Cinéma: enfin un acte politique!

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Avancée importante au service de la diversité, l’accord sur les engagements de programmation et de diffusion signé à Cannes par l’ensemble des professionnels grâce à l’action des pouvoirs publics renoue avec une politique culturelle active dont on avait perdu le souvenir.

Pas très visible au milieu des fastes du tapis rouge, des débats cinéphiles et aussi de nombreuses autres annonces officielles de moindre portée, un accord important a été signé durant le Festival de Cannes. Il y a eu depuis des années tant de raisons de pointer le manque d’initiative forte des pouvoirs publics au service de l’intérêt commun dans ce secteur pour ne pas saluer l’événement.

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Paraphé  par l’ensemble des organisations de professionnels –réalisateurs, scénaristes[1], représentants des acteurs, producteurs, distributeurs et exploitants, des plus gros aux plus petits–, ce texte représente une avancée significative en matière de diversité de l’offre dans les salles, c’est-à-dire aussi de protection de la diversité des salles elles-mêmes.

Dans un contexte national où la négociation semble impossible, cet aboutissement d’une concertation n’a pas été sans heurts, notamment lors de la tentative de passer par la loi au début de l’année (il semble que l’intervention d’Audrey Azoulay ait alors permis de débloquer la situation), mais est d’autant plus remarquable. (…)

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Cinéma français: le feu au chateau

Ce serait un beau château d’apparence prospère, mais où couve un incendie. En apparence, le cinéma français se porte bien, il vient à nouveau d’annoncer une fréquentation record en ce début d’année, sa production est au plus haut, il gagne des prix dans les festivals, le monde entier lui envie son dynamisme et sa diversité. Et pourtant.

Tout cet agencement complexe et finalement fécond repose sur le pari, vieux comme Malraux, de la singularité du secteur (le cinéma ce n’est pas de la télé, pas du jeu vidéo, pas du multimédia) et son unité (aussi différents soient-ils, les blockbusters et les films d’auteur relèvent du même univers, la prospérité économique des uns et l’inventivité artistique des autres contribuent au bien commun).

Ce sont ces fondations qui sont de plus en plus remises en question. Et la guérilla politico-médiatique qui s’est allumée la semaine dernière en témoigne en même temps qu’elle risque de l’aggraver considérablement. Déjà bien présent, le risque d’une cassure du dispositif d’ensemble est de plus en plus menaçant.

L’affaire semble technique et financière, elle est politique, et artistique. Le projet de Loi relatif à la Liberté de Création, à l’Architecture et au Patrimoine vient de revenir en discussion à la Chambre des députés, porté désormais par Audrey Azoulay. Parmi de très nombreuses autres dispositions, ce projet avait en première lecture fait l’objet d’un amendement du gouvernement autorisant entre autres la mise en place d’une régulation dans l’accès aux films par les salles, et aux salles par les films. Supprimé par les sénateurs, cet amendement a été rétabli par le gouvernement jeudi 17 mars, mais sans la clause concernant cette possibilité de régulation.

Aussitôt, l’ensemble des représentants de la production et de la distribution indépendante s’est insurgé contre cette suppression, dénonçant le recul devant le lobbying des grands circuits.

L’affaire tombait d’autant plus mal que le lundi 21 débutait une vaste négociation entre professionnels sous l’égide des pouvoirs publics, précisément sur le volet distribution-exploitation, suite lointaine mais décisive de la concertation lancée en 2013 après les polémiques déclenchées par une déclaration du producteur Vincent Maraval.

Les protestataires –associations de réalisateurs, de producteurs et de distributeurs indépendants– ont claqué la porte de ces Assises du cinéma dès le début, déclarant n’avoir reçu aucune réponse satisfaisante du cabinet et du CNC. La SRF, syndicat des réalisateurs, a publié un communiqué intitulé «Consternés et en colère», dont le titre résume l’ambiance.

Quel est le débat? En apparence, c’est simple, les gros circuits et les gros distributeurs veulent pouvoir inonder le marché des produits les plus porteurs, tous les autres essaient d’endiguer cette tendance bien réelle, qui a déjà de facto mis en place un cinéma à deux vitesses, même si la régulation fait comme si ce n’était pas le cas, et dans une certaine mesure en compense les pires effets.

