Lloyd Cole ou la grâce du perdant magnifique

 

Il était programmé pour être le nouveau Dylan.

Quand il débarque en 84, affublé de ses Commotions, Lloyd Cole, chemise rouge, visage poupin, références littéraires en bandoulière, voix étranglée et roucoulante, allure d’étudiant attardé dans le rayon de la littérature anglaise section poésie élisabéthaine, allume des feux de forêts qui débroussaillent la scène musicale anglaise.

Moins grande gueule que Morrissey, le ténor affrété des Smiths, plus introverti, bardé de culture livresque et musicale, il réconcilie la littérature et le rock avec son premier album qui possède d’emblée cette autorité tranquille des disques destinés à survivre à leur époque.

Un classique.

Trois décennies plus tard, Lloyd Cole est toujours là. Nous aussi.

Les cheveux ont viré au gris, les traits se sont épaissis, le regard apparaît comme encore un peu plus fatigué et las mais ses disques égrenés au fil des années comme autant de rappels à continuer sa vie de chanteur inclassable ont toujours aussi belle allure.

Son dernier s’intitule Standards.

Comme son précédent, le magistral et impeccable Broken Record, il passera certainement inaperçu.

Pas très grave.

Il y a déjà longtemps que Lloyd Cole a quitté le grand cirque de l’industrie musicale où la recherche du profit immédiat l’emporte sur toute autre considération.

Lloyd Cole a toujours eu trop de talent pour séduire l’ahuri de service qui s’enivre de disques aussi parfaitement insignifiants que les romans de n’importe quel tâcheron
d’écrivain coupable de composer des récits capables de ravir un lecteur convaincu que c’est Cioran en personne qui a écrit le Coran.

Ou que Moby Dick est une marque de barre chocolatée et Rimbaud un punk avant l’heure.

Au détour des années 90, sentant que l’inspiration se tarissait, Lloyd Cole a quitté la vieille Europe pour s’installer dans son Amérique rêvée qui hantait ses lectures adolescentes.

Celle de Norman Mailer, de Joan Didion, de Flannery O’Connor.

Du Velvet et de Dylan.

De Jarmusch et de Kazan.

Il n’en est jamais revenu, arpentant sans cesse cette Amérique revisitée, avec ses highways qui se perdent dans l’écheveau de nuits couleur de cendre, ses motels de fortune abritant des voyageurs de passage au cœur brûlé, ses paysages infinis où se reflètent les sanglots d’âmes cherchant à comprendre la raison de ces chagrins d’amour qui ne passent pas.

Et s’arrêtant ici et là pour tâter, comme tout bon écossais qui se respecte, d’un green de golf, sport où il excelle ( handicap +5).

Dans son dernier disque, Lloyd a embauché son fiston Will et quelques autres acolytes pour l’aider à composer des chansons parfois furieuses parfois paisibles toujours élégantes où affleurent la lassitude et la résignation de vivre une époque qui ne ressemble plus à grand-chose.

Les mélodies glapissent des ritournelles d’amour toujours aussi compliqué à appréhender, les guitares tissent des refrains serrés où Lloyd s’interroge, mi-inquiet mi-ironique, sur la modernité de ce monde qui semble se chercher encore une bonne raison pour continuer à exister.

 

Et puis parfois Lloyd Cole ne résiste pas à la tentation: il se reprend pour Elvis et d’une voix rêveuse et languide envisage encore et toujours la rédemption par l’amour, la grande affaire de Lloyd Cole depuis ses débuts.

Le tout finissant de former une mosaïque parfaite de onze chansons tenant une nouvelle fois parfaitement la route alternant des ritournelles suaves et des couplets éruptifs.

Largement de quoi passer l’été.

A l’ombre d’une piscine désolée, dans un coin paumé de la Nouvelle-Angleterre, loin de la civilisation, occupé à revisiter les œuvres complètes de Nathanael West tout en sirotant un bourbon épais comme une mer d’amertume.

