“Kaili Blues” le plein de super

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Kaili Blues de Bi Gan, avec Chen Yong-zhong, Guo Yue. Durée: 1h50. Sortie le 23 mars.

Pour qui garde intérêt à ce qui advient sur les écrans au-delà des grosses machines hypermédiatisées, les propositions singulières, venues d’un peu partout, ne manquent pas. Chaque semaine ou presque y pourvoie, parfois même en si grand nombre qu’il est difficile de s’y retrouver. Parmi ces propositions, l’Extrême-Orient est depuis un quart de siècle une source particulièrement féconde. Et pourtant…

Et pourtant il est exceptionnel que se produise un événement tel que la découverte de Kaili Blues, premier long métrage d’un réalisateur de 26 ans, Bi Gan. Bi Gan est chinois, mais vient d’une région excentrée, le méridional et tropical Guizhou, et est issu de la minorité ethnique miao: pas exactement le profil type du jeune réalisateur préparé à s’imposer sur la scène internationale des festivals et des écrans art et essai. C’est pourtant ce qu’il est en passe de faire, avec ce film qui ne cesse de rafler, à juste titre, toutes les récompenses dans les festivals où il est invité, depuis Locarno qui l’a révélé en août dernier.

Au début de Kaili Blues, on retrouve certains traits communs au cinéma d’auteur chinois, une attention aux gestes et aux atmosphères, une dimension documentaire, le pari sur les puissances fictionnelles de personnages du quotidien, ici deux médecins qui travaillent et s’ennuient dans un dispensaire. Mais déjà des tonalités inédites, un penchant pour l’étrangeté qui rôde dans le banal et tire vers le fantastique, un humour à fleur de réel, la présence de la violence et de la misère, dans un monde où il est encore courant de vendre les enfants. Et surtout ces poèmes qui font irruption, troublent et séduisent.

Poète, ce fut une des activités de Bi Gan, depuis l’enfance. Il a aussi été pompiste, et dynamiteur de chantier. Rencontrer ce jeune homme qui semble plus jeune encore, c’est aller à la rencontre d’une trajectoire qui est elle aussi un poème. Fils d’un camionneur et d’une coiffeuse, élevé par sa grand-mère dans cette ville de Kaili où commence le film, Bi Gan a grandi dans un milieu où la culture n’avait aucune place.

Adolescent, il veut faire de la télévision, parce que «j’aime les animaux et j’espérais pouvoir leur consacrer des reportages». Seule le département média de l’université de Taiyuan, à 2.000 km de là, accepte ce peu prometteur aspirant, qui ne connaît rien au cinéma et ne s’en soucie pas. Un jour, par hasard, il tombe à la médiathèque de la fac sur un extrait de Stalker de Tarkovski. Il déteste ce qu’il voit au point de décider d’écrire un article dans le journal étudiant contre ce film, qu’il regarde alors par tronçons de dix minutes sur YouTube. Arrivé au bout, « j’ai pris conscience que j’avais vu le plus beau film de ma vie ».

Un professeur s’intéresse à lui, lui découvre un talent inattendu, va voir ses parents pour les convaincre de le laisser suivre sa voie. Voie qui se dirige dès lors vers le cinéma, mais avec des détours: Bi Gan étudie l’architecture, et apprend à faire sauter des pans de montagnes à coup d’explosifs.

 

kaili3De tout cela, on perçoit les traces dans Kaili Blues, de même qu’on y entend ses poèmes, que jusque-là personne ne voulait lire. Aujourd’hui, après que son film a remporté les Golden Horse, la plus haute récompense du cinéma chinois (décernée à Taiwan), un grand éditeur souhaite les publier.

Sortir de son monde par des voies improbables, c’est bien aussi ce que raconte Kaili Blues. Bientôt l’un des médecins enfourche sa moto et quitte la ville et son quotidien, chargé d’une double mission –retrouver son neveu abandonné par son père, apporter des souvenirs à l’ancien amoureux de sa collègue, désormais à l’article de la mort. La chronique se fait road-movie, exploration de situations inattendues et traitées avec légèreté, souvent avec humour.(…)

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«The Assassin», une offrande aux sens et à l’imagination

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Le nouveau film du maître taïwanais Hou Hsiao-hsien, prix de la mise en scène du dernier Festival de Cannes, est une pure merveille visuelle (et sonore), comme il n’en advient pas souvent dans une vie de spectateur.

Chef de file du nouveau cinéma taïwanais apparu au début des années 1980, Hou Hsiao-hsien fait aujourd’hui figure de grand maître. Il est d’ailleurs reconnu comme tel par de nombreux cinéastes, pas seulement dans le monde chinois ou asiatique, comme en témoignait un récent film consacré à la Nouvelle Vague taïwanaise: Fleurs de Taipei de Hsieh Chin-lin (1). Longtemps attendu (sept ans s’est écoulé depuis Le Voyage du ballon rouge), The Assassin privilégie plus que jamais l’expérience émotionnelle que procure la composition des plans, leur durée, les grâces surnaturelles des présences humaines et des mouvements dans des cadres larges, qui prennent en charge à la fois les visages, les corps, les paysages ou les architectures, la lumière et le vent.