Dans un communiqué où elle félicite la ministre d’avoir supprimé le paragraphe concernant le contrôle de la programmation, la FNDF (qui regroupe Gaumont, Pathé, UGC, MK2, les filiales françaises de majors américaines…) insiste sur des effets selon elle dangereux de la version initiale de l’amendement.

Se posant elle aussi en défenseur de la diversité, elle affirme que «de tels engagements de diffusion auraient porté bien entendu en priorité sur les films les plus demandés par les exploitants: films commerciaux et films art et essai dits porteurs, et auraient donc eu pour effet de réduire plus encore l’accès au marché des films de la diversité en augmentant gravement les difficultés de programmation de l’ensemble des TPE de notre secteur.»

Cet argument repose sur la demande massive de films à fort potentiel par de nombreux cinémas, et pas seulement par les grands circuits. De fait, les indépendants ne sont pas tous du même côté: les salles indépendantes sont dans leur grande majorité les premières à se battre pour obtenir lesdits «films porteurs». Comme ce fut le cas lors de la sortie du dernier épisode de Star Wars. Elles contribuent ainsi à la concentration sur quelques titres au détriment de tous les autres, et ce alors qu’elles ont particulièrement vocation (dûment subventionnée) à assurer la diversité des offres. (…)

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Face à l’afflux de nouveaux films, le piège mortel de l’e-cinéma

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Petit à petit, l’e-cinema fait son nid. À mesure que les semaines passent, on voit se multiplier les annonces de films sortant directement sur les plateformes VOD ou S-VOD. L’offensive est menée par les deux grands promoteurs du système en France que sont TF1 Video et Wild Bunch. Et, avec un autre modèle de diffusion, par l’américain Netflix, qui vient d’acheter les droits de distribution d’Aloha de Cameron Crowe après s’être offert la comédie St Vincent ou la trilogie The Disappearance of Eleanor Rigby avec Jessica Chastain.

Wild Bunch avait frappé un grand coup l’an passé avec le très remarqué Bienvenue à New York d’Abel Ferrara, avec Gérard Depardieu en Dominique Strauss-Kahn, film médiocre mais opération promotionnelle réussie à laquelle le Festival de Cannes 2014 avait servi de rampe de lancement.

À la différence de la VOD classique, même s’il utilise les mêmes plateformes de diffusion, le e-cinema désigne des films qui sont distribués directement en ligne, sans être passés par la salle ni par la télévision.

Le grand nettoyage?

Depuis le coup d’éclat du Ferrara, aucun des titres n’a beaucoup attiré l’attention. Il est possible que l’offre de films de genre, dont un slasher signé d’un petit maître de l’horreur, Elie Roth (Green Inferno, annoncé pour le 16 octobre), et une comédie horrifique des Australiens Taika Waititi et Jemaine Clement (Vampires en toute intimité, le 30 octobre), améliorent les scores, malgré un tarif, 6,99€, qui reste peu attractif –sauf si on regarde à plusieurs. Ce qui mène à s’interroger sur les effets du dispositif, s’il trouve à se pérenniser.

À terme, il ne s’agira plus seulement de trouver un débouché à quelques produits atypiques laissés de côté par un marché qui, pour le reste, continuerait de fonctionner de la même manière. Bien au contraire, le risque est considérable que le e-cinéma se transforme en arme fatale d’un grand nettoyage, dont il y a tout lieu de s’inquiéter.

Le lancement de l’e-cinéma en France est présenté par ses promoteurs comme une solution à un problème grave, qui possède la caractéristique d’être nié par l’ensemble de la profession: trop de films sortent sur les écrans français (663 nouveautés en 2014). Cet embouteillage calamiteux est aggravé par l’occupation d’un nombre trop élevés d’écrans pour les films présumés «porteurs», ou dont les distributeurs sont assez puissants pour imposer des vastes combinaisons y compris pour des ratages manifestes.

