Disparition de Newsweek : la fin d’un monde

Newsweek c’est fini. Etant abonné à Time, je pourrais en rire. Sauf que c’est tout sauf drôle. C’est même tragique. C’était pourtant inéluctable. Imparable. La chute inexorable des ventes, la raréfaction de la publicité, l’accélération des nouveaux médias, l’avènement d’une vulgarite rampante et triomphante, l’abrutissement des masses. Voilà de quoi précipiter la chute d’un des géants de la presse écrite.

Il ne sera pas le seul.

D’autres suivront.

Personne n’en réchappera.

Pourtant il ne coûtait presque rien de s’abonner à Newsweek. L’abonnement à sa version papier devait avoisiner les 35 dollars par an. Soit 50 centimes d’euro le numéro plus un joli baromètre comme cadeau de bienvenue. Trois fois rien.

Cela n’a pas suffi.

Eût-il été livré gratuitement qu’il aurait probablement connu le même sort funeste.

C’est qu’il faut vivre avec son temps. Ou alors se résigner à passer pour un impossible vieux con, à l’esprit décati et à la modernité douteuse.

Le temps où tenir entre ses mains un magazine qu’on feuillette page après page semble être révolu. Périmé. Dépassé. Caduque. Incongru.

Quand l’information circule si vite qu’entre le moment où l’on boucle l’hebdomadaire et la date de sa sortie, le sujet abordé en une du magazine n’a déjà plus cours. Devenu anachronique. Hors-sujet. Rattrapé par le pressoir infernal de l’actualité qui n’a plus le temps d’attendre parce qu’elle bouillonne à grandes eaux.

Dépassé par le flux continu de dépêches d’agence qui inondent le web à une vitesse folle et étourdissent le lecteur qui reste là, sonné, empêtré dans les cordes de l’actualité, assommé d’articles qu’il ingurgite sans jamais prendre le temps nécessaire pour les analyser ou les décortiquer.

A force, nous sommes devenus des monstres carnivores d’articles qui nous surinforment sans jamais nous éclairer vraiment. A part ceux de Slate bien sûr.

Et nous n’en avons jamais assez.

Dès qu’une nouvelle tombe, peu importe sa pertinence ou son importance, nous voilà entrain de naviguer d’un site d’information à un autre, chassant en meute, relisant exactement la même information, retombant sur son même contenu sans pour autant que nous songions un seul instant à interrompre cette quête effrénée de peur de manquer quelque chose.

Nous ne savons même pas ce que nous cherchons au juste.

Pire, nous sommes même certains que cette quête insensée ne débouchera sur aucun résultat tangible. Que nous n’apprendrons rien de neuf. Que nous lirons et relirons, comme des automates imbéciles, la même nouvelle, simplement réécrite de telle façon qu’elle feigne d’apparaître sous un angle nouveau.

Nous le savons et pourtant nous continuons encore et encore. Machinalement. Indéfiniment. Inlassablement.

Pourtant, c’était chouette une fois par semaine d’ouvrir sa boîte aux lettres, une vraie, en fer forgé, campée dans le hall de l’immeuble et de découvrir parmi le flot de publicités ineptes la couverture d’un magazine. De remonter chez soi en parcourant vite fait son sommaire. Repérant déjà les articles susceptibles de nous intéresser. Puis de le déposer sur la table du salon en attendant de le lire plus attentivement. De l’emmener aux commodités avec soi. De le trimballer dans sa poche en se rendant au travail. De se le faire piquer par son collègue de bureau.

Ça avait le charme d’antan des lettres d’amour que nous envoyaient des correspondantes attentionnées.

Bientôt il n’y aura même plus de boîte aux  lettres.

Nos bibliothèques seront vides de tout livre ou de tout disque. Nos porte-revues bailleront d’ennui. Nos tables basses ne serviront que de reposoirs à nos jambes mollassonnes. Et sur nos tables de chevet ne subsistera que la collection de godemichets de madame.

La tablette, la liseuse, l’ordinateur nous auront tout pris.

Il ne nous restera plus qu’à vivre dans un univers totalement désincarné. Emmuré dans une solitude glaciale. Entouré de vide.

Et espérer seulement qu’il subsistera en nous encore une parcelle d’humanité pour que nous puissions nous rendre compte que nous sommes devenus complètement étrangers à nous-mêmes.