Le quinzième long métrage de HHH depuis Les Garçons de Fengkuei (1983) s’ouvre sur deux séquences en noir et blanc. Leur rôle est à la fois dramatique –présenter l’héroïne, aristocrate du IXe siècle formée à l’art de combattre et de tuer– et plastique –souligner la proximité avec la peinture chinoise classique, où l’encre, le pinceau et le blanc du papier font naître un monde à la fois naturaliste et métaphysique. La suite du film sera en couleurs, mais sans s’éloigner de cette référence décisive.

Il en est une autre, plus secrète: le film recèle de très nombreux plans qui donnent à éprouver un sentiment de matérialité par accumulation de couches, manière de filmer sans précédent, mais qui n’est pas sans rappeler le travail de la laque par les grands praticiens de cet art traditionnel. La manière, en particulier, de faire usage de voilages ou de la végétation permet de suggérer aux sens une consistance jusque-là inconnue du grand écran.

Situé au tournant des VIIIe et IXe siècle, à l’époque de la dynastie Tang, dans un contexte historique marqué par une grande confusion du fait des innombrables rébellions des potentats locaux contre le pouvoir de l’empereur, The Assassin est un film d’arts martiaux. Mais c’est un film d’arts martiaux qui ne ressemble à aucun autre. Et qui, ne ressemblant à aucun autre, dit la vérité du genre tout entier.

Son ressort principal est le dilemme de la maîtresse guerrière Nie Yinniang, déchirée entre son devoir d’accomplir sa mission meurtrière et la tentation de céder aux sentiments qui la lièrent à son cousin, aujourd’hui gouverneur irrédentiste, et qui lui a été désigné comme cible.

Ce fil principal est enrichi de plusieurs intrigues secondaires, dont on ne saurait prétendre que la lisibilité est la qualité majeure. C’est que l’enjeu n’est pas là. Il est dans le déploiement d’une recherche d’écriture cinématographique qui atteint des sommets rarissimes. Et finalement «raconte» beaucoup de choses fort claires, même si on n’est pas toujours assuré qui est qui dans le déroulement de l’intrigue.

Hou est loin de se contenter de la splendeur visuelle qui baigne tout le film, et  dont l’incarnation la plus évidente est la sublimement belle Shu Qi, à nouveau actrice principale après l’avoir été de Millennium Mambo (2001) et de Three Times (2005), mais splendeur qui se manifeste d’innombrables manière, forêts et montagnes, jades et soies, ombres et lumières.

À cette splendeur répond d’ailleurs un travail tout aussi sophistiqué et délicat sur le son et, avec l’aide des habituels acolytes de Hou, le chef opérateur Mark Lee Ping-bing et l’ingénieur du son Tu Duu-chi, le rapport entre image et son. Celui-ci trouvera un ultime et assez sidérant débouché avec l’irruption in fine d’un bagad breton associé à des percutions africaines (Rohan de Pierrick Tanguy par les musiciens de Quimperlé du Men Ha Tan et ceux de Dakar de Doudou N’daye Rose), cadrage-débordement fulgurant, et pourtant cohérent, du système de références très précis dans lequel s’inscrivait jusqu’alors The Assassin.

Ce jeu de déplacement est partout. (…)

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«Beijing Stories», mélodies en sous-sol

chine_19Beijing Stories de Pengfei, avec Ying Ze, Luo Wen-jie, Zhao Fu-yu. Durée: 1h15. Sortie le 6 janvier.

Le symbole est presque trop évident. À Pékin, des centaines de milliers de personnes vivent dans les sous-sols des immeubles, anciennes galeries anti-atomiques, caves ou aménagements sauvages. Cette face cachée du sidérant boom économique chinois des quinze dernières années aurait pu suffire à constituer la trame d’une chronique de la misère urbaine de masse à l’ère de l’explosion économique. Mais pour son premier film, Pengfei réussit à jouer des ressources dramatiques et métaphoriques de la situation, sans s’y laisser en fermer.

Construisant une intrigue tissée par trois personnages principaux, le réalisateur raconte de manière attentive la situation tout en laissant se déployer les ressources de la fiction, et les émotions que suscitent les protagonistes. Aux côtés du jeune ouvrier, brocanteur à ses heures, et de la jeune femme qui gagne sa vie en s’exhibant dans un bar de pole dance, voisins de sous-sol, comme en compagnie du couple plus aisé qui refuse d’évacuer sa maison expulsée pour cause de promotion urbaine galopante, Beijing Stories se révèle surtout d’une attention délicate aux êtres et aux choses, aux gestes et aux parts d’ombre de chacun.

On peut y reconnaître l’influence de Tsai Ming-liang, dont Peifei a été l’assistant, même si la tonalité est finalement moins sombre que chez le grand cinéaste taïwanais, quand bien les situations évoquées n’ont vraiment rien de réjouissant. L’humour et l’empathie affectueuse pour les personnages, jusque dans leurs limites, leurs erreurs, voire leur ridicule, et une grande élégance dans la manière de filmer, élaborent toute l’épaisseur sensible de ce terrible constat au pays des immigrants (intérieurs) noyés comme des rats dans les sous-sols de la nouvelle classe moyenne, et de l’éviction brutale des habitants pour satisfaire les appétits d’entrepreneurs voraces et de fonctionnaires corrompus.

