Heureux qui comme Nico a fait un beau transfert

Au grand soulagement des supporters de Chelsea, las de dépenser leurs livres sterling pour voir évoluer un joueur aussi motivé pour gambader sur la verte prairie de Stamford Bridge que Morrissey pour avaler un steak frite bien saignant, Nicolas Anelka a été prié de rendre les clefs de son vestiaire pour laisser la place à un attaquant un peu plus mordant. Qu’importe, des chinois de Shanghai qui passaient par là ont reniflé la bonne affaire, et pour un salaire gravitant autour de 234 000 euros par semaine, se sont payé les services de Nico, le footballeur qui a passé sa carrière à courir derrière l’ombre de son supposé génie que certains, sauf moi, ont cru apercevoir un soir de février 1999 du côté de Wembley, avant de disparaître dans les brumes du championnat turc pour renaître, par intermittence, puis par éclipse, puis plus du tout, du côté de Bolton ou de Chelsea.

Grand bien lui fasse. On lui souhaite tout le bonheur du monde. Des geishas à la pelle, des partenaires toujours prêts à lui cirer les pompes, des ramasseurs de balle affables, un entraîneur lui demandant de jouer à l’instinct, des journalistes compréhensifs, un public acquis à sa cause, des dirigeants patients, un concierge souriant, un chauffeur silencieux, un laveur de vitres efficace, un cuisinier raffiné, et un responsable de compte aimable.

Demeure la question essentielle : mais à quoi tout cet argent, tombé de la dernière mousson, va bien pouvoir lui servir ? Sachant qu’il n’émargeait pas vraiment au RMI  lors de son séjour londonien, et que partant, on peut supposer qu’il a d’ores et déjà amassé assez d’oseille pour assurer ses arrières et ceux de ses proches sur plusieurs générations.

En imaginant aussi que ses nouveaux bienfaiteurs, plus à un yen près, se sont engagés à acheter un avion-cargo supersonique pour pouvoir transporter, dans les plus brefs délais, sa colonie de Ferrari, sa meute de Bentley, sa cohorte de Rolls Royce, sans oublier toute la petite famille d’écrans ultra-plats maxi-géants compacts Dolby en 5D, son catamaran de lit, son maharadjah d’escalier en marbre, son aquarium de piranhas, sa bibliothèque complète de jeux vidéos, son encyclopédie de joys sticks, sa panoplie de dvd de Bruce Lee et sa collection de films pornos coréens.

Il ne faudrait pas, que pour une simple question d’intendance, le joueur ait du vague à l’âme et se languisse de Buckingham Palace ou du British Museum. Bref, pour le bien de tous, il faut imaginer Anelka heureux, dans sa vaste demeure aux proportions pharaoniques, avec sa douzaine de salles de bain en marbre d’Alaska, ses chiottes grands comme une cellule d’un condamné à mort, des kilomètres de corridors de couloirs si étendus qu’ils disposent de noms et de sens de circulation afin qu’on ne s’égare pas en effectuant le périlleux trajet, chambre à coucher numéro 7 à cuisine numéro 5 en passant par salle de bain numéro 2 pour le rinçage des molaires supérieures avant de se rendre à la salle de bains numéro 1bis, située dans l’aile gauche du réfectoire sud, pour le détartrage de l’incisive gauche.  

 

Sachant qu’un footballeur professionnel, exilé dans des pays exotiques où le football ne représente qu’un aimable passe-temps, s’entraîne environ une demi-heure par jour, qu’il dispute un match par semaine, une quarantaine de rencontres par an, on s’accordera aussi à penser qu’il dispose de quelques plages horaires conséquentes pour jouir, en toute décontraction, de ses maigres subsides.

Présupposant tout aussi possible que l’agent du joueur se soit montré assez retors et finaud dans sa négociation avec les grands pontes du Shangai Shensua, pour que tous les frais afférents au bon fonctionnement de la dite demeure, électricité, gaz, eau, nourriture, remplacement des fusibles, entretien des véhicules, drainage du lac, plantation des palmiers, cirage des pompes, récurage des éviers, toilettage du chenil, n’incombent pas à son poulain qui a d’autres buts à atteindre que de s’occuper de régler cette charrette encombrante de menues factures.   

Considérant d’autre part que Nicolas Anelka ne goûte que très modérément à l’art moderne, qu’il n’éprouve pas franchement des élans de tendresse irrépressibles pour la peinture du XIXème, que les tableaux de la période bleue de Picasso ne l’enchantent pas plus que cela, que posséder la version originale du manuscrit de Madame Bovary ne l’émoustille que modérément, que sa religion lui interdit de se rincer les dents au Mouton Rothschild Millésime 1945, je reformule ma question : à quoi tout ce fichu argent va bien pouvoir lui servir ? Hein ?

Ou dit autrement, quand on a déjà tout, que la vie est réglée comme du papier à musique, qu’on croule sous les Sicav, actions, obligations, stock-options, qu’on possède déjà un pied-à-terre à Trappes, à Paris, à Londres, à New York, à Los Angeles, à Honolulu, à Bali, que la pratique d’un sport de haut niveau vous condamne à mener une vie de moine d’où sont exclus, à priori, les maîtresses voraces, les agapes qui se terminent à l’aube, les parties fines avec les plus belles créatures de la planète, le reniflage de coke pure comme de l’acier trempé… on le dépense comment son pognon si durement amassé ? Sur un coup de tête, on refile tout aux restos du cœur ? On joue au Monopoly avec ses comparses en mettant en jeu ses propres hôtels ? On s’arrange pour détruire volontairement ses Lamborghini en s’amusant à oublier d’actionner la porte coulissante du hangar à bateaux ? On crée son propre site de paris en ligne pour être autorisé à miser des sommes astronomiques ? On renfloue l’économie grecque ? On règle le problème de la faim en Afrique ? On offre un râtelier en or à son brave toutou ? On nourrit son chat au caviar d’ours ? On s’achète un soleil ? Une planète ? Un océan ? On corrompt le gardien du stade pour agrandir les buts adverses ? On se paye une psychothérapie avec Dieu en personne ? On joue au golf avec des couilles de mamouth ? On se paye une séance de cardio-training avec Madonna comme entraîneuse en utilisant une version ultra sophistiquée de Skype ?

Ou alors, tout simplement, on se procure au marché noir, sous le manteau, un cerveau et un pied gauche. Oui un pied droit aussi.

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