Petits, petits… Venez vous informer par ici

Crédit: Flickr/CC/mgoulet

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Aux Etats-Unis, NBC a investi 200 millions de dollars dans le groupe Vox Media et la même somme dans Buzzfeed, dont la moitié de l’audience est composée de 18-34 ans, ces fameux «millennials» qui délaissent les médias traditionnels. En France, RTL a lancé Girls, «le site qui parle à toutes les filles connectées». Les Echos s’apprêtent à mettre en ligne un projet baptisé Les Echos Start à destination des 20-30 ans. France 24 projete de lancer Mashable en français auprès d’une audience de jeunes actifs. Enfin, Prisma Media travaille à l’entrée de Business Insider sur le marché français, une «marque puissante attirant un public jeune», selon son éditeur Martin Trautmann.

Autant d’exemples de médias traditionnels, confrontés à des audiences vieillissantes, qui se positionnent sur une offre parallèle pour séduire une foule rajeunie. Mirage?

Avec Mashable France, qui devrait voir le jour en janvier 2016, France 24 pourrait s’inspirer de ce que Le Monde a fait avec Le Huffington Post afin de toucher une audience qui n’est aujourd’hui pas du tout dans ses radars.

L’ambition est la même pour Les Echos Start, dont le lancement est prévu mi-septembre: «c’est un nouveau média qui aide les jeunes à réussir leur entrée dans la vie active», m’explique son éditrice Julie Ranty. Comment intégrer une grande entreprise? Comment rejoindre ou monter une start-up? Faut-il s’expatrier? Voilà quelques unes des questions qui seront traitées dans les grandes largeurs. Un positionnement qui, estime Julie Ranty, «correspond au besoin numéro 1 des jeunes tout en capitalisant sur l’expertise des Echos du monde des entreprises».

Etre vieux et s’adresser à des jeunes

Voici donc le coeur du problème. Il y a un divorce – ou plutôt une non rencontre – entre Les Echos, qui souffre auprès des jeunes d’une réputation de quotidien très spécialisé en finance réservé aux patrons du CAC 40 et autres «costards cravates», et les nouvelles générations. Comment modifier l’image de dinosaure que se traînent des titres historiques? Comment faire pour devenir «plus accessible»?

Lorsque NBC prend part à l’aventure d’un pure player comme Vox ou Buzzfeed, il devient tout de suite beaucoup plus sexy et regagne de l’attrait auprès des nouvelles générations, salue le Los Angeles Times.

Faut-il parler le jeune? Surtout pas!, sourit Cécile Dehesdin, rédactrice en chef de Buzzfeed France. Interrogée dans L’interview numérique, diffusée sur lemonde.fr, elle encourage les rédacteurs à écrire «de façon pédagogique» et à «évite(r) toute condescendance (…) On essaie d’écrire pour donner envie, avec des formats innovants» et des sujets qui entrent «en résonance avec le quotidien» des lecteurs.

Question de ton et de formats

«Parler le jeune? Ce serait une énorme erreur», surenchérit Alexandre Malsch, le fondateur de Melty, dont l’audience a 24 ans en moyenne. «C’est une question de sincérité, il faut écrire simplement et s’adresser à ton lecteur comme si tu t’adressais à ton pote». Ecrire simplement ne veut pas dire écrire à la va-vite. Car l’audience de Melty, si elle est juvénile, n’en est pas moins exigeante. «Si tu écris qu’une série télévisée a 28 épisodes au lieu de 31, tu prends cher. On doit être hyper sérieux, même sur du divertissement».

Jean-Bernard Schmidt, le co-fondateur de Spicee, prône un «ton plus direct, parfois plus insolent, davantage d’incarnation» et des codes qui correspondent à ceux de l’audience visée, en utilisant par exemple, pour des mini fictions qui racontent l’actualité, les canons des dessins animés. Sur ce nouveau site qui propose des «vidéos qui piquent», des cocardes «gratos» aux couleurs fluo aident à repérer les contenus disponibles gratuitement, surfant sur les ressorts marketing d’un site de rencontres comme Adopteunmec.com.