Beijing Stories n’élude en rien ces réalités, et apporte ainsi une nouvelle contribution de grande qualité à cette prise en charge par le cinéma chinois contemporain des effets les plus sombres de l’évolution du pays, terreau sur lequel continuent de s’affirmer des jeunes réalisateurs. L’ébauche d’une romance en sous-sol, les ressorts d’une comédie ou l’embryon d’un polar se fondent comme naturellement pour nourrir la plénitude du film. Les trajectoires en pointillés des trois protagonistes, et la manière dont elles se croiseront, dessinent ensemble une carte à la fois romanesque, réaliste et imaginaire. (…)

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«Au-delà des montagnes», la valse à trois temps d’un déchirement

jiaAu-delà des montagnes de Jia Zhang-ke. Avec Zhao Tao, Sylvia Chang, Zhang Yi, Liang Jing-dong, Dong Zi-jiang. Durée: 2h11. Sortie le 23 décembre.

En ce temps-là vivait dans une petite ville du centre de la Chine une charmante jeune femme, et deux amis, tous deux amoureux d’elle. Le siècle et même le millénaire allaient basculer. Le pays le plus peuplé du monde allait passer à une vitesse foudroyante du statut d’immense zone de sous-développement à celui de quasi-première puissance mondiale.

Dans la petite ville, on célébrait l’entrée dans les années 2000 avec force pétards et en dansant gaiment sur «Go West», le tube des Pet Shop Boys. Un des soupirants, ouvrier à la mine, se voyait en quelques semaines supplanté par son rival, prospère gérant d’une station service, aspirant capitaliste bientôt vertigineusement enrichi.

C’est lui que la belle Tao a choisi, lui qui faisait péter la glace du Fleuve jaune à coup de dynamite, lui qui conduisait –même n’importe comment– une Audi rouge vif, et offrait à sa dulcinée un petit chien et la promesse du confort. Le père de Tao, homme sage et doux, homme d’un autre temps, n’a rien dit.

L’heureux élu a acheté la mine où travaillait son ex-ami, et l’a viré. Celui-ci a quitté la ville, et ce fut comme si ce qui jamais ne pouvait être rompu, le lien entre amis d’enfance, l’appartenance à une collectivité, le partage des épreuves et des réussites, s’était déplacé sans retour. Ce n’était qu’un début.

Le film commence comme un conte contemporain, prenant en charge de manière à la fois stylisée et très physiquement inscrite dans une réalité matérielle les gigantesques mutations de son pays. Et, en effet, ce sera un conte, mais un conte à la fois désespéré et sentimental, où le plus grand cinéaste chinois réinvente sa manière de montrer et de raconter, en totale cohérence avec ce qu’il a fait auparavant (Xiao Wu, Platform, The World, Still Life, A Touch of Sin étant les jalons majeurs de ce parcours) mais en explorant de nouvelle tonalités.

Au-delà des montagnes est un récit en trois épisodes, situés respectivement au début de 2000, en 2014 et 2025. On y retrouve la surprenante liberté de moyens expressifs du réalisateur, qui se manifeste ici notamment par le changement de format de l’image à chaque changement d’époque, et par l’usage de «matières» visuelles différentes, y compris des moments de flou, ou de visions à mi-chemin de l’onirisme et de l’hyperréalisme. (…)

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Entretien Jia Zhang-ke: “ce qui change et ce qui reste”

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Y a-t-il une généalogie pour Au-delà des montagnes?

Il y a eu un temps de maturation très long, le film vient en partie de séquences accumulées durant le tournage des films précédents. Depuis 2001, lorsque j’ai eu ma première caméra numérique, mon chef opérateur Yu Lik-wai et moi avons beaucoup circulé, en filmant un peu au hasard. Nous avons tourné des images qui n’étaient pas exactement des tests, plutôt des notes, sans savoir ce qu’on en ferait. Il y a 4 ans, nous avons fait plus ou moins la même chose avec une nouvelle caméra, beaucoup plus perfectionnée, l’Arriflex Alexa. La mise en relation de ces deux ensembles d’images, à 10 ans d’intervalle, m’a donné l’idée du film. J’ai été frappé à quel point les images de 2001 me semblaient lointaines, comme venues d’un monde disparu. Je me suis demandé comment j’étais moi-même à cette époque, et si j’étais capable de renouer avec celui que j’ai été il y a si longtemps… dix ans qui semblent un gouffre.

Vous aussi, vous avez changé durant cette période.

Bien sûr, je suis un homme différent moi aussi, j’ai 45 ans et une expérience de la vie qui faisait défaut alors. J’ai trouvé intéressant, à partir de cette distance parcourue, de poursuivre la trajectoire au-delà du présent, dans le futur. Quand on est jeune on ne pense pas à la vieillesse, quand on se marie on ne pense pas au divorce, quand on a ses parents on n’envisage pas qu’ils vont disparaître, quand on est en bonne santé on ne pense pas à la maladie. Mais à partir d’un certain âge, on entre dans ce processus, qui est celui du présent mais aussi de projections dans l’avenir. Le sujet du film est la relation des sentiments avec le temps : on ne peut comprendre vraiment les sentiments qu’en prenant en compte le passage du temps.

