L’aberration de Libération

 

On ne rigole plus à Libération. Depuis que la fin de l’été à pris ses quartiers d’hiver dans une retraite déjà pré-automnale, les couvertures du quotidien post prolétarien ne cessent de nous proposer en une des visages d’obscurs écrivains dont le commun des mortels, sauf toi cher lecteur, se fichent totalement et ignoraient jusqu’alors leur existence même. Que ce soit la tronche un tantinet agaçante de premier de la classe d’un Jonathan Franzen avec sa vague ressemblance avec le toujours propret Richard Gasquet ou celle d’un David Grossmann au sourire perpétuellement malicieux. Certes, le lecteur de Libé est supposé être moins ahuri que celui de France Soir, plus concerné par les affaires culturelles que celui du Parisien, et évidemment, intellectuellement supérieur au demeuré de service qui a besoin de sa lecture de l’Equipe et de connaître le résultat de Guingamp contre Istres pour bien commencer sa journée.

J’ai bien dit supposé. Ainsi je connais des gens qui ont accompli des études supérieures de premier plan, qui sont mêmes sortis major de l’Ena ou de Sciences Po sans jamais se douter que Victor Hugo avait écrit Crime et Châtiment, que Jim Jarmusch avait tourné Meurtre d’un Bookmaker Chinois, que Leonard Cohen avait signé l’album Highway 61 Revisited, que Marco Van Basten avait évolué à l’Inter de Milan ou que Lucien Freud était le neveu de Lacan.

Évidemment, de prime abord, l’être raffiné et cultivé que je suis depuis toute éternité, devrait s’ébaudir et applaudir des deux mains devant l’audace de ce choix rédactionnel. Même si prétendre que Jonathan Franzen possède des états de service le propulsant derechef comme le grand écrivain américain d’aujourd’hui et de demain me semble être pour le moins outrancier voire carrément mensonger, affirmation à mes yeux tout aussi suspecte que celle mettant, dans le cœur revigoré de supporters parisiens quatarisés, à niveau égal, Javier Pastore et Lionel Messi.

Sauf que je m’interroge. Est-ce vraiment la place d’un écrivain que de se retrouver en une d’un journal au prise avec l’actualité alors que la planète joue tous les jours à la roulette russe, que la bourse se suicide avant de ressusciter pour mieux s’étrangler le lendemain, que l’euro vacille sous la menace d’une faucille qui part en vrille, que Kadhafi roule en Ferrari quelque part dans le désert de Libye, que la belle Irene affole les sirènes, que Saint-Etienne a perdu contre Sochaux, qu’Arsène Wenger, vu du banc de touche, ressemble de plus en plus à Roger Gicquel annonçant la France a peur, que la Syrie rit de se voir mis au pilori des chancelleries, ou que Hollande et Royal chantonnent, comme au bon vieux temps, sous les fenêtres de Martine Aubry, la vache à mis le temps ?

Il faut se méfier des écrivains. Les meilleurs d’entre eux sont des idiots notoires. Des paysans de l’âme tout juste bon à labourer le champ désolé de leurs mélancolies inconsolables. Des égotistes patentés indifférents aux aléas du temps, imperméables aux règles qui régissent la vie en société, complètement et irrésolument absents et en dehors du champ des activités humaines. Des solitaires acariâtres et vaniteux qui ont compris depuis toujours que comme Faulkner l’écrivait dans le Bruit et la Fureur, « le champ de bataille ne fait que révéler à l’homme sa folie et son désespoir, et la victoire n’est jamais que l’illusion des philosophes et des sots. »

Ne demandez pas à un écrivain de comprendre le monde. Il a déjà du mal à comprendre comment respirer. Un écrivain intelligent, c’est à dire un écrivain capable d’appréhender dans sa globalité le monde qui l’entoure et de la mettre en équation par l’entremise de phrases plus ou moins intelligibles, cela s’appelle un philosophe. Et quand un philosophe s’essaye à la littérature, c’est un peu comme lorsqu’un arrière droit tente de partir en dribble le long de sa ligne de touche ou lorsqu’un avant centre se retrouve en position de dernier défenseur.

La plupart du temps, ça finit mal.

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Jobard comme Jobs

 

En pleine nuit, le rédacteur en chef imaginaire de Slate m’a convoqué au bout du fil en me disant Saga, lèves toi et écris, Steve Jobs démissionne- Qui? – Steve Jobs- Qui donc ? – Steve Jobs- Job? Mais c’est impossible, je viens de recevoir de lui une carte postale où il me raconte qu’il a été avalé par une baleine avant d’être relâché aux confins de la mer septentrionale en Assymérie Orientale- Tu confonds avec Jonas, morpion de séfarade que tu es. Je te parle de Job là. De Steve Jobs. Le Big Boss de chez Apple- Connais pas- Apprends à le connaître. Je veux un papier dans l’heure. Topic: Le Monde ne sera plus comme avant.

J’ai raccroché. J’ai servi un grand whisky à mon chat et je suis allé annoncer la nouvelle à mon ordinateur. On doit écrire un papier sur Steve Jobs- Pourquoi il est mort? Non il démissionne- Ah. Et alors?- Rien. On doit juste écrire un papier dessus- Pourquoi?- Je ne sais pas, je suppose que cela doit être grave. Tu connais Steve Jobs toi?- Moi, non, tu sais bien que je suis en froid avec les Macintosh, depuis que ma femme m’a quitté pour un Ipad, dernière génération- Dur. Je ne savais pas, désolé- Pas bien grave. Alors comme ça ce bon vieux Steve jette l’éponge?- Il paraît. Sers moi une partie de solitaire, tu veux bien? Sans glace. Sec. J’ai besoin de chauffer mes neurones.

Le Monde ne sera plus comme avant.

 

La nouvelle est tombée, froide, sèche, glaciale. Avec des accents funèbres et des soupirs tragiques: Steve Jobs, l’éminence grise de chez Apple, le bâtisseur génial d’un empire tentaculaire, le génie révolutionnaire de notre époque, à démissionné de ses fonctions pour des raisons médicales.

Le Monde ne sera plus comme avant.