Il y a «un public qui cherche de plus en plus à s’informer en vidéo sur le digital mais qui ne trouve pas encore ce qui lui convient dans la jungle du Net», continue Jean-Bernard Schmidt. Celui-ci a bien compris que si nos cadets désertent les médias traditionnels, c’est qu’ils n’y trouvent pas leur compte. Place, donc, aux vidéos et aux contenus visuels forts, lesquels se partagent à l’envi sur les réseaux sociaux – aux Etats-Unis, 83% des jeunes ont un compte Facebook, en France, ils sont 78% – et s’affichent à merveille sur les écrans des téléphones.

Allez directement à la case mobile sans passer par la case ordinateur

Car pour toucher cette génération, mieux vaut sauter la case ordinateur et passer directement au mobile. C’est de leur smartphone dont les 16-24 ans ne peuvent pas se passer pour s’informer, rappelle Henry Blodget, le rédacteur en chef de Business Insider, lors de la conférence DLD organisée à Munich, en Allemagne, en janvier. Loin, très loin, de la télévision qui demeure le réflexe des populations plus âgées.

Or des formats adaptés au mobile ne reposent pas sur les mêmes codes que ceux fabriqués pour un site d’informations vu depuis un ordinateur. Pour Evan Spiegel, le président de Snapchat, les adolescents ne rêvent ni de Facebook ni de télévision. Ils s’informent à la vitesse d’un swipe et apprécient les notifications et autres pushs sur leur mobile. Aux Etats-Unis, 85% des jeunes ont un smartphone, en France, près de 68%.

La cible rêvée des annonceurs

L’objectif est clair: drainer du trafic sur une cible qualifiée, qui a souvent suivi des études supérieures, au pouvoir d’achat en devenir, pour plaire aux annonceurs. Une cible qui est loin de constituer une niche. Selon NPR, la génération des millennials constitue la plus importante part de la population américaine (plus de 28%), devant les baby-boomers, la plus éduquée aussi (34% d’entre eux ont au moins un BAC+3) et la plus indépendante au regard de l’âge moyen du premier mariage (27 ans pour les femmes, 29 ans pour les hommes). Tellement indépendante d’ailleurs que, malgré un temps considérable passé en ligne, elle recourt volontiers à des Adblocks pour empêcher les publicités de s’afficher.

N’est pas jeune qui veut

Sauf que tous les médias du monde veulent savoir comment s’adresser aux adolescents. Le vouloir ne suffit pas. Et il y a parfois de beaux ratages. Au lancement du Post.fr, en septembre 2007, tout avait été conçu pour toucher un public jeune, celui que sa filiale lemonde.fr ne parvenait pas à toucher.

Olivier Lendresse, responsable du développement d’alors, s’en souvient encore: «on faisait des opérations marketing visant les spectateurs de la Star Academy, mais quand, quatre mois après, sont arrivées les premières études sur l’audience, on s’est rendu compte qu’on n’avait pas du tout affaire au public que l’on croyait. Il n’était ni jeune ni homogène. Non, on avait une multitude d’audiences de niche». Ici, des retraités, là des fans de Ségolène Royal, candidate socialiste à la présidentielle de 2007…

Question de timing

Plus que le ton ou les formats, pour Alexandre Malsch, le secret réside avant tout dans la temporalité. De fait, l’algorithme de Melty aide les rédacteurs du site à produire des contenus correspondant aux envies des internautes au bon moment en scannant les mots clés cherchés en ligne (sur les moteurs de recherche, sur les réseaux sociaux) à l’instant T.

Même topo chez Spicee qui veille à caler sa production sur les usages de son audience. «L’idée est de proposer des programmes qui s’adaptent à la façon de vivre, aux temps de disponibilité et au moment de consommation», me confie Jean-Bernard Schmidt, qui tient à séquencer les contenus. «Chaque document vidéo est proposé en version complète mais aussi découpé par épisodes, avec des bonus».

