De l’influence des flatulences sur la vie conjugale


Je sais, je sais, le monde va mal, les bombes explosent un peu partout, la planète se meurt, la troisième guerre mondiale s’offre une répétition générale ; du nord au sud la France a des envies de sodomie nationale et électorale, et moi, moi, moi, je m’en vais vous parler de flatulences, de leur influence sur la vie maritale, de pétaudière conjugale et autres petites tracasseries de ma vie digestive.

J’assume.

C’est précisément quand le monde vacille qu’il faut en revenir au principal, au cœur même des préoccupations qui depuis la nuit des temps ont occupé le cœur (et le cul) des hommes, empoisonné les déjà compliquées relations hommes/femmes, suscité séparations, divorces, suicides, provoqué de telluriques disputes tournant toutes autour de l’épineux et insoluble et infini problème de l’émission de gaz naturels en milieu domestique.

J’avoue, je le confesse, je l’admets même, j’ai une certaine tendance à laisser mon estomac s’épancher à l’heure où finit le couscous et où commence la dégustation de cigarettes au miel.

C’est comme un cri qui viendrait de l’intérieur, un appel à la délivrance, une aspiration à un monde plus apaisé, une appétence de mes viscères à se délivrer d’un poids qui l’encombre de trop, une inclinaison de mon intestin à se débarrasser d’un surplus d’air encombrant ses vastes boyaux.

Comme un irrépressible besoin de déposer les armes et de s’alléger d’un fardeau menaçant à tout instant de transformer mon corps en une cuve géante où s’entasseraient graine de couscous après graine de couscous, des réserves de gaz capables à tout instant d’exploser dans une symphonie pétaradante de borborygmes émis par un rectum soumis à de telles turbulences qu’il serait bien incapable de trier l’ivraie du pet.

Certains, afin d’éviter cette brusque irruption de sonorités discourtoises, choisissent d’opérer en silence, dans l’anonymat d’un simple relevé fessier permettant l’évaporation d’effluves plus ou moins odorantes, d’autres – c’est mon cas – incapables de résister à la pression, émettent des avertissements ponctuels sous la forme d’une franche protestation ; les plus volontaires parviennent à se contenir et à patienter le temps qu’il faut avant de pouvoir s’aérer les cavités culières lors de joutes solitaires disputées qui au fond d’un jardin, qui sous une douche, qui sur un balcon.

Tout étant au fond une question de dosage, de circonstances et d’environnement.

Le célibataire ne nourrira aucun scrupule à laisser prospérer sa symphonie intime qui pourra tout à son aise revisiter les clefs de sol de son répertoire particulier quand, à de brutaux coups de semonce succéderont sifflements langoureux, bruits de trompette, tambours du Bronx et autres sonates de nuit.

Vivant en couple, je ne possède pas cette chance.

Il me faut composer.

Les flatulences, il faut le dire, n’ont pas bonne presse auprès de la gent féminine.

Même s’ils sont parfaitement inodores, ils ne provoquent que réprobation, indignation, menace de séparation.

J’ai beau dans ces cas-là protester de mon innocence, professer mon statut de victime, proclamer la toute-puissance de la nature contre laquelle je ne peux rien, rappeler mes ascendances sépharades, mon lourd patrimoine génétique, la faiblesse de ma gaine abdominale, mon estomac perclus d’angoisse, ma frêle constitution, mon atavique aérophagie, je ne récolte que remontrances outrées, regards noirs, avertissements avec frais.

Ces nuits-là je dors seul.

Seul avec le fantôme de mes pets.

Même mon chat me fuit.


Aussi afin d’éviter ces déconvenues à répétition, j’ai décidé d’organiser la semaine prochaine une COP 22. Objectif annoncé : sauver mes fiançailles en réduisant mes flatulences à effet de serre en-dessous la barre fatidique des 2 %.

Pas gagné.

                                                                                                                                                                                                                                                                                                           Pour suivre l’actualité de ce blog, c’est par ici : https://www.facebook.com/pages/Un-juif-en-cavale-Laurent-Sagalovitsch/373236056096087?skip_nax_wizard=true

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Mon père, ce dépressif


J’ai toujours connu mon père dépressif.

Pas déprimé, pas mélancolique, pas triste, pas désespéré : dépressif.

De cette dépression qui vous agrippe dès le matin apparu, noircit le cœur et l’âme, assombrit votre esprit, enlève tout désir de vivre, épuise, écœure, tourmente, ronge, laisse exsangue et vous réduit à fixer hagard le plafond de votre chambre en vous demandant quand donc ce calvaire prendra-t-il fin ?

Une symphonie funèbre où toute la journée durant résonnent lancinantes les cymbales de votre dépression triomphante, cette incapacité à ressentir une quelconque joie ou envie, cette impossibilité à se soustraire à elle, cette apathie de l’intellect qui n’a plus goût à rien, cette fatigue aussi d’un corps qui semble charrier un sang lourd et épais comme du métal, cette atonie des sens qui colorent la vie, le ciel, les gens, les rues, les trottoirs de teintes sombres comme un ciel d’automne.

Cette impuissance à la combattre, cette volonté que les autres vous réclament de se mettre en action et qui ne répond à aucune de vos sollicitations, ces heures qui se traînent, lourdes et impavides, immobiles et figées,  muettes et ténébreuses, soupesant leur poids de tristesse accablée.