Visionnaire avant l’heure, autodidacte, doué d’une intelligence hors du commun, Steve Jobs a changé notre facon de concevoir et d’appréhender le réel et a modifié d’une maniere profonde, les fondements même de notre existence. Depuis Einstein et sa théorie de la relativité, le monde n’avait connu pareil bouleversement, opéré par la seule puissance de la pensée d’un individu. En proposant de commercialiser son invention, consistant à établir un système opérationnel à même de permettre à la grande bourgeoisie de se différencier du peuple, lors de l’achat de son matériel informatique, il a créé une frontière décisive et ultime entre les gens ordinaires et les meilleurs d’entre nous.

 

Il a permis à toute une classe dirigeante de s’émanciper des fanges stagnantes de la médiocrité quotidienne, où elle était forcée de cohabiter avec le commun des mortels, pour s’élever et s’épanouir grâce à une gamme de produits vendue à des prix sublimement prohibitifs.

Le Monde ne sera plus comme avant.

Le tout accompagné d’un design dont l’originalité toute dépouillée, avec pour seul signe distinctif, une simple pomme déclinée sous toutes les couleurs tout en étant suavement croquée par une bouche imaginaire, et ce, afin de ne pas la confondre avec une cerise, fruit comestible issu du merisier sauvage, et, par essence, incroquable, contribua à faire chavirer de bonheur et d’extase des générations de consommateurs, fiers d’appartenir à une élite enfin reconstituée dont les mots d’ordre seraient, envers et contre tous, classe, raffinement, élégance.

Le Monde ne sera plus comme avant.

La classe inimitable d’un ordinateur racé et véloce comme un vol de guépards, le raffinement inné de téléphones portables au port inimitable, l’élégance éblouissante d’un Ipad tactile à la délicatesse infinie, telles étaient et demeurent les termes fondateurs, constituant le paradigme jobsien, la représentation d’un idéal consumériste communautaire incarné par la figure tutélaire de patriarche de bâtisseur de Steve Jobs qui, mieux que quiconque, avant tout le monde, avant Marx et Engels, avait compris que pour tenter d’exister dans une époque caractérisée par son affligeante uniformité et sa morne appétence pour une démocratie bâtarde où chacun se renverrait son image à travers la découverte de son téléphone portable, il était plus que jamais nécessaire de proposer à ceux, désireux de ne pas sombrer dans l’infâme mainstream des illusions communes, des produits capables d’apporter à l’âme d’une civilisation tristement formatée un salutaire sursaut.

Le Monde ne sera plus comme avant.

J’ai rien compris m’a dit mon ordinateur- Moi non plus- Tu crois que le chef sera content?- On s’en tape, il est en vacances, il ne rentre que Lundi- Une petite partie de solitaire vite fait alors?- D’accord mais il nous faut un titre avant- Rabbi Jocobs?- Marche pas, il est goy- Pauvre comme Jobs?- Tu parles il est riche comme Crésus- Jobard comme Jobs ? Ca ne veut rien dire- Justement, c’est comme ton papier-  Bien vu, marché conclu. Envoie les cartes.

 

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Quelqu’un avait dû calomnier Dominique K car, sans avoir rien fait de mal…

 

Quelqu’un avait dû calomnier Dominique K, car, sans avoir rien fait de mal, il fut arrêté un matin…. K vivait pourtant dans un État libéral; partout régnait la paix, les lois étaient respectées; qui donc osait venir ainsi l’agresser chez lui?

K était toujours enclin à prendre autant que possible les choses du bon côté, à ne croire au pire que lorsqu’il arrivait et à ne pas prendre de précautions pour l’avenir même quand tout menaçait. Mais cette fois, une telle attitude ne lui paru pas la bonne; bien entendu, on pouvait considérer tout cela comme une plaisanterie, grossière il est vrai, que lui auraient faites, pour des raisons qu’il ne connaissait pas, ses collègues de la banque… Qu’on dise plus tard qu’il ne comprenait pas la plaisanterie, K. n’y voyait qu’un danger minime, mais en revanche, bien qu’il ne fût pas dans ses habitudes de tirer des enseignements de l’expérience, il se rappelait quelques cas, à vrai dire insignifiants, où, à la différence de ses amis, il s’était sciemment conduire de manière imprudente, sans se soucier le moins du monde des conséquences et où il avait été puni par les événements…

Comment puis-je être arrêté? Et surtout d’une telle façon?

  • Voici mes papiers d’identité dit K.
  • Que voulez vous que nous en fassions? s’écria le grand gardien. Vous vous comportez plus mal qu’un enfant. Que cherchez vous donc? Voulez-vous en finir rapidement avec votre grand, votre maudit procès en discutaillant avec nous de papiers d’identité et de mandats d’arrêt. Nous sommes des employés subalternes, à peine au courant de ce que sont des papiers d’identité et n’avons rien d’autre à voir avec votre affaire que de vous garder dix heures par jour et d’être payés pour cela. Voilà tout ce que nous sommes et pourtant nous sommes capables de nous rendre compte que l’Administration au service de laquelle nous nous trouvons se renseigne très exactement sur les raisons de l’arrestation et sur la personne de l’inculpé avant de délivrer un mandat d’arrêt. Il n’y a là aucune erreur. C’est la Loi. Ou pourrait-il y avoir une erreur?  K ne répondit plus rien. « Dois je donc », pensa t-il, » me laisser encore troubler davantage par le bavardage de ces subalternes au bas de l’échelle ? Puisque c’est cela qu’ils sont, comme ils le reconnaissent eux mêmes. Seul leur bêtise peut leur donner cette assurance, quelques mots échangés avec une personne de mon rang rendront tout instantanément bien plus clair que les plus longs entretiens avec ces gens-là. .
  •  
  • ( Avec l’aimable autoristation posthume de Franz Kafka)
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Le Roi de la Pope

 

Le Vatican n’est plus ce qu’il était. En choisissant Madrid comme lieu de villégiature pour la jeunesse bâtarde du monde entier, il pensait avoir choisi une destination de rêve à même de combler de joie et de grâce mêlée, des centaines de milliers de brebis estivales, assoiffées de conseils pour comprendre comment ne pas se perdre sur les sentiers vénéneux de l’existence, écouter les paroles du roi de la pope et repartir, une bible dédicacée sous le bras, avec, dans sa trousse de secours, entre deux stylos en forme de crucifix et trois stickers de la vierge, un précieux fascicule à apprendre par cœur dans l’avion du retour, expliquant comment continuer à croire dans nos sociétés despiritualisées et matérialistes et suivre à la lettre le chemin tracé par la star auto-proclamée du Nouveau Testament que Dieu, dans son infinie sagesse, adopta comme porte-parole, pour nous rappeler que sans Amour, la vie ne valait tripette.

