Lloyd Cole, Jean-Phillipe Blondel et moi

 Je m’étais juré quand j’ai apposé ma signature au bas de ce contrat mirobolant, concluant ainsi d’interminables semaines de palabres passées à ergoter sur le montant de mon transfert chez Slate, que jamais je ne parlerais de littérature dans mon blog, enfin, mettons que jamais, je n’émettrais un quelconque avis sur un roman venant de sortir en librairie, posture intellectuelle des plus respectables que j’attribuais alors à ma légendaire probité, à ma farouche volonté de ne pas jouer la midinette de comptoir, minaudant à tire larigot sur les travers nombrilistes de la littérature française, littérature que par ailleurs je ne fréquente guère, voire pas du tout, vu que la dernière librairie francophone de Vancouver, depuis qu’elle a eu la bonne idée de m’inviter pour une soirée exceptionnelle dédiée à la rencontre d’un écrivain majeur de la scene littéraire vichysoisse, a déposé, la semaine suivante, son bilan.

Bref, c’était décidé, je ne me mêlerais pas aux joutes littéraires qui animent les arrières-cours de récréation des magazines culturels de la capitale.

Sauf que.

Sauf que l’année dernière, il m’est arrivé une drôle d’histoire. Une parmi tant d’autre, mon existence ressemblant de plus en plus à la succursale d’un magasin de farces et attrapes destinée à des vieillards hypocondriaques.

Donc, un jour, comme disait mon alter ego, Simon sagalovitsch, dans un roman signé d’un tartartin de Sagalovitsch, “je fourrageais tranquillement dans le grand trou du cul que représente Internet, passant allégrement de la lecture de France Foot à l’excavation d’un poème de Keats lu par la voix toute tremblante de Francis Scott Fitzgerald (La métaphysique du hors jeu, éditions Actes Sud, page 4852)” lorsque, encore plus désœuvré qu’à l’ordinaire, encore un peu plus désespéré qu’à l’accoutumé, cherchant un énième motif pour repousser à un peu plus tard la tâche qui m’incombait alors, celle d’écrire précisément la suite du passage cité ci-dessus (vous me suivez? Moi, en toute franchise, j’ai du mal, avec tout cet échafaudage de niveaux d’intertextualité qui se chevauchent), je tapotais, pris d’un soudain accès de nostalgie, dans un moteur de recherche, le nom de Lloyd Cole.

Connaissez pas Lloyd Cole je suppose? Chanteur britannique à la voix incertaine qui connut au détour des années 80 un succès certain avec son groupe les Commotions. Cf. Lloyd Cole and The Commotions. Notamment en interprétant un tube interplanétaire, Forest Fire. Puis un autre, Lost Week End. Signe particulier : avait l’attachante ou l’agaçante manie, c’est selon, d’émailler ses lyrics de noms d’écrivains, Simone de Beauvoir, Norman Mailer, ou d’actrices mythiques, Greta Garbo, Eva Marie Saint. Avec Morissey, Lloyd Cole permit à la pop anglaise de délaisser les sorties d’usine pour fréquenter les couloirs de l’université, section littérature comparée.

 Bref, ce jour là “où je fourrageais…”, tapotant donc Lloyd Cole sur Google, je tombais sur son site, puis sur son courrier des lecteurs où là, à ma grande surprise, je dénichais un mail écrit par une personne que je connaissais sans vraiment la connaître. Jean Philipe Blondel, tel était son nom. Connaissez pas Jean Philipe Blondel non plus ? Décidément, vous ne savez pas grand chose. Jean Philipe Blondel, écrivain français, né à Troyes dans l’Aube ou dans sa périphérie. Quand il n’écrit pas, enseigne l’anglais à des éleves nés à Troyes dans l’Aube ou dans sa périphérie. Auteur de nombreux romans Juke Box, This not a love song, A contretemps, qui s’attache à décrire, dans une langue aérée et vivante, les aléas de la vie moderne, à travers la description de personnages, vivant à Troyes dans l’Aube ou dans sa périphérie, qui semblent être sortis tout droit d’une pochette de disque signée des Smiths, servant de bande originale à un film de Jim Jarmusch. Un très bon écrivain que je n’avais jamais lu. (La description ci dessus étant donc nulle et non avérée).

 

 

Le contraire n’étant pas vrai.

Hein?