Et aux autres.

Surtout aux autres.

 

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La vodka en charentaise

Parfois les étrangers sont encore plus abrutis que les français de souche. Je sais, c’est dur à croire : moi-même en l’écrivant, je me rends compte de l’impossibilité cosmique de cette assertion et pourtant les faits sont têtus.

L’autre jour, me promenant dans les rues de ma pluvieuse citée, l’âme même pas en peine et le cœur pas assez en joie pour l’être vraiment, désœuvré et marmonnant de sinistres pensées à la perspective de passer Noël en solitaire, ma compagne rentrant au pays rassurer ses parents que je ne la battais plus, je tombais à l’arrêt devant cette vitrine servant de décorum à un marchand de spiritueux très inspiré :

Grand dieux, de la vodka en charentaise ! C’est paraît-il le comble du raffinement. L’assurance d’offrir à votre carte bleue une crise de tachycardie carabinée et d’épater à coup sûr la cousine de la maîtresse de l’ambassadeur.  Le moyen assuré d’emballer la mignonette récalcitrante à peine remise de vos tentatives lubriques de l’entreprendre l’année dernière lors de la cérémonie d’investiture du beau sapin tout enguirlandé de boules de testicules de caribou desséché.

France, te voilà rassuré : ton génie universel rayonne à nouveau et le monde s’agenouille devant la toute-puissance de ta pensée magnifiée ressuscitée.

Bien sûr, il faut penser à la servir accompagnée de caviar belge. Suivi de saumon fumé tunisien en provenance de Djerba-la-douce. Avec une jolie tranche de foie gras californien. La boire cul sec en dégustant une quiche lorraine japonaise. La savourer en se resservant d’un magret de canard écossais macérant dans un jus de truffes australiennes. La marier avec un Paris-Brest préparé par un cuistot polonais.

Et la dégueuler avec l’élégance d’un paysan polonais.

Du coup, j’en ai acheté deux paires.

Je m’en vais la déguster ce soir.

Avec une tripotée d’escargots canadiens.

A la vôtre.

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Confession d’un exilé fiscal au Canada

Moi aussi, cher Monsieur Ayrault, vous pouvez me traiter de minable. Je le mérite. Bien plus que l’autre clampin de Cyrano de Depardieu. En choisissant de m’exiler non seulement au Canada, mais qui plus est tout à l’ouest du Canada, pour des raisons, je dois en convenir, honteusement crapuleuses, je mérite tout votre dédain.

Mieux je le réclame.

J’avoue, si je me suis résolu, le coeur joyeux et l’âme en fête, à quitter ma patrie de naissance, cette terre nourricière à qui pourtant je devais tout, cette France éternelle  qui avait, malgré tout le florilège de mes tares congénitales, condescendu à me recueillir au sein de sa communauté nationale, ce le fut en grande partie pour des raisons bassement fiscales et non pas comme j’aime à le fanfaronner parce que je voyais en chaque français un milicien en puissance prompt à me dénoncer à la gestapo.

Voyez-vous, c’est qu’après avoir convoqué mon conseil d’administration, je me suis aperçu que si mes maigres revenus ne me permettaient pas de payer l’impôt sur le revenu en France, au Canada, ces toujours aussi maigres revenus non seulement ne m’autorisaient toujours pas participer à l’effort collectif mais en revanche obligeaient l’état canadien a cracher au bassinet en me rendant de l’argent sur la base de ma déclaration de revenus.

Oui, vous m’avez bien lu, monsieur le coup du sombre Ayrault.

Au Canada, non seulement je ne paye toujours pas d’impôt sur le revenu, mais l’état, veillant sur moi comme un maquereau sur sa fille de joie, me reverse chaque année une part de sa richesse nationale. C’est à n’y rien comprendre et à tout dire extrêmement déstabilisant.  Ils appellent cela un retour d’impôt ou un crédit d’impôt, j’avoue ne pas toujours comprendre la différence entre les deux.

Toujours est-il que chaque année c’est dans l’allégresse la plus folle que je m’acquitte de ma déclaration de revenus. Tout juste si je n’attends pas ce moment avec impatience. Je vais de cases en cases, je galope de rubriques en rubriques, je coche déduction sur déduction, je déclare tout ce que je peux, tout juste si je ne m’invente pas des revenus fictifs, et je dépose moi-même, en sifflotant, ma déclaration à l’agence du revenu.