Ce désir de rien si ce n’est de goûter au repos, de s’enfoncer dans la grande nuit de son sommeil afin d’échapper à l’étreinte de sa fatigue existentielle, de reconstituer ses maigres forces, de dresser entre soi et le monde une barrière derrière laquelle il sera enfin permis de s’abriter, de s’oublier, de se retirer parmi les chuchotis de rêves empesés, de cauchemars silencieux, de pensées éparses.

Quand mon père avait cinq ans, la guerre éclata.

Il était belge, il était juif, il n’avait aucune chance de survivre.

On décida de gagner la France, on se cacha dans le sud du pays, sa mère tomba malade, on ne put la guérir : elle décéda.

L’errance repris, on parvint à gagner la Suisse, mon grand-père se remaria bien vite ; dans la confusion de son enfance confisquée, mon père oublia sa mère, prit la nouvelle épouse de mon grand-père pour sa véritable mère jusqu’à ce que plus tard, bien plus tard, une fois arrivé sur les rives de l’adolescence, la triste vérité lui fut révélée.

Il ne s’en est jamais remis.

Il n’y eut pas chez lui de phénomène de résilience. Pas de sursaut. Pas de rébellion.

Il ne revint jamais de ces territoires noirs de son enfance marquée par la peur, la mort, la fuite, la constante intranquillité, la douleur, le chagrin, l’amère potion d’une vie à peine commencée et déjà passée à échapper à l’inexorable, aux arrestations, aux déportations.

Des hommes revenus des camps ou ayant traversé ces mêmes terres désolées de l’histoire, vécu ces mêmes années de privation et de dissimulation, essuyé ces mêmes traumatiques tempêtes, sont parvenus à se reconstruire.

D’autres pas.

Chacun fait ce qu’il peut.

Mon père n’a pas pu.

Ou alors seulement par instants.

Mais toujours, il a dû combattre son inclinaison naturelle à renouer avec le  souvenir d’une époque qu’il a traversée comme un somnambule, comme un clandestin, comme un naufragé, hanté par la disparition d’une mère qu’il a eu à peine le temps de connaître.

Il n’a pas eu d’enfance.

Et sur le sable de cette absence, il n’a su bâtir de fondations assez solides pour lui permettre d’aller sans encombres sur le chemin de sa vie amputée.

Le mal était trop profond pour lui permettre de renouer avec le soleil de l’existence.

Il a vécu pourtant.

Il vit toujours.

Il continue à se débattre avec ses souvenirs, il interroge encore son passé ; il ne cessera jamais.

Il aura été toute sa vie dépressif.


Ce fut là son prix à payer pour être né à une époque où le comportement des hommes n’eut d’égal, dans son innommable barbarie, que le silence d’un Dieu occupé à d’autres tâches.


Puissent ces temps ne jamais revenir.

                                                                                                                                                                                                                                                                                                            Pour suivre l’actualité de ce blog, c’est par ici : https://www.facebook.com/pages/Un-juif-en-cavale-Laurent-Sagalovitsch/373236056096087?skip_nax_wizard=true

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Nous vivions un âge d’or et nous ne le savions pas


Nous étions nés bien après la seconde guerre mondiale.

Dans le confort d’une société occidentale assez sûre de ses valeurs pour permettre à ses enfants de mener une existence vouée à la satisfaction de ses seuls désirs, une existence pacifique où le tragique n’avait pas sa place hormis l’irruption d’une maladie nommée Sida qui devait endeuiller une partie de sa jeunesse et lui enlever une partie, une partie seulement, de son insouciance.

Nulle guerre à l’horizon.

Depuis bien longtemps, les fusils avaient été rangés au grenier des souvenirs et plus personne ne se souvenait du temps où mourir au champ d’honneur était une façon comme une autre de dire ses adieux à ce monde.

Nul deuil dans les familles qui serait la conséquence d’un de ces enfants mort pour la patrie reconnaissante.

Nul appel à la mobilisation pour aller protéger nos frontières, conquérir des territoires lointains, envahir des pays voisins, résister à l’envahisseur ou se battre au nom de la liberté en danger.

Le grand calme.

A l’intérieur comme à l’extérieur.

Quelques poussées de fièvre parfois, des manifestations, des revendications, des mécontentements, des bavures ici et là, des vitrines brisées, des pavés lancés, des gouvernements obtus, une jeunesse obstinée : le train-train d’une démocratie jouant à se faire peur le temps de quelques jours.

Certes du chômage, de la misère sociale, de la précarité, des existences parfois difficiles, des emplois sans grand intérêt, de l’ennui, de la morosité, du désenchantement un peu partout mais rien qui vienne bouleverser en profondeur nos grands équilibres : la vie suivait son cours, les cours de la bourse continuaient de grimper, la consommation allait bon train, les commandes affluaient, refluaient, affluaient de nouveau, on était libres, on voyageait, on étudiait, on finissait par trouver un boulot, on se mariait ou pas, on contractait un emprunt, on parvenait à acheter un appartement certes plus petit que ceux de nos parents mais tout de même c’était mieux que rien, sinon on se contentait de louer, on jouissait en silence, on maugréait pour le principe, on allait au cinéma, au stade, au concert : on engraissait.

