Les Beatles en streaming, c’est comme de retrouver ses jouets d’enfance


Depuis que les Beatles ont débarqué l’autre semaine sur des plateformes de streaming, ma vie a changé du tout au tout.

Je suis amoureux.

Je me lève aux aurores, je chante, je siffle, je danse, je me suspends à mon lustre, je cavale dans mon couloir, je danse la polka avec mon chat, je dis bonjour à la voisine, je salue la concierge, j’aime le monde entier, je trouve même du charme à Juppé.

Plus rien n’a d’importance.

Je flotte.

Je barbote dans une mer de béatitude.

Je remonte le fil du temps.

J’ai seize ans d’âge mental, je cours les filles, je les embrasse sous des porches à la nuit tombée, je les pelote à l’arrière-salle de cinémas obscurs, je les emmène dans ma voiture, je les tiens par la main, je leur demande si elles m’aiment, elles me répondent que oui, je suis le roi du monde.

La vie est une fête perpétuelle, l’air du champagne rosé, la nature une ode à l’harmonie et à la joie.

Tout est redevenu léger, évanescent, futile.

L’adolescence du monde quand tout était encore possible, quand on portait notre innocence en bandoulière, quand rien n’importait plus qu’un baiser échangé à la sortie des cours.

C’est comme des retrouvailles avec un ami perdu de vue depuis longtemps et dont on se demande encore en l’écoutant parler comment on a bien pu se passer de ses services.

Depuis une semaine je vis à nouveau dans un sous-marin jaune, j’explore les fonds marins avec John, Paul, Georges et Ringo, dans le ciel je vois Lucy et ses diamants danser, je longe Penny Lane, je rends visite à Eleanor Rigby, j’obladioblada, je chante la révolution, je reviens de Russie, je chasse avec Bungalow Bill, je consulte le Docteur Robert, je repense à Michelle, à Julia, aux champs de fraises de mon enfance, à la vie que je mènerai quand j’aurais soixante-quatre-ans, je crie à l’aide, je me demande pourquoi on ne le ferait pas sur la route, je revis. 

Les Beatles tout de même.

Et dire que j’ai passé des années entières à les ignorer avec superbe.

Je les avais rayés de mon univers musical.

Ils n’existaient plus.

Trop fauché ou trop radin pour racheter leurs CD, trop usé pour descendre à la cave rechercher le fantôme de leurs vinyles ou de leurs cassettes, trop paresseux pour les pirater, je ne m’en préoccupais plus.

J’avais parfois des bouffées de nostalgie que je calmais en écoutant mon chat sauvage.

Je me saoulais avec les Kinks. Ou les Smiths. Ou Belle and Sebastian.

Et puis j’avais toujours Dylan, Lloyd Cole ou Brel pour m’accompagner sur le chemin de la vie.

J’avais seulement oublié l’incroyable génie des quatre garçons de Liverpool, leurs délires psychédéliques, leurs mélodies si pleines de joliesses, leur naïveté des débuts, la sublime crétinerie de leurs paroles, leur sens du non-sens, leurs chansons parfaitement ciselées, leurs refrains niais, leurs malices, leurs acrobaties musicales, leur jubilation à réinventer la musique de l’époque.

Et puis ce double album blanc si inattendu, si surprenant, si insolite, si parfait.

Rien de tel pour finir cette année et commencer l’autre.

Oublier les deuils, la lourdeur de l’époque, la noirceur du monde, la pesanteur de nos vies qui ne ressemblent plus à rien, le temps qui va, les cassures et les brisures, les renoncements et les lâchetés, les ratés et les trahisons.

Renouer avec la légèreté de l’existence.

Et vous souhaiter une bonne année encore plus déprimante que celle qui vient de s’achever.

                                                                                                                                                                                                                                               Santé !

                                                                                                                                                                                                                                                                                                    Pour suivre l’actualité de ce blog, c’est par ici : https://www.facebook.com/pages/Un-juif-en-cavale-Laurent-Sagalovitsch/373236056096087?skip_nax_wizard=true

Un commentaire pour “Les Beatles en streaming, c’est comme de retrouver ses jouets d’enfance”

  1. Va pour le « striminge » et « ce double album blanc si inattendu, si surprenant, si insolite, si parfait. Rien de tel pour finir cette année et commencer l’autre ». Va pour vous, s’entend. Si cela vous convient, vous chatouille le nerf de la nostalgie, vous rend vos « seize ans d’âge mental », qu’aurait-on à y redire ? Au contraire. À chacun son truc et son starter et ses stimuli et ses bulles de lévitation mentale, puisque que c’est pour la bonne cause, pour quelques moments de plaisir, ou même de bonheur. La vie est courte, mon bon Monsieur, savez-vous ? comme disent les vieux.

    À d’autres, conscients en lisant vos billets, de vous avoir devancé sur terre de deux décennies et de quelques poussières, partant, que le poids des ans les ramène à des souvenirs encore plus anciens, des musiques soutenant des paroles sans doute plus substantielles, ou plus graves, votre plaisir ne donne aucune amertume, et ne stimule aucun jugement dépréciateur. – Tant mieux s’il « plane » avec ses Beatles, s’extrait grâce à cela de notre foutu monde commun ! Nous aussi avons nos pousse-à saudade, nos grands airs pour larmes de joie et nos chanteurs favoris, à qui d’ailleurs vous empruntez telle strophe ou tel refrain.

    Santé, donc, et meilleure année que celle sur laquelle descend un bien lourd rideau.

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