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Pour cela vous aviez aussi besoin d’aller dans le futur ?

Si on raconte seulement le présent on manque de recul. Se placer du point de vue d’un futur possible est une manière d’observer différemment le présent, de mieux le comprendre. Ayant vécu toute mon existence en Chine, je suis très conscient des mutations foudroyantes qu’a connu le pays, dans le domaine économique bien sûr, mais aussi pour ce qui concerne les individus. Tous nos modes de vie ont été bouleversés, avec l’irruption de l’argent au centre de tout.

Vous avez essayé de représenter le temps lui-même ?

Un des moyens auxquels recourt le film repose sur la comparaison entre les étapes d’une vie et des paysages successifs qui défileraient, d’où l’importance de l’idée de voyage dans le film : la voiture, le train, l’hélicoptère, etc. Il y a ce déplacement permanent, et en même temps il y a ce qui se répète, ce qui est stable dans le quotidien – ne serait-ce, de manière très triviale, que le fait de manger : on a fait des raviolis, on fait des raviolis, on fera des raviolis…

Le film parcourt en effet de multiples paysages, mais il y a aussi un point fixe, Fenyang, où vit le personnage féminin principal.

C’est là que je suis né et que j’ai grandi. J’y ai tourné mes deux premiers films, Xiao-wu et Platform, et une partie de A Touch of Sin. C’est un point d’ancrage affectif, j’y ai mes amis et une partie de ma famille, mais aussi un point d’ancrage esthétique et social : pour moi, Fenyang représente ce que vit le commun des mortels en Chine. Cette région est aussi très attachée à une notion qui est le sujet du film, et qu’on exprime par en chinois par les caractères Qing Yi. Cela désigne une notion très forte de la loyauté envers ses proches, qu’il s’agisse de sa famille, de la personne qu’on aime ou de ses amis. Cette idée, qu’on peut comparer à ce qu’on a appelé en Europe au Moyen Age la « foi jurée », est centrale dans les romans de chevalerie chinois. Elle est incarnée dans la mythologie chinoise par Guan Gong, le dieu de la guerre. Son attribut traditionnel est cette longue hallebarde avec un plumet rouge, cet objet qu’on voit réapparaître dans chaque partie du film. Il est porté par quelqu’un qui semble errer sans but, comme s’il ne savait plus que faire de cette vertu.

Vous avez la nostalgie d’un rapport plus profond et plus durable entre les personnes.

Oui, mais pas seulement entre les personnes, cela peut être avec des lieux, et surtout avec des souvenirs. Dans la vie quotidienne des Chinois d’aujourd’hui, je constate une perte profonde de cette relation d’engagement réciproque, et elle affecte aussi les souvenirs. Même si une relation entre des personnes se défait, il ne devrait y avoir aucune raison pour ne pas continuer de respecter ce qui a été partagé. Si on abandonne cela, tout peut se défaire, même « les montagnes peuvent s’en aller » comme le dit le titre international du film, Mountains May Depart.

Est-ce aussi le titre en chinois ?

Littéralement, le titre chinois veut dire « les vieux amis sont comme la montagne et le fleuve », qu’ils ont immuables. La formulation est l’inverse du titre en anglais, mais c’est la même idée, la même interrogation.

Pourquoi avoir choisi l’Australie pour la partie future ?

La plupart des Chinois qui émigrent vont aux Etats-Unis et au Canada, surtout sur la Côte Ouest, mais l’Australie me semblait bien plus lointaine. Le choix de l’Australie tient au fait que c’est dans l’autre hémisphère, quand c’est l’hiver en Chine là-bas c’est l’été. Quand il fait très chaud en Australie, il neige dans le Shanxi. Le succès international de A Touch of Sin m’a amené à circuler dans de nombreux pays, je m’y suis intéressé à la présence d’immigrés chinois, et notamment du Shanxi. J’étais particulièrement attentif au sort des jeunes, et à leurs rapports avec leurs parents. J’ai découvert dans de nombreux endroits, à Los Angeles, à Vancouver, à Toronto ou à New York, des ruptures dans le langage, avec des conséquences profondes. Dans beaucoup de familles chinoises émigrées, seul un des deux parents parle anglais, l’enfant, lui, ne parle que l’anglais. Il y a donc un des deux parents avec lequel il ne peut pas dialoguer. C’est une rupture majeure.

 

Deux chansons jouent un rôle important dans le film, Go West des Pet Shop Boys et une chanson de variétés en cantonais.

La chanson des Pet Shop Boys a été extrêmement populaire en Chine dans les années 90, quand j’étais à l’université, à une époque où des discothèques ouvraient un peu partout. Dans les boites de nuit et dans les soirées, Go West était la chanson qui passait systématiquement à la fin, et qui réunissait tout le monde dans une danse collective. On ne se demandait pas trop ce que désignait l’Ouest, ça pouvait être la Californie (qui pour nous est à l’Est) ou l’Australie comme pour les personnages du film. Quant à la chanson en cantonais, Take Care, c’est un morceau de la chanteuse Sally Yeh. Elle est une star de la cantopop, mais la chanson elle-même est peu connue. Je l’aime beaucoup, je l’écoute souvent.  La musique populaire m’a toujours beaucoup intéressé, ces chansons m’ont aidé à comprendre la vie et elles sont un très bon témoignage de la mentalité collective, elles racontent la société. A nouveau, je suis frappé par la disparition, dans les chansons récentes, des sentiments forts, de l’engagement fidèle envers quelqu’un ou quelque chose qui était si présent auparavant. J’ai d’ailleurs publié un article sur le sujet : on a toujours des chansons d’amour, mais qui s’attachent plus au physique, et à l’instant. Au contraire, Take Care porte sur l’idée qu’une séparation est sans doute en cours mais que ce qui été vécu de fort ne sera pas effacé.