De temps à autre, on regardait le monde alentour, ce n’était pas beau à voir mais que pouvait-on y faire, on avait nous aussi nos soucis qui valaient bien ceux des indigènes vivant dans des parties du globe entrevues le temps d’un reportage sur nos téléviseurs dernier cri : la pollution, les embouteillages, les impôts, le manque de place dans les crèches, le manque de place dans les transports publics, le manque de place pour garer sa voiture, les plans galère pour dénicher un logement décent, notre livret A qui perdait de la valeur, nos économies qui rétrécissaient, le prix de la baguette qui flambait… monde de merde.

Et puis.

Et puis, comme dans un mauvais rêve, tout cela a volé en éclats : des fous de Dieu sont rentrés dans Paris et ont canardé tout ce qui bougeait, on s’est découvert vulnérables, on a commencé à avoir peur, peur de tout, peur des autres, peur de soi, des régions entières ont basculé à l’extrême-droite, des populations paniquées se sont levées pour se faire justice, des incendies ont éclaté, se sont propagés, ont gagné le cœur des villes, une jeunesse s’est battue contre une autre jeunesse, le sang a coulé, beaucoup de sang, tout est parti à vau-l’eau, la liberté, l’égalité, la fraternité : la paix et l’esprit de concorde avaient vécu.

Oui, par bien des aspects, en ces jours troubles où nous errons hagards et somnambules dans nos existences meurtries par les attentats de l’autre soir, nous pressentons en espérant nous tromper que la grande roue de l’histoire, après des décennies de douce torpeur, s’est remise en branle et qu’elle s’apprête à nouveau à nous broyer et à nous sommer de choisir notre camp.

Et en regardant en arrière, sur ces vies qui hier encore n’en finissaient pas de nous irriter tant elles peinaient à répondre à nos fébriles attentes, on découvre stupéfaits et un brin honteux que, sans même le savoir, nous vivions là une sorte d’âge d’or où, préservés des vicissitudes de l’Histoire, nous allions sur le chemin de vies qui ne pouvaient être que promesse de lumière et de légèreté.

                                                                                                                                                                                                                                                              De lumière et de lègereté.

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                   Pour suivre l’actualité de ce blog, c’est par ici : https://www.facebook.com/pages/Un-juif-en-cavale-Laurent-Sagalovitsch/373236056096087?skip_nax_wizard=true

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Martyr : les pitres de Dieu


Je vais finir par me demander si, plutôt que des bombes, ce ne sont pas des bataillons entiers de psychiatres qu’il faudrait parachuter en Irak ou en Syrie.

J’ai beau avoir lu et relu tout Dostoïevski, j’avoue être dans l’incapacité de comprendre comment un être humain, né à la fin du vingtième siècle avec tout ce que cela suppose comme accès à la connaissance et à la raison, puisse, en pleine fleur de l’âge, décider de s’offrir en sacrifice dans l’espoir de recevoir les félicitations d’un jury céleste qui, pour l’ensemble de son œuvre, le récompensera dûment sous la forme d’un cheptel de soixante-douze vierges à déflorer.

Hein ?

C’est-à-dire que même sous acide, même en ayant sniffé un rail entier de cocaïne aussi pure que des neiges éternelles, même en ayant descendu un litre de Destop, je ne vois pas bien comment un cerveau humain même réduit à sa plus simple expression, même étant constitué d’une seule paire de neurones, même branché sur courant alternatif, puisse arriver à croire mordicus à ces fanfreluches métaphysiques.

En tant que féroce agnostique, je veux bien admettre toutes les hypothèses possibles quant à notre vie future, je veux bien essayer de croire en l’enfer ou au paradis, je veux bien imaginer l’existence d’un être supranaturel à qui il faudrait rendre des comptes, je veux bien adhérer à l’éventualité de monde souterrain, de royaume des morts, de nuit des morts-vivants, mais j’avoue avoir nettement plus de mal avec l’idée d’une partouze perpétuelle disputée dans des univers parallèles qui serait conditionnée à l’obligation de passer par la case martyr pour jouir de cette félicité éternelle.

Il faut tout de même se situer au-delà de toute névrose pour parvenir à croire en l’existence d’un Dieu qui exigerait de ses fidèles de se réduire eux-mêmes en charpie afin d’avoir une chance de décrocher le premier prix de la loterie interstellaire consistant à passer le reste de sa mort entouré de  soixante-douze nubiles destinées à devenir leurs épouses.

Déjà que j’ai du mal à me débrouiller avec ma femme et à combler ses attentes, alors soixante-douze, vous parlez d’un paradis.

En soi, je ne conteste pas cette hypothèse.

Après tout, c’est une idée assez séduisante.

Quel homme n’a jamais rêvé d’être révéré par soixante-douze donzelles prêtes à tout pour réaliser ses moindres désirs ? Fais la vaisselle, descends les poubelles, change la litière du chat, passe l’aspirateur, appelle ma mère, repasse mes chemises, prépare le repas, débarrasse la table, allume la télé, sers-moi un cognac, va me chercher le chocolat… j’ai largement de quoi les occuper jusqu’à la nuit des temps.

Là où je reste franchement perplexe, c’est la corrélation avec un suicide assez spectaculaire à réaliser pour que de votre corps on ne retrouve rien si ce n’est le cadavre d’une molaire accroché au lustre du plafond de la maison d’en face, un suicide assez spectaculaire pour qu’il propage la mort tout alentour et fauche des innocents qui se trouvent parfois, souvent même, appartenir à la même confrérie que le suicidé lui-même.