Puis j’attends.

Quelques semaines plus tard, bingo, je reçois un premier chèque. Puis un suivant. Et encore un suivant. Tout juste s’ils ne s’excusent pas de m’avoir ponctionné de quelque taxe locale qu’ils s’empressent de me rembourser. Ils me chouchoutent comme ce n’est pas permis. On dirait qu’ils craignent par-dessus tout que je rentre en France.

Je sais, c’est minable.

Et oui Michel Sapin, je vous l’accorde bien volontiers, c’est aussi une sorte de déchéance morale.

De fait, je suis bel et bien un pauvre qui a quitté la France pour mieux profiter, tout comme Gérard, des largesses fiscales d’un pays de cocagne.

Minable vous disais-je.

Et quand j’avouerai que moi, mon chat et la compagne de mon chat, vivons tous trois dans un appartement presque trois fois plus grand que celui que j’occupais à Paris, que je mange à ma faim, que je me soigne sans avoir à me saigner, j’éprouve comme un indicible sentiment de honte de ne pas avoir continué à creuser ma tombe à l’ombre du périphérique parisien.

Je ne comprends pas bien comment à revenu égal mon niveau de vie semble être supérieur à celui que j’avais en France. Serait-ce juste une impression dû au bon air que nous respirons par ici ? Au charme du dépaysement ? A la proximité de l’Amérique ? A la fréquentation des ours bipolaires ? A ce que le Canada ne soit encore qu’au début de son histoire, encombré d’aucune tragédie qui plombe la vieille  Europe ?

Je finis par me demander s’il n’y a pas quelque chose qui cloche en France. C’est peut-être cela le mal français. Cette prétention à sauvegarder un système social qui tend à se précariser toute sa vie durant. Cette folie immobilière qui rend une location impossible dès lors que vos salaires radotent autour du smic.

Cette impression que tout est figé. Que tout est joué d’avance. Cette pesanteur administrative. Ce système scolaire qui ne vous apprend pas à apprendre mais à apprendre pour apprendre. Et cette ligue 1 moribonde où l’on complote à tout-va pour empêcher les Verts de retrouver leur lustre d’antan.

Pourtant, je vous l’assure, je n’entends rien à l’économie. Aux grands équilibres financiers. Aux niches fiscales. A tout ces grands mots qui m’ont toujours plongé dans l’effroi.

Je sais seulement que quitte à être pauvre, il vaut mieux l’être au Canada.

 

Enfin pour l’instant.

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Ma vie de parieur sportif

Qu’on se le tienne pour dit : on ne s’improvise pas parieur sportif certifié gagnant du jour au lendemain. Avant cela, il faut passer par un long et douloureux apprentissage, déceler ses forces et ses faiblesses, accepter les échecs cuisants et répétés, repérer et apprivoiser ses propres failles, veiller à ne jamais se surestimer, apprendre à ruser avec ses propres intuitions.

Nécessaire et perpétuelle remise en cause afin qu’un jour glorieux, cette activité hautement intellectuelle puisse vous permettre d’engendrer quelques bénéfices conséquents – enfin juste de quoi payer le détartrage de la mâchoire inférieure de votre chat.

N’ayant pas l’âme d’un kamikaze, je ne m’autorise à parier que sur le foot, domaine dans lequel la vaste et infinie immensité de mes connaissances accumulées depuis des décennies entières, le gavage intensif de retransmissions télévisées, la consultation acharnée de magazines spécialisés, m’autorise à avoir quelques certitudes sur les paris que j’ose entreprendre.

Sans oublier toutes ces années d’apprentissage où cavalant sur des terrains cabossés d’une lointaine Bourgogne, affairé à distribuer caviar sur caviar à des avant-centres manchots, j’ai fini par assimiler l’infini complexité des ressorts psychologiques à l’œuvre lors du déroulé d’un match de foot.

Ainsi d’expérience, je sais qu’une équipe qui ouvre le score après deux minutes de jeu finit bien souvent, au final, par une étrange alchimie, par s’incliner.

Qu’une équipe qui se prend un malheureux pion dans les ultimes secondes de la première mi-temps rentre en catatonie pour n’en jamais ressortir.