Zhao Tao est présente dans tous vos films depuis Platform mais elle a une présence nouvelle dans Mountains May Depart, une autre manière d’être actrice. Lui avez-vous demandé de jouer différemment ?

Ce n’est pas moi qui lui ai demandé, cela vient d’elle, et elle m’a beaucoup étonné. On se connaît bien puisque nous sommes mariés, et qu’on travaille ensemble depuis longtemps, mais avec ce film j’ai découvert des aspects d’elle que j’ignorais, un monde intérieur qui m’était inconnu. Au début de la préparation, elle m’a demandé si je pouvais lui donner des indications sur le personnage, je lui ai donné seulement deux mots : « explosif » pour la première partie et « océan » pour la deuxième. A partir de là, elle a énormément travaillé de son côté, elle a rempli plusieurs cahiers de notes sur le personnage, sur tout ce que je n’avais pas écrit dans le scénario, qui comme d’habitude est surtout constitué de grands repères, en laissant beaucoup de place à l’initiative durant le tournage. Elle a fait une véritable création littéraire. Elle a par exemple cherché à expliquer, pour elle-même, comment cette femme avait accepté de laisser son fils partir avec son mari. Elle a aussi pris beaucoup d’initiatives, par exemple pour la scène finale, elle porte des habits qui appartiennent à ma mère. L’idée vient d’elle. Elle a également beaucoup travaillé le langage corporel, pour chaque époque. Son expérience de danseuse l’aide pour cela.

On retrouve comme coproducteur le studio Shanghai Film Group, malgré les problèmes de A Touch of Sin, toujours pas sorti en Chine. Cela n’a pas été difficile de renouer avec eux ?

Non, le Shanghai Film Group a aimé le scénario et était partant pour m’accompagner. Avec ce film, j’espère leur permettre de récupérer l’argent qu’ils ont perdu à cause de l’interdiction de A Touch of Sin : celle-ci s’est fait à la dernière minute, quand ils avaient engagé des frais importants pour la sortie du film.

Ce film a l’autorisation de sortir en Chine ?

Oui, il est sorti cet automne, et a obtenu un succès important, de loin le plus massif parmi mes réalisations. Malgré une campagne très violente contre le film après la présentation à Cannes à l’initiative de médias officiels, il a bénéficié d’excellents commentaires, dans la presse et sur Internet, lorsque les gens ont pu le voir. La situation s’est entièrement retournée.

 

NB: Cet entretien est une nouvelle version, modifiée et enrichie, d’un autre publié dans le dossier de presse, et de celui qui figure dans mon livre “Le Monde de Jia Zhang-ke” (Editions Yellow Now), en librairie début janvier.

 

 

 

 

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«A Touch of Zen», une touche de génie qui a changé le cinéma

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A Touch of Zen de King Hu avec Hsu Feng, Chun Shih, Roy Chiao, Ying Bai.  Durée: 3h. 1971 | Sortie (réédition) : 29 juillet 2015

Il y eut un avant, et il y eut un après. Cela s’est fait en deux temps. Le premier temps est spectaculaire, foudroyant. Au début des année 70, un jeune homme natif de Hong Kong devient la première superstar mondiale non-occidentale  –et est encore, 40 ans plus tard, toujours l’unique superstar mondiale non-occidentale: en quatre films, Bruce Lee fait déferler sur la planète la passion du kung-fu. Sa manière de jouer et de combattre s’accompagne de nouvelles manières de filmer, de monter, d’utiliser le son, qui changent le cinéma d’action partout dans le monde en même temps que des adolescents s’identifient à lui, de Buenos Aires à Oslo et de Téhéran à Vancouver.

Le second temps, plus discret, est pratiquement synchrone. Le Festival de Cannes présente, et récompense, en 1975 son premier film d’arts martiaux chinois, arrivé sur la Croisette grâce à l’infatigable découvreur de talents Pierre Rissient. Le film s’intitule Xia Nu («la guerrière chevaleresque»), rebaptisé pour l’Occident A Touch of Zen. C’est un chef-d’œuvre.

C’est même, mais pratiquement personne ne le sait à l’époque, le chef-d’œuvre de King Hu, qui est lui-même à ce moment le plus grand artiste d’un genre pourtant prolifique depuis un demi-siècle, le wuxia pian. C’est-à-dire le «film de sabre», inspiré d’un genre littéraire chinois très riche, les romans de chevalerie, et l’autre grande veine du cinéma chinois d’arts martiaux, distincte du «kung fu» où les combats se font à mains nues.