Le tabou du trop de sorties

Un tel déferlement, avec presque tous les mercredis quinze nouveautés ou plus, éjecte mécaniquement les films de la semaine précédente qui avaient besoin de temps pour s’installer, ou simplement qui ne bénéficiaient pas d’une publicité massive au moment d’atteindre les écrans. Ces nouveautés elles-mêmes, à l’exception de 2 ou 3 titres valorisés par le marketing ou la critique, se font de l’ombre et se détruisent les uns les autres. Ils sortent en salles et puis sortent des salles sans que pratiquement personne s’en soit rendu compte.(…)

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Cannes/7: Puissances de la parole

cannes-valls-pellerin-homeLe premier ministre à Cannes: des paroles qui engagent

Au Festival de Cannes, il y a des films. Beaucoup. Des longs et des courts, en sélection officielle, dans les sections parallèles, au marché du film encore bien davantage. Et puis les films en cours de réalisation, les projets, cette nébuleuse aux contours imprécis du cinéma en constant devenir.

Au Festival de Cannes, il y a des gens, ceux qui réalisent les films, ceux qui les interprètent, ceux qui participent à leur fabrication, ceux qui les financent, ceux qui les vendent, ceux qui les achètent, ceux qui les montrent, ceux qui écrivent ou parlent à leur propos, ceux qui les accompagnent. Ceux qui les aiment, ceux qui s’en servent, ceux qui ont la responsabilité d’organiser tout ça avec des lois et des réglementations.

Et puis, au Festival de Cannes, il y a des mots.

Exemple parmi mille autre, l’auteur de ces lignes a été sollicité depuis le début de cette édition du Festival pour participer à deux prises de paroles fort différentes. Au Pavillon Cinémas du monde de l’Institut français, où dix jeunes réalisateurs et leurs producteurs sont conviés à présenter leur projet (même si, parmi eux, les Palestiniens sont restés bloqués à Gaza par une énième mesure vexatoire et arbitraire israélienne) et viennent rencontrer de possibles partenaires. Chaque année, un(e) cinéaste confirmé(e) parraine cette délégation, et j’ai le plaisir et l’honneur de mener une conversation portant sur son parcours avec ledit parrain.

Après Rithy Panh, Abderrahmane Sissako, Pablo Trapero, Elia Souleiman, Raoul Peck, Walter Salles, soit autant d’expressions singulières, où une trajectoire personnelle devient expérience à partager et à utiliser par d’autres, c’était cette année Claire Denis. En ce monde envahi d’enregistrements sans intérêts, il faut souhaiter que ce qu’a dit Claire Denis, parlant de son chemin de femme et de cinéaste, de ses engagements, de ses rencontres, de ce qu’elle attend du cinéma, sera rendu accessible. Précision des énoncés, émotion et exigence des choix et des pensées: si l’expression même de leçon de cinéma a un sens, il s’est matérialisé ce jour-là.

Il est bien d’autres modalités de paroles efficientes à Cannes, de la conférence de presse à la rumeur, du reportage à la critique. Leur tissage incessant est agissant, parfois décisif, pour un film, l’avenir d’un cinéaste. Mais qu’il s’agisse de «master class», comme on dit, ou de ragots, les effets, s’ils sont incontestables, sont en général difficiles à mesurer. Il en va autrement des paroles politiques, même au sens limité –mais pas du tout médiocre– de politique culturelle.

Ce dimanche 17 mai, la journée aura été consacrée massivement à écouter et un peu à organiser l’énoncé de mots. Mots politiques et souvent politiciens, mots techniques et souvent technocratiques. Parole, parole, bavardages et poudre aux oreilles diront plus d’un, après que la matinée a été consacrée à une succession de prises de paroles autour de Günther Oettinger, commissaire européen chargé de l’économie numérique, et qui pour des raisons typiquement bruxelloises se trouve avoir sous sa responsabilité le cinéma et l’audiovisuel.

Moins folichon que la montée des marches par des vedettes, moins beau et émouvant qu’un film de Desplechin, de Moretti ou de Hou Hsiao-Hsien, assurément. Mais loin d’être sans importance, y compris pour que ces films-là, et beaucoup, beaucoup d’autres, aient une chance de continuer à se faire et à être vus. (…)

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La fréquentation des salles de cinéma est excellente. Mais pour quels films?

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Les responsables de la politique culturelle auraient tort de se satisfaire des seules statistiques, qui ne prennent pas en compte quels films ont été vus, et par qui.

A grand son de trompe est donc proclamé le résultat de la fréquentation des cinémas en France en 2014: 208 millions de spectateurs, soit le 2e meilleur résultat depuis 47 ans (211,5 millions d’entrées en 1967 et 217,2 millions en 2011). Ce score, et une augmentation de 7,7% par rapport à l’an dernier, sont en effet de très bons chiffres. Tout comme mérite d’être souligné le rééquilibrage entre les entrées des films français (44%) et américains (45%), alors qu’en 2013 le ratio était de 33 contre 54%.