Qu’une formation qui menait allégrement par deux buts d’écart, sûre de son fait, déroulant un football de gala, peut parfois perdre de sa belle assurance en encaissant un but de raccroc sans mentionner l’effet galvaniseur produit sur les joueurs adversaires qui une minute avant se demandaient encore dans quelle boîte de nuit ils allaient oublier cette cuisante mais logique défaite.

Bref, je sens le foot avec la même sagacité et perspicacité qu’un inspecteur du fisc renifle une entourloupe en se penchant sur la comptabilité d’un rmiste roulant en Bentley.

Mais cela ne suffit pas.

Que le petit malin de parieur qui se pointe le samedi matin sans avoir rien foutu de la semaine sache que ses chances de remporter la mise sont quasi nulles. Qu’on ne parie pas comme on remplit une vulgaire grille de loto. Au petit bonheur la chance. Au bistrot du coin, entre un jambon-beurre et une part de tarte au citron faussement meringuée. En parlant avec Gérard de sa dernière conquête.

Non parier nécessite de la concentration, de l’abnégation, de la sueur, de la réflexion, un brin de jugeote, un soupçon d’audace, une énorme virgule de chance et du temps, beaucoup de temps.

Le temps, par exemple, d’aller fourrager dans un forum de supporters, de vrais supporters, recueillir la parole de ceux qui au lieu de marauder autour de pôle emploi à la recherche d’un introuvable boulot, préfèrent se cailler les miches en assistant aux séances d’entrainement et en profiter pour échanger quelques mots complices avec le gardien du parking qui d’un seul coup d’œil vous repère un joueur coupable d’avoir passé ses nuits à potasser sa technique de dribble chaloupé sur sa Play Station.

Reste que la meilleure façon de gagner au loto sportif n’est évidemment pas de parier avant le match mais pendant. Soyons franc : se risquer à l’avance à pronostiquer le résultat d’une opposition au sommet entre Reims et Evian relève de la forfaiture intellectuelle. Autant essayer de prévoir la date de la prochaine grève à la SNCF.

C’est ainsi que pas plus tard que ce week-end, grâce à ma réactivité foudroyante, j’ai pu dégager des bénéfices à rendre envieux le neveu de Jérôme Kerviel.

Le Barça recevait l’Athlético de Madrid.

Il faut savoir que Barcelone ne perdant jamais, il ne sert à rien de parier sur leur victoire, les gains engendrés avoisinant le néant cosmique. Sauf que dimanche dernier, au bout de 30 minutes de jeu, ce diable de Falcao a eu la bonne idée d’ouvrir le score. Conséquence logique : la victoire de Barcelone  est devenue un peu moins certaine passant d’un morne 1.16 à un juteux 2.14.

J’ai bien évidemment bondi sur l’occasion et, sans coup férir, j’ai misé toute ma fortune, à savoir 7 euros et 32 centimes sur la victoire des invincibles catalans. Deux minutes plus tard, sans surprise, le Barça égalisait avant d’empiler but sur but m’assurant dès lors de remporter la royale somme de 15 euros et 68 centimes investie dans la foulée sur l’impossibilité de ces bâtards de lyonnais d’inscrire le moindre but au portier parisien lors de la seconde mi-temps de PSG/Lyon.

Enfin, ultime conseil pour le parieur néophyte, il ne faut jamais au grand jamais parier positivement sur son équipe de cœur au nom d’une quelconque solidarité affective. A moins que cette dernière soit précisément Barcelone. Si c’est Bordeaux ou Saint-Etienne, mieux vaut miser sur leur probable défaite.

Cela vous permettra de gagner quelques euros et de suivre la rencontre  de vos protégés en toute décontraction, la déception de les voir perdre étant compensée par la perspective de consolider votre magot naissant.

 

 

Pronostic pour la prochaine journée :

Brest-PSG : 2/ Ajaccio-Rennes :2/ Bastia-Nancy :2/ Bordeaux-Troyes: N/Lorient-Reims : 1/Lyon-Nice :N/Lille-Montpelier : N/ Valenciennes-Evian : 1/Toulouse-Sochaux :1. Marseille-Saint-Etienne :1

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La masturbation n’est plus ce qu’elle était

C’est une évidence : on ne se branle plus comme avant. L’art masturbatoire, pratique autrefois hautement raffinée qui exigeait et réclamait des trésors d’imagination et d’élaboration, est devenue depuis l’essor d’internet et de son libre accès à une quantité faramineuse de sites pornos, un exercice routinier ayant perdu tout son pouvoir de suggestion et de fantasmagorie.