On ne découvrira que plus tard, au début des années 80 (en France grâce à quelques pionniers, Jean-Pierre Dionnet, Olivier Assayas, Charles Tesson…) la richesse déjà considérable du genre, où le même King Hu s’était déjà illustré avec un film majeur, L’Hirondelle d’or (1966) suivi de l’impressionnant Dragon Inn (1967) dont la réédition est annoncée pour le 12 août.

L’Hirondelle d’or, qui innovait en faisant d’une femme le personnage principal (comme ce sera souvent le cas chez King Hu) avait été un tel succès que son auteur avait alors quitté la Shaw Brothers, le trust qui contrôlait d’une main de fer la totalité du cinéma hongkongais, pour s’établir en indépendant à Taïwan. Si Dragon Inn fut un succès, l’ambition très supérieure de A Touch of Zen se solda par un échec sur ses marchés habituels asiatiques, avant que la reconnaissance cannoise lui offre une nouvelle chance. A Taïwan, King Hu devait signer ensuite plusieurs autres très grands films, L’Auberge du printemps (1974), Raining in the Mountain (1979), All the King’s Men (1983).

Il n’est évidemment nul besoin de savoir tout ce qui se précède pour apprécier la beauté de A Touch of Zen, aujourd’hui réédité en salle à l’occasion d’une restauration-transfert en numérique haut de gamme. Mais outre l’éventuel frisson de découvrir un film qui a joué un rôle historique, en prendre conscience amène à regarder le film de King Hu avec, outre le plaisir immédiat qu’il procure, une interrogation très stimulante.

Celle-ci porte sur ce qui était nouveau, sur ce que nous n’avions jamais vu au cinéma avant, et qui a infusé de mille manière les films réalisés depuis, y compris de nombreux films n’ayant rien à voir avec la Chine, ni avec les arts martiaux. (…)

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“Bends”: la Chine en double mixte

21iht-bends21-master675Bends de Flora Lau, avec Carina Lau, Chen Kun. Durée : 1h35. Sortie le 15 juillet.

Deux histoires. Qui font une histoire. C’est le film, et c’est le monde d’où il est issu, et qu’il raconte.  L’histoire de Fai et l’histoire d’Anna. L’histoire de la Chine et l’histoire de Hong Kong. Le premier film de la réalisatrice hongkongaise, c’est une de ses forces et sa principale limite, est construit sur un principe de fer : la symétrie inégale.

Il y a donc l’histoire de Fai, cet homme jeune qui chaque matin quitte sa femme enceinte et sa fille pour passer la frontière avec Hong Kong, où il travaille comme chauffeur de la riche épouse d’un homme d’affaires. Fai a un problème : s’il ne parvient pas à trouver les autorisations et les financements pour que sa femme accouche à Hong Kong, il subira une très lourde amende pour avoir enfreint la Loi de l’enfant unique, toujours en vigueur en République populaire de Chine.

Il y a l’histoire d’Anna, cette femme riche et belle, plus très jeune, qui consacre son existence au shopping et aux réunions avec d’autres dames de la bonne société hongkongaise, où elle se rend dans la Mercedes conduite par Fai. Anna a un problème : son mari a disparu, ses cartes de crédit ne fonctionnent plus, les meubles de prix et les objets d’art qui décoraient son appartement disparaissent pendant son absence.

Fai ne parle pas à Anna, sa patronne, de son problème. Anna ne parle pas à Fai, son employé, de son problème. Les deux problèmes, celui de la femme riche dont le monde s’effondre, celui de l’homme pauvre pour qui les difficultés s’accumulent, s’aggravent. La bureaucratie d’un côté, l’affairisme effréné de l’autre, sont les gouffres qui menacent d’engloutir ces vies. Bends sinue entre ces gouffres, porté par l’hypothèse de possibles nouvelles vies – ici une naissance, là une renaissance.

Cette symétrie, où il est aisé, et judicieux, de lire une parabole sur les relations entre la Chine et Hong Kong, se joue sur une ligne tendue, en équilibre entre ce qui pourrait aussi bien être un scénario de comédie qu’un mélodrame. Bends ne sera vraiment ni l’un ni l’autre, inventant un espace et un ton où réalisme et onirisme se mêlent, avec une heureuse retenue.

A ce que la construction narrative pouvait avoir de mécanique, la mise en scène répond par une douceur feutrée, qui fait place à l’étrange et à l’humour, même si la situation ne prête pas à rire. Il en va de même avec le stratagème inventé par Fai pour essayer de réunir les fonds nécessaires, et qui pourrait tourner au gag comme au drame. Cette ambiguïté colore de nuances inattendues le voile de tristesse qui semble s’étende sur ces existences.

A cette finesse dans la définition des situations et la manière de la filmer s’ajoutent deux renforts de choix, et qui sont deux noms liés à Wong Kar-wai : l’actrice Carina Lau et le chef opérateur Christopher Doyle. Vedette de dizaines de films mais mémorable surtout lorsqu’elle fut révélée par Nos Années sauvages (1991), retrouvée dans Les Cendres du temps et 2046, l’interprète d’Anna est remarquable de présence à la fois hautaine, humaine et blessée.