Des films français occupent les trois premières places du classement, et 9 des 20 premières places (cf. tableau). Il est légitime de s’en réjouir. Mais cela ne devrait pas empêcher de considérer aussi ce que lesdits chiffres recèlent de plus complexe, et ce qu’ils dissimulent.

Fin du catastrophisme

D’abord les bons résultats de l’année contrastent avec ceux de l’année précédente, anormalement bas. Dans un environnement court-termiste prompt à la surenchère, volontiers relayé et amplifié par les médias, que n’avait-on alors entendu sur la catastrophe imminente, la nécessité de mesures d’urgence, etc.? D’habiles batteurs d’estrade en ont profité pour faire avancer quelques dossiers utiles à leurs intérêts. En fait la tendance moyenne sur la décennie est à une stabilisation à un très bon niveau, autour des 200 millions d’entrées par an, ou un peu moins.

Durant cette période, aucun des chiffres –au-dessus ou au-dessous– ne vient remettre en cause cet état de fait, qu’on peut d’ailleurs à bon droit considérer comme la traduction, dans le domaine particulier du volume de fréquentation en salle (qui n’est pas, loin s’en faut, la totalité de l’économie du cinéma) d’une action concertée efficace des pouvoirs publics et des professionnels.

 Au titre des effets de perspective, on peut ajouter le fait que Le Hobbit n’a pas fini sa carrière, et qu’il pourrait prendre pied sur le podium –à une moindre échelle, il est à prévoir que La Famille Bélier va aussi poursuivre sur sa lancée et monter dans le classement.

Par ailleurs, cette année voit aussi la part du reste du monde se réduire à 11% seulement du total. Pourtant le nombre de films ni français ni américains sortis au cours de l’année passée n’a pas baissé. La France s’honore, à bon droit, d’être le pays du monde qui accueille sur ses écrans la plus grande quantité et la plus grande diversité de films venus de toute la planète. Il est très inquiétant que ces films soient, à peine sortis, éjectés des écrans, souvent après n’avoir eu droit qu’à quelques séances.

L’éternel problème de la concentration

Ce phénomène, qui met en cause la diversité culturelle, concerne aussi les films français (et les «petits films» américains). Elle est la traduction d’un processus bien connu de l’économie de marché, la tendance à la concentration.

Car si 36 films français ont attiré plus d’un million de spectateurs au cours de l’année, la grande majorité des quelque 210 productions végètent très loin, avec un effet de paupérisation de ceux qui ne rentrent pas dans le moule du grand commerce immédiat, effet dénoncé sans relâche par les producteurs indépendants. (…)

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Fleur Pellerin: politique culturelle ou algorithmes de recommandation?

notre-exception-culturelle-est-remise-en-cause-par-la-diversite-des-offres-photo-jeremie-blancfeneDu 16 au 18 octobre ont eu lieu les 24e Rencontres cinématographiques de Dijon, officieux sommet des professionnels français du cinéma organisé chaque année par l’ARP (Société civile Auteurs Réalisateurs Producteurs). Comme il est d’usage, les travaux ont été clos par un discours de la ministre de la culture et de la communication, Fleur Pellerin faisant pour l’occasion sa première grande intervention publique dans ce milieu –même si elle s’était déjà exprimé notamment lors du Congrès des exploitants, le 1er octobre. Au cours de son intervention à Dijon, la ministre a sacrifié aux quelques formules de rhétorique qu’exige sa fonction en pareille circonstance, et proposé quelques commentaires sur les –importants– dossiers techniques actuellement en débat. Mais elle a surtout dévoilé de manière plus explicite son approche de son propre rôle et de celui de son ministère, selon une vision qui est d’ailleurs loin de concerner le seul cinéma.

«L’attention est la ressource rare et pas les contenus»

Préférant systématiquement le mot «contenu» à celui d’«œuvre» ou «film», celle qui a avoué récemment ne plus lire depuis deux ans que des dépêches et articles de lois –pas de romans– a affirmé avec énergie et assurance une conception entièrement fondée sur l’économie et la technologie. Révélant à cette occasion qu’elle travaille depuis plus d’un an avec Jean Tirole, qui venait juste de recevoir le prix Nobel d’économie, elle a insisté sur certaines des caractéristiques essentielles de la circulation des films aujourd’hui. Et, plus généralement, de la relation aux œuvres, enfin aux contenus, dans un contexte de surabondance de l’offre.