Pourquoi ne pas récompenser plutôt celui ou celle capable de nager dans la Seine sans attraper la jaunisse, d’adoucir le tempérament de Jean-Luc Mélenchon, de rendre Jean-Pierre Pernaut sympathique ou alors d’éclairer la pensée de l’auteur de ce blog qui depuis vendredi dernier cherche à comprendre l’incompréhensible ?  


Le monde entier vous en serait reconnaissant.

Moi le premier.

                                                                                                                                                                                                                                                                                                      Pour suivre l’actualité de ce blog, c’est par ici : https://www.facebook.com/pages/Un-juif-en-cavale-Laurent-Sagalovitsch/373236056096087?skip_nax_wizard=true

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La lecture pour oublier la folie sanguinaire de ce monde


Quand la laideur du monde vous étrangle de trop, quand l’actualité vous prend à la gorge et vous assaille de nouvelles aussi tristes les unes que les autres, quand de partout affluent des torrents d’images prenant d’assaut votre cerveau saturé d’horreur, alors du plus profond de votre âme, monte en vous cette aspiration à divorcer de ce monde-ci, à ne plus vouloir entendre sa funèbre musique, à cesser toute sorte de communication avec lui.

Parce que vous n’êtes qu’un homme, ni pire ni meilleur que les autres.

Parce que vous êtes fragile, si fragile.

Parce que cette rage qui est en vous, cette rage, enfant de votre tristesse et de votre colère mêlées, ne peut trouver d’exutoire sous la forme d’un engagement qui permettrait au corps de supplanter l’amertume rôdant dans votre esprit malade, qu’il n’existe ni champs de bataille, ni terrains d’opération, ni brigades internationales pour combattre ceux qui vous affligent et vous supplient.

Parce qu’au fond vous êtes seul avec votre tristesse en bandoulière.

Et que vous êtes fatigué de toute cette symphonie de malheurs.

Il faut alors trouver un refuge, une chambre à soi, un endroit où aller et se reposer, se ressourcer et se rafraîchir, tenter de trouver une raison d’exister et de croire en des lendemains qui chantent.

Certains comme Ismaël dans Moby Dick prennent le large : ” Quand je me sens des plis amers autour de ma bouche, quand mon âme est un bruineux et dégoulinant novembre, lorsque mon cafard prend tellement le dessus que je dois me tenir à quatre pattes pour ne pas, délibérément, descendre dans la rue pour y envoyer dinguer les chapeaux des gens, je comprends alors qu’il est temps de prendre le large. Ça remplace pour moi le suicide ”.

Moi je me contente de grimper dans le train de mes bateaux imaginaires.

Je ferme les rideaux et je lis.

Je lis pour ne pas mourir.

Je lis avec l’avidité d’un condamné à mort à qui on vient apporter son dernier repas.

Je lis comme un forçat.

Je lis comme d’autres boivent pour oublier.

Je convoque mes auteurs de chevet et je leur demande l’asile littéraire.

Ils me l’accordent toujours.

Ils m’accueillent à grands chapitres ouverts, ils me serrent entre leurs mots, ils me bercent de leurs chants homériques, ils me saoulent de leurs illuminations poétiques, ils me donnent à voir d’autres horizons possibles, ils me savent : ce sont des frères d’infortunes

Sans eux, sans leur indéfectible amitié, je deviendrais comme fou.

Fou de rage et de tristesse. 


Ce monde est parfois si laid que je ne veux plus avoir à faire avec lui.

Il me faut l’oublier pour mieux le retrouver.

C’est une question de survie.

                                                                                                                                                                                                                                                  Le meilleur c’est un sommeil bien ivre sur la grève.(Arthur Rimbaud)

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                    Pour suivre l’actualité de ce blog, c’est par ici : https://www.facebook.com/pages/Un-juif-en-cavale-Laurent-Sagalovitsch/373236056096087?skip_nax_wizard=true

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VIVRE


Vivre.

Ne rien changer à ses habitudes, continuer à aller sur le chemin de l’existence sans montrer aucun signe d’affolement, tenir en respect sa propre peur et marcher la tête haute à la poursuite de ses rêves, ne rien céder à cette douleur qui vrille le cœur et assombrit l’âme, sortir, rire, fumer, boire, danser, aimer, fraterniser – obstinément.

Se souvenir.

Tout le temps, penser à ceux qui ne sont plus là, tombés au champ d’horreur de leur jeunesse triomphante, dans le midi flamboyant de leurs vies, au beau milieu d’une nuit pleine de fracas, fauchés par des jeunes gens à la cervelle retournée, au cœur froid, à l’âme figée, amoureux d’une mort qu’ils pensent être comme le commencement de leurs vraies vies, dans l’éther d’un paradis qui ne peut être pourtant que cet enfer réservé à ceux coupables d’avoir enténébré l’espérance humaine en répandant le sang d’innocents aux sourires d’anges.

Penser.