Le film doit également beaucoup aux images de Chris Doyle, très différentes de celles qu’il inventait naguère par Wong Kar-wai, mais qui par leurs cadrages découpant l’espace selon des angles inattendus, déstabilisent elles aussi manière ce que la construction dramatique pouvait avoir de trop systématique, sans en altérer l’ambiance à la fois tendue et délicate, réaliste et romanesque.

 

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Cannes/10: «Mountains May Depart»: la montagne cannoise a bougé

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Zhao Tao dans Mountains May Depart de Jia Zhang-ke

Mountains May Depart de Jia Zhang-ke, avec: Zhao Tao, Sylvia Chang, Zhang Yi, Liang Jing-dong. Durée 2h10. Compétition officielle. Sortie France: 9 décembre.

En ce temps-là, vivait dans une petite ville du centre la Chine une charmante jeune femme et deux amis, tous deux amoureux d’elle. Le siècle et même le millénaire allaient basculer. Le pays le plus peuplé du monde allait passer à une vitesse foudroyante du statut d’immense zone de sous-développement à celui de quasi-première puissance mondiale.

Dans la petite ville, on célébrait l’entrée dans les années 2000 avec force pétards et en dansant gaiment sur Go West, le tube des Pet Shop Boys et de Village People. Un des soupirants, ouvrier à la mine, se voyait en quelques semaines supplanté par son rival, prospère gérant d’une station-service, aspirant capitaliste bientôt vertigineusement enrichi. C’est lui que la belle Tao a choisi, lui qui faisait péter la glace du Fleuve jaune à coup de dynamite, lui qui conduisait –même n’importe comment– une Audi rouge vif et offrait à sa dulcinée un petit chien et la promesse du confort.

Le père de Tao, homme sage et doux, homme d’un autre temps, n’a rien dit. L’heureux élu a acheté la mine où travaillait son ex-ami et l’a viré. Celui-ci a quitté la ville et c’était comme si ce qui jamais ne pouvait être rompu, le lien entre amis d’enfance, l’appartenance à une collectivité, le partage des épreuves et des réussites, s’était déplacé sans retour. Ce n’était qu’un début.

Le nouveau film de Jia Zhang-ke commence comme un conte contemporain, prenant en charge de manière à la fois stylisée et très physiquement inscrite dans une réalité matérielle les gigantesques mutations de son pays. Et en effet ce sera un conte, mais un conte à la fois désespéré et sentimental, où le plus grand cinéaste chinois réinvente sa manière de montrer et de raconter, en totale cohérence avec ce qu’il a fait auparavant (Xiao-wu, Platform, The World, Still Life, A Touch of Sin étant les jalons majeurs de ce parcours) mais en explorant de nouvelle tonalités. D’ores et déjà événement majeur de la compétition cannoise, et accueilli comme tel par les festivaliers, Mountains May Depart est un récit en trois épisodes, situés respectivement au début de 2000, en 2014 et 2025. (…)

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Pourquoi un film réalisé par un Français représente la Chine aux Oscars?

lepromeneurdoiseauLe Promeneur d’oiseau de Philippe Muyl, qui représente la Chine aux Oscars

Depuis une décennie, chaque année voit une augmentation du nombre de pays candidats à l’Oscar du meilleur film étranger –en version originale: Foreign Language Academy Award. C’est en effet la langue qui compte, tous les films en anglais étant, eux, éligibles à toutes les autres catégories, quelque soit leur origine. Pour la cérémonie de 2014, le nombre de 76 candidats représentait en record, balayé cette année avec 83 impétrants. Courant décembre, le comité ad hoc qui, au sein de l’Academy of Motion Picture Arts and Sciences (AMPAS), s’occupe de cette partie très singulière de la compétition, devrait rendre publique une première liste, de 9 titres, parmi lesquels seront ensuite sélectionnés les cinq finalistes, annoncés en janvier.

L’AMPAS a toujours eu du mal à intervenir dans la catégorie Foreign Language, loin des préoccupations hollywoodocentrées qui pilotent l’ensemble de ses activités. Cela a souvent donné lieu par le passé à des choix marqués par un décalage incompréhensible avec ce que les amateurs de cinéma du monde entier considéraient comme des grands films, et à des manipulations grâce à des intermédiaires capables d’influencer les votants. Tout cela a été en partie amélioré au cours des dernières années grâce à des modifications du règlement, et notamment l’ajout de ce comité spécialisé, habilité notamment à ajouter à la liste des finalistes des films considérés comme majeurs qui auraient été oubliés par la procédure normale.

Cette évolution explique en partie la hausse du nombre de candidats, qui reflète aussi, et surtout, le nombre croissant de pays où existe et se développe un cinéma ambitieux, qui ne se destine pas uniquement à la distraction locale mais à une reconnaissance plus large. Ce phénomène est directement lié à la gigantesque multiplication du nombre de festivals, qui offrent désormais une visibilité à d’innombrables films de multiples origines, en dehors des circuits commerciaux classiques –qui tendent, eux, à être de plus en plus saturés par les produits hollywoodiens.

D’où, à nouveau, le besoin de signes de distinction forts pour se frayer une place –et peu de signes sont aussi forts qu’une nomination comme finaliste aux Oscars, sans parler de la conquête de la statuette elle-même.