S’inscrivant en effet dans le cadre de référence des théories de l’économie de l’attention, celles-là même sur lesquelles Patrick Le Lay et son «temps de cerveau disponible» avait fâcheusement… attiré l’attention, Madame Pellerin a résumé sa perception de la situation par la formule «L’attention est la ressource rare et pas les contenus». La rareté aujourd’hui n’est plus l’offre, mais le temps disponible et la capacité de chacun à s’intéresser, à découvrir, à «aller vers». L’enjeu est à l’évidence réel, et capital, mais il passe entièrement sous silence la singularité des objets englobés par le mot «contenus». La question posée à nouveaux frais est à la fois centrale et, dans le domaine culturel, insuffisante: elle ne devrait jamais être formulée indépendamment de ce qui fait la spécificité de ces fameux contenus.

Il serait absurde de refuser cette approche en bloc. L’ancienne ministre déléguée chargée des PME, de l’Innovation et de l’Économie numérique connaît très bien les nouveaux mécanismes de diffusion et de promotion des produits liés aux technologies numériques et notamment celles du Net. Cette connaissance est stratégique, et peut permettre de reformuler les conditions, notamment par l’action publique, pour faire vivre le rapport dynamique à la création et à l’accès aux œuvres dans le contexte actuels. Mais les réponses esquissées par la ministre sont plus problématiques.

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Education et culture, la double défaite de l’Europe

europe-dechiree-24d2dLa nomination de Tibor Navracsics au poste de Commissaire européen à l’Education et la Culture est une insulte à tout ce que l’Europe est supposée représenter, à tout ce dont elle aurait besoin pour exister. La manière dont cette nomination a été faite, et accueillie, en est une encore plus grave.

C’est une double défaite. La première n’est que trop évidente : le choix pour le portefeuille de commissaire européen (c’est à dire ministre) à l’Education, la Culture, la Jeunesse et la Citoyenneté, du populiste d’extrême droite hongrois Tibor Navracsics est un camouflet aux notions mêmes que portent ces enjeux. Dans ce cas comme dans d’autres (l’Espagnol Miguel Arias Cañete à l’énergie et au climat, le Britannique Jonathan Hill aux Services financiers, la Slovène Alenka Bratusek à l’union énergétique, le Français Pierre Moscovici aux Affaires économiques), cette désignation transforme le fait d’avoir privilégié les assemblages politiciens contre les sujets considérés en véritables provocations vis à vis de tous ceux qui ont à cœur ces différents domaines. Il ne peut qu’alimenter un euroscepticisme déjà dominant, et qui ne fera que s’aggraver.

Mais la cuisine de M. Juncker n’est pas seule en cause. Ce qui vient de se jouer au Parlement européen, supposé garde-fou des excès politiciens de la Commission, est tout aussi grave.  Et en particulier en ce qui concerne les fonction du commissaire Navracsics.

Il n’est pas de moment significatif de la construction européenne où ne soit fortement réaffirmé le caractère décisif de la culture et de l’éducation, décrits à juste titre comme à la fois moteurs et socles d’un possible vivre ensemble à l’échelle d’un continent. On aurait grand tort de prendre cela pour des formules creuses : une entreprise aussi vaste et complexe que l’invention d’une communauté supranationale de cette ampleur, quelle que soit sa forme et ses étapes, dépend dans une large mesure de la production attentive et permanente de discours « proactifs », de paroles performatives, qui dessinent des objectifs, mobilisent des espoirs, énoncent des raisons de fond au nom desquelles doivent être mises en place un très grand nombre de décisions matérielles, administratives, réglementaires, etc.

Le mépris des puissances de la parole, réduites (du fait de trop nombreux exemples malheureux) à de l’idéologie ou de la poudre aux yeux, est en fait un mépris de la politique elle-même entendue comme force grâce à laquelle les hommes ont prises sur leur destin collectif et individuel au lieu de s’en remettre à des lois supérieures, que ce soient celles de la nature, de Dieu ou de l’économie. Malgré tous ses défauts, détours, ratés et retards, la construction européenne était exemplairement ce projet prométhéen, c’est à dire de liberté au sens le plus essentiel.

