Le boom des robots de l’information

Crédit: Flickr/CC/salforduniversity

D’ici 15 ans, 90% des informations pourraient être produites par des robots. Cette prédiction, glissée du bout des lèvres par Kristian Hammond, le dirigeant de Narrative Science, une start-up qui produit des articles de façon automatique, fait froid dans le dos. Les lecteurs font-ils seulement la différence entre les contenus écrits par les journalistes et ceux rédigés par des programmes informatiques? Pas si sûr.

En 2011, les robots écrivant des articles journalistiques étaient encore rares. Désormais, ils sont en ordre de marche. Et ils fonctionnent à merveille lorsqu’il s’agit de compiler des bouts de texte factuel et des données – les scores des matchs sportifs, les résultats financiers des entreprises, la magnitude d’un séisme, les votes obtenus aux élections.

De part et d’autre de l’Atlantique, de plus en plus de médias publient des contenus automatisés.

  • Forbes a des papiers écrits par le robot de Narrative Science.
  • Associated Press et Yahoo! font appel aux programmes d’une autre start-up américaine, Automated Insights.
  • France TV Info a, lors des élections municipales, mis en place un robot sur Twitter à qui les utilisateurs pouvaient demander de les alerter des résultats obtenus dans leur ville dès que ceux-ci étaient disponibles.

Le robot de France TV Info sur Twitter lors des élections municipales 2014

Branché sur les alertes du centre américain qui surveille les secousses sismiques, il est programmé pour rédiger des papiers en fonction du niveau de l’alerte reçu. Ensuite, le papier est mis dans le système de publication du Los Angeles Times en attente d’une validation humaine. C’est ce qu’il s’est passé lundi 17 mars 2014. A 6h25 du matin, un tremblement de terre secoue la Californie. Trois minutes plus tard, à 6h28, figure déjà sur le site du Los Angeles Times un papier de 700 signes sur le séisme, rédigé par Quakebot, et relu par Ken Schwencke, journaliste et programmateur au Los Angeles Times, sorti de son lit par ce séisme.

“Nous avons l’information, nous la publions en premier, nous informons notre audience. Si nous pouvons l’automatiser, pourquoi s’en empêcher?”, justifie-t-il.

Quakebot


Un rêve de rédacteur en chef?

Dans une rédaction, un robot travaille vite, ne dort pas, ne prend pas de congés et… ne râle pas. “Quand nous avons commencé, nous étions des parias dans cet univers”, reprend Joe Procopio, d’Automated Insights, qui se défend de créer des rédactions low-cost. Pour lui, le système est vertueux: il libère les journalistes d’une partie ingrate de leur travail – par exemple la rédaction de dépêches factuelles – pour leur permettre de se concentrer sur des enquêtes à haute valeur ajoutée ou des reportages qui nécessitent un peu de finesse dans l’approche.

Les limites des robots

Et si les rédactions confiaient aux robots l’écriture des “breaking news” – Facebook peut déjà vérifier les contenus de ses utilisateurs en temps réel alors que ceux-ci partagent 684.478 éléments par minute sur le réseau social -? Voire leur sous-traitaient  leur secrétariat de rédaction?

Puisque les robots sont les rois de la compilation de données, il est logique qu’ils puissent servir à monter et éditer des pages imprimées. Cela existe déjà avec The Long Good Read, une expérience menée par le Guardian dont l’objectif est de réussir “à presser quelques boutons pour imprimer un journal” dont le contenu a du sens pour les lecteurs. Le principe? Un algorithme maison, baptisé Ophan, pioche dans les articles les plus vus, les mots clés cherchés par les lecteurs du Guardian et une somme d’autres critères pour sélectionner les contenus à imprimer.

Le Guardian, qui a le goût du défi, a voulu savoir si un robot pouvait aussi écrire des articles très “anglés” et livrer des analyses. Pour ce faire, ils ont développé un autre robot en interne, le “Guardbot”. Bilan de l’expérience? “Nous avons peut-être été un peu trop optimistes”, tempère la rédaction.

Car réaliser des interviews, manier les formules et offrir un récit qui ne soit pas trop “brut de décoffrage” restent des tâches impossibles à automatiser.

Mais la veille et la “curation” d’informations pourraient aujourd’hui être assurés par des robots. Pas question, a tranché Mark Thompson, le patron du New York Times, au moment d’annoncer le lancement de l’application mobile NYT now: “la sélection humaine, et par là, le jugement humain, demeurent fondamentaux… peut-être pas pour tout le monde, mais pour une part importante et qualifiée de notre audience”.

Quand les lecteurs n’y voient que du feu…

Comment les lecteurs jugent-ils les contenus écrits par des robots – qui ne sont pas toujours annoncés comme tels? N’y voient-ils que du feu? Christer Clerwall, un chercheur de l’Université suédoise de Karlstad, a recueilli les réactions de lecteurs face à des articles sportifs réalisés d’un côté par des étudiants en communication et journalisme et de l’autre par des automates.