Finis les scénarios qui n’en finissaient plus de finir avec leur succession de séances où dans la brume vaporeuse d’un fantasme incandescent, l’esprit voguait sur une mer d’éternité et chavirait dans des océans luxuriants de paradis perdus.

Disparues ces évocations d’étreintes impossibles avec des créatures, mi- femmes mi-déesses, qui se laissaient désirer avant de se laisser gagner par  la griserie d’une situation délicieusement équivoque où tour à tour cajoleuses, évanescentes, prudes, provocatrices, elles mettaient le feu à notre imaginaire pour mieux nous rendre fou de désir et parachever en une extase éclatante, cette lubrique conversation entamée avec nous-mêmes.

Terminés ces effeuillages de magazines de charme ravis à nos pères où sur du papier glacé glissaient, toute en retenue, des femmes en ombrelle se languissant d’ennui sur une balançoire, nous laissant entrevoir, juste entrevoir, la possibilité d’une vie à venir qui scintillerait de l’éclat d’un érotisme feutré et brûlant où se murmurerait la félicité d’ineffables plaisirs.

Désormais quelques clics suffisent pour que surgissent sur nos écrans une ribambelle de scènes qui ne souffrent d’aucune équivoque : ca suce à tout va, ça sodomise à la chaine, ça ahane de partout, les corps n’ont même pas le temps de s’apprivoiser que le foutre jaillit à grandes pompes et le nôtre suit le même chemin sans même avoir été sollicité plus que de mesure.

C’est la décadence occidentale à son sommet.

Se branler vite et bien pour pouvoir passer à autre chose. Sans effort. Sans s’encombrer de fioritures ou de détails superflus. Efficace. Sans que le cerveau n’ait le droit au chapitre. Sans intermédiaire. Directement de l’écran à la queue. Avec désormais le clavier comme victime collatérale.

C’est une évidence : nos cerveaux rapetissent. Et nos queues ne grandissent pas pour autant.

Ce doit être tout de même assez effroyable pour les jeunes générations de débarquer dans la sexualité par le seul tropisme de la pornographie. De fracasser les portes de l’adolescence pour rentrer de plain-pied dans un monde sordide où la femme n’est plus considérée que comme un vulgaire réceptacle de membres extravagants dans leur longueur et l’homme comme une infatigable machine toujours prompte à pourfendre le cul de demoiselles même pas innocentes.

Fantasme-t-on encore de nos jours sur son professeur de grec ancien qui sous prétexte de vérifier l’exactitude de nos déclinaisons latines en profiterait pour nous initier aux sortilèges de l’amour sous toutes ses coutures ?

Prend-on encore le temps de mentalement la voir se dévêtir sous nos yeux ébaubis, enlever un par un ses dessous qu’elle laisse tomber savoureusement à ses pieds tout en nous fixant d’un regard de braise qui ne souffre d’aucune incertitude quant à ses intentions futures ?

Et les jeunes filles en fleur quand pour la première fois elles découvrent la turgescence d’un membre tremblant d’émotion, en le comparant avec celui d’un acteur vu sous toutes ses coutures dans un porno quelconque, pianotent-elles d’impatience en se demandant quand le jour se lève pour de bon ?

La pornographie signe définitivement la mort du romantisme qui n’en pouvait plus déjà depuis bien longtemps.

Et annonce la venue de temps nouveaux où se branler demandera autant d’effort que de lire un roman sous sa forme abrégée.

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Le fantasme du manuscrit envoyé par la poste

C’est la rengaine favorite des éternels recalés de la littérature franchouillarde. Les maisons d’édition les bouderaient sous prétexte qu’ils n’appartiendraient pas au sérail. Comme si tout livre, à partir du moment où il était écrit, se devait d’être publié. Sinon c’est qu’il y a entourloupe.

Ceux dont les manuscrits s’encrassent dans les tiroirs de leurs espérances perdues. Ceux qui jacassent d’être les victimes d’un système qui consacre leurs rois et leurs reines dans leur conclave du VIème arrondissement. Ceux qui, confrontés à l’image de leur propre médiocrité, ne peuvent imaginer un seul instant que leur œuvre immortelle ne vaut pas tripette. Ceux qui, accumulant les lettres de refus de maisons d’éditions évidemment corrompues et qui, ne pouvant se résoudre à l’anonymat, les exhibent comme des preuves manifestes de leur infortune et de leur génie incompris.