 

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Belle and Sebastian compte sur nous

Allez toi l’auvergnat qui sans façon a téléchargé de la musique alors que dans ta vie il faisait riche, au lieu de te lamenter sur la mise en bière de Mégaupload et de ses affidés, tous ces pourvoyeurs de séries débilitantes, corruptrices de notre jeunesse en perdition, je te propose de te réconcilier avec le web en participant à une bonne action, où tu verras, tu retrouveras ta dignité perdue et ton appétence à mener une existence digne d’être vécue. Bref, décroche ton téléphone et vas t’en taper dans ta barre d’adresse, le lien suivant :  http://www.kickstarter.com/projects/godhelpthegirl/god-help-the-girl-musical-film. Tu y es ? Donne l’argent. Donne te dis-je. Ne discute pas. 5.10.15.50.1500 euros. Peu importe. C’est le geste qui compte. Comment ça tu ne comprends pas l’anglais ? Avec toutes les séries que tu t’es tapé, tu ne sais toujours pas baragouiner dans la langue de Faulkner ? Bon assieds-toi je vais t’expliquer.

Alors voilà. Stuart Murdoch se trouve être le chanteur d’un groupe nommé Belle and Sebastian. Si tu me dis, “la série télévisée ?”, je te dénonce à Hadopi sur le champ. Non, pas la série avec le gentil toutou, mais le groupe de pop écossais. Après les Smiths, le deuxième groupe le plus grand de toute la terre. Enfanté à Glasgow. Comme Lloyd Cole, Jesus and Mary Chain, Simple Minds, Orange Juice, Franz Ferdinand. Que des tocards. Auteur d’albums qui excepté le plus que parfait  If you’re feeling sinister, miracle de pop lumineuse et scintillante, peuvent apparaitre parfois languides et rébarbatifs comme une pluie d’automne sur un lac ougandais  ou sublimes comme la course d’un cheval à l’arrêt sur un hippodrome versaillais. C’est selon.

Chansons qui détricotent des vies intemporelles. Tantôt suaves et mélodieuses. Parfois geignardes et ennuyantes mais toujours entraînantes. Ou pas. C’est selon. Bref, un grand groupe comme on les aime. Le genre de groupe sur lequel le critique, en panne d’inspiration, pourra toujours commencer son papier par “si Baudelaire (Ou Rimbaud ou Verlaine ou Lautréamont) était vivant, il s’appellerait Stuart Murdoch et chanterait au sein de Belle and Sébastian “.  Avant de conclure son article par “si Keats (Byron, Shelley) était né dans les années 80, il jouerait de la guitare au sein de Belle and Sebastian”. Donc, pour résumer et aller à l’essentiel, tout sauf  des petites frappes de tête à claques oiseuses et décervelées qui se prennent pour le nombril de Manchester ou le trou du cul de Liverpool. Tout le contraire. Des jeunes gens polis, propres sur eux, catholiques, enfants de choeur lettrés et désespérés et par là-même forcément attachants. Effet de miroir. Magie de la pop. Ô mon frère, ô mon semblable. Quand le ciel bas et noir pèse comme un couvercle. La vraie vie est ailleurs. Tendre est la nuit. Vieil Océan, je te salue.

Sinon, Belle and Sebastian doit être le groupe que l’on entend le plus dans les films indépendants américains (Juno, Storytelling…). Pas étonnant après cela que la tête pensante du groupe ait eu comme une furieuse envie de manier la bobinette. Pour mener à bien son projet, il s’est associé à un gentil producteur, Barry Mendel, entre autre, récolteur de dollars pour les films de Wes Anderson (Rushmore, La famille Tenenbaum). Problème ? Ils ont besoin d’oseille. Comme tout le monde. Et c’est là que tu peux les aider. En te dépouillant de ton tuxedo d’occasion pour qu’ils puissent tourner leur film cet été sans être obligés d’aller caresser dans le sens du poil,  le chibre d’un requin syndiqué à Hollywood  et possédant une villa à Barbara. En échange de quoi, au regard de ta contribution, tu recevras, un pins, une carte postale, un poster du film, ton nom au générique, la possibilité d’assister au tournage voire de figurer dans le film. Bref tu seras étroitement impliqué dans l’élaboration du long métrage qui devrait recevoir la caméra d’or à Cannes en 2013.

