Ange Leccia au Mac/Val : Expo exponentielle

Tout de suite à droite en entrant dans le musée, il y a cette très grande pièce. Vide et pleine, sombre et éclairée. Ange Leccia y expose une œuvre et plusieurs œuvres, et encore autre chose. L’œuvre exposée au Mac/Val à Vitry sur Seine s’intitule Logical Song. Elle consiste en 6 très grands panneaux blancs sur lesquels sont projetées des images, accompagnées de bruits, de voix, de musiques. Ces panneaux sont des murs plutôt, des murs blancs de 4 mètres de haut. Quatre sont disposés 2 à 2 en angle droit, les 2 autres sont décalés, ensemble ils dessinent un espace rectangulaire ouvert, discontinu, mais englobant.

Schéma approximatif:


Sur les faces tournées vers l’intérieur de cet espace sont projetées des images tournées par Ange Leccia, il y a 30, 20, 10 ou 2 ans. En quoi cette exposition d’une œuvre originale est aussi une rétrospective du travail d’un des meilleurs artistes vidéo français – on emploie ici l’expression « artiste vidéo » par souci de simplicité, en toute conscience de ce que le terme a d’imprécis et d’incomplet, notamment à propos de Leccia. Sur les parois en angle, le plus souvent deux images différentes se font face, une d’elle ou une troisième étant fréquemment – mais pas systématiquement – reprise sur un des panneaux isolés. Parfois, il y a la même image partout, occasionnellement une troisième surgit. L’assemblage, très précis mais sans loi repérable, construit une sorte d’aventure perceptive, par glissements, échos et répétitions. Les images sont toutes d’une grande puissance visuelle, bien qu’empruntant à des registres très différents, ciels d’orages nocturnes, visages de jeunes femme, explosions, paysages fantomatiques. Elles font elles-mêmes l’objet de multiples traitements, ralentis, colorisation, solarisation, effets de boucle. Le son correspond toujours à une des images projetées.

Le résultat est hypnotique et pourtant étonnamment ouvert, disponible. Le dispositif imaginé par l’artiste engendre un espace sensoriel unifié par les ambiances lumineuses et sonores mais pourtant en permanence rebalisé par des propositions visuelles et auditives singulières, qui ont chaque fois leur propre mode d’accroche, leur propre fréquence émotionnelle. Logical Song permet à la fois une expérience multisensorielle engendrée par son dispositif, et la rencontre plus classique avec une succession d’œuvres effectivement dignes d’attention, qu’on les reconnaisse pour les avoir vues dans d’autres expositions de l’artiste ou qu’on les découvre. Irréductibles à un principe, les images animées et sonores d’Ange Leccia sont du moins toutes travaillées par l’espoir des ressources propres à un déploiement du regard, qu’il s’agisse de scruter un détail, de déplacer un angle de vue, de ralentir ou de légèrement brouiller pour, voyant autrement, éprouver davantage.

Tout ce qui précède est à la fois vrai (y compris sur le plan des émotions engendrées) et faux. Tout simplement parce que la présence du public au sein de l’espace, espace qui est l’œuvre elle-même, en transforme la perception. Après avoir pu, arrivé parmi les premiers, bénéficier de la proposition de Leccia en elle-même, à l’état élémentaire, on aura ainsi été assez vite confronté à une toute autre expérience, celle de la cohabitation simultanée avec des images aux assemblages riches, et avec la présence des autres visiteurs. Ce n’est qu’à ce moment qu’on s’aperçoit que, contrairement à ce qui se passe presque toujours dans les installations vidéo à multiples écrans, Logical Song ne propose aucune place naturelle à ses spectateurs. Il n’y a pas de bonne position pour aller rencontrer cette œuvre, donc pas de mauvaise place non plus.

Un tel dispositif génère deux comportements successifs chez la quasi-totalité des visiteurs, du moins tels qu’on a pu les observer lors du vernissage le 14 juin. D’abord un déplacement erratique, à la recherche du fameux « bon point de vue » qui précisément n’existe pas. Puis peu à peu l’agrégation du public en un groupe compact, tourné vers un seul angle qui permet de regarder deux images différentes en même temps, dans un position reproduisant spontanément celle du cinéma (face au grand écran), mais se privant de toute la richesse de la proposition spatiale particulière de Logical Song. Adopter cette place à la fois frontale (face à l’écran), stable et « rentable » (au moins on a deux images d’un coup) c’est aussi, inconsciemment, chercher à ne pas voir les autres, tout en se mêlant à eux. C’est reconstituer une masse que le dispositif n’imposait nullement, dont il proposait même la désarticulation – l’effet qu’obtenait par exemple Anri Sala lors de sa grande exposition au Centre Pompidou, avec ses panneaux jamais tous visibles ensemble.

Disposition spontanée du public

 

(Presque) tout le monde regarde dans le même sens, depuis la même place

C’est alors une nouvelle œuvre, interactive et interrogative, qui se met en place. Sans annuler du tout les beautés intrinsèques de l’installation vidéo Logical Song, elle les transforme en y incluant nécessairement la présence des autres, sur un mode plutôt intrusif, tout en les redoublant d’un questionnement sur la position du spectateur, auquel les spectateurs eux-mêmes répondent sans y songer.

Jusqu’au 22 septembre

MAC/VAL
Musée d’art contemporain du Val-de-Marne Place de la Libération / 94400 Vitry-sur-Seine [email protected] / 01 43 91 64 20

www.macval.fr

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