A tous ceux morts de l’autre côté de la Méditerranée la veille même des tragédies parisiennes, en plein cœur de Beyrouth, victimes des mêmes charognards, déchiquetés par une bombe puis par une deuxième, des hommes, des femmes, des enfants, en rien différents de nos victimes à nous tout comme ces malheureux et si nombreux passagers d’un avion russe parti de Charm el-Cheik et anéanti au-dessus du Sinaï, autant de disparus  dont on s’honorerait à célébrer avec une égale ardeur la mémoire tant la mort terroriste ne connaît de nationalité et ne peut souffrir d’être accueillie différemment selon l’endroit où elle s’abat.  

Accepter.

L’idée que cela puisse recommencer, en être tout le temps conscient, conceptualiser les douleurs à venir, se préparer à toutes les éventualités, ne s’étonner de rien, ouvrir grand le spectre des possibilités, réaliser sa parfaite impuissance devant un inexorable inscrit déjà dans le livre de l’avenir, le savoir, l’appréhender, l’intégrer dans son propre cheminement intérieur, l’accepter sans s’y résigner, l’admettre sans le redouter de trop, se tenir prêt pour les tempêtes futures afin de ne pas être balayé le jour où les vagues de la terreur frapperont à nouveau à nos portes.

Se méfier.

Des solutions toutes faites, des délires sécuritaires, des promesses impossibles à tenir, des grands discours, des stigmatisations, des raccourcis faciles, des accusations à l’emporte-pièce, des dérapages verbaux, du flot de pensées incontinentes, de la croyance en des mesures frappées d’arbitraire qui une fois appliquées plongeraient le pays dans la grande nuit noire de ses illusions perdues où s’affronteraient au grand jour communautés contre communautés, peur contre peur, Dieu contre Dieu, dans une nuit recommencée mais différente de la Saint-Barthélemy qui ne provoquerait que chaos et désolation et sonnerait comme l’ultime victoire des salopards de vendredi soir, ces assassins de la liberté.

Ne pas leur faire ce cadeau.

Rester intransigeant quant à nos principes.

Ne jamais renier nos idéaux.

Garder toute notre lucidité.

Malgré la mort, les pleurs, les chagrins.

Ceux d’aujourd’hui comme ceux de demain.

Demeurer solidaires dans l’adversité, se tenir les coudes face à l’effroi, afficher notre farouche obstination à ne rien changer à nos modes de vie et de pensée, c’est la seule façon d’honorer la mémoire de nos disparus et leur dire, par-delà la mort, quelles que puissent être notre couleur de peau, nos origines, nos différences, notre volonté acharnée de perpétuer leur souvenir dans la concorde de nos vies entremêlées.


C’est là la seule manière d’être à la hauteur de ce deuil qui nous frappe tous.

La seule.


Il n’en existe pas d’autre.

                                                                                                                                                                                                                                                                                                           Pour suivre l’actualité de ce blog, c’est par ici : https://www.facebook.com/pages/Un-juif-en-cavale-Laurent-Sagalovitsch/373236056096087?skip_nax_wizard=true

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Bootleg Series Volume 12 : quand Dylan écrivait ses Tables de la Loi


Pour ceux qui pensent comme moi que Dieu a un frère et que ce frère se nomme Bob Dylan, la sortie ces jours-ci du dernier volume des Bootleg Series, The Cutting Edge, représente comme une offrande miraculeuse et inespérée dont l’écoute nous donne envie de retomber en Dylanie pour ne jamais se réveiller.

Consacré à la trilogie triomphante Bringing It All Back Home, Highway 61 Revisited, Blonde on Blonde, triptyque fabuleux s’étalant de janvier 1965 à fevrier 1966 où, en l’espace de quelques mois, Dylan se réinvente en fracassant tous les codes de la musique contemporaine, ce volume, le dernier de la série, nous ouvre les coulisses des enregistrements de ces trois albums fondateurs qui d’une certaine façon, à eux seuls, suffirent à changer la face du monde.

Il y aura un avant et un après cette trilogie insensée comme il y eut un avant et un après les Illuminations rimbaldiennes, un avant et après les dérèglements romanesques de Faulkner magnifiés par le Bruit et la Fureur ou Absalon, Absalon !, cette sorte de condensation artistique où soudain se cristallise l’essence même du génie qui, après avoir cherché sa voie, tâtonné, subi les influences de ses prédécesseurs, accède à sa propre lumière, conquiert sa propre vérité, crée son propre mythe.

Et quel bonheur de pénétrer ainsi par effraction dans les studios mêmes où Dylan, sans en avoir forcément conscience, joue à l’apprenti-sorcier et jette les bases d’une révolution musicale dont les secousses se font encore ressentir.

Dans un joyeux désordre s’enchevêtrent pêle-mêle morceaux inédits, chansons en train de s’écrire, versions différentes des classiques à venir, variations musicales explorant le champ des possibles, accouchement en direct de splendeurs à l’état brut, échantillons de dialogues entre musiciens  ou  producteurs, construction encore à l’état d’ébauche du Troisième Temple devant lequel bientôt viendront s’agenouiller des millions de fidèles, avènement messianique d’une nouvelle féerie musicale prête à réenchanter l’univers.

Tout est là.

Tout palpite du bouleversement qui s’annonce.

Tout laisse entendre les cymbales d’un monde nouveau, d’un monde neuf en train d’éclore, de la naissance d’un opéra fantastique confiné encore entre les quatre murs d’un studio d’enregistrement mais qui bientôt scandera les modes à venir, les nouvelles façons de penser, de dire, de chanter les mutations et les convulsions incandescentes d’une époque prise de fièvre et éprise de changement.

