Rien à cirer de la Syrie

Visiblement, au palmarès de nos indignations toujours sélectives, ces derniers temps, la Syrie n’a pas la côte. Reléguée dans les profondeurs du classement, avec comme compagnon d’infortune, le Darfour, le Turkménistan ou la Birmanie, son sort ne nous émeut guère et ne suscite en nous qu’une vague réprobation, un bref haussement d’épaules, suivi d’un morne soupir de dépit, conclu par une moue sceptique.

Quand je dis nous, je tiens à préciser que je ne m’inclus d’aucune façon dans ce putassier de pronom générique. Non pas que devant le massacre organisé de sa population par les chars d’Assad, je sois là à suffoquer d’indignation, à vitupérer contre l’égoïsme des puissances occidentales plus soucieuses de se préoccuper du sort d’une pièce de monnaie que de sauver un peuple à l’agonie. Non, tout au contraire, je me dois d’avouer en toute franchise, qu’en tant qu’enfant de ce siècle, enfant gâté, bouffi d’individualisme forcené, petit homme ivre de sa propre insignifiance, saturé de misanthropie cynique, divorcé de l’histoire, divorcé de l’idée même de l’histoire, le sort de la ville d’Hama m’indiffère totalement.

La vue des chars vomissant leurs obus sur la vieille cité ne m’empêche pas de ronfler, les images de civils fauchés par des balles orphelines ne gênent en rien mes heures passées sur ma terrassee à mater la voisine d’à coté occupée à bichonner ses hortensias, les commentaires de journalistes affolés décrivant l’enfer d’une ville livrée à des hordes sauvages et barbares ne m’interdit en rien de me demander ce que vaut vraiment Javier Pastore, la future idole du Parc. C’est ainsi.

Je me dois de rajouter que j’affichais la même tranquille et insupportable indifférence face au massacre perpétré en Libye, en Égypte ou en Papouasie Nouvelle Guinée. Notez que j’ai pleinement conscience de l’horreur de ma sotte et stupide et vaine et égoïste et égotiste vision du monde, que j’en frisonne parfois de dégout sans pour autant que j’en sois réduit à me fouetter le cœur pour qu’il sorte de sa torpeur criminelle. R9H2W-PBM7R-GFFM7-J8GJX-9Q93X. Non, non ce n’est pas un code kabbalistique à destination de la section du mossad du quatorzième arrondissement, c’est juste la clé de produit de la licence d’évaluation de 60 jours de Microsoft Office 2010 que j’essaye d’installer depuis des jours maintenant et que j’inscris ici pour ne pas l’oublier. En vain. Je tombe à chaque fois sur un message qui me dit je sais plus quoi, enfin bref, que je me suis égaré et qu’il faut recommencer toute la procédure. Comme quoi, MOI AUSSI, j’ai des soucis. Pour l’instant tout va bien, j’en suis à 26% du processus d’installation. Je ferme la parenthèse que j’avais oublié d’ouvrir.

Peut-être est ce là le traumatisme de l’Histoire qui m’amène à réagir ainsi, qu’issu d’un peuple qui ayant été mis au rebut de l’humanité au simple motif qu’il était, et ce dans le plus assourdissant des silences, j’en suis réduit à me dire à chacun son tour, que vogue le navire, ainsi va la mort.

Même si précisément, pour la même raison que j’appartiens a un peuple qui trop souffert de mourir d’indifférence, je devrais bien au contraire, sitôt qu’on ose toucher au cheveu d’un enfant innocent, m’offusquer à m’en fendre l’âme et tout tenter pour que cessent enfin ces insupportables carnages. Et pourtant non. Je n’y arrive pas.

Peut-être parce qu’adolescent, jeune homme, jeune adulte, me suis-je trop consumé dans les pages d’Au dessous du volcan de Malcolm Lowry, le dernier grand roman occidental qui a été composé ici, à quelques kilomètres de l’endroit où j’écris ces lignes, à Dollarton, juste en face du port de Vancouver où oui je sais l’on chante des souvenirs amers et où les gens de la nuit sont toujours là quand il faut . Tu veux la vidéo? Voilà la vidéo de la chanson de Sanson. ( 46% pour office 2010. Ca va le faire, je le sens)

Et plus encore dans ce chapitre dix où le consul, entre deux lampées goulues de mescal, s’en prend à son demi frère, engagé auprès des républicains lors de la Guerre d’Espagne : «  Ne vois-tu donc pas qu’il y a comme un déterminisme qui pèse sur le destin des nations? Toutes me paraissent avoir le sort qu’elles méritent à la longue, non? Avant c’était cette pauvre petite Éthiopie sans défense. Avant encore, cette petite Flandre sans défense. Sans oublier naturellement ce pauvre petit Congo belge sans défense? Demain viendra le tour de cette pauvre petite Lettonie sans défense. Ou de la Finlande. Pourquoi pas la Russie? Lis donc l’histoire. Remonte mille ans en arrière. Quelle stupidité de prétendre intervenir dans son absurdité! C’est une barranca engorgée de détritus, un ravin sinueux courant à travers les siècles pour finir à sec. A quoi donc a servi l’héroïque résistance de tout ces pauvres petits peuples sans défense d’ailleurs cyniquement mis dans l’incapacité de se défendre pour des motifs criminels… La rationalisation collective des motifs, voilà la malhonneté. La justification du petit désir pathologique banal, de la volonté de se mêler de tout, qui une fois sur deux n’est qu’une passion de la fatalité. Une résignation, une soumission grotesque à la résignation des choses qui permet à chacun de se sentir flatteusement anobli ou justifié. Est-ce qu’on ne pourrait pas enfin foutre la paix aux gens? D’ailleurs il ne peut pas ne pas y avoir de catastrophes, sinon les mêle-tout en question seraient obligés de rentrer chez eux s’occuper de leurs propres responsabilités ».( Traduction de Jacques Darras. Grasset).

(Nouvel échec. Stop. Bill Gates m’a dans le collimateur. Stop. Fuck Microsoft.Stop. Je renonce.)

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