Qui dit jeune public dit audience volatile. A Melty, dont le coeur de cible est âgé de 18 à 30 ans, les équipes savent que leur audience décroche un jour. Ou plutôt, elle se connecte «le temps d’un cycle qui correspond au temps de vie d’un produit culturel», reprend Alexandre Malsch, sachant que lorsque le produit culturel s’appelle Justin Bieber ou Grey’s Anatomy, le cycle peut durer plusieurs années. Mais ensuite, l’audience grandit et part vers d’autres horizons…

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Alice Antheaume

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DLD14: Il faut trouver la voie des vidéos en ligne

Crédit: AA

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“La télévision n’est pas morte. Tellement pas morte du tout!”. Ces mots sont ceux d’Henry Blodget, le fondateur et président de Business Insider, un site d’informations créé en 2007 qui compte aujourd’hui 65 journalistes, 2 millions de lecteurs par jour et produit 4 millions de vidéos par mois. Chargé de modérer une discussion sur les vidéos en ligne à la conférence DLD 2014 à Munich, en Allemagne, il montre sur une présentation les revenus générés par la publicité à la télévision depuis 2007 – 3,6 milliards de dollars devraient être investis dans des publicités télévisées en 2014. Des chiffres qui, selon le fondateur de Business Insider, prouve que la télévision a encore une quinzaine d’années devant elle avant de vraiment s’inquiéter, même si, dans le même temps, il y a de plus en plus de personnes qui paient pour consommer des vidéos en ligne. Netflix, la plate-forme américaine qui a produit House of Cards, propose ainsi un abonnement à 7.99 dollars par mois (moins de 6 euros) et a 40 millions d’abonnés. Pourtant, les éditeurs n’ont toujours pas trouvé la recette de la vidéo parfaite pour une consommation sur mobile, sur tablette ou sur ordinateur.

Les ratés des débuts de la vidéo en ligne

Henry Blodget a d’abord rappelé à quel point, à Business Insider, la production de vidéos a mal démarré. Au début, sa rédaction s’est enflammée en estimant qu’il suffisait “de faire venir un invité tous les jours à 8 heures, de se mettre en live à ce moment-là, et de poser des questions à cet invité”. Complètement raté, sourit aujourd’hui Henry Blodget, qui compare cette première à de la sous-télévision. Et “même si on s’était amélioré, cela serait resté de la mauvaise télévision”, continue-t-il, arguant que Bloomberg TV, en live tous les jours, a beau être “excellente” et disponible gratuitement, “personne ne la regarde!”.

Vidéos à la demande avant tout

Moralité, les internautes ne veulent pas regarder de la télévision en ligne. C’est aussi l’enseignement tiré par le HuffPost live, une plate-forme de vidéos en direct qui produit 8 millions de vidéos en streaming par mois. “Même si nous nous appelons HuffPost live, 75% de notre audience consomme des vidéos à la demande disponibles dans notre catalogue”, explique Jimmy Maymann, le CEO danois du Huffington Post. Pas en direct, donc, mais “après les faits”, une fois que ses équipes ont séquencé en petits clips le flux en direct. Ces clips sont ensuite réutilisés dans des articles publiés sur le Huffington Post.

“Nos utilisateurs ne se connectent à notre live vidéo que lorsqu’il y a un événement important, comme la cérémonie des Oscars, ou un breaking news, comme lors des attentats du marathon de Boston, ou lorsque nous avons un invité de marque”, reprend-t-il. Avant d’ajouter: “Les gens viennent pour voir Barack Obama mais ils restent pour les Kardashians”…

“Le numérique est aussi différent du print et de la télévision que le print est différent de la télévision”, dit encore Henry Blodget. Un média qui réussit à utiliser un storytelling efficace pour les vidéos en ligne, c’est un média capable de trouver des techniques de récit qui lui sont propres. Et qui sont forcément différentes de celles pratiquées à la télévision et dans les journaux. “Il ne faut pas essayer de les imiter, il ne faut pas chercher à préserver les traditions journalistiques. Nous n’avons pas de journal à imprimer, ni d’antenne à programmer”. Il faut donc faire du 100% numérique et recourir aux Vines et vidéos sur Instagram, des formats déjà bien installés.

