore un peu plus mélancoliques et amers devant ces armées d’années damnées qui passent, passent, sans que jamais rien ne change, sans que nos vies n’empruntent d’autres trajectoires que celles de nous rapprocher toujours plus près des portes des chapelles de nos sinistres et paisibles cimetières, tout en continuant à ruminer des existences médiocres qu’il nous faut mettre entre parenthèses, le temps de se consoler, à l’ombre d’un sapin de Noël ou d’une Menorah, en tentant de donner le change, quand bien même le cœur serait plus prompt à vomir des pensées funèbres, et que l’âme en berne vrombirait plus volontiers des chants lugubres murmurés dans la solitude glacée du caveau de nos espoirs éteints.

 

C’est aussi le temps où, dans les journaux vides comme des urnes funéraires délaissées à des fossoyeurs désoeuvrés, on dresse la liste imbécile des cents meilleurs livres, des cents meilleurs disques, des cents meilleurs films, toute cette ribambelle de palmarès qu’on est condamné à ingurgiter pour pouvoir fanfaronner le soir du réveillon lorsque les bulles de champagne aidant, nos langues volubiles déclineront nos coups de cœur qui ne seront que des coups d’épée dans l’eau mais qu’importe, l’heure sera à la fête, nos esprits prendront plaisir à robinsonner, nos yeux s’amuseront à papillonner, nos papilles se régaleront de tranches de saumons carbonisés et de foie gras flasques et mous comme des cervelles de babouins.

Donc, avant mes livres de l’année et mes films de l’année, mes disques de l’année :

If you’re feeling sinister de Belle and Sebastian : personne n’aurait parié un kopek sur cette bande de troubadours écossais chantant dans des églises des comptines d’autrefois. Et pourtant en dix chansons impeccables, dix petites merveilles de ritournelles pop, dix mélodies intemporelles qui déclinent des vies compliquées aux sentiments contrastés, Belle and Sebastian a signé là l’album le plus abouti de l’année voire de la décennie. D’ores et déjà un classique. (Jeepster Records. 72 francs)

“Vauxhall and I” de Morrissey : On s’était résigné à n’aimer Morrissey que d’un amour posthume en évoquant le temps radieux où avec Johnny Marr il ensorcelait le monde à coups de chansons et de refrains inoubliables qui auront rythmé toutes nos années d’adolescence. Avec son dernier opus, Momo a retrouvé la grâce des albums des Smiths. Aérien, inspiré, léger, l’album vole de chansons en chansons qui claquent comme des hymnes à une vie presque radieuse où Morrissey, sûr de sa voix et toujours aussi à l’aise pour parler de lui, semble avoir enfin trouvé sa place. Celle d’un chanteur toujours aussi détaché des réalités du quotidien et qui confie, sans fioriture, sa difficulté à s’assumer dans un monde qui ne l’intéresse pas plus que cela.  (Parlophone. 66 Francs)

Amsterdam de Jacques Brel : Indubitablement la claque de l’année. L’on savait Brel déjà capable de tout, prompt à flinguer dans le même mouvement le curé et le bourgeois, les gens assis et les adultes rassis mais on ne s’attendait pas à une telle violence, à un tel déferlement de sentiments crachés avec la rage désespérée d’un chanteur qui nous postillonne à la gueule la vie de ces marins revenus de tout, et qui, grandiloquents dans leur désespérance, se suicident le temps d’une chanson incandescente, avec ce gémissement d’accordéons allant crescendo jusqu’à l’apothéose finale. Un véritable morceau de bravoure qui en  trois minutes fracasse et balaye tous les codes installés de la chanson populaire et installe à jamais Brel comme notre poète le plus accompli depuis Villon. (Barclay. 24 francs)

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Heureux qui comme Nico a fait un beau transfert

Au grand soulagement des supporters de Chelsea, las de dépenser leurs livres sterling pour voir évoluer un joueur aussi motivé pour gambader sur la verte prairie de Stamford Bridge que Morrissey pour avaler un steak frite bien saignant, Nicolas Anelka a été prié de rendre les clefs de son vestiaire pour laisser la place à un attaquant un peu plus mordant. Qu’importe, des chinois de Shanghai qui passaient par là ont reniflé la bonne affaire, et pour un salaire gravitant autour de 234 000 euros par semaine, se sont payé les services de Nico, le footballeur qui a passé sa carrière à courir derrière l’ombre de son supposé génie que certains, sauf moi, ont cru apercevoir un soir de février 1999 du côté de Wembley, avant de disparaître dans les brumes du championnat turc pour renaître, par intermittence, puis par éclipse, puis plus du tout, du côté de Bolton ou de Chelsea.