Même si, contrairement à ce que les livres d’histoire ont voulu nous faire croire, Dylan n’a jamais été que son propre prophète, jamais celui d’une génération, ce qui l’aura protégé des vicissitudes et des trahisons  du temps.

Dans ces Bootleg Series, Volume 12, on le voit gravir son Sinaï à lui, façonner ses propres Tables de la Loi, bâtir les fondations d’un monde où commencent déjà à danser les visions de Johanna, les fantômes de Shakespeare en chaussures pointues, l’adieu à Angelina, les tambourins de la douce Marie, et toujours, immense, éternelle, intemporelle, cette roue de la désolation qui va illuminer la grande nuit dylanienne s’apprêtant à recouvrir la Highway 61 et ses trains fantômes.

dylan

Tout Dylan est là.


Les dés sont en train d’être jetés, les pierres roulent de la montagne où Moïse chausse ses lunettes noires avant de rapporter les dernières nouvelles de l’Éternel, le monde peut retenir son souffle, les Veaux d’Or ne valent plus rien, les fausses idoles vont être brûlées, Dieu a enfin désigné son Messie : Dylan est presque prêt.


Le Sauveur va descendre parmi nous.

 

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                Pour suivre l’actualité de ce blog, c’est par ici : https://www.facebook.com/pages/Un-juif-en-cavale-Laurent-Sagalovitsch/373236056096087?skip_nax_wizard=true

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Je suis climato-je-m’en-foutiste


Rien ne va plus.

La fin du monde approche.

Les océans gonflent, les cours d’eaux débordent, les villes disparaissent sous l’effet cumulé de la fonte des glaces et de la montée des mers, les cieux sont froncés de nuages gorgés de pluie glacée, les plaines s’assèchent, les campagnes se dessèchent, voici venu le temps de l’Apocalypse.

Et moi, couillon d’entre les couillons, ivre de ma propre insignifiance, je reste là les bras ballants, assistant au grandiose spectacle d’une humanité occupée à se suicider dans le vacarme d’une Nature suppliciée par la main même de l’homme.

Pitié !

N’en jetez plus.

Je n’en peux plus de de cette incantation de discours les plus alarmistes les uns que les autres, de ces flots d’études nous promettant le pire, de ces prophètes de malheur prédisant l’agonie du monde, de ce Cassandre d’opérette, hier guignol à la télévision ou vendeur de produits douche, qui se prend désormais pour la Conscience du genre humain et crachote à longueur de journée de bien funèbres sermons nous rappelant à nos responsabilités ; cette injonction à agir, là maintenant, tout de suite, dans la minute, faute de quoi nous deviendrons en conscience les assassins de nos propres enfants.

L’homme ne pense plus, il prédit.

Il regarde dans la boule de cristal de ses graphiques thermiques, il fouraille l’anus du monde, il scrute les vingt-mille lieux sous les mers, et ce qu’il voit, mon dieu, c’est horrible, c’est atroce, c’est une pierre tombale vaste comme la terre, c’est la Fin, la Fin de tout, de moi, de vous, du genre humain, de cette aventure commencée il y a des millions d’années et qui s’apprête à rentrer dans la Grande Nuit de son Inexorable Déclin.

Oui, le niveau des océans augmente, oui la planète se réchauffe, oui les glaciers fondent- oui, oui, et encore oui – oui, il serait plus avisé de prendre des mesures contraignantes pour tenter d’abaisser notre production de gaz carbonique, oui l’homme abîme la nature comme il l’abîme depuis le jour de sa naissance, oui il est grand temps de changer notre rapport à la Terre, cette mère qui nous nourrit et nous abrite et envers laquelle il nous arrive de nous montrer bien ingrat quand bien même nous n’avons jamais signé de bail avec elle.

Et il incombe au politique de donner le tempo.

Mais de grâce cessez donc avec ce catastrophisme niaiseux, acné d’une pensée réduite à sa plus simple expression !

Je n’ai guère de tendresse envers le genre humain en général mais s’il y a bien une chose dont il faut rendre crédit à l’homme, c’est son extraordinaire capacité à affronter les défis proposés par sa présence sur cette terre, c’est son génie à chaque génération recommencée de trouver des solutions à des problèmes qui hier encore semblaient insolubles, c’est son pouvoir de se réinventer et de créer par lui-même les conditions de sa survie.

Le génie humain est infini.

Il trouvera toujours des solutions idoines pour se sortir de situations inextricables, il cheminera à travers les âges grâce à la parfaite et merveilleuse orchestration de son cerveau, rien ne pourra l’arrêter dans son désir de se perpétuer jusqu’à la fin des temps.

Il a relevé d’autres défis dans le passé, il relèvera celui du dérèglement climatique et de ses conséquences.

L’essence même de l’homme n’est pas de se projeter dans un avenir où il ne sera pas physiquement présent ; lui demander de le faire, c’est aller contre lui, c’est exiger de lui des efforts qu’il ne peut ontologiquement produire, c’est nier son caractère fini quand bien même se plaît-il à penser qu’il continuera à vivre par le biais de sa descendance, laquelle ne peut s’envisager à l’aune des siècles ou des millénaires prochains.  

Je n’entends pas vivre pour l’avenir.

Je vis dans mon présent, dans ma propre temporalité, pas dans celui de mon futur que j’occuperai à tourner en rond dans ma tombe.

