Miossec, le Claude Sautet du Picon Bière ( sans alcool désormais)

 

Depuis que Miossec a arrêté de boire, les tenanciers bretons tirent la langue et contemplent la Pointe du Raz en attendant des jours meilleurs. Leur chiffre d’affaire a mauvaise mine, les tonneaux de bière croupissent dans leurs caves, les bouteilles de calvas leur tiennent compagnie, les verres de bière pleurent à chaudes larmes.

Les clients des rades brestois filent doux dès que le chanteur franchit le seuil de leur établissement préféré. Rien de plus déprimant que de voir un ancien camarade de boisson carburer à la bière sans alcool et au Perrier sans bulles. C’est vaguement culpabilisant, on se demande si, à son tour, il ne faudrait pas penser à arrêter, l’estomac a des vagues à l’âme, l’âme a des maux d’estomac, on n’ose à peine demander au patron de nous remettre la même chose, on a l’ivresse triste, le regard éteint, la gorge sèche, on reluque du coin de l’oeil le nouvel alcoolique anonyme avec sa figure de cire qui ne rit plus à vos blagues de mauvais goût, qui ne s’esclaffe même pas à la première connerie éructée, on finit par ressembler à un personnage fatigué d’un roman de Simenon, on a peur de déranger, et on finit par rentrer chez soi pour s’enfiler en solitaire le fond d’une bouteille de calvados, achetée par pack de dix au Leader Price du coin de la rue.

 

Chansons ordinaires peut donc se vanter d’être le premier opus de Miossec écrit, composé et enregistré à l’eau claire. Ce qui franchement, de prime abord, ne saute pas aux yeux. Miossec ça reste Miossec. Et c’est tant mieux. Bourré ou sobre, ses albums sont toujours aussi foutraques et bancals, alternant le sublime avec le médiocre, des ritournelles entêtantes et des chansonnettes mal fagotées. Mais on s’en tape. C’est comme ça qu’on l’aime. Un peu bordélique. Un peu va-comme-je-te-pousse. Un peu paresseux. Pas un de ces maniaques des studios qui passent leurs nuits à se branlotter le manche de guitare avec des ordinateurs bioniques, perclus  de manettes et de boutons, pour tenter d’apprivoiser la perfection, avec le risque de signer un disque aseptisé comme un lavabo astiqué par un GI aux arrêts. Ce qui était d’ailleurs un peu le cas du dernier, Finistériens, où Miossec, avec son comparse Tiersen, se la jouait à la Phil Spector, et embourgeoisait son son, en sonnant comme une publicité feutrée qui vanterait les charmes discrets d’une compagnie d’assurance. Exception faite du magistral Chiens de Paille qui annonçait déjà les lendemains qui déchantent.

Miossec, on le devine, après deux heures passées dans la touffeur moite d’une cabine d’enregistrement, doit avoir des fourmis dans la voix et des trémolos dans les chevilles. Ce qui tombe bien vu qu’on ne sait toujours pas, après huit albums, si on peut ranger Miossec dans la catégorie chanteur. Décrire la voix de Miossec c’est aussi compliqué que de tenter de décrypter le phrasé d’un roman de Faulkner. Il ne murmure pas comme Daho ou Murat, il ne gueule pas comme Pagny ou Johnny, il ne sifflote pas comme Joe Dassin, il ne roucoule pas comme Mike Brant, il n’envoûte pas comme Baschung, il ne chuinte pas comme Stephan Eicher.

Miossec, il râle du Miossec. Une espèce de chanter/parler animal, à la sauce gainsbourienne, qui le rend d’emblée sympathique, vu qu’il donne l’impression que, si seulement on avait un peu de temps devant soi, on pourrait en faire de même. Sauf qu’il y a la vaisselle à faire, les mioches à coucher, la femme à câliner, les poubelles à sortir, la voiture à amener chez le garagiste, la facture d’électricité à régler, les volets à repeindre, la pelouse à tondre, les mouettes à nourrir, le parquet à cirer, la télé à dépoussiérer, la concierge à amadouer…

Toute cette tracasserie sans fin du quotidien qui font le miel des chansons de Miossec. Sans oublier les femmes chagrines, les couples qui se délitent, les queues qui battent de l’aile, les cœurs écorchés, les tromperies honteuses, les putes généreuses, les amours qui se cassent la gueule, les ivresses des sentiments qui se fracassent contre le mur de la routine, les amis envahissants, les gueules de bois sordides, les réveils pâteux, les remords sans fin, les souvenirs trembles de la veille, les cachets d’aspirine périmés et la cafetière qui ne veut pas marcher.

Dans Chansons Ordinaires, Miossec donne l’impression de s’être un peu calmé, comme s’il s’était réconcilié avec lui-même ou du moins qu’il avait signé une armistice avec ses démons. Juste le strict minimum. Qu’il trouve un peu plus grâce à ses yeux. Qu’il n’aime plus trop à se détester, comme avant. Qu’il ne courbe plus l’échine sous le poids d’une vie détricotée à l’ombre de sentiments outragés. S’il est toujours son pire ennemi, il commence à s’en amuser et à se foutre de sa gueule. Ce qui constitue un exercice toujours réjouissant.