Une récente enquête du journal corporatif de Hollywood, Variety, a mis en évidence le rôle décisif des festivals internationaux dans la désignation des candidats par les différents pays. Le Festival de Cannes est de loin celui qui pèse le plus, suivi à bonne distance par Berlin et Venise. Le poids de ces festivals se retrouve de manière accrue dans les listes de finalistes, et celles des lauréats.

Toutes ces caractéristiques se retrouvent dans la liste des 83 films de cette année, où on trouve par exemple une première candidature mauritanienne, celle de Timbuktu d’Abderrahmane Sissako, un des plus beaux films de la compétition cannoise (sortie en France le 10 décembre). Aux côtés du représentant français, le beau Saint Laurent de Bertrand Bonello, Timbuktu, produit par Sylvie Pialat, est un des 12 films étrangers mais massivement coproduits en France à concourir à l’Oscar.

De manière inattendue, on trouve aussi parmi ces candidats un film qui n’a pas eu, lui, les honneurs des grands festivals internationaux. Il s’agit du candidat présenté par la Chine, qui s’est pourtant à nouveau distinguée cette année dans l’arène internationale, notamment grâce à l’Ours d’or à Berlin de Black Coal de Diao Yinan, qui semblait faire un candidat idéal.

Mais plutôt que ce film noir, les autorités chinoises ont préféré présenter une charmante bluette entre un grand père et sa petite fille pris dans des tribulations à travers quelques uns des plus beaux paysages du pays, et découvrant les joies de la vie simple à la campagne. Le Promeneur d’oiseau ressemble davantage aux films officiels que produisait la Chine il y a une vingtaine d’année, mais sa principale singularité est d’être signée d’un Français, Philippe Muyl. Bénéficiant du récent accord de coproduction signé entre la France et la Chine, celui-ci a en effet réalisé ce qui est fait le remake d’un de ses propres films, Le Papillon (2002), avec Michel Serrault. Comme quoi la bien-pensance est sans frontière. Le film, récemment sorti en DVD édité par UGC, se regarde d’ailleurs sans déplaisir, agréable promenade sentimentale et touristique dans des paysages exotiques autour d’un scénario sans malice.

Il reste que le choix par les autorités chinoises d’une réalisation signée d’un étranger est un camouflet violent envers l’ensemble des cinéastes du pays. Dans un environnement aussi nationaliste que la Chine, et une culture où faire perdre a face est un acte grave, l’explication la plus plausible est qu’il s’agit d’une réaction du pouvoir au geste de protestation très vigoureux des cinéastes contre la censure dans leur pays, censure qui s’est significativement renforcée récemment.

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«En Chine, le sentiment d’être surveillé est omniprésent, sans qu’on sache forcément où sont les limites» (Vivian Qu, réalisatrice de «Trap Street»)

vivian-qu(1)Entretien avec la productrice de «Black Coal» qui livre avec son premier film comme réalisatrice une peinture à la fois subtile et très transgressive sur les formes modernes du contrôle dans la Chine actuelle.

Productrice de Black Coal, Ours d’or au Festival de Berlin 2014 et rare succès du cinéma d’auteur chinois dans son pays, réalisatrice d’un premier film à la fois subtil et très transgressif sur les formes modernes du contrôle dans la Chine actuelle, Vivian Qu est une figure centrale du jeune cinéma indépendant chinois.

Le récit de son parcours semé d’embuches policières et financières est aussi exemplaire de la manière dont les plus talentueux réussissent à s’appuyer sur les festivals internationaux, les aides étrangères et la reconnaissance critique pour se frayer un accès à leur public national.

Pouvez-vous résumer votre parcours?

Je n’ai pas étudié le cinéma mais les arts visuels, j’ai fait beaucoup de peinture et de photo à Pékin, où j’ai grandi. J’ai eu la possibilité d’aller à New York à la fin des années 1990 poursuivre dans cette voie, et j’y ai découvert le cinéma, dans les salles «art et essai» de la ville, au Moma, au Lincoln Center.

C’est là que j’ai compris que tout ce qui m’intéressait dans les autres arts, y compris également la littérature, était concentré dans les grands films. Cela a été une sorte de coup de foudre.

 J’ai décidé de travailler dans le cinéma, ce qui à ce moment ne signifiait pas nécessairement faire des films. A l’époque, tourner un long métrage était cher, je ne savais pas si j’aurais un jour les moyens de la faire. Cela a bien changé depuis.

Le romancier, scénariste et réalisateur Wang Shuo, qui a notamment écrit In the Heat of the Sun de Jiang Wen, était alors aussi aux Etats-Unis, il m’a convaincue de rentrer en Chine. A Pékin, des amis m’ont présentée à des réalisateurs, j’ai commencé en occupant de nombreux postes, j’ai écrit des scénarios, j’ai fait du montage, j’ai été assistante de production. Le fait que je parle anglais et que j’ai vécu à l’étranger m’a permis d’aider des cinéastes à nouer des contacts hors de Chine et à faire circuler leurs films.

Ensuite vous êtes devenue productrice.

En 2005, j’ai rencontré Diao Yinan[1], qui cherchait à financer son deuxième film, Night Train. Il galérait depuis assez longtemps. J’ai décidé de créer ma société de production pour accompagner ce projet.

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