Je ne me sens aucune responsabilité vis-à-vis de l’homme de demain.

Peut-être parce que je n’ai pas d’enfants, que je n’ai pas voulu en avoir, ne voulant lui infliger le poids de vivre une existence placée à tout jamais sous le signe de l’arbitraire, de l’absurde, d’un chaos métaphysique bien trop lourd à supporter pour une chose aussi fragile qu’un simple être humain.

J’ai hérité d’un monde que je n’ai pas choisi.

Ce monde-là n’était pas bien beau.

Les hommes avaient failli comme jamais ils avaient failli dans l’Histoire, ils étaient tombés si bas dans le ravin de la barbarie, cette sorte de génie inversé, que bien souvent il m’a semblé que le genre humain s’était trop compromis pour lui accorder ma clémence.

Et, malgré tout, j’ai dû apprendre à vivre et à composer avec lui.

Encore aujourd’hui j’apprends.

Je fais ce que je peux.

Vivre n’a jamais été un conte de fées.

Pas plus hier qu’aujourd’hui.

Pas plus aujourd’hui que demain.

Quand l’heure sera venue, je m’en irai et je laisserai à d’autres le soin de mener à bien leur combat personnel, ce sera à eux de jouer.


Ils se débrouilleront, j’en suis certain.

Réchauffement climatique ou pas.


J’ai confiance.

                                                                                                                                                                                                                                                                                                               Pour suivre l’actualité de ce blog, c’est par ici : https://www.facebook.com/pages/Un-juif-en-cavale-Laurent-Sagalovitsch/373236056096087?skip_nax_wizard=true

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Le nationalisme, le chauvinisme, le patriotisme sont les ennemis du genre humain


Ce doit être une question de gènes mais tout ce qui s’apparente au nationalisme, au chauvinisme, au patriotisme, à tous ces réflexes grégaires d’appartenance à une nation, un pays, un terroir, un club de gym, une amicale de pétanque, une confrérie de buveurs de thé, provoquent chez moi une répulsion si grande que la seule vue d’un drapeau me rend nauséeux comme un chat voyageant dans la soute d’un avion.

L’idée même de frontière m’est étrangère.

Je ne vois pas au nom de quoi on interdirait à un être humain de vivre sa vie où bon lui semble ou de l’obliger à quémander un visa afin d’avoir le privilège de poser ses valises que ce fut à New York, Tombouctou ou Pétaouchnock.

La terre n’appartient à personne si ce n’est à tout le monde.

S’encroûter durant des générations entières dans le même lopin de terre, respirer le même air que ses lointains ancêtres, réclamer sa place dans un caveau familial abritant le cadavre de feu son arrière-arrière-arrière-grand-père m’apparaissent comme autant de signes de dégénérescence mentale, d’esprit figé à jamais dans les vestiges du temps, de vies rances, défuntes, mesquines, étriquées, prudentes, si prudentes.

Ce n’est pas très raisonnable ce que je dis.

C’est même injuste.

C’est pourtant ce que je ressens.

De savoir qu’on mourra très exactement au même endroit où notre vie a commencé devrait donner au nouveau-né des envies de se suicider à priori en se pendant à son cordon ombilical. 

Cette idée d’ancrer son existence dans les mêmes pâturages que ceux de ses parents devrait être proscrite par les lois humaines, va vis et deviens, le monde est vaste, ne reste pas accroché à ton terroir d’origine comme une moule ahurie à son rocher d’adoption, voyage, prends le large, oublie d’où tu viens, ne deviens pas celui que tu es censé devenir, ne te fixe aucune limites, respire les vents marins, enivre-toi de tes découvertes et ne t’arrête jamais. (Mais oui c’est ça Papy)

Deviens le compatriote de ta propre folie.

Le monde est infini et en même temps il peut fort bien se résumer aux quatre murs de sa chambre, insupportable paradoxe que la raison humaine ne saurait admettre. (hein ?)

Je est un autre et la vraie vie est ailleurs. (Rimbaud)

Ah et puis cette maudite obligation de soutenir un sportif, un artiste, un architecte, un ventriloque ou un truand au seul motif qu’il porterait haut les couleurs de sa terre natale, qu’elle est donc bête, sotte, niaise cette idée-là, cette identification forcenée à un individu ou à une équipe qui, par ailleurs, n’évoque en vous rien d’autre qu’un morne ennui, une plate désolation, cette absolue nécessité de l’encourager au nom de son appartenance à la même tribu que la vôtre !

Il faut aimer les gens pour ce qu’ils sont et jamais pour ce qu’ils représentent. (Saga, hélas)

Je ne vais quand même pas aller supporter l’Olympique lyonnais lors d’une joute européenne au seul motif que Lyon se trouverait être la capitale des Gaules, je ne vais pas me farcir la pléiade de Marc Levy juste par amour du drapeau tricolore, je ne vais pas écouter l’intégrale de Mireille Mathieu parce qu’elle chante sur le Pont d’Avignon.

Il me reste un sou de raison.

Les émotions et les passions ne reconnaissent ni la couleur du sang, ni celle de la peau, elles sont apatrides, elles sont universelles, elles voyagent sans carte d’identité ni passeport, elles viennent d’ici et d’ailleurs, elles parlent au cœur des hommes par-delà les frontières et les barbelés. (C’est beau)

Aujourd’hui les gens ont peur de tout.