Dans l’étude qu’il a publiée fin février, il ressort que ces lecteurs ont beaucoup de mal à discerner les contenus produits par humains et ceux rédigés par des robots. Et quand ils font la différence, ils jugent les informations délivrées par les robots “plus justes, plus fiables, plus objectives” que celles des journalistes et que l’écriture robotisée “est perçue comme plus descriptive, plus informative, et plus ennuyeuse” que l’écriture humaine.

Résultats des tests menés auprès des lecteurs

C’est vrai qu’un robot ne votant pas, ne déjeunant pas avec ses sources, il ne peut a priori pas se faire manipuler par celles-ci. Du journalisme enfin objectif? Si les lecteurs sondés par l’étude paraissent le croire, la neutralité des robots est un mythe.

Le mythe de la neutralité

Lorsque les ingénieurs conçoivent un programme, ils “font des choix dans les paramètres, basés sur leurs intuitions, or celles-ci ne sont jamais neutres”, expliquent Gilad Lotan, expert des données, et Kelly McBride, de Poynter, lors d’une discussion sur les algorithmes, le journalisme et la démocratie à South by Southwest.

Sur ce point, il n’y a pas de transparence. Aucune charte éditoriale n’indique encore comment sont “paramétrés” ces robots de l’information ni qu’il faille préciser aux lecteurs si un article est écrit par un humain ou non.

Retrouvez dimanche à 12h30 sur France 5 le débat de Médias Le Mag sur les robots journalistes. Et n’ayant pas encore de robot pour ce faire, merci de partager cet article sur les réseaux sociaux s’il vous a plu. 

Alice Antheaume

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Le New York Times affiche son ambition mobile avec NYT now

Crédit: AA

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C’était la principale annonce de la conférence FT digital media organisée par le Financial Times à Londres, les 26 mars et 27 mars. Mark Thompson, le président du New York Times, a montré en avant-première l’application NYT Now, dont le lancement sur iPhone uniquement est prévu le 2 avril. Pour l’instant, il n’y a pas d’application Android ni de version consultable depuis un ordinateur.

>> Les chiffres de l’offensive mobile >>

«NYT now va donner aux lecteurs un panorama quotidien de ce qu’ils doivent savoir sur la marche du monde», a déclaré Mark Thompson. On y trouve des contenus du New York Times (les «top news»), des résumés chaque matin et soir des informations essentielles en deux ou trois paragraphes (les «briefings»), ainsi qu’une agrégation de contenus, de tweets, de citations, de longs formats, repérés sur les réseaux sociaux («our picks»).

A l’oeuvre, une vingtaine de journalistes, encadrés par Cliff Levy, lauréat de deux prix Pulitzer et ex-chef du bureau de Moscou. Une sorte de mini-rédaction dédiée au mobile. Ici, point d’algorithmes. «A l’ère de la personnalisation, la sélection humaine, et par là, le jugement humain, demeurent fondamentaux», a défendu Mark Thompson, avant d’ajouter: «peut-être pas pour tout le monde, mais pour une part importante et qualifiée de notre audience».

Rédaction mobile

NYT now appartient donc à cette nouvelle catégorie d’applications créée sur l’App Store, les «bite sized news», c’est-à-dire les applications qui permettent de mieux digérer l’actualité via des résumés. Dans cette section, on retrouve News Digest, développée par le petit génie Nick d’Aloisio, 18 ans, ainsi que l’application israélienne Wibbitz, qui vient d’être récompensée par le grand prix 2014 du forum Netexplo.

Disponible pour 8 dollars par mois – Mark Thompson préfère dire 2 dollars par semaine -, NYT now veut séduire une audience habituée à s’informer via smartphone, le plus souvent sans payer. L’idée? Sortir les consommateurs d’infos de leurs comptes Twitter et Facebook. Selon le Nieman Lab, c’est une «démarche offensive surprenante pour un média – et une industrie – qui a été en position défensive depuis si longtemps. Au New York Times, comme dans d’autres rédactions, le mobile compte pour beaucoup dans l’apport de trafic. La moitié des 42 millions de visiteurs uniques mensuels qui transitent par son site provient du mobile (smartphone et tablette).

Digérer l’actualité

Côté commercial, l’application NYT now intégre des «native ads», à savoir des publicités insérées dans des formats jusque là réservés aux contenus journalistiques. «Nos annonceurs sont séduits par l’engagement des lecteurs obtenu sur ces native ads», a justifié Mark Thompson. Or «nos lecteurs numériques rapportent moins que nos lecteurs papier. Voilà pourquoi nous mettons le paquet pour développer de nouvelles offres numériques» et voir progresser les revenus générés par les consommateurs d’informations en ligne – le New York Times a 760.000 abonnés numériques.

Outre l’application NYT now, va aussi être lancée une application cet été dédiée à l’alimentation, une autre aux éditoriaux et opinions, et une offre baptisée «Times Premier», visant une population aisée et des hommes et femmes d’affaires, à 45 dollars par mois. «Le numérique, au New York Times, est une façon de compléter le journalisme écrit, pas de le supplanter», a conclut son patron.

Alice Antheaume

 

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