En d’autres termes, Monsieur Blondel avait lu un de mes innombrables chefs d’œuvre, et un jour où il avait encore trop bu, il m’avait envoyé un mail en me disant qu’il me devait tout, que j’étais son phare, sa lumière céleste, que jamais, de toute sa mort, il n’avait lu un roman aussi ensorcelant que le mien, et que rien que pour cela, il tenait à remercier ma mère de m’avoir mis au monde. Sur quoi, j’avais répondu -ce genre d’échange se produisant souvent entre deux écrivains de tout premier plan- que moi aussi j’éprouvais pour lui une gratitude infinie, que ses romans me hantaient depuis tout petit, et que si j’étais devenu écrivain, c’était juste pour avoir le plaisir de voir mes livres, posés à coté des siens, dans ma bibliothèque personnelle. Et ainsi de suite…

Jusqu’à ce fameux jour où je tombais sur le mail que Blondel avait écrit à Lloyd Cole, mail où il racontait combien ses chansons avaient compté pour lui, que de toute sa mort, il n’avait jamais écouté un tel disque, et qu’il tenait à remercier sa mère de l’avoir mis au monde etc., etc… Sur quoi, dans la foulée, je m’étais fendu d’un petit mail à son attention, pour lui raconter comment j’étais tombé sur son message sur le site du chanteur anglais.

Blondel me répondit qu’il s’en souvenait vaguement et prétexta qu’il avait bu plus que de raison ce soir là, ayant dû fêter l’accession de Troyes en Première Division, avec François Baroin, dans son bureau de l’hôtel de ville. Oui, comme vous l’aurez compris, Blondel a ce que l’on appelle communément un problème avec la boisson. Comme nous tous. Fin de l’affaire.

Sauf que non.

Tout le contraire.

Six mois passèrent.

En juillet dernier, je reçus enfin de ses nouvelles.

Cette fois, il ne s’était pas contenté de m’adresser un mail mais il m’avait carrément envoyé un livre. Un roman. Signé de sa main. Intitulé Et rester vivant. Publié aux éditions Buchet Chastel. Je fus très content de constater qu’il avait réglé son problème de boisson. Poli, un peu circonspect tout de même, sur ma réserve, n’ayant pas d’autres chat autre que le mien à fouetter, je commençais à lire la première page :

 “Bien sûr, ca m’a déjà traversé l’esprit, d’écrire sur cette période-là. J’ai tourné autour. J’ai effleuré. Mais je me disais que si je me mettais vraiment à raconter ce qui s’était passé, personne ne me croirait. Parce qu’il y a des limites à la fiction, mine de rien. Bref, je ne l’ai jamais fait. Je n’ai pas changé d’avis. Je ne cherche pas l’adhésion. C’est un combat perdu d’avance. Simplement hier soir, j’ai reçu ce drôle de message électronique. Il émanait d’un collègue écrivain que je connais à peine mais dont je lis avec plaisir les rares romans- il est du genre dilettante, dans l’écriture de livres, un tous les quatre ou cinq ans, ca semble lui suffire. Il s’appelle Laurent Sagalovitsch. Il habite sur le côte Pacifique du Canada. Hier, il devait s’ennuyer un peu. Alors il a surfé sur internet, comme nous le faisons tous un peu parfois, par pur désœuvrement. Il est allé sur le site de Lloyd Cole…”

 

 

J’imagine que j’ai dû ressentir le même émoi que le spectateur qui venant assister à une rencontre entre le PSG et le Football Club de Montélimar, découvre, sur l’écran géant du Parc des Princes, sa bobine entrain de regarder sa bobine, avant de réaliser que cette bobine n’est autre que la la sienne de bobine et de secouer comme un poirier sa dulcinée pour qu’elle regarde à son tour sa bobine regarder sa bobine se regarder. Le grand frisson. Suivi d’un sentiment étrange de se demander ce que je fous là au juste ? Et est-ce bien de moi dont on parle ? Et serait-ce donc ainsi que je m’orthographie ? Avant de sombrer dans un accès de mégalomanie galopant : rentre ici Sagalovitsch, le panthéon des lettres francaises s’ouvre devant toi.

Pour ce qui est du roman, hormis mon apparition inopinée, il n’a bien sûr aucun intéret. Aussi médiocre que Rattlesnakes, l’un des plus beaux et des plus lumineux albums de la pop anglaise de tout les temps, signé Lloyd Cole and the Commotions. Une histoire à dormir debout, écrite dans une langue surchargée, encombrée de poncifs et de lieux communs. Aussi raté que le chef d’oeuvre absolu que constitue Stranger than Paradise de Jim Jarmusch. Un style ampoulé décrivant des personages d’une fadesse insondable. Aussi indigeste à lire qu’une nouvelle de Raymond Carver ou qu’un roman de Richard Ford.  

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