Dépêche-toi, il te reste 20 jours. Si d’ici là, ils n’ont pas récolté assez de blé, le projet ne se fera pas et ce sera par ta faute. Et là, mon gaillard…

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Lloyd Cole, Jean-Phillipe Blondel et moi

 Je m’étais juré quand j’ai apposé ma signature au bas de ce contrat mirobolant, concluant ainsi d’interminables semaines de palabres passées à ergoter sur le montant de mon transfert chez Slate, que jamais je ne parlerais de littérature dans mon blog, enfin, mettons que jamais, je n’émettrais un quelconque avis sur un roman venant de sortir en librairie, posture intellectuelle des plus respectables que j’attribuais alors à ma légendaire probité, à ma farouche volonté de ne pas jouer la midinette de comptoir, minaudant à tire larigot sur les travers nombrilistes de la littérature française, littérature que par ailleurs je ne fréquente guère, voire pas du tout, vu que la dernière librairie francophone de Vancouver, depuis qu’elle a eu la bonne idée de m’inviter pour une soirée exceptionnelle dédiée à la rencontre d’un écrivain majeur de la scene littéraire vichysoisse, a déposé, la semaine suivante, son bilan.

Bref, c’était décidé, je ne me mêlerais pas aux joutes littéraires qui animent les arrières-cours de récréation des magazines culturels de la capitale.

Sauf que.

Sauf que l’année dernière, il m’est arrivé une drôle d’histoire. Une parmi tant d’autre, mon existence ressemblant de plus en plus à la succursale d’un magasin de farces et attrapes destinée à des vieillards hypocondriaques.

Donc, un jour, comme disait mon alter ego, Simon sagalovitsch, dans un roman signé d’un tartartin de Sagalovitsch, “je fourrageais tranquillement dans le grand trou du cul que représente Internet, passant allégrement de la lecture de France Foot à l’excavation d’un poème de Keats lu par la voix toute tremblante de Francis Scott Fitzgerald (La métaphysique du hors jeu, éditions Actes Sud, page 4852)” lorsque, encore plus désœuvré qu’à l’ordinaire, encore un peu plus désespéré qu’à l’accoutumé, cherchant un énième motif pour repousser à un peu plus tard la tâche qui m’incombait alors, celle d’écrire précisément la suite du passage cité ci-dessus (vous me suivez? Moi, en toute franchise, j’ai du mal, avec tout cet échafaudage de niveaux d’intertextualité qui se chevauchent), je tapotais, pris d’un soudain accès de nostalgie, dans un moteur de recherche, le nom de Lloyd Cole.

Connaissez pas Lloyd Cole je suppose? Chanteur britannique à la voix incertaine qui connut au détour des années 80 un succès certain avec son groupe les Commotions. Cf. Lloyd Cole and The Commotions. Notamment en interprétant un tube interplanétaire, Forest Fire. Puis un autre, Lost Week End. Signe particulier : avait l’attachante ou l’agaçante manie, c’est selon, d’émailler ses lyrics de noms d’écrivains, Simone de Beauvoir, Norman Mailer, ou d’actrices mythiques, Greta Garbo, Eva Marie Saint. Avec Morissey, Lloyd Cole permit à la pop anglaise de délaisser les sorties d’usine pour fréquenter les couloirs de l’université, section littérature comparée.

 Bref, ce jour là “où je fourrageais…”, tapotant donc Lloyd Cole sur Google, je tombais sur son site, puis sur son courrier des lecteurs où là, à ma grande surprise, je dénichais un mail écrit par une personne que je connaissais sans vraiment la connaître. Jean Philipe Blondel, tel était son nom. Connaissez pas Jean Philipe Blondel non plus ? Décidément, vous ne savez pas grand chose. Jean Philipe Blondel, écrivain français, né à Troyes dans l’Aube ou dans sa périphérie. Quand il n’écrit pas, enseigne l’anglais à des éleves nés à Troyes dans l’Aube ou dans sa périphérie. Auteur de nombreux romans Juke Box, This not a love song, A contretemps, qui s’attache à décrire, dans une langue aérée et vivante, les aléas de la vie moderne, à travers la description de personnages, vivant à Troyes dans l’Aube ou dans sa périphérie, qui semblent être sortis tout droit d’une pochette de disque signée des Smiths, servant de bande originale à un film de Jim Jarmusch. Un très bon écrivain que je n’avais jamais lu. (La description ci dessus étant donc nulle et non avérée).

 

 

Le contraire n’étant pas vrai.

Hein?