Patatras, non seulement l’office de tourisme de la cité vaticane, a dû se taper la grève soudaine des footballeurs espagnols, inquiets de ne pas pouvoir arriver à payer les traites de la douzième Ferrari offerte pour la bar mitzva de leur chien adoré, empêchant le troupeau égaré de se rendre en pèlerinage à San Bernabeu pour contempler, éperdu d’admiration toute christique, les dribbles de moins en moins fantasques de Ronaldo et les tacles de plus en plus gracieux de Pépé le Moko, mais de plus un orage à ne pas mettre un pape dehors a empêché ce dernier de réciter son homélie homérique devant une foule trempée jusqu’aux os, condamnée à barboter dans des flaques d’eau grandes comme le lac de Tibériade.

Bref, une bien mauvaise semaine pour les redresseurs de torts et les détenteurs de la Vérité.  

N’empêche, on a beau jeu de se moquer et de ricaner sous cape comme le dernier des cancres, on reste toujours un peu embarrassé et perplexe devant ce genre d’hallucination collective, estomaqué par le nombre fantasque de bambins pèlerins accourus en rang serré, d’un peu partout du globe, pour chastement fraterniser en se tenant la main, afin de mieux prier le Sauveur de venir les éclairer et les aider, au lieu de parfaire, en toute décontraction, leur kamasutras personnels à l’ombre de Clubs Med lubriques où coups de reins dévastateurs et roulages de pelle intensifs constituent les principales activités de la journée.

 

C’en serait presque émouvant cette volonté forcenée de vouloir s’élever de sa propre médiocrité et léviter dans des latitudes où l’esprit triomphe enfin sur le corps, de s’essayer à devenir coûte que coûte meilleur et plus attentif aux souffrances de son prochain, de ramener l’homme au centre de ses préoccupations, de tenter de remettre du sens là où ne règne plus que le chaos et la confusion des sentiments.

Alors que pour la plupart d’entre nous, rendus cyniques et désabusés par un monde de plus en plus indéchiffrable, nous avons depuis longtemps baissés les bras, déposé les armes, amers de découvrir qu’il n’y avait plus d’idéal à construire, plus de châteaux en Espagne à bâtir, plus de cause à défendre, si ce n’est celle de surveiller son propre compte en banque, condamné à verser dans le nihilisme ou dans la surconsommation d’objets parfaitement inutiles, empruntant des voies de garage qui nous rendent désillusionnés et passifs, englués dans les épaisseurs de nos confortables canapés d’où l’on assiste, indifférents, à la dégringolade d’une civilisation censée promouvoir, à son origine, le bonheur pour tous, paix sur la terre et Noël à tout les repas.

En même temps, voir tout ces gosses tomber en pâmoison devant un vieux monsieur en sandalettes recèle quelque chose d’infiniment triste. Comme un parfum d’abandon. 

Comme si ces adolescents, alors même que la partie n’a pas encore commencé, disaient stop, je ne veux pas jouer, vivre comporte trop de risques, les tentations sont trop nombreuses, je n’ai pas la force de m’affronter, je n’y arriverai pas, je sens que je risque à tout moment la sortie de route, je ne veux pas me précipiter dans le ravin, je veux rester à jamais dans le confort douillet d’une existence vouée à un être qui me comprend et me prend par la main, m’indique où se cachent les pièges et comment parvenir à les éviter.

La vie est trop effrayante pour moi, je n’ai pas confiance en moi, je ne veux pas souffrir, je ne veux pas connaître le doute, je ne veux pas me perdre dans la luxure et la débauche, je veux être préservé de toutes ces horribles tentations, je renonce, voilà c’est ça, je renonce. Je renonce à vivre. J’ai l’assurance que cette vie là n’est pas la vraie vie. La vrai vie est ailleurs. Dans l’au-delà. Ici je ne suis que de passage. Juste un mauvais moment à passer. Suffit que je ferme les yeux et tout se passera bien. Je sais que je suis dans le vrai.

Du coup, fatigué par mes propres errances et séduit par ce discours apaisant, je me suis converti en ligne. Sur le site du Vatican. A la rubrique Nous Contacter. J’ai renoncé à tout mes péchés capitaux. Mon maigre pécule, je l’ai viré à la banque papale. J’ai envoyé paître femmes et maîtresses. J’ai juré fidélité à ma paroisse. Je me suis débarrassé de tout mes biens matériels qui encombraient mon corridor. Je n’ai gardé que mon chat qu’à la seule condition qu’il obéisse à une diète de quarante jours.

Déjà je ressens les premiers bienfaits de mon amour et ma nouvelle dévotion pour Lui.

Hier, Saint-Étienne a arraché un match nul inespéré contre l’OM. Remy a flingué le poteau. L’arbitre a oublié de siffler un pénalty. Ils sont sur le podium.

Du coup, je songe à me recirconcire la queue. Sans anesthésiant bien sûr. Si après ça on n’est pas champion….

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La sortie de la rentrée littéraire (I)

 

Pendant que les français sont encore en vacances à jouer à la marelle avec leurs marmots tout en veillant à ce que belle maman ne chope pas un méchant coup de soleil en jouant au jokari avec le canari de la voisine, les libraires eux sont au taquet.

Les nouveautés de la sacro sainte rentrée littéraire ont débarqué en masse dans l’arrière boutique, près de huit cents inutiles et, pour la plupart d’entre eux, illisibles romans, parqués dans des containers fourre tout, qui partouzent sans vergogne, en attendant de grimper dans un wagon de la mort qui les conduira sur une étagère anonyme, planquée au fin fond des catacombes de la librairie où, pour nombre d’entre eux, ils resteront cantonnés pendant quelques semaines, le petit doigt sur la couveture, sans même avoir l’honneur d’être jamais visités, palpés, touchés, humés.

Avant de retourner par un dimanche pluvieux dans l’arrière boutique, puis d’être conduits un beau matin, à l’aube, dans la basse fosse d’une usine de décontamination et d’incinération afin de servir comme purin pour des couches culotes recyclables.