Un rien les effraie et ils réclament sans cesse d’être consolés et réconfortés par leur mère nourricière, ces vastes terres où ils ont grandi, ces terres bien à eux, à eux seuls, ces terres devenues à force des linceuls où ils s’enterrent de leur vivant par peur de s’ouvrir à l’autre, à tous les autres.


Le nationalisme est la négation de la vie.

Le chauvinisme, la religion des perdants, des aigris, des culs-terreux, des petits morveux de l’identité nationale.

Le patriotisme, l’amour de soi au-delà du raisonnable (parfois).


Dimanche Lyon reçoit Saint-Etienne.

Alors le temps d’un instant, j’oublierai tout ce que je viens d’écrire.

Je deviendrai moi aussi cet attardé du bulbe, reverdissant à la vue d’un simple maillot auquel je serai resté fidèle toute ma vie.

Saint-Étienne, ce serait comme mon terroir à moi.


Finalement les seules nations qui comptent, ce sont celles de notre enfance. (Applaudissements) 

                                                                                                                                                                                                                                                                                                      Pour suivre l’actualité de ce blog, c’est par ici : https://www.facebook.com/pages/Un-juif-en-cavale-Laurent-Sagalovitsch/373236056096087?skip_nax_wizard=true

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Que périssent les Narcisses, ces branleurs du Moi en émoi

Les gens qui s’aiment sont détestables.

Ils ne doutent jamais, s’adressent à tout bout de champ des satisfécits, prennent pour acquis leurs principes de vie, demeurent inflexibles quant à leurs jugements, ne souffrent d’aucune remise en question, vont sur le chemin de leur vie, déterminés, ombrageux, pleins de cette arrogance fielleuse qui les rend bien souvent insensibles à la souffrance d’autrui.

Ils sont assommants.

Ils pensent tout savoir sur tout quand bien même sont-ils crasseux d’ignorance.

Ils avancent, ils vont, ils triomphent : rien ne saurait leur résister, ils ne tolèrent aucune critique, s’offusquent de recevoir des conseils, ne reconnaissent jamais leurs torts puisqu’ils ont toujours raison.

Ils sont chefs ou sous-chefs, petits potentats à l’insignifiance avérée qui règnent en maître sur un univers dont ils se flattent de connaître les moindres petits secrets : rien ne leur échappe, ils savent au gramme près le poids d’insignifiance de chacun de leurs employés, de leurs collègues, de leurs subordonnés ; ils ont l’injure facile, la remontrance aisée, pratiquent avec une constance rare l’art de rabaisser son voisin, son chien, son coiffeur – au moindre écart repéré.

Ils s’aiment.

Entièrement, totalement, irréductiblement.

Ils sont leurs propres modèles, leurs propres références, leurs propres mythes.

La métaphysique ne les intéresse pas, la mélancolie non plus, l’ennui encore moins.

D’ailleurs ils ne s’ennuient jamais puisque ils sont toujours en bonne compagnie : la leur, dont ils ne cessent de chanter les louanges et les vertus, s’émerveillant de la richesse inégalée de leurs multiples talents, de la finesse de leur intelligence, de la drôlerie de leurs réflexions, s’étonnant parfois de ne pas être plus reconnus pour leurs mérites qui sont pourtant infinis.

Chez eux, ils ne restent plus aucune trace de leur enfance, seul moment de leur vie où ils ont pu nourrir quelque doute sur leur glorieuse destinée.

Et encore.

Quand vous examinez de près leur visage, vous êtes incapable de deviner quel genre d’enfant ils ont bien pu être, à quoi ils pouvaient bien ressembler dans le giron de leur existence commençante : à force de ténacité, ils ont gommé en eux toute cette fragilité et cette tendresse du premier âge de la vie.

Ils sont adultes.

Ils rient peu ou alors seulement quand ils jappent des sarcasmes et autres ricanements imbéciles qu’ils partagent seulement avec eux-mêmes, allant jusqu’à se féliciter d’être incompris, signe de la radicalité de leur caractère insaisissable pour le commun des mortels.

Ils se méfient de l’amour, ils prennent une femme ou un homme comme d’autres s’entichent d’une voiture, ils procréent en espérant que leur génie se transmette à leur progéniture : ils sont souvent déçus et redoublent d’autorité afin de corriger les erreurs commises par la nature.

Et comme ils se pensent les rois de l’univers, les seuls à comprendre et à appréhender le monde alentour, ils ne se lient d’amitié avec quiconque ; même leur propre ombre les déçoit, elle ne parvient pas à restituer l’étendue de leurs capacités, l’immensité de leur savoir, l’infini de leur génie.

Quand ils meurent, personne ne les pleure.

Eux s’en moquent, il leur reste l’éternité pour s’ébaubir d’avoir été ce qu’ils ont été : des dignes représentants d’eux-mêmes dont le monde mesurera un jour la grandeur de leur auguste génie.

Quand je rencontre un de ces troubadours, je ne prends même pas la peine de le saluer.

Je m’enfuis au quart de tour.

Déjà que j’ai du mal à me supporter…

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                   Pour suivre l’actualité de ce blog, c’est par ici : https://www.facebook.com/pages/Un-juif-en-cavale-Laurent-Sagalovitsch/373236056096087?skip_nax_wizard=true

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