En d’autres termes, Monsieur Blondel avait lu un de mes innombrables chefs d’œuvre, et un jour où il avait encore trop bu, il m’avait envoyé un mail en me disant qu’il me devait tout, que j’étais son phare, sa lumière céleste, que jamais, de toute sa mort, il n’avait lu un roman aussi ensorcelant que le mien, et que rien que pour cela, il tenait à remercier ma mère de m’avoir mis au monde. Sur quoi, j’avais répondu -ce genre d’échange se produisant souvent entre deux écrivains de tout premier plan- que moi aussi j’éprouvais pour lui une gratitude infinie, que ses romans me hantaient depuis tout petit, et que si j’étais devenu écrivain, c’était juste pour avoir le plaisir de voir mes livres, posés à coté des siens, dans ma bibliothèque personnelle. Et ainsi de suite…

Jusqu’à ce fameux jour où je tombais sur le mail que Blondel avait écrit à Lloyd Cole, mail où il racontait combien ses chansons avaient compté pour lui, que de toute sa mort, il n’avait jamais écouté un tel disque, et qu’il tenait à remercier sa mère de l’avoir mis au monde etc., etc… Sur quoi, dans la foulée, je m’étais fendu d’un petit mail à son attention, pour lui raconter comment j’étais tombé sur son message sur le site du chanteur anglais.

Blondel me répondit qu’il s’en souvenait vaguement et prétexta qu’il avait bu plus que de raison ce soir là, ayant dû fêter l’accession de Troyes en Première Division, avec François Baroin, dans son bureau de l’hôtel de ville. Oui, comme vous l’aurez compris, Blondel a ce que l’on appelle communément un problème avec la boisson. Comme nous tous. Fin de l’affaire.

Sauf que non.

Tout le contraire.

Six mois passèrent.

En juillet dernier, je reçus enfin de ses nouvelles.

Cette fois, il ne s’était pas contenté de m’adresser un mail mais il m’avait carrément envoyé un livre. Un roman. Signé de sa main. Intitulé Et rester vivant. Publié aux éditions Buchet Chastel. Je fus très content de constater qu’il avait réglé son problème de boisson. Poli, un peu circonspect tout de même, sur ma réserve, n’ayant pas d’autres chat autre que le mien à fouetter, je commençais à lire la première page :

 “Bien sûr, ca m’a déjà traversé l’esprit, d’écrire sur cette période-là. J’ai tourné autour. J’ai effleuré. Mais je me disais que si je me mettais vraiment à raconter ce qui s’était passé, personne ne me croirait. Parce qu’il y a des limites à la fiction, mine de rien. Bref, je ne l’ai jamais fait. Je n’ai pas changé d’avis. Je ne cherche pas l’adhésion. C’est un combat perdu d’avance. Simplement hier soir, j’ai reçu ce drôle de message électronique. Il émanait d’un collègue écrivain que je connais à peine mais dont je lis avec plaisir les rares romans- il est du genre dilettante, dans l’écriture de livres, un tous les quatre ou cinq ans, ca semble lui suffire. Il s’appelle Laurent Sagalovitsch. Il habite sur le côte Pacifique du Canada. Hier, il devait s’ennuyer un peu. Alors il a surfé sur internet, comme nous le faisons tous un peu parfois, par pur désœuvrement. Il est allé sur le site de Lloyd Cole…”

 

 

J’imagine que j’ai dû ressentir le même émoi que le spectateur qui venant assister à une rencontre entre le PSG et le Football Club de Montélimar, découvre, sur l’écran géant du Parc des Princes, sa bobine entrain de regarder sa bobine, avant de réaliser que cette bobine n’est autre que la la sienne de bobine et de secouer comme un poirier sa dulcinée pour qu’elle regarde à son tour sa bobine regarder sa bobine se regarder. Le grand frisson. Suivi d’un sentiment étrange de se demander ce que je fous là au juste ? Et est-ce bien de moi dont on parle ? Et serait-ce donc ainsi que je m’orthographie ? Avant de sombrer dans un accès de mégalomanie galopant : rentre ici Sagalovitsch, le panthéon des lettres francaises s’ouvre devant toi.

Pour ce qui est du roman, hormis mon apparition inopinée, il n’a bien sûr aucun intéret. Aussi médiocre que Rattlesnakes, l’un des plus beaux et des plus lumineux albums de la pop anglaise de tout les temps, signé Lloyd Cole and the Commotions. Une histoire à dormir debout, écrite dans une langue surchargée, encombrée de poncifs et de lieux communs. Aussi raté que le chef d’oeuvre absolu que constitue Stranger than Paradise de Jim Jarmusch. Un style ampoulé décrivant des personages d’une fadesse insondable. Aussi indigeste à lire qu’une nouvelle de Raymond Carver ou qu’un roman de Richard Ford.  

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