 

Et pendant ce temps là, les écrivains, enfin n’exagérons rien non plus, disons les personnes qui ont commis un livre qu’un aimable éditeur pour des raisons obscures a décidé en fin de compte de publier, feignent de jouer à l’indifférent, tout en parcourant de long en large, de jour comme de nuit, comme des fantômes du chapelier, les rues de leur ville, passant à toute vitesse devant la vitrine des librairies, déguisés de pied en cap pour ne pas être reconnu, en priant pour que leur poulain ait l’honneur de trôner dans la devanture du libraire de la grand place ou du moins qu’il soit bien disposé sur la table d’honneur du bouquiniste ou encore qu’il se retrouve planqué sous la table du banquet ou alors qu’il colonise la petite table de pique nique toute branlante que le marchand désabusé a rapporté de ses vacances en Ardèche et qui se trouve être postée tout à côté de sa collection de remèdes homéopathiques contre les hémorroïdes.

On ne dira jamais assez l’effroi de l’écrivain, enfin disons de celui qui a empilé des pages et qu’un complaisaint éditeur pour des raisons mystérieuses a décidé d’assembler en livre, qui, rentrant par mégarde dans une librairie, ne trouve pas du premier regard sa grande œuvre.

C’est aussi traumatisant et déstabilisant que de se rendre à la maternité après l’accouchement de madame et de ne pas découvrir son nouveau né dans la nurserie où s’entassent pêle mêle les nouveaux nés gémissant et braillant à tûe tête. Sauf que généralement dans ces cas là, après une seconde d’égarement, une gentille infirmière tapote à travers la vitrine pour vous dire que l’affreuse petite chose toute écarlate qui gigote dans le berceau, situé au troisième rang, cinquième colonne en partant de la gauche du milieu, vous appartient bel et bien.

L’écrivain, enfin disons celui qui a tapoté des mots sur un ordinateur et qu’un bienveillant éditeur pour des raisons toutes personnelles, a décidé d’imprimer sous forme de livre, lui, reste seul. Atrocement seul. Hagard. Le regard vitreux. Les bras ballants. La mine ahurie. Le visage décomposé. Voyons, voyons, j’ai du mal regarder, il doit sûrement se trouver sous mes yeux mais, fébrile comme je suis, j’ai dû le manquer.

Et le voilà reparti bille en tête pour une visite en règle de la librairie.

Après une bonne demie heure passée à fureter ici et là, à jongler avec les dernières nouveautés que quelques journaux bien télémarisés et leurs affidés labelisés ont déja consacré comme « un livre d’une beauté ensorcelante à lire toute affaire cessante «,  il finit par retrouver son chérubin de roman, égaré au beau milieu une pile disgracieuse toute foutraque qui monte au ciel en colimaçon, la plupart du temps un seul exemplaire qui crève déjà de solitude glacée, et qui le regarde d’un air coupable en lui disant comment tu as pu me faire ça.

Bien souvent l’écrivain, enfin disons celui qui a torché sur un cahier d’écolier une histoire à dormir debout et qu’un affable éditeur pour des raisons insoupçonnables s’est décidé à lui offrir un abri de fortune sous la forme d’un livre, s’achètera son propre rejeton en veillant à payer en liquide pour ne pas attirer les soupçons du libraire intrigué, non pas de voir qu’un écrivain achète son propre livre ( qui d’autre ?) mais bien  plus qu’un tel livre puisse exister.

Je sais, je l’ai vécu. Dans ma chair. Certes, ayant tout de même ma fierté (et surtout étant fauché comme une plantaison de mais génétiquement modifiés après un passage de la bande à Bové) je n’ai pas été jusqu’à me l’acheter mais c’est tout comme.

Mais ceci ne constitue que la première étape. Vient ensuite le temps de l’humiliation. La vraie. Cela commence par une visite obligée chez Monsieur Joseph Gibert Le Jeune, l’infâme bouquiniste parisien du boulevard Saint Michel qui prospère sur la misère des pauvres gens et courtise depuis la nuit des temps, des générations de pauvres hères obligés de se séparer des cadavres de leurs œuvres favorites pour payer la bouffe de leur chat.

Là au moins vous êtes assurés de trouver votre bambin. Et qui plus est en grand nombre. En très grand nombre même. Une vraie pile, cette fois. Seul problème : il est vendu contre la somme symbolique d’un euro, affublé d’une affreuse étiquette jaunâtre, estampillée livre d’occasion alors que bien entendu il est aussi frais qu’un poisson vendu sur un étal d’un maraîcher breton. Le coupable : l’enfoiré de critique à qui l’écrivain, enfin… blablabla  l’éditeur…blablabla…a publié, quelques semaines plus tôt, a envoyé son livre, accompagné d’une dédicace toujours niaiseuse et dégoulinante d’imbécillités aimablement circonstanciées, vu que petit un il n’a jamais partagé sa couche avec le dit critique, et que petit deux, il se trouve être à sa deux cinquante septième dédicace de la matinée et n’a plus de monnaie pour payer l’horodateur.

Et donc pendant que l’écrivain…blablabla…que l’éditeur .. blablabla a publié , effectuait, à ses propres frais, son pèlerinage à Lourdes pour demander à Bernadette de veiller sur son chef d ‘oeuvre, le critique lui en profitait pour se délester en douce du livre chez Madame Gilbert, 5o euros, capote comprise. Sans même l’avoir ouvert évidemment.

Je sais, je l’ai vécu. Je veux dire que, dans une autre vie, j’ai aussi pratiqué la tactique du critique apatride fréquentant assidûment le service social de chez Monsieur Gibert…

( A suivre)

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Dénoncer c’est dégueulasse ?

Il est évidemment extrêmement choquant pour un français bien gaulé de voir nos cousins anglais dénoncer les petits cons et autres branleurs du samedi soir qui se sont amusés à danser la valse à mille temps avec des policiers désemparés pendant que d’autres profitaient du désordre ambiant pour offrir à leurs mamans adorées la dernière collection printemps/hiver/été/automne de chez Tristan Zara, et pour leurs papounets chéris, l’ultime création des designers de chez Nike qui se sont creusés la cervelle comme jamais pour dessiner une virgule de chaussure permettant de flotter sur les eaux tout en s’envoyant en l’air mais demeurant néanmoins assez cher que le prix d’un troupeau d’agneau du Yorshire élevé au caviar de truite congelée importée de Birmanie orientale.

En France, au moins, on ne dénonce qu’en temps de guerre.

Le reste du temps, quand les voitures se mettent à brûler, de peur de renouer avec ses vieux démons, comme un alcoolique évite de frayer de trop près avec des cavistes de renom, on se claquemure chez soi, on se planque sous le canapé, et on attend que ça se passe, en priant que ce soit seulement la dernière berline du voisin qui, désespérée de ne pas posséder de GPS digne de ce nom, de honte rentrée, percluse de chagrin, finisse par s’immoler par le feu.