Puisque je ne parviens pas à être publié, c’est qu’il y a forcément magouille. Ou que Ben Laden n’est pas tout à fait mort.

Ils sont des milliers ainsi en France.

Qui souffrent. Qui souffrent vraiment et finissent par croire à leurs bobards complotistes. Et affirment sans vergogne que si leurs manuscrits ne croupissent pas d’ennui sur les étagères des libraires c’est pour la simple et bonne raison qu’ils ne sont jamais lus.

Il est vrai que dans un pays qui compte autant de maisons d’édition que de pharmacies il y a de quoi perdre la raison de se voir ainsi renvoyé à ses chères études.

Et pourtant.

Et pourtant, tous les manuscrits que reçoivent les maisons d’édition de quelque envergure, sont ouverts, lus, décortiqués avant d’être éventuellement rejetés.

Ne serait-ce parce que personne dans le monde de l’édition n’aimerait à traîner la réputation d’avoir laissé passer un roman qui se pavanerait quelques mois plus tard en une du Monde des livres. Ou qui se serait fait cocufier par son concurrent juste par négligence ou par paresse. (Oui, pas besoin de la ramener, on sait pour Gide avec Proust) (Et La conjuration des imbéciles aussi)

Mauvais genre. Mauvais calcul.

Il faudrait seulement s’entendre sur le terme de ” lire un manuscrit ” afin d’éviter tout malentendu malvenu.

Il n’est nul besoin de se farcir 358 pages d’un roman pour s’apercevoir en quelques minutes de sa qualité ou non. Quelques minutes suffisent. Le début, comment un dialogue est amorcé, quelques pages au hasard, une description au débotté, et la vérité éclate.

Un peu comme un professeur de tennis qui verrait défiler devant lui une ribambelle de prétendus champions en herbe.

A la façon dont la future étoile de la terre battue se tient sur un court,  frappe la balle, sert, amorce la préparation de ses gestes, tient sa raquette, se comporte lors d’un échange ou deux, se déplace, il décèlera bien vite des lacunes que ni le temps ni la répétition des efforts ne permettront de gommer et invitera les parents du gentil bambin à revisiter le plan de carrière de leur rejeton.

Il en va de même pour les livres.

C’est ainsi que neuf manuscrits sur dix ne sont effectivement pas lus dans l’exacte mesure où la plupart d’entre eux souffrent de défauts si manifestes, de faiblesses si criardes, de manque si criants qu’il est nul besoin de s’infliger une lecture complète pour décider de l’envoyer paître.

Restent ceux que le lecteur averti a jugé aptes pour une véritable séance de lecture. Ceux qui affichant une certaine tenue méritent qu’on y regarde de plus près. Qui arrivent plus ou moins à tenir un échange sans éborgner un étourneau de passage. A renvoyer la balle sans tutoyer les bâches ou jouer au ping pong avec le périphérique qui longe le court de tennis.

En deux années de lecture auprès d’une maison d’édition qu’on pourra qualifier de sérieuse, au rythme d’une dizaine de lectures par mois, en petit con prétentieux que j’étais, j’ai dû trouver deux manuscrits qui ne déshonoraient pas la littérature. Deux manuscrits qu’en toute conscience je jugeai à même de figurer dans le catalogue de l’éditeur qui m’employait.

Les autres, tous les autres, je pouvais leur trouver certes des qualités mais jamais sans qu’elles prennent le pas sur les défauts inhérents affichés par le roman. Des défauts si lourds et handicapants qu’aucun travail même de forçat n’aurait pu effacer.

Ce n’est pas que le roman était mauvais en soi, c’est que simplement il ne convenait pas, il n’avait pas en lui assez de ressort, de promesses, de chair, d’allant, de talent, de souffle, d’originalité pour qu’on puisse espérer qu’il finisse par concrétiser ses éventuelles latentes promesses.