Elle vient de subir une défaite cinglante du fait de l’étrange tractation qui aboutit à la validation de  M. Navracsics par le Parlement à condition que la Citoyenneté soit retirée de ses attributions. Pour un homme qui a été membre du gouvernement les plus raciste et xénophobe que l’Europe ait connu depuis la fin de la 2e Guerre mondiale, la décision a un évident bon sens. Et dans le langage codé du microcosme bruxello-strasbourgeois, c’est un désaveu du personnage, et une marque d’indépendance et de puissance du Parlement (sic), presqu’à l’égal de la seule vraie remise en cause des choix de Juncker, le rejet de Mme Bratusek, sacrifiée sur l’autel des apparences du pouvoir d’intervention du Parlement sans que cela trouble qui que ce soit – visiblement, c’était prévu pour faire passer le reste.

Le retrait de la « Citoyenneté » à M. Navracsics est prise « en échange » du reste, de ce qui lui est laissé, ce reliquat passé par profits et pertes des tractations de couloir : l’éducation et la culture. Un bradage qui, à en croire les commentaires des médias, n’émeut personne et surtout pas ces mêmes médias. L’Europe aujourd’hui, lorsqu’elle intéresse encore des gens sur un autre mode que celui du repoussoir opaque, c’est des réglementations économiques et des tractations politiciennes, point final. Pas un journaliste accrédité auprès de la Commission ou Parlement pour s’inquiéter de ce qu’il va advenir de l’Education et de la Culture. Calamiteuse approche.

Au fait, ce n’est pas tout : Tibor Navracsics conserve également dans ses attributions une entité encore plus vidée de son sens s’il est possible, « la Jeunesse ». Mais l’Europe est désormais une idée vieille en Europe, ce qui vient de s’y jouer en est une nouvelle et sinistre confirmation.

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Convention collective: scénario catastrophe pour la production des films français

La convention collective destinée à régir l’emploi dans la production des films, ratifiée par le gouvernement, fait courir un grave danger au cinéma indépendant. Et entérine la défaite d’une politique culturelle qui pensait ensemble les enjeux culturels et les enjeux économiques.

 

Triste et absurde paradoxe. Le cinéma français, comme système et comme modèle, vient de remporter d’importantes victoires internationales, l’autorisation à faire contribuer les télécoms à l’audiovisuel public et l’autorisation du crédit d’impôt international (deux dossiers bloqués depuis des mois par Bruxelles) venant couronner le retrait de l’audiovisuel de la négociation TTIP avec les Etats-Unis.

Or au même moment, les attaques intérieures se multiplient contre ce même modèle, fleuron de l’exception culturelle revendiquée urbi et orbi. Ainsi du rapport Queyranne qui vise à ponctionner le budget du CNC et à remettre en cause certains dispositifs de soutien, puis du rapporteur de la commission des finances à l’Assemblée, deux derniers avatars d’une attitude qui semble devenue une habitude chez nos gouvernants: si un système fonctionne, piquons lui un maximum de fric.

Pas sûr que ce soit la manière la plus saine d’assurer l’avenir des secteurs dynamiques, ce qu’est le cinéma en France, même si l’organisation interne de son économie et de ses rapports de force mériterait de sérieux ajustements. Mais le plus périlleux concerne l’affaire de la convention collective destinée à régir l’emploi dans la production des films.

Il s’agit d’un véritable scénario catastrophe, catastrophe dont la principale responsabilité incombe aux pouvoirs publics, qui ont laissé s’installer une situation intenable. Celle-ci vient d’atteindre ce que beaucoup redoutent être un point de non-retour, le 1er juillet, avec la ratification de principe par le gouvernement d’un accord signé le 19 janvier 2012 entre l’API, organisme patronal qui réunit les plus gros producteurs (Gaumont, Pathé, UGC et MK2) et la plupart des syndicats de techniciens.

Cette convention collective, qui encadre des rapports entre employeurs et employés jusque-là laissés à des négociations qui ont donné lieu à bien des abus, fixe des barèmes de rémunération très confortables, c’est-à-dire très au-dessus de ce que sont payés les techniciens sur la plupart des tournage. Cet accord doit désormais être étendu par les ministères du Travail et de la Culture à l’ensemble de la profession.