Donc, il faut le dire tout net, au risque de choquer les sujets de sa graisseuse majesté, les anglais bafouent les libertés fondamentales et jouent au petit rapporteur en allant par milliers cafter à la police qui qu’a cassé la vitrine du boulanger qui qu’a brisé la devanture du bijoutier qui qu’a brûlé la supérette du coin qui qu’a malmené le château de mon père qui a martyrisé la gloire de ma mère.

Il existe même toute une ribambelle de lâches pleutres, dégoulinant de chagrin humide qui, sur des grands panneaux de bois, de leur écriture toute tremblotante de dépit débilitant, s’épanchent à grands coups de slogans amers sur leur tristesse et leur rage d’avoir vu leurs villes, celles où ils sont nés, celles où ils ont choisi de vivre, celles qu’ils ne quitteront jamais pour la sotte raison de s’y sentir bien, être livrées à des hordes de vilains garçons qui un soir d’été, écœurés de devoir continuer à se coltiner les Stan Smith de leurs frères aînés, se sont dit ça suffit, le capitalisme doit profiter à tous, l’État providence a failli en ne nous chaussant pas correctement, le grand soir est pour ce soir, prenons notre destin en main et chaussons nous avant que la marée chaussée ne nous déchausse en nous désossant.

Il s’est passé un peu près la même chose, en juin dernier à Vancouver ( où ayant été dénoncé à la Préfecture de Police par une vieille concierge parisienne sur mes origines présupposées sémites, j’ai dû enfourcher vite fait mon velib avant de devoir visiter le vel d’hiv ( ah ah ah) pour m’y auto déporter), au Canada, où je le précise d’emblée, pour celui qui un jour ou l’autre viendra me poser sur ce blog, la sempiternelle stupide question, alors saga, pas trop froid l’ami là bas ? il ne fait pas froid, il neige très rarement, il pleut beaucoup, sans oublier de préciser que la distance Vancouver/Montréal est très exactement de 3704 kilomètres, soit la distance entre Paris et Bagdad (3863), d’où mon ignorance totale vis à vis des mœurs et coutumes du Québec. Compris?

Donc, gentil lecteur que j’idolâtre, avant cette parenthèse certes ampoulée et inutile mais ô combien nécessaire, j’écrivais donc que, courant juin, il s’est avéré que l’équipe locale de Hockey, les redoutables Canucks, s’est retrouvée, on sait pas trop comment, en finale de la Stanley Cup, l’équivalent de la ligue des champions pour les rois du patin et du palet.

Pour la rencontre décisive contre Boston, la mairie avait décidé de convoquer toute la populace à assister à la rencontre sur des écrans géants disséminés au centre ville. Évidemment les gars ont perdu et la ville s’est retrouvée à feu et à sang. Le matin venu, le bilan était terrible : quinze voitures brûlées, sept renversées, six avec le phare droit brisé, cinq orphelines du rétroviseur arrière, trois amputées de leur antenne radio. Plus quelques vitrines, victimes collatérales de gangs armés jusqu’aux dents. Le matin même, des milliers d’habitants se sont présentés spontanément pour nettoyer les rues jonchées de détritus de la veille et, à coups de balais, se sont employés à rendre à leur ville son aspect rutilant d’avant les émeutes.

Et, tout comme à Londres, sur des grands panneaux de contre-plaqués, ils ont exprimé leur dégoût et leur colère, ils se sont adressés aux rebelles sans cause et leur ont dit honte à vous, honte sur vous, vous avez saccagé l’esprit de concorde de notre ville, vous avez porté atteinte à notre dignité, vous nous avez trahi, vous ne méritez pas de vivre dans une si jolie ville que nos ancêtres ont mis des décennies à bâtir, vous nous avez déçu, nous vous déshéritons. Et se sont précipités sur FaceBook pour dire qui avait fait quoi.

Ce dont le journal Liberation s’était ému. Quoi ? Les canadiens auraient-ils eux aussi des vieilles concierges retorses prêtes à décrocher leurs combinés pour demander l’interurbain avec Vichy?

Les quelques français qui tout comme moi ont été déportés suite à la plainte de la même concierge ont d’abord ricané sous cape, moi le premier, sont fous ces canadiens, on leur casse quinze voitures et ils te font dans la foulée une poussée d’urticaire sous la forme d’une révolution de velours.

Sauf que.

Sauf que si on réfléchit bien, hein, si on réfléchit vraiment bien, mais vraiment bien, si on se met à cogiter et on laisse de côté notre supériorité de petit con de français à la ramasse, aimer sa ville ou son quartier ou sa rue et tenter de la protéger contre ceux qui veulent vous l’abîmer pour des raisons qu’eux même ne comprennent pas, ne serait-ce pas là un comportement somme toute normal, marqué du bon sens, et répondant au désir fondé de vivre ensemble dans la paix et l’harmonie ?

Sur ce, Amen. Et va en paix mon fils.

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Après Londres, Tel Aviv?

 

Pour l’instant, Tel Aviv ne brûle pas. Pas encore. Elle se contente de grommeler sa colère à coups de manifestations monstres. Ce qui est déjà en soi remarquable. S’en aller défiler dans des rues accablées de chaleur, sous les coups de tonnerre d’un soleil brûlant comme de l’acier trempé, martelant sa loi martiale dans un ciel d’un bleu métallique, force l’admiration. Les petites frappes londoniennes et mancunnienes devraient en prendre de la graine au lieu de plastronner comme des starlettes de télé réalité sur youtube ou sur Facebook.

 

Pour l’instant, aux dernières nouvelles, les manifestants israéliens se tiennent à carreau. Pas de débordements intempestifs, pas de saccages de vitrines, aucun vol de falafel n’a été encore signalé. Pourtant Dieu sait que les tentations sont grandes. Si vous n’avez jamais encore mis les pieds en terre promise, ce qui était encore mon cas il y a quelques mois de cela, il est difficile de s’imaginer combien Tel Aviv ressemble à un fantasme de succursale à ciel ouvert d’un capitalisme onaniste versé dans l’achat compulsif de biens de consommation.