Parmi les vidéos maison de Business Insider, des résumés d’une information en quelques secondes, des listes en vidéo (les 15 citations cultes de la série Breaking Bad), la recette du succès de Mark Zuckerberg ou Warren Buffett, des “how to” (Comment utiliser Vine? Comment faire cuire un steak parfait?) et des tests.

Et la réalisation?

Une vidéo en ligne réussie repose donc sur un format éditorial inhérent au numérique. Même la réalisation peut être repensée de A à Z en ligne. Comment filmer quelqu’un qui parle? John Wishnow, un réalisateur qui a travaillé pour les conférences Ted, avoue s’être posé la question cent fois. “Comment filmer pour que le discours de quelqu’un soit intéressant pour ceux qui ne sont pas dans la salle? Au début, nous n’avions aucune notion de l’esthétique en ligne, puis nous avons multiplié les caméras, les angles, et essayé de rendre l’ensemble plus théâtral, plus cinématrophique”. Aujourd’hui, certaines vidéos des conférences Ted font un carton sur le Web.

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John Wishnow travaille désormais pour le site Edge.org, où il filme des rencontres intellectuelles. A priori, difficile de faire sexy avec une telle matière. Mais le réalisateur tente actuellement de filmer ces rencontres en faisant un split screen en cinq écrans. “Cela n’a jamais été fait”, détaille-t-il. La personne qui parle figure sur les trois écrans du centre, filmée de dos, de côté et de face, et sur les côtés, le public et les scènes extérieures.

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Mobile + vidéo

Outre le format des vidéos en ligne, leur diffusion doit s’adapter à de multiples écrans (smartphone, tablette, et ordinateur), à plusieurs temporalités, et correspondre à une structure des coûts qui reste légère. “L’économie numérique ne saurait supporter les coûts de production d’un journal ou d’une chaîne de télévision”, écrit le même Henry Blodget sur le Nieman Lab. Même si l’essor du temps passé sur le mobile, seul endroit où la consommation de contenus continue à grandir, est un levier publicitaire de taille.

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Alice Antheaume

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ONA 2013: Terminus, on descend…

Crédit: Flickr/CC/thecloudguy

Le format article serait sur le point de devenir obsolète. Les vidéos, idem. Les commentaires n’apportent ni valeur ajoutée ni trafic aux sites d’informations. Les modèles économiques actuels ne fonctionnent pas. Les journalistes sont sous surveillance. Et les rédactions numériques peinent à trouver des chefs compétents. Telles sont les (sombres) leçons tirées du grand raout organisé par l’ONA (Online News Association) à Atlanta, les 17, 18 et 19 octobre 2013. La fin d’un cycle?

La fin de l’article

«Oups, on a cassé la machine à articles». L’intitulé de l’un des ateliers de l’ONA, considérant l’article comme un «vestige de la presse du 19ème siècle», est éloquent. N’exagérons pas, l’article n’est pas tout à fait mort aujourd’hui, mais l’idée de l’abandonner au profit d’autres formats va avec une autre tendance: la disparition des écrans, déjà évoquée lors du festival South by South West à Austin. La preuve, montres, lunettes (les Google Glass ou les lunettes DoCoMo qui traduisent en instantané les panneaux écrits en japonais) voire mains (LeapMotion) servent déjà d’interfaces entre machines et utilisateurs.

Conséquence pour les journalistes: il faut sortir des schémas de publications traditionnels et, notamment, de l’article, suranné sans écran pour le lire.

Stop aux vidéos sans personnalisation!

«En 2014, tout le monde va se rendre compte qu’il y a trop de vidéos dans tous les sens», a prévenu Amy Webb, la rock star des journalistes geeks, une entrepreneuse qui fait partie des «femmes qui changent le monde» selon Forbes et qui a exposé les dix technologies qui vont révolutionner le journalisme en 2014.

NB: Amy Webb interviendra le 3 décembre lors de la conférence annuelle sur les nouvelles pratiques de l’Ecole de journalisme de Sciences Po.