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Pourquoi l’«Exception culturelle» est un combat légitime

La Commission européenne multiplie les embuches et les blocages à l’encontre d’un système bénéfique pour la culture mondiale dont on aimerait plutôt qu’existe l’équivalent dans d’autres secteurs économiques.

 

ça tire dans tous les sens. Une bataille sur plusieurs fronts, et d’une possibilité destructrice considérable s’est déclenchée autour de la notion d’exception culturelle, et du cinéma français. La situation est d’autant plus paradoxale qu’en ces temps où presque tout va mal, la situation du cinéma est en gros favorable, et que les dispositifs placés sous le signe de l’exception culturelle en sont en grande partie responsable.

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De la fortune des vedettes en particulier et des perversions d’un bon système en général

 

Parue dans Le Monde du 28 décembre,  une vigoureuse déclaration du producteur, distributeur et exportateur Vincent Maraval suscite de nombreuses réactions, dans le milieu du cinéma français et au-delà. L’auteur est une des personnalités les plus en vue dudit milieu, à la fois homme d’affaires très avisé et véritable amateur de films, aux goûts plutôt éclectiques et aux engagements souvent courageux – un profil pas si fréquent dans la profession. Intitulée « Les acteurs français sont trop payés ! », la missive (le missile) s’appuie sur le « scandale Depardieu », donne des noms et des chiffres, et fournit une description globalement exacte, mais par moment biaisée ou incorrecte, de la situation économique du cinéma français.

Commençons par les réserves qu’inspire la polémique telle que formulée par Vincent Maraval. Non, l’année du cinéma français n’est pas un désastre, contrairement à ce qu’affirme la punchline qui ouvre le texte – quels que soient les critères retenus, beaucoup d’argent finira par avoir circulé dans le cinéma français c’est à dire chez ceux qui à un titre ou à un autre le font. Le Marsupilami et La vérité si je mens 3 ne se sont pas « plantés » – mais Astérix, Pamela Rose et Stars 80 oui. Non, le marché de la salle ne stagne pas, même si la fréquentation en 2012 sera en recul sur l’exceptionnelle année précédente, la tendance depuis 2000 est au contraire à une constante augmentation. Et même, contrairement à ce qui était admis (et à ce qu’affirme Maraval), on assiste plutôt à une remontée de la présence, et de l’audience des films à la télévision.

Et surtout, non, les acteurs – il faudrait plutôt dire : les vedettes – ne sont pas riches de l’argent public. Hormis quelques mécanismes, importants mais pas au centre du problème (les régions, le crédit d’impôt, les Sofica), ce n’est pas sur le budget de la collectivité que sont financés les productions, même si c’est bien un système de lois et de réglementation publiques qui définit les conditions de leur financement. Connu aussi pour son exceptionnel bagout – et encore le lecteur est privé de l’accent du Sud-Ouest – Maraval en fait un peu trop dans les affirmations à l’emporte-pièce. C’est dangereux, car ce sont elles qui risquent d’être le plus reprises, par ceux qui voudront utiliser le texte pour attaquer un système qui a aussi, qui a d’abord des vertus décisives,  comme par ceux qui en profiteront, en les réfutant, pour éviter l’essentiel de ce qui est dit, et qui est très juste, même si incomplet.

Ce qui arrive avec les acteurs est le plus visible, et le plus choquant. C’est la part la plus spectaculaire d’une dérive générale, une dérive fondée sur l’augmentation continue des sources de financement du cinéma en France. Mais il n’y a pas que les acteurs. Lisez bien la phrase qui suit, elle contient une révélation bouleversante. Lorsqu’un film coûte 30 millions d’euros, cela veut dire que des gens ont touché ces 30 millions. Qui ? Pour l’essentiel, les professionnels du cinéma. Les acteurs gagnent la plus grosse cagnotte, dans des conditions et selon des mécanismes qu’explique très bien Maraval. Mais les producteurs, les réalisateurs, les chefs de postes techniques aussi. Pourquoi ? Parce que l’essentiel de la stratégie des pouvoirs publics depuis le milieu des années 90 (remplacement de Dominique Wallon par Marc Tessier, d’un militant culturel par un gestionnaire d’entreprise, à la tête du CNC en 1995), a fait de l’augmentation des financements son objectif central. A nouveau : pourquoi ? Parce que le nécessaire équilibre de pouvoir entre professionnels et politiques a été rompus au profit des premiers. Avec succès, il faut le reconnaître, au sens où de fait les investissements dans la production de films français n’a cessé d’augmenter, grâce encore une fois à des dispositifs réglementaires toujours plus nombreux, récemment la taxation des Fournisseurs d’Accès à Internet (FAI), et pas grâce à des ponctions sur le budget de l’Etat.