Tout au long d’avenues plombées de soleil, planté comme un demeuré dans un ciel sans nuage, des magasins de fringues aussi vulgaires que coûteuses interpellent des devantures de boutiques de chaussures, des dizaines de centaines de milliers de marchands de sabots suédois tiennent la dragée haute à des échoppes vendant des falafels à tour de shekel ; des bijoutiers font la nique à des distributeurs de montres, des supérettes qui ne vendent que des barquettes de Houmous, 24 heures sur 24,(juste au cas où vous seriez pris d’une soudaine attaque de panique en constatant à trois heures du matin que la purée de pois chiche s’est évaporée pendant votre sommeil)  concurrencent des échoppes clinquantes où des téléphones portables, clapets grand ouvert sur des claviers rutilants, se font admirer comme des dames de petites vertus dans le quartier rouge d’Amsterdam.

Bref, si vous mettiez un bâtard de clébard de kleptomane d’anglais dans les rues de Tel Aviv, il attraperait vite un torticolis à donner le vertige à sa pomme d’Adam et, la langue pendante d’envie, se convertirait vite fait bien fait au judaïsme auprès du premier larbin de rabbin de service.

Donc les israéliens ne sont pas contents et ont sûrement des bonnes raisons de l’être. N’étant pas sociologue en psychologie appliquée de la foule israélienne, je me garderais bien de tout commentaire à ce sujet. Je sais seulement qu’on ne ne sacrifie pas des longues heures à paresser sur une plage paradisiaque à mater des mannequins venus de Sibérie juste pour avoir le plaisir de gâcher les vacances de Bibi. On ne renonce pas aux joies infinies de la baignade dans une eau turquoise ou presque, à se la raconter, entre deux coulées de brasse, comment on a réussi à berner le fils Benchétrit, en lui refilant des toques de fourrure venues tout droit de Shanghai, juste pour meubler les heures molles et creuses de l’après midi quand les touristes, abrutis de chaleur, colonisent les terrasses climatisées des grands hôtels qui sont plantés comme des grands dadais tout le long de la promenade qui ne porte pas de nom ou alors je ne m’en souviens pas et j’ai la flemme de m’en aller rechercher sur google. D’ailleurs je ne lis pas l’hébreu et le comprends encore moins. Enfin cela ressemble à ça :

Ceci dit, si je vivais à Tel Aviv, Dieu m’en garde, je serais le premier à manifester. Il suffit de se promener quelques minutes dans la ville pour se rendre compte que l’argent amassé par le trésor public n’a pas été reversé depuis des lustres dans des plans d’urbanisme coûteux. Les immeubles partent en lambeaux, les façades des maisons tirent toute la gueule et déclinent des mines fatiguées et vétustes avec des murs décrépits et fissurés, les balcons tanguent et branlent à tout va, les volets pendent comme une paire de couilles d’éléphants agoraphobes claquemurés dans un zoo de la banlieue de Damas.

Les bus se traînent comme des limaces et gémissent tels des asthmatiques privés de ventoline. Les poubelles volent au vent et vous claquent à la figure, les voitures s’enterrent sur place tellement le trafic se congestionne et se pétrifie, et pendant ce temps là, sur la promenade machinchouette, des nymphettes avec des jambes longues comme un discours de Fidel Castro, se déhanchent sur des paires de talons aiguilles fines comme des colonnes de Buren tout en jouant au jokari avec leurs chiens de traineaux et bovarysent à tout crin en se disant tiens si on prétendait que je vivais à Paris ou à Milan.

 

Oui j’exagère mais à peine. Il existe aussi des coins charmants et paisibles, tranquilles et suaves, coquets et coquins, refaits à neufs où l’on se surprend à penser que si jamais la vieille Europe se repassait en dernière séance nuit et brouillard, ma foi, on se terrerait bien volontiers dans une de ces jolies bicoques avec leurs cours ombragées et leurs petits jardins potagers. Sauf que bien sûr, ça coûte aussi cher d’habiter dans ce genre d’endroit que d’offrir à son dernier nouveau-né une circoncision opérée par le rabbin de Bernard Maddof.

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London Burning

Finalement, comme le souhaitait d’une manière tout à fait putassiere et opportuniste, les filous organisateurs des JO de Londres qui, sur ce coup là, ont senti d’où le vent soufflait, l’appel sanglant des Clash a bien été entendu. Comme l’expectorait tout en l’espérant Joe Strummer dans ses versets apocalyptiques de la mythique chanson ( voir post ci dessous), les jeunes se sont enfin réveillés, ont piqué les boots de leurs ainés, et ressorti les blousons cloutés de derrière la collection des vieux vinyls encrassés de poussière de leur paternel rassis, assis dans leurs canapés à attendre le clap de fin.

Les loups sont entrés dans la ville. Certes plus pour se procurer la dernière paire estampillée Nike ou Adidas que pour réciter des chapelets à la gloire de John Lénine. Mais enfin c’est déjà un bon début. Ça va bien à l’Angleterre d’être ainsi à feu et à sang. C’est l’Angleterre qu’on a aimé. Celle en noir et blanc. De la classe ouvrière, dents cassés, yeux vitreux, teint couperosé, entassée bien au chaud, dans le ventre des tribunes d’Anfield ou d’Old Trafford voir d’Ellan Road, le stade coupe gorge de Leeds et de sa racaille de joueurs et de supporters.

De la pluie qui pisse des sots de rots et de la boue bien grasse encrassée dans les surfaces de destruction. Celle des mods et des skins. Des Who et des Stones. Des Buzzcoks et des Jam. Des bastons et des matraques.
Des batailles toutes chevaleresques entre des bobbys imperturbables campés sur leurs chevaux impeccables de droiture, et des hordes de hooligans défoncés à la bière à 18 degrés, s’arrêtant, entre deux largages de pierres, pour aller pisser un bon coup contre des murs de brique rouge. Celle de la révolte sans but et des buts pas très clairs.

Celle là même que chantait et espérait Morrissey, le chanteur préferé de David Cameron tout de même, dans l’une des plus cinglantes et parfaites chansons des Smiths, Panic : Panic on the streets of London/ Panic on the streets of Birmingham/I wonder to Myself/ Could Life ever be sane again/So you run down to the safety of the town/ But there’s panic on the streets of Carlisle/Dublin Dundee/ Humberside.