Grand bien lui fasse. On lui souhaite tout le bonheur du monde. Des geishas à la pelle, des partenaires toujours prêts à lui cirer les pompes, des ramasseurs de balle affables, un entraîneur lui demandant de jouer à l’instinct, des journalistes compréhensifs, un public acquis à sa cause, des dirigeants patients, un concierge souriant, un chauffeur silencieux, un laveur de vitres efficace, un cuisinier raffiné, et un responsable de compte aimable.

Demeure la question essentielle : mais à quoi tout cet argent, tombé de la dernière mousson, va bien pouvoir lui servir ? Sachant qu’il n’émargeait pas vraiment au RMI  lors de son séjour londonien, et que partant, on peut supposer qu’il a d’ores et déjà amassé assez d’oseille pour assurer ses arrières et ceux de ses proches sur plusieurs générations.

En imaginant aussi que ses nouveaux bienfaiteurs, plus à un yen près, se sont engagés à acheter un avion-cargo supersonique pour pouvoir transporter, dans les plus brefs délais, sa colonie de Ferrari, sa meute de Bentley, sa cohorte de Rolls Royce, sans oublier toute la petite famille d’écrans ultra-plats maxi-géants compacts Dolby en 5D, son catamaran de lit, son maharadjah d’escalier en marbre, son aquarium de piranhas, sa bibliothèque complète de jeux vidéos, son encyclopédie de joys sticks, sa panoplie de dvd de Bruce Lee et sa collection de films pornos coréens.

Il ne faudrait pas, que pour une simple question d’intendance, le joueur ait du vague à l’âme et se languisse de Buckingham Palace ou du British Museum. Bref, pour le bien de tous, il faut imaginer Anelka heureux, dans sa vaste demeure aux proportions pharaoniques, avec sa douzaine de salles de bain en marbre d’Alaska, ses chiottes grands comme une cellule d’un condamné à mort, des kilomètres de corridors de couloirs si étendus qu’ils disposent de noms et de sens de circulation afin qu’on ne s’égare pas en effectuant le périlleux trajet, chambre à coucher numéro 7 à cuisine numéro 5 en passant par salle de bain numéro 2 pour le rinçage des molaires supérieures avant de se rendre à la salle de bains numéro 1bis, située dans l’aile gauche du réfectoire sud, pour le détartrage de l’incisive gauche.  

 

Sachant qu’un footballeur professionnel, exilé dans des pays exotiques où le football ne représente qu’un aimable passe-temps, s’entraîne environ une demi-heure par jour, qu’il dispute un match par semaine, une quarantaine de rencontres par an, on s’accordera aussi à penser qu’il dispose de quelques plages horaires conséquentes pour jouir, en toute décontraction, de ses maigres subsides.

Présupposant tout aussi possible que l’agent du joueur se soit montré assez retors et finaud dans sa négociation avec les grands pontes du Shangai Shensua, pour que tous les frais afférents au bon fonctionnement de la dite demeure, électricité, gaz, eau, nourriture, remplacement des fusibles, entretien des véhicules, drainage du lac, plantation des palmiers, cirage des pompes, récurage des éviers, toilettage du chenil, n’incombent pas à son poulain qui a d’autres buts à atteindre que de s’occuper de régler cette charrette encombrante de menues factures.   

Considérant d’autre part que Nicolas Anelka ne goûte que très modérément à l’art moderne, qu’il n’éprouve pas franchement des élans de tendresse irrépressibles pour la peinture du XIXème, que les tableaux de la période bleue de Picasso ne l’enchantent pas plus que cela, que posséder la version originale du manuscrit de Madame Bovary ne l’émoustille que modérément, que sa religion lui interdit de se rincer les dents au Mouton Rothschild Millésime 1945, je reformule ma question : à quoi tout ce fichu argent va bien pouvoir lui servir ? Hein ?