Une des pires conséquences de ce phénomène aura été l’explosion du nombre de films, qui a plus que doublé en 15 ans. Car une autre manière de gagner de l’argent, outre de se faire payer des cachets de plus en plus élevés, est de multiplier les productions. Ce sont quelques 100 films en plus, films inutiles, fictions qui auraient mieux fait de se diriger d’emblée vers la télévision, qui sont venus engorger la machine, et d’abord les écrans. Aujourd’hui, c’est pour faire encore plus de place à ces mêmes produits que les nouveaux détracteurs de la « chronologie des médias » veulent exclure de la salle les films les plus ambitieux mais rarement les mieux exposés, en les reléguant d’emblée sur Internet – autant dire, en les assassinant sans bruit.

D’ores et déjà, dans les salles, à la télé, dans les médias, cette masse informe de surproduction, qui rapporte à beaucoup de monde grâce aux mécanismes décrits par Maraval, y compris à sa propre société, a en effet pour résultat de marginaliser sans cesse davantage ceux pour lesquels étaient à l’origine conçus l’ensemble des dispositifs.

Car il faut ici rappeler que tout cela vient d’un système vertueux dans ses principes. Un système qui a fonctionné – notamment dans les années 60, puis dans les années 80 jusqu’au milieu des années 90. Il s’agit d’un système fondé sur la péréquation, sur l’échange de bons procédés. Il n’opposait pas le commerce à l’art mais organisait des effets de soutiens financiers aux films les plus audacieux par les films les plus profitables au nom de la valeur symbolique, culturelle, que les premiers confèrent aussi aux seconds, tant que l’ensemble est traité comme un tout.

C’est au nom de cette grande idée que Malraux et ses collaborateurs ont réclamé que le CNC cesse de dépendre du Ministère de l’industrie pour relever de celui de la culture. Système efficace à condition de maintenir d’une main de fer l’équilibre entre les bénéfices culturels et les bénéfices financiers, contre les ténors de la profession, qui sont toujours d’abord les puissances économiques.

Comme tous les professionnels du cinéma, Vincent Maraval défend surtout ses propres intérêts lorsqu’il prend la parole en public au nom de l’intérêt collectif et de la justice sociale. Lui aussi a besoin de ces acteurs incontestablement surpayés pour financer ses films auprès des télévisions. Le seuil de rémunération qu’il propose est une idée aussi saine qu’assez improbable, tant qu’à faire élargissons-la à l’ensemble du milieu. Elle permettrait par exemple une réorientation massive des crédits au profit des lieux d’action culturelle, en particulier de l’éducation au cinéma, ou mieux avec le cinéma… Ce n’est pas vraiment à l’ordre du jour.

Mais attention. La diatribe de Maraval est aussi de nature à alimenter l’argumentaire de ceux qui veulent une destruction de l’ensemble du système au nom d’une logique gestionnaire ultralibérale (cf. les actuelles pressions de Bruxelles) ou ultra-centralisatrice (cf. les pressions de Bercy relayées par certains élus). La belle année du cinéma artistique du cinéma français, celle de Holy Motors, d’Après Mai, des Adieux à la Reine, de Camille redouble, des Chants de Mandrin, de Sport de filles, Adieu Berthe, La Vierge, les Coptes et moi, Nana, Vous n’avez encore rien vu, Dans la maison, 38 Témoins, La Terre outragée, Les Lignes de Wellington, L’Age atomique, Bovines, Augustine, Louise Wimmer, Voie rapide, Alyah…  (chacun pourra bien sûr ajouter ou retrancher des titres, c’est le nombre et la diversité qui importent), cette efflorescence-là est aussi due à l’existence de ce système, en même temps qu’elle est menacée par ses dérives inflationnistes. C’est pourquoi il est essentiel de combattre les effets pervers sans détruire les principes fondateurs, plus nécessaires que jamais.

 

 

 

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