Certes Morrissey voulait juste qu’on aille pendre le salaud de de DJ qui persistait à passer de la soupe de musique qui ne lui parlait pas de sa vie et ne l’aidait pas à comprendre comment cheminer sur les sentiers tortueux de l’existence. Pas qu’on aille fracasser les boutiques de grandes enseignes de magasin de sports juste pour avoir le plaisir de se mirer devant la glace, histoire de voir si le dernier blouson que portait Jude Law en faisant son repassage et qu’on a maté l’autre jour dans les pages graisseuses du défunt News of the World, est si seyant que cela.

On a les révolutions qu’on peut. Désormais, au lieu de se lamenter sur le démantèlement des usines ou sur la misère d’habitats laissés à l’abandon par les pouvoirs publics, on désespère de ne pas posséder la même paire de souliers que Thierry Henry ou que de David Beckham. On enrage de continuer à bouffer des match de foot sur des écrans mesquins et rétrécis alors que les gens bien nés ont le droit d’avoir Wayne Rooney et Gareth Bale quasiment dans leur salon.

Les temps changent. Les idéologies ont désertés les cerveaux. Les idées ont emprunté des raccourcis inquiétants. Les cerveaux s’intoxiquent de jeux vidéos débilitants et de vies virtuelles anesthésiantes. C’est la fin du vieux monde. De la bonne vieille Europe. On attend plus que les fossoyeurs pour tourner de bon cette page d’histoire qui nous tient en haleine depuis deux siècles maintenant. Une éternité.

Il est grand temps d’engager un nouveau metteur en scène, de nouveaux acteurs, de nouveaux scénaristes. La page est blanche, l’avenir incertain, les repères vacillants. Ou comme le chantait notre Miossec national dans On était tellement de gauche:
Et quand vous apprenez un jour par la poste/Que de vous on ne veut plus/Vous repensez alors Cocktail Molotov/ Ça ne serait pas arrivé si on s’était battu/ Mais c’est trop tard pour que l’on rechausse/ Les vieilles idées que l’on croyait perdues/ C’est désormais bon pour les gosses /Allez les enfants, foutez le raffut.



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J.O Calling

Joe Strummer l’a cauchemardé, Sébastien Coe l’a fait. C’est officiel, la chanson emblématique des prochains Jeux Olympiques de Londres sera London Calling des Clash. Paroles: Joe Strummer. Musique: Mike Jones. Producteur: Guy Stevens. Année d’enregistrement: 1979. Lieu: Londres, Royaume Uni. Pochette de l’album éponyme: Paul Simonom fracassant sa basse lors d’un concert au Palladium à New York City shootée par Pennie Smith: Refrain: The Ice age is coming, the sun is zooming in/ Meltdown expected the wheat is growing thin/ Engines stop running but i have no fear/ Cause London is drowning, and I live by the river. ( L’âge de glace s’approche, le soleil s’affaise/ Fusion en vue, les récoltes sont au plus bas/ Machines à l’arrêt mais aucune peur/ Londres se noie et je vis tout prés du fleuve) ( traduction toute personnelle et donc sujette à interprétation)
L’angliciste de service qui a étudié l’intersexualité de la poésie de T.S Eliot à travers l’influence post moderniste de J.K Huysmans et d’Isodore Ducasse, pas besoin de la ramener.

Bien, bien. Donc, l’année prochaine, au beau milieu du mois d’aout, London Calling radotera en boucle sur toutes les radios de la planète, servira de bande son à la con pour des myriades de show télévisés en direct de Buckingham Palace, sera entonnée par des milliards de terriens désœuvrés, suspendus comme des morpions de lampions à leurs écrans ultra-plats achetés la veille à crédit au Carrefour de Gif sur Yvette, et pendant ces deux semaines où le monde se tiendra par la main et se dira nous sommes tous frères, le squelette de Joe Strummer continuera sa longue et inexorable décrépitude dans son cercueil enfoui six pieds sous terre.

Pas vraiment du schmock puisque John Graham Mellor alias Joe Strummer a été incinéré et ses cendres rendues à sa famille. Mais quelle idée! Moi qui était parti pour un paragraphe élégiaque de toute beauté sur la solitude du chanteur ex punk, ex rebelle, ex gaucho, ex toxico, ex alcoolo, ex prolo, ex anar, ex mescaleros, ex acteur chez Jarmusch et Kaurismäki, ex chanteur de substitution des Pogues, condamné à perpétuité à cracher son venin, cette fois bien mortel, dans son cercueil capitonné, croupissant quelque part dans un coin reculé de la campagne anglaise, papotant sous un crachin chagrin avec les fantômes de Ian Curtis et de Sid Vicious. Dommage

London Calling donc. Putain de chanson. La chanson. Une envolée rageuse crachotée au visage de Thatcher, la salope dans toute sa splendeur vénéneuse et desséchée, une chanson qui pue la fin du monde, suinte l’extinction et l’éradication de nos rêves d’enfants, empeste la chute radicale et finale dans le ravin, le basculement dans le fossé de nos espoirs défunts et résignés. Now that War is declared and battle come down/ London Calling to the Underworld. Des paroles ivres de colère désenchantée face à un monde qui fout le camp, appel désespéré à une jeunesse moribonde de se bouger le cul avant qu’il ne soit trop tard, avant l’engloutissement dans le confort d’une bourgeoisie étouffante, synonyme d’égoïsme terminal et de repli radical sur soi. Come out of the CupBoard, all you boys and girls.

Coup de pied dans la fourmilière. Hymne à la révolte, à la prise de conscience, à l’action. Il est peut-être trop tard mais il n’est pas encore trop tard. Aux funérailles des bons sentiments mièvres et niais des sixties, faites l’amour pas la guerre, paix sur la terre, respect pour la mère nature, mais non, les temps n’ont pas changé, All that phony Beatlemania has bitten the dust. London Calling. Appel de Londres. Seconde guerre mondiale. Camp de concentration. Four crématoire. Bombes, bombes, bombes. Villes rasées. Campagnes humiliées. Humanité déporté, jetée par dessus bord. Bon débarras. Mort. No future.

Rapport avec les Jeux Olympiques? Aucun. Zéro. Néant. Qu’importe le flacon pourvu qu’on ait l’ivresse. Chantez jeunesse du monde entier. Chantez la fin du monde en vous roulant des pelles, le visage bariolé du drapeau de sa gracieuse majesté. Célébrez la fraternité retrouvée des peuples de la terre en vous branlant avec vos Iphone aux claviers martyrisés. Enrichissez la gondole des multinationales en achetant les branloques de produits dérivés pour vos cheminées glacées. Le Clash final.