Ou dit autrement, quand on a déjà tout, que la vie est réglée comme du papier à musique, qu’on croule sous les Sicav, actions, obligations, stock-options, qu’on possède déjà un pied-à-terre à Trappes, à Paris, à Londres, à New York, à Los Angeles, à Honolulu, à Bali, que la pratique d’un sport de haut niveau vous condamne à mener une vie de moine d’où sont exclus, à priori, les maîtresses voraces, les agapes qui se terminent à l’aube, les parties fines avec les plus belles créatures de la planète, le reniflage de coke pure comme de l’acier trempé… on le dépense comment son pognon si durement amassé ? Sur un coup de tête, on refile tout aux restos du cœur ? On joue au Monopoly avec ses comparses en mettant en jeu ses propres hôtels ? On s’arrange pour détruire volontairement ses Lamborghini en s’amusant à oublier d’actionner la porte coulissante du hangar à bateaux ? On crée son propre site de paris en ligne pour être autorisé à miser des sommes astronomiques ? On renfloue l’économie grecque ? On règle le problème de la faim en Afrique ? On offre un râtelier en or à son brave toutou ? On nourrit son chat au caviar d’ours ? On s’achète un soleil ? Une planète ? Un océan ? On corrompt le gardien du stade pour agrandir les buts adverses ? On se paye une psychothérapie avec Dieu en personne ? On joue au golf avec des couilles de mamouth ? On se paye une séance de cardio-training avec Madonna comme entraîneuse en utilisant une version ultra sophistiquée de Skype ?

Ou alors, tout simplement, on se procure au marché noir, sous le manteau, un cerveau et un pied gauche. Oui un pied droit aussi.

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Le plus grand groupe du monde de la terre

Pour payer la très coûteuse maison de retraite de Morrissey qui, comme condition préalable à sa mise à l’écart, a exigé que tous les autres pensionnaires de son futur établissement mortuaire s’alimentent uniquement de salades venues du potager, il a bien fallu que les Smiths trouvent encore une astuce pour se renflouer. Cette fois, après le best of I, le best of II, le best of 3 et demie, le best of du best of, le top du best of, le pire du meilleur du best of, le coffret the Sound of the Smiths, the music of the Smiths, the Sound of the music of the Smiths, ils nous ont concocté une jolie valise du plus bel effet, intitulée l’intégrale remasterisée, avec pas moins de 8 CD à s’enfiler. Le top du top. The compil.

Cette fois juré, c’est la der des der, celle que tout Smithien qui se respecte se doit de posséder, au risque sinon de se faire flageller le torse, à l’aide d’une poignée de glaïeuls cueillies par la main du maître en personne, et que quelques hurluberlus de fans de la première heure ont recueillis lors de concerts donnés dans les années 80, avant de les congeler ou de les garder dans un flacon de formol.
Evidemment, cette fois, il était absolument hors de question que je marchasse dans cette honteuse combine destinée à payer l’entretien du potager bio de Momo. Hors de question. Out of question.
J’ai donc décidé de me rebeller.
Intransigeant jusqu’au bout, faisant preuve d’une ténacité en tout point exemplaire, j’ai exigé et obtenu qu’Amazon ne me l’envoie pas derechef par express mais consente à me le faire parvenir sous les 3,4 jours.
Et vlan ! Dix euros d’économisés d’un coup d’un seul. Morrissey peut dire au revoir à sa maison de retraite labélisée Jose Bové.
Je ne suis pas une vache à lait tout de même.

N’empêche.
Les Smiths.
Steven Morrissey, Johnny Marr, Andy Rourke, Mike Joyce.
Une poignée d’albums et une collection de singles qui, à eux seuls, ont changé le visage des années 80. Lui ont donné à jamais cette coloration de mélancolie joyeuse, de désespoir guilleret, un mélange de pureté inouie et d’élan vers une perfection inaccessible. Ces riffs de guitare primesautiers, accompagnés par la voix hantée de Morrissey. Ces paroles transies de poésie adolescente, couplets parfois mièvres, souvent sublimes qui nous racontaient, à nous, pauvres puceaux s’apprêtant à entrer dans l’arène, à quoi il fallait s’attendre : le cynisme à tout crin, les jalousies mesquines, les amitiés impossibles, les amours contrariées, les appels à une autre vie, la certitude de la solitude.

Les Smiths.
1982-1987.
Nés à Manchester. Morts à Manchester. Fauchés au sommet de leur gloire. Tirant leur révérence avant de sentir s’apesantir sur leur cou les parfums mortifères de la corruption, les concessions obligées à des capitaines d’industries voraces et sans âmes, la tournée dans des stades surdimensionnés, la facilité, le succès, la célébrité, la gloire, les plateaux de télé, le passage au Grand Journal, l’interview avec Claire Chazal, le petit déjeuner à l’Elysée, la poignée de main sur le perron avec les puissants de ce monde, le renoncement, la fin, la chute.