Le travail d’un lecteur de manuscrit est un travail des plus ingrats qui peut mettre en péril sa santé mentale. Car tout refus se doit d’être explicité en long et en large. Il n’est pas question de se contenter d’un lapidaire “pas bon”, ” mal foutu ” original mais c’est bien tout “, ” début médiocre, milieu moyen, fin déplorable ”, ” Tient ses promesses de nullité de bout en bout “, ” Penche tellement qu’il se noye tout seul ”, ” Un talent rare, trop rare d’ailleurs”

Encore faut-il motiver sur une à deux pages la raison de son désenchantement.

Il se peut par ailleurs que de toute bonne foi un éditeur refuse un manuscrit parce qu’il ne le trouve pas à son goût. Ou qu’un lecteur fatigué soit passé à côté. Un manuscrit qui fera peut-être le bonheur d’une autre maison d’édition. Cela fait partie du jeu. Tout comme il  existe des romans dont on se demande encore pourquoi la poste n’était pas en grève le jour de l’envoi du torchon estampillé roman.

La littérature n’est sûrement pas une science exacte.

Le tennis non plus.

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A bas les adaptations littéraires

Je ne suis pas un homme à principes. Sauf pour une chose : je ne vais jamais voir les adaptions littéraires des romans qui ont eu une influence marquante sur ma pauvre vie de juif en cavale. Jamais. Par souci d’hygiène mentale. Par respect pour  l’auteur de ces œuvres qui m’ont rendu l’existence supportable. Par peur d’être dépossédé.

Je sais trop que si d’aventure je me rendais dans une salle obscure assister à la représentation cinématographique d’un de mes romans de prédilection, ce dernier perdrait son charme à tout jamais. Non pas parce que le film serait ” supérieur ” au roman.

Cela ne se peut.

A de très très rares exceptions, une poignée tout au plus et encore, aucun film n’a eu ce pouvoir que certains romans possèdent de me transformer si radicalement que celui que j’étais avant d’entamer sa lecture ne ressemblait plus en rien à celui que j’étais devenu une fois le livre refermé.

Cette métamorphose radicale, cette séduction sidérante, cette ivresse totale, ce sentiment de révélation, ce bouleversement du moi le plus intime, ce basculement de l’âme dans une toute nouvelle dimension, je ne l’ai pour ainsi dire jamais rencontré au cinéma.

Non ce que je refuse par-dessus tout c’est que le personnage d’un roman que j’ai mentalement conçu, dessiné, esquissé, lui donnant une destinée quasi physique, ce personnage qui m’accompagne tout au long de mes relectures et que je retrouve toujours comme un vieux confident prêt à attendrir mes peines, ce personnage, je ne veux pas le voir être revêtu des traits que lui prête l’acteur interprétant son rôle.

Je rechigne à ce que Madame Bovary se mette à ressembler à Isabelle Huppert, que Gatsby soit le clone de Robert Redford ou de Leonardo di Caprio, que le Consul d’Au-dessous du volcan m’apparaisse comme le  fantôme d’Albert Finney, que  Catherine, l’héroïne des Hauts de hurlevents, sur nos écrans ces jours-ci, choisisse de ressembler à je ne sais quelle Kaya Scoledario ou pis qu’Anna Karenine se confonde avec Sophie Marceau.

Ce serait comme trahir le romancier.

Tous ces efforts auxquels il se serait prêté pour donner vie à un personnage, personnage qui selon le lecteur n’est jamais le même, d’une complexité infinie, d’une profondeur vertigineuse, serait réduit à néant par l’apparition sur un écran de son incarnation cinématographique.

Et ceci n’a rien à voir avec le talent déployé par l’acteur.

Mais il suffirait de ce moment d’inattention où je succomberais au plaisir légitime de voir comment tel réalisateur s’est démené afin de récréer l’univers romanesque d’une œuvre qui m’est chère, pour que le personnage de ce roman meure et disparaisse, personnage crée de toutes pièces par mon imaginaire, écrasé par la seule force de l’image toute puissante.

Le contraire serait tout aussi vrai.

A supposer qu’une telle entreprise soit possible, a-t-elle déjà eu lieu d’ailleurs ?  il me serait impossible de lire un roman qui serait inspiré par une œuvre cinématographique de tout premier plan. Le boxeur syndicaliste de Sur les quais ne peut exister que sous les traits de Marlon Brandon. Et César et Rosalie ne peuvent prétendre à être personne d’autre qu’Yves Montand et Romy Schneider.