A vrai dire c’est un peu comme si pour la Coupe du Monde au Qatar, on choisissait Hava Naguilahava comme hymne officiel. Que pour les journées d’été du Medef, Laurent Parisot entonne, du haut de sa tribune, Antisocial de Trust. Ou que pour les jeux olympiques de Paris en 2128, on adoptait le Paris de Taxi Girls comme ritournelle obligée. Pas chiche, Bertrand.

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Rien à cirer de la Syrie

Visiblement, au palmarès de nos indignations toujours sélectives, ces derniers temps, la Syrie n’a pas la côte. Reléguée dans les profondeurs du classement, avec comme compagnon d’infortune, le Darfour, le Turkménistan ou la Birmanie, son sort ne nous émeut guère et ne suscite en nous qu’une vague réprobation, un bref haussement d’épaules, suivi d’un morne soupir de dépit, conclu par une moue sceptique.

Quand je dis nous, je tiens à préciser que je ne m’inclus d’aucune façon dans ce putassier de pronom générique. Non pas que devant le massacre organisé de sa population par les chars d’Assad, je sois là à suffoquer d’indignation, à vitupérer contre l’égoïsme des puissances occidentales plus soucieuses de se préoccuper du sort d’une pièce de monnaie que de sauver un peuple à l’agonie. Non, tout au contraire, je me dois d’avouer en toute franchise, qu’en tant qu’enfant de ce siècle, enfant gâté, bouffi d’individualisme forcené, petit homme ivre de sa propre insignifiance, saturé de misanthropie cynique, divorcé de l’histoire, divorcé de l’idée même de l’histoire, le sort de la ville d’Hama m’indiffère totalement.

La vue des chars vomissant leurs obus sur la vieille cité ne m’empêche pas de ronfler, les images de civils fauchés par des balles orphelines ne gênent en rien mes heures passées sur ma terrassee à mater la voisine d’à coté occupée à bichonner ses hortensias, les commentaires de journalistes affolés décrivant l’enfer d’une ville livrée à des hordes sauvages et barbares ne m’interdit en rien de me demander ce que vaut vraiment Javier Pastore, la future idole du Parc. C’est ainsi.

Je me dois de rajouter que j’affichais la même tranquille et insupportable indifférence face au massacre perpétré en Libye, en Égypte ou en Papouasie Nouvelle Guinée. Notez que j’ai pleinement conscience de l’horreur de ma sotte et stupide et vaine et égoïste et égotiste vision du monde, que j’en frisonne parfois de dégout sans pour autant que j’en sois réduit à me fouetter le cœur pour qu’il sorte de sa torpeur criminelle. R9H2W-PBM7R-GFFM7-J8GJX-9Q93X. Non, non ce n’est pas un code kabbalistique à destination de la section du mossad du quatorzième arrondissement, c’est juste la clé de produit de la licence d’évaluation de 60 jours de Microsoft Office 2010 que j’essaye d’installer depuis des jours maintenant et que j’inscris ici pour ne pas l’oublier. En vain. Je tombe à chaque fois sur un message qui me dit je sais plus quoi, enfin bref, que je me suis égaré et qu’il faut recommencer toute la procédure. Comme quoi, MOI AUSSI, j’ai des soucis. Pour l’instant tout va bien, j’en suis à 26% du processus d’installation. Je ferme la parenthèse que j’avais oublié d’ouvrir.

Peut-être est ce là le traumatisme de l’Histoire qui m’amène à réagir ainsi, qu’issu d’un peuple qui ayant été mis au rebut de l’humanité au simple motif qu’il était, et ce dans le plus assourdissant des silences, j’en suis réduit à me dire à chacun son tour, que vogue le navire, ainsi va la mort.

Même si précisément, pour la même raison que j’appartiens a un peuple qui trop souffert de mourir d’indifférence, je devrais bien au contraire, sitôt qu’on ose toucher au cheveu d’un enfant innocent, m’offusquer à m’en fendre l’âme et tout tenter pour que cessent enfin ces insupportables carnages. Et pourtant non. Je n’y arrive pas.

Peut-être parce qu’adolescent, jeune homme, jeune adulte, me suis-je trop consumé dans les pages d’Au dessous du volcan de Malcolm Lowry, le dernier grand roman occidental qui a été composé ici, à quelques kilomètres de l’endroit où j’écris ces lignes, à Dollarton, juste en face du port de Vancouver où oui je sais l’on chante des souvenirs amers et où les gens de la nuit sont toujours là quand il faut . Tu veux la vidéo? Voilà la vidéo de la chanson de Sanson. ( 46% pour office 2010. Ca va le faire, je le sens)

Et plus encore dans ce chapitre dix où le consul, entre deux lampées goulues de mescal, s’en prend à son demi frère, engagé auprès des républicains lors de la Guerre d’Espagne : «  Ne vois-tu donc pas qu’il y a comme un déterminisme qui pèse sur le destin des nations? Toutes me paraissent avoir le sort qu’elles méritent à la longue, non? Avant c’était cette pauvre petite Éthiopie sans défense. Avant encore, cette petite Flandre sans défense. Sans oublier naturellement ce pauvre petit Congo belge sans défense? Demain viendra le tour de cette pauvre petite Lettonie sans défense. Ou de la Finlande. Pourquoi pas la Russie? Lis donc l’histoire. Remonte mille ans en arrière. Quelle stupidité de prétendre intervenir dans son absurdité! C’est une barranca engorgée de détritus, un ravin sinueux courant à travers les siècles pour finir à sec. A quoi donc a servi l’héroïque résistance de tout ces pauvres petits peuples sans défense d’ailleurs cyniquement mis dans l’incapacité de se défendre pour des motifs criminels… La rationalisation collective des motifs, voilà la malhonneté. La justification du petit désir pathologique banal, de la volonté de se mêler de tout, qui une fois sur deux n’est qu’une passion de la fatalité. Une résignation, une soumission grotesque à la résignation des choses qui permet à chacun de se sentir flatteusement anobli ou justifié. Est-ce qu’on ne pourrait pas enfin foutre la paix aux gens? D’ailleurs il ne peut pas ne pas y avoir de catastrophes, sinon les mêle-tout en question seraient obligés de rentrer chez eux s’occuper de leurs propres responsabilités ».( Traduction de Jacques Darras. Grasset).

(Nouvel échec. Stop. Bill Gates m’a dans le collimateur. Stop. Fuck Microsoft.Stop. Je renonce.)

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