Muel, Robichet : un vivant se souvient, un vivant s’en va

Capture d’écran 2016-09-14 à 00.39.43La couverture du livre de Bruno Muel, Théo Robichet et sa femme, Fatiha, dans les années 70.

 

Ils se connaissaient, mais peu de monde les connaît, du moins dans ce qu’on a coutume d’appeler le « grand public ». Le hasard les rapproche à nouveau, d’étrange manière. Théo Robichet est mort le 27 août, à 75 ans. Il disparaît quelques jours avant que paraisse Rushes (Editions Commune), le livre où Bruno Muel publie une partie de ses souvenirs, des documents accumulés au cours de sa vie si bien remplie, et quelques réflexions que les uns et les autres lui inspirent.

Muel et Robichet ont travaillé ensemble sur 5 films, dont le plus connu est sans doute Septembre chilien, tourné à Santiago en 1973 juste après le coup d’Etat de Pinochet, avec en particulier les images inoubliables de l’enterrement de Pablo Neruda, alors que les militaires font régner la terreur dans la ville, arrêtent, torturent et tuent.

L’un et l’autre auront souvent été aux côtés de Chris Marker, notamment dans l’aventure des groupes Medvedkine qui entreprirent de donner aux ouvriers de grandes entreprises les moyens du cinéma documentaire comme arme du combat social.

Cette histoire qui leur est en grande partie commune court de 1967, avec la grève à la Rhodiaceta de Besançon qui donne lieu au film A bientôt j’espère, à l’essoufflement de cet élan, marqué par Avec le sang des autres, film signé du seul Bruno Muel, consacré au travail à la chaine à l’usine Peugeot de Sochaux, en 1974 – et qui reste un document exceptionnel sur le travail ouvrier.

Réalisateur, chef opérateur, activiste à la caméra, Muel se sera aussi trouvé aux côtés d’autres cinéastes impliqués dans les luttes de libération, les résistances aux dictatures militaires en Amérique latine, les combats syndicaux, tels René Vautier, Jean-Pierre Sergent, William Klein, Jean-Pierre Thorn. Les textes de Rushes accompagnent aujourd’hui ses souvenirs, pour certains évoqués à l’occasion d’un voyage vers la Colombie en 1984, où il s’en va retrouver les guérilleros des FARC qu’il avait rejoints et filmés dès 1965. Et c’est toute une mise en perspective, ni amnésique ni nostalgique, qui se met en place.

On retrouve plus ou moins les mêmes noms, et les mêmes engagements, avec Théo Robichet – en y ajoutant Jean-Luc Godard, ou plutôt son chef opérateur, Raoul Coutard, dont Robichet était l’assistant à l’époque de Bande à part. Egalement à l’occasion ingénieur du son, il se sera aussi considérablement investi dans la réflexion sur les mutations des outils d’enregistrement sous l’effet du numérique, notamment dans le cadre des Rencontres de Bry-sur_marne qu’il a longtemps animé. Au début des annnées 1990, on retrouve Robichet là où la guerre et la terreur à nouveau s’abattent sur l’Europe, en Bosnie, où il jouera un rôle essentiel à la venue de Chris Marker pour tourner Le 20 heures dans les camps, au moment même où Godard réalise Je vous salue Sarajevo.

Muel, Robichet: l’un comme l’autre auront couru la planète et les combats révolutionnaires, des camps palestiniens en Jordanie aux maquis angolais contre l’occupation coloniale portugaise, puis aux sables du Sahara occidental, du Nigeria au Pays basque. Sans oublier les usines et les arènes politiques françaises. Des vies émaillées de rencontres étonnantes, de dangers mortels, d’émotions puissantes, de camaraderies ineffaçables.

Caméra, micro – avec souvent le concours de l’ingénieur du son Antoine Bonfanti, le renfort de la monteuse Valérie Mayoux : Muel comme Robichet, ensemble ou simultanément, ces deux-là sont les figures sans célébrité, mais pas sans honneur, d’un don de leur existence à des grandes idées qui ont pu être des impasses, voire des traquenards sanglants, mais où leur élan aura toujours été du côté des humiliés, des vaincus, et des révoltés.

Devenus avec le changement de siècle deux messieurs à la conséquente barbe blanche, celui qui est parti comme celui qui est toujours bien là continuent d’incarner une époque, et un esprit.

« C’est incontestablement d’une autre époque que je parle, d’une époque arrivée à échéance sans avoir tenu les promesses dont nous l’avions chargée sans lui demander son avis » note Bruno Muel. Sa lucidité, sur le passé comme sur le présent, jamais chez-lui ne devient cynisme ni simplisme. Et les situations comme les personnes et les actes qu’il raconte dans Rushes, complétés par de nombreuses photos (en fait images de films) et un DVD, composent une sorte de chant profond, un canto general d’une humanité qui ne se renie pas. Ce n’est pas dans le « rentrée littéraire », ça devrait.

Un commentaire pour “Muel, Robichet : un vivant se souvient, un vivant s’en va”

  1. Merci pour ces lignes qui réconfortent l’ami qui accompagna Théo dans son dernier combat et qui a recueilli et son image filmée et ses mémoires,dont modestement j’achève ces jours ci le récit.
    Je tente aux côtés de sa soeur Françoise d’organiser un hommage sur Gennevilliers qui permettra à tout un chacun de saluer le”bonhomme” qu’il fut.
    Dr Alain Tyrode-Morelli

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