Les livres, ceux qui cheminent avec vous durant toute votre vie, sont trop précieux pour se risquer à de tels jeux dangereux. Quelle que soit la qualité de l’adaptation, fuyez-la. Elle risquerait de gâcher votre vie de lecteur à tout jamais.

Ce serait dommage.

 

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Lens/Louvre : quand l’art remplace le foot

Doivent être contents les lensois. Désormais au lieu d’aller supporter les rouges et jaunes au Stade Bollaert, ils vont être d’astreinte pour se coltiner la visite d’une annexe du Louvre avec son corolaire d’œuvres d’art poussiéreuses montrant leur minois au détour d’une sombre galerie.

Quelle cruelle déchéance.

Alors que son équipe de foot se morfond depuis de trop longues années en Ligue 2, que ses supporters doivent se taper de palpitantes rencontres entre leur équipe de cœur et des formations poussives composées de besogneux chamois niortais ou d’anonymes castelroussins, voilà maintenant qu’on leur inflige comme pour mieux les punir un prestigieux musée où il faudra filer doux, se contenter de murmurer son ennui devant des chefs-d’œuvres prétendus immortels et feindre de s’extasier devant des peintures blafardes représentant des monseigneurs bouffis posant en culottes bouffantes.

Ont-ils seulement songé ces nouveaux colonisateurs dépêchés en grande pompe de la capitale, ces inquisiteurs venant prêcher le salut par l’art, à construire une baraque à frites tenue par Germaine au niveau de l’aile A destinée à ragaillardir le cœur des visiteurs avant qu’ils n’aillent se farcir la contemplation de quelques natures mortes représentant des poires figées dans une sacramentelle posture d’éternité ?

A la buvette du musée a-t-on au moins prévu de régaler la populace de quelques saucisses bien grasses, de merguez trop cuites, de chipolatas gouleyantes d’huile ou devra-t-on se contenter pour se restaurer de goûter du bout des lèvres à quelques encas aseptisés sous la forme de frigides macarons au chèvre chaud ?

Auront-ils seulement le droit ces infortunés supporteurs/visiteurs de beugler à pleins poumons, devant le tableau de Delacroix, La Liberté, ce chant glorieux qui fit chavirer de bonheur les travées de Felix Bollaert :  ”Allons enfants de la patrie/ Le jour de gloire est arrivé/ Contre nous de la tyrannie/ L’étendard Sang et Or est levé/ L’étendard Sang et Or est levé/ Entendez-nous, les supporters/ Chanter : “Allez les Sang et Or”/Allez, allez les Sang et Or/ Vous êtes, vous êtes les plus forts/ Allez, les Sang et Or/ Vous êtes les plus forts/ Allez, allez, les Sang et Or/ Vous êtes les plus fort/Allez Lens ! ”

Trouvera t-on au moins au détour d’une des allées du musée un portrait de sa majesté le druide Daniel Leclercq avec sa chevelure volant au vent ? Un auto-portrait de Gervais Martel ? Une statue de Tony Vairelles ? Un marbre de Fréderic Déhu ? Une gravure de Bernard Lama ? Un buste de Didier Six ?

Si les politiques voulaient redonner du baume au cœur à cette population lensoise qu’on imagine toujours sinistrée et accablée de tristesse, il eût mieux valu proclamer un décret rétablissant sur le champ le RC Lens en Ligue 1 que de se lancer dans la construction d’un musée qui jamais ô grand jamais ne sera à même d’apporter le même sublime réconfort et la même joie transie d’émotion qu’une victoire arrachée aux dépends de Lille dans les dernières minutes de jeu.

Que peut donc bien représenter un tableau aussi elégiaque soit-il comparé à l’obtention d’un titre de champion de France ?

Comprendra t-on un jour dans ce pays qu’un enchaînement amorti de la poitrine reprise de volée en pleine lucarne vaut tous les chefs d’œuvres de la Renaissance ? Qu’une feuille morte s’en allant épouser avec une délicatesse inouïe la courbe des filets mérite plus de louanges qu’une estampe réprésentant le Christ montant au ciel ?

Amis supporters de l’A.J. Auxerre, méfiez-vous. Si votre équipe ne remonte pas fissa en Ligue 1, au lieu d’aller au stade de l’Abbé-Deschamps encourager les vôtres, c’est l’annexe du Musée Carnavalet qui vous guette !

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