 

Moi je suis intact et ça m’est égal prétendait Rimbaud dans une Saison en enfer.

Intact.

Intact, le génie de ces Mancuniens sortis de nulle part, capables, à coups de chansons claquant comme des slogans d’une génération s’apprêtant à épouser un monde en crise, chômage, sida, récession, d’attendrir nos âmes meurtries, de consoler nos chagrins sans fin, de nous épauler dans notre lutte au quotidien pour ne pas s’abandonner complètement à l’air putassier du temps, pour s’essayer à garder, envers et contre tout, la sublime naïveté de nos adolescences à jamais perturbées.

Intact.

Intact le charme ensorcelé de ces chansons que le temps n’a pas affecté et qui nous prenaient par la main et nous disaient, n’aie pas peur, je suis là, je serai toujours là, ici et maintenant, aujourd’hui et demain et même après-demain, tout à tes côtés je me tiens, tu n’es pas seul, regarde, moi aussi je ne vais pas bien, moi aussi je ne me comprends pas bien, moi aussi j’ai mal à moi et j’ai mal aux autres, moi aussi je suis perdu, moi aussi je souffre, mais si on souffre ensemble, alors on ne souffre plus vraiment, pas vrai ? Si on désespère ensemble, alors on ne désespère plus vraiment. Si on pleure ensemble, on ne pleure pas vraiment. On peut s’en sortir. On peut s’aider. On peut s’épauler. Tu n’es plus seul au monde puisque je suis là. Et puisque tu existes alors moi aussi je ne suis plus seul.

Intact.

Intact. Morrissey. Le porte-parole de nos pensées qu’on n’osait édicter et que jusqu’alors on ne rencontrait qu’à l’ombre de recueils de poésie abimés, le soir venu, dans la solitude recluse de nos chambres obtuses, quand le silence du monde nous étreignait et que l’on se demandait comment s’y prendre pour ne pas sombrer. Ces paroles disséquées, chantonnées, murmurées qu’on apposait en tête de nos journaux intimes où l’on se demandait, entre deux pages mouillées, si l’amour existait vraiment, et si oui, où se cachait-il, comment fallait-il procéder, quels chemins à emprunter pour le dénicher ?


Intact. La rage. L’envie de combattre. La nécessité d’en découdre. La lutte. Le monde t’appartient. Lève-toi et chante. Rebelle-toi. Va contre l’ordre établi. N’écoute pas les discours mensongers des politiciens amputés du cœur et de l’esprit qui s’essayeront à te courtiser. Ne te retourne pas. Sois ferme dans tes convictions. Ne cède pas. Va. Va t’en conquérir le monde. Il t’attend. Il suffit de le vouloir. N’aie pas peur d’avoir peur. Ta peur est ton moteur.

Les Smiths.

On ne se remet pas de l’écoute des Smiths. Nés au monde avec eux, engendrés par eux, on poursuit sa route, avec leur musique toujours en arrière-fond, comme la bande sonore de nos existences, qu’elles fussent accomplies ou inachevées, difficiles à appréhender ou limpides de simplicité. On n’a pas trop le choix. C’est l’inconvénient d’avoir grandi aux côtés du plus grand groupe de rock que le monde ait jamais connu et ne connaîtra jamais plus. Tout ce qui vient par la suite semble fade. Convenu. Etriqué. Mensonger. Sans intéret. Ou pour le dire en des termes plus concis, c’est de la merde.

Ou bien, pour le dire autrement, en des mots plus policés : “de toutes les facons depuis la séparation des Smiths, la musique, elle est morte. S’il y avait un groupe qui arrivait à leurs chevilles, ça se saurait. Et viens pas m’emmerder avec tes crétins d’Oasis, tes branleurs d’Artic Monkeys, tes tapettes d’Arcade Fire, tes zboubs de Kooks, tes demeurés de White Stripe. Que des branleurs de copieurs de pisseurs de crachoteurs je te dis. Ne discute pas, et monte dans ta chambre, crétin d’idiot de fils que j’ai engendré par erreur.”

Et le premier qui prétend le contraire je te l’expulse manu militari de ce blog, je relève son numéro IP et je l’envoie à monsieur Hadopi.
Farpaitement.

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