François, par pitié, ne me déchois pas


Je n’en dors plus de la nuit.

Depuis l’annonce de la possible déchéance de nationalité pour les blancs-becs comme moi qui se trimballeraient avec deux passeports dans leurs valises, deux passeports délivrés par deux pays bien distincts, je ne trouve plus le sommeil.

J’ai peur.

Je surveille mes dires et mes gestes.

Je relis ma correspondance afin de déterminer si oui ou non j’ai pu, dans un moment d’égarement, en des termes peu amènes, m’en prendre à ma terre natale, à cette France sans qui je ne serais rien, cette France qui m’a tout donné et à qui je n’ai rien apporté, cette France que j’ai quittée de mon plein gré pour m’installer loin d’elle, le plus loin possible d’ailleurs, cette France que j’ai osé défier en acceptant de devenir l’autre été un sujet canadien.

Ce que je peux regretter maintenant d’avoir accepté pareille proposition.

Si j’avais su qu’en agissant de la sorte, je risquais un jour ou l’autre d’être déchu de ma nationalité française, que je serais banni à vie de cette terre d’élection où j’ai vu le jour, où j’ai grandi, où j’ai mangé à la cantine de l’école de la république, où j’ai appris le maniement des armes et l’épluchage de patates lors de mon service national ; si j’avais soupçonné qu’un jour, je puisse être privé de Tour Eiffel, de Paris-Brest et de Parc des Princes, jamais ô grand jamais, je n’aurais accepté cette maudite citoyenneté canadienne.

On me dit, “mais non, tu n’as rien compris, une telle mesure ne concernerait que des individus fomentant des actions terroristes contre la France.”

Et alors ?

Qui me dit qu’un jour ou l’autre, moi aussi, me sentant abandonné de tous, pris d’une inextinguible envie d’en découdre avec mon pays natal, écœuré de voir ce qu’il est devenu, une terre livrée aux Arabes et aux Roms, je n’aille pas reprendre le chemin des croisades et, avec Robert Ménard en éclaireur, je ne débarque pas un beau matin, en plein marais poitevin, avec la furieuse envie d’en remontrer au premier métèque rencontré.

Ou bien qu’au soir du second tour de la prochaine élection présidentielle, en apprenant l’élection d’une lapine à la tête de l’État, saisissant mon bâton de Maréchal, je n’aille lancer mon Appel de Vancouver, les métisses parlent aux métisses, je répète les bougnoules parlent aux bougnoules, conjurant tous les bâtards de Français considérés comme n’étant point assez de souche de venir me rejoindre en mes terres lointaines afin de former un contre gouvernement de défiance nationale.

Quand je pense que désormais j’ai une chance de mourir canadien et uniquement canadien, j’en reste si ébranlé que j’ai décidé de repousser le plus tard possible la date de mes obsèques voire de les annuler carrément.

D’autant plus que le Canada lui aussi a adopté récemment la possibilité de déchoir ses binationaux.

Auquel cas, qu’adviendra-t-il de moi ?

Iront-ils jusqu’à me délivrer une assignation à résidence consistant à vivre sur un radeau perdu au beau milieu de l’Atlantique à mi-distance entre Brest et Halifax ?

Je n’aurais alors plus de passé et encore moins d’avenir.

Je redeviendrais ce Juif que finalement je n’aurais jamais cessé d’être.

Un authentique apatride étant bien entendu que jamais je n’irai m’enterrer en Israël où, me connaissant, au bout de deux jours à ne fréquenter que d’autres Juifs, je finirais par regretter l’époque bénie de la solution finale.

C’est pourquoi j’ai décidé, au lieu d’attendre le bon vouloir de l’administration française, de me déchoir moi-même.

Je déclare donc qu’à partir d’aujourd’hui, moi Laurent Sagalovitsch, français de la première génération et canadien de la dernière moisson, je ne suis plus ni l’un ni l’autre.


Je ne suis plus rien.


Ce qui au fond me correspond fort bien.

                                                                                                                                                                                                                                                                                                         Pour suivre l’actualité de ce blog, c’est par ici : https://www.facebook.com/pages/Un-juif-en-cavale-Laurent-Sagalovitsch/373236056096087?skip_nax_wizard=true

Un commentaire pour “François, par pitié, ne me déchois pas”

  1. Cette hâte à anticiper sur une loi qui n’est encore qu’un projet, bizarre, non ? Comme un toton, tourneriez-vous sur vous-même ? Quelle bougeotte mentale s’emparerait-elle de vous ? Ou bien projetteriez-vous de bougeotter hors de Vancouver ? Dans vos textes, ne remuez-vous pas sans cesse, comme si l’immobilité vous paraissait une mort symbolique ?

    Enfin, ne vous est-il pas venu à l’oreille ou sous les yeux une dépêche annonçant un probable retrait, par François, de cette peine de déchéance nationale ? Il est à peu près sûr qu’à défaut de la nationalité française, seule cherra la bobinette quand tirée la chevillette sera. Si vous jouiez en France au méchant « blanc-bec » (sic) de quarante ans sonnés, forciez l’huis des grand-mères et triomphiez dans le sang du loup couché dans le lit des mémés après qu’il les eut boulottées, vous seriez zoophage et, de surcroît, soupçonné de cannibalisme car la Justice ne croit plus aux contes de fées.

    Dans ces draps-là, vous écoperiez à coup sûr d’une condamnation à quelques années de prison pour cruauté ayant entraîné la mort de Canidés sauvages pendant leur sommeil, assorties de dommages-intérêts substantiels. Quant à une extradition vers le Canada, cela relève du domaine des avocats (un seul ne suffirait pas) qui accepteraient de défendre « L’indéfendable Laurent Sagalovitsch, sujet canadien », ainsi que titrerait probablement au moins l’une de nos feuilles de chou friandes de faits-divers.

    Quant à votre auto-déchéance nationale, n’y songez pas ! En geôle française ou canadienne, vous auriez d’autres chats à fouetter, loups à déchiqueter avec vos criminelles quenottes, etc. ; et pour commencer la constitution du dossier sollicitant l’autorisation de rédiger vos blogs hebdomadaires publiés dans « Slate.fr » – ledit site accepterait certainement l’exclusivité de blogs écrits, depuis sa cellule de prison, par un zoophage, probablement cannibale. Ça ne se refuse pas !

    S’agissant votre demande de grâce, il conviendrait que l’un ou plusieurs de vos avocats prenne[nt] langue, selon le pays, avec la Reine, ou François. Celui-ci, étant donné la familiarité que vous paraissez entretenir avec lui, serait plus indiqué. Il ne chasse certes pas ; la Reine courut le renard durant sa jeunesse, non le loup. Indécision à lever, le moment venu. S’il vient. Ce qu’on ne sous souhaite pas.

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