Miossec décline des vies toujours ratées, forcément ratées, mais ce n’est plus forcément tragique. Les femmes ne sont plus là pour le rappeler à l’ordre et le culpabiliser, les compromis taillent les virages et tracent la route, on accepte de vivre vaille que vaille, on espère que cette fois les fondations seront assez solides pour durer, on a foi en l’amitié qui vaut bien tous les coups de queue de la terre, on serre les poings, mais cette fois non plus de rage, mais juste pour s’encourager et garder le cap, on se surprend à croire en la tendresse, et si ce n’est pas encore le Nirvana, ce n’est déjà plus l’enfer.

Pas si mal.

 

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London Burning

Finalement, comme le souhaitait d’une manière tout à fait putassiere et opportuniste, les filous organisateurs des JO de Londres qui, sur ce coup là, ont senti d’où le vent soufflait, l’appel sanglant des Clash a bien été entendu. Comme l’expectorait tout en l’espérant Joe Strummer dans ses versets apocalyptiques de la mythique chanson ( voir post ci dessous), les jeunes se sont enfin réveillés, ont piqué les boots de leurs ainés, et ressorti les blousons cloutés de derrière la collection des vieux vinyls encrassés de poussière de leur paternel rassis, assis dans leurs canapés à attendre le clap de fin.

Les loups sont entrés dans la ville. Certes plus pour se procurer la dernière paire estampillée Nike ou Adidas que pour réciter des chapelets à la gloire de John Lénine. Mais enfin c’est déjà un bon début. Ça va bien à l’Angleterre d’être ainsi à feu et à sang. C’est l’Angleterre qu’on a aimé. Celle en noir et blanc. De la classe ouvrière, dents cassés, yeux vitreux, teint couperosé, entassée bien au chaud, dans le ventre des tribunes d’Anfield ou d’Old Trafford voir d’Ellan Road, le stade coupe gorge de Leeds et de sa racaille de joueurs et de supporters.

De la pluie qui pisse des sots de rots et de la boue bien grasse encrassée dans les surfaces de destruction. Celle des mods et des skins. Des Who et des Stones. Des Buzzcoks et des Jam. Des bastons et des matraques.
Des batailles toutes chevaleresques entre des bobbys imperturbables campés sur leurs chevaux impeccables de droiture, et des hordes de hooligans défoncés à la bière à 18 degrés, s’arrêtant, entre deux largages de pierres, pour aller pisser un bon coup contre des murs de brique rouge. Celle de la révolte sans but et des buts pas très clairs.

Celle là même que chantait et espérait Morrissey, le chanteur préferé de David Cameron tout de même, dans l’une des plus cinglantes et parfaites chansons des Smiths, Panic : Panic on the streets of London/ Panic on the streets of Birmingham/I wonder to Myself/ Could Life ever be sane again/So you run down to the safety of the town/ But there’s panic on the streets of Carlisle/Dublin Dundee/ Humberside.


Certes Morrissey voulait juste qu’on aille pendre le salaud de de DJ qui persistait à passer de la soupe de musique qui ne lui parlait pas de sa vie et ne l’aidait pas à comprendre comment cheminer sur les sentiers tortueux de l’existence. Pas qu’on aille fracasser les boutiques de grandes enseignes de magasin de sports juste pour avoir le plaisir de se mirer devant la glace, histoire de voir si le dernier blouson que portait Jude Law en faisant son repassage et qu’on a maté l’autre jour dans les pages graisseuses du défunt News of the World, est si seyant que cela.

On a les révolutions qu’on peut. Désormais, au lieu de se lamenter sur le démantèlement des usines ou sur la misère d’habitats laissés à l’abandon par les pouvoirs publics, on désespère de ne pas posséder la même paire de souliers que Thierry Henry ou que de David Beckham. On enrage de continuer à bouffer des match de foot sur des écrans mesquins et rétrécis alors que les gens bien nés ont le droit d’avoir Wayne Rooney et Gareth Bale quasiment dans leur salon.

Les temps changent. Les idéologies ont désertés les cerveaux. Les idées ont emprunté des raccourcis inquiétants. Les cerveaux s’intoxiquent de jeux vidéos débilitants et de vies virtuelles anesthésiantes. C’est la fin du vieux monde. De la bonne vieille Europe. On attend plus que les fossoyeurs pour tourner de bon cette page d’histoire qui nous tient en haleine depuis deux siècles maintenant. Une éternité.

Il est grand temps d’engager un nouveau metteur en scène, de nouveaux acteurs, de nouveaux scénaristes. La page est blanche, l’avenir incertain, les repères vacillants. Ou comme le chantait notre Miossec national dans On était tellement de gauche:
Et quand vous apprenez un jour par la poste/Que de vous on ne veut plus/Vous repensez alors Cocktail Molotov/ Ça ne serait pas arrivé si on s’était battu/ Mais c’est trop tard pour que l’on rechausse/ Les vieilles idées que l’on croyait perdues/ C’est désormais bon pour les gosses /Allez les enfants, foutez le raffut.



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