Clôture, fermeture et ouverture

63e Berlinale, J10

N’ayant pas vu tous les films en compétition, on se gardera ici d’émettre un jugement sur l’ensemble du palmarès annoncé au soir du 16 février par les jurés et leur président, Wong Kar-wai. Ayant vu celui qui a reçu l’Ours d’or, Child’s Pose du Roumain Călin Peter Netzer, on ne peut que regretter le choix d’une réalisation aussi sinistre que dépourvue d’enjeu.

Cornelia est une grande bourgeoise de Bucarest. Elle est en conflit avec tous les membres de sa famille. Lorsque son fils unique écrase un enfant dans une petite ville de province, elle se lance, et le film scotché à elle, dans un combat désespéré pour sauver son rejeton. Cela se traduit par une série de face à face avec toutes les personnes impliquées dans l’accident, jusqu’au climax dans la famille de la victime. Entièrement télécommandé par son programme, le film empile psychologie et pathétique avec une lourdeur aggravée par une caméra dont l’incessante agitation prétend traduire l’instabilité émotionnelle des personnages, procédé d’un simplisme lassant.

Le seul intérêt de cette récompense serait de susciter une comparaison avec l’autre Roumain l’ayant précédé parmi les récipiendaires de statuettes aurifiées dans un grand festival, 4 mois, 3 semaines, 2 jours de Cristian Mungiu, Palme d’or à Cannes en 2007. Superficiellement, on pourrait rapprocher l’atmosphère glauque et la mise en scène à l’arrache des deux films. En fait, tout ce qui était organique, vibrant de sincérité et de nécessité intérieure chez Mungiu semble artificiel et inconséquent chez Netzer, les yeux fixés sur une performance aussi extrême que vaine. Au petit jeu des rapprochements, on pourra aussi noter que Child’s Pose est basé sur le ressort sentimentalo-dramatique que Pieta de Kim Ki-duk, Lion d’or du dernier Festival de Venise, même si le traitement est très différent. Apparemment l’amour au-delà de tout d’une mère pour son fils est un thème qui fonctionne auprès des jurys, avis aux candidats.

A Berlin, lors de la remise de la récompense, la productrice du film lauréat a évoqué l’abandon de l’aide au cinéma par les actuelles autorités roumaines, judicieux cri d’alarme dont on aurait rêvé qu’il soit appuyé sur une œuvre plus convaincante.

Si le palmarès a très injustement oublié le Camille Claudel 1915 de Bruno Dumont, de loin le film le plus fort parmi ceux vus en compétition, il a en revanche bien fait de saluer l’Américain David Gordon Brown pour son très plaisant Prince Avalanche, duo masculin loufoque sur une route en pleine forêt, même s’il n’est pas certain que le prix à la mise en scène soit la récompense la plus appropriée. Et même sans l’avoir vu, on se sera réjoui de l’Ours d’argent décerné à Denis Côté pour son bien nommé Vic+Flo ont vu un ours, alors que le fait de récompenser Harmony Lessons d’Emir Baigazin seulement pour le travail de son chef opérateur au demeurant remarquable – paraît bien en dessous des qualités du film.

Parmi les autres prix annoncés, il faut relever la « mention spéciale », au titre du premier long métrage, attribuée à un film de Guinée Bissau, La Bataille de Tabata de João Viana.  Rarement une projection aura donné ainsi le sentiment de pénétrer dans un monde aux règles bien établies mais parfaitement inconnues. L’histoire plurimillénaire de la civilisation mandingue y est invoquée magiquement par musiques et palabres, échos de guerres antiques et contemporaines, gags et drames, irruption somptueuse de rituels dont on ignore sans dommage, et même avec joie, le départ entre tragique et carnaval, mythologie et documentaire. Un bonheur de spectateur.

 

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