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De fait, rien que sur YouTube, 100 heures de vidéos sont mises en ligne chaque minute. Inutile pour les rédactions d’alimenter ce déluge. La solution pour se distinguer? Personnaliser l’expérience du spectateur.

Twitter et Comcast – qui détient la chaîne NBC, sur laquelle est diffusée le programme «The Voice» – viennent de signer un accord en ce sens: lorsque la chaîne évoque ses programmes sur Twitter, un bouton «see it» est automatiquement intégré aux tweets pour que l’internaute puisse les voir. «Twitter devient la télécommande», a repris Amy Webb. Dans un autre genre, le site gui.de transforme le texte en vidéo. Un post de blog, un article partagé sur Facebook, sont alors lus par un avatar face caméra. Et ce, en temps réel. Un format pensé pour ceux qui font autre chose en même temps qu’ils s’informent. Enfin, Treehouse Interlude chapitre des vidéos pour permettre aux internautes de choisir la partie qui les intéresse et leur permet même de décider du dénouement d’un film. Des exemples qui témoignent des différentes expérimentations mises en place pour accompagner le visionnage de vidéos.

Plaidoyer pour des commentaires, autrement

Parler des commentaires et des trolls est un sujet inépuisable – et les lecteurs de WIP le savent bien, voir ici, ici et . «Modérer les conversations coûte des tonnes d’argent aux rédactions, et pour quel bénéfice? Zéro information et des insultes», a soupiré un éditeur américain à l’ONA. Le penser est une chose, mais le clamer en public est une autre paire de manches. Que dirait-on d’un média qui ne veut plus accueillir les réactions de ses lecteurs? Qu’il refuse les interactions avec son audience et se drape dans son magistère. C’est ce qu’il s’est passé lorsque le site Popular Science a annoncé fin septembre qu’il n’accueillerait plus de commentaires sur son site, arguant que les messages déplacés «polarisent les opinions des lecteurs et vont jusqu’à changer la compréhension de l’information elle-même».

Sur ce thème, Amy Webb a mis les deux pieds dans le plat: «il est temps de réinventer le système! Ces commentaires stupides n’apportent pas de trafic supplémentaire sur votre site, ils font fuir tout le monde». Après qu’elle a écrit sur Slate.com un papier pour expliquer pourquoi elle se refuse à publier quoique ce soit sur sa fille en ligne, elle a reçu des messages comme celui-ci: «votre fille va se tuer un jour et ce sera à cause de vous». «Comment voulez-vous répondre à cela?», a-t-elle grogné. «En ligne, c’est comme dans une soirée, je veux parler à ceux que je connais déjà ou bien à des gens dont les idées peuvent m’intéresser, mais certainement pas passer ma soirée à serrer des mains pendant deux secondes avec des personnes que je ne reverrai jamais».

Un constat partagé. Ainsi, Quartz.com n’offre pas la possibilité de commenter sous ses articles mais propose à ses lecteurs de glisser des remarques sur un extrait préalablement sélectionné, comme on le ferait sur un Google doc. De même, Gawker, dont le combat contre les trolls est une croisade, s’est doté de la technologie de Kinja pour améliorer la tenue des conversations.

Tous surveillés?

Ecouter Janine Gibson, la rédactrice en chef du Guardian US, raconter par le menu comment Glenn Greenwald – qui vient d’annoncer son départ pour un pure player d’investigation – et d’autres journalistes de sa rédaction ont découvert et couvert le programme de surveillance de la NSA, l’Agence nationale de sécurité américaine, a été l’un des moments les plus captivants de la conférence ONA. «Rien ne pouvait s’échanger par téléphone ni par email, il fallait prendre l’avion pour aller voir Edward Snowden», a-t-elle détaillé, précisant que l’équipe avait travaillé dans deux pièces distinctes, l’une remplie d’ordinateurs et de téléphones, et la seconde vide – pour éviter les fuites.

Ce scoop, sur lequel le Guardian a travaillé pendant des mois, a été le prélude d’une prise de conscience des médias anglo-saxons. Non seulement les citoyens sont surveillés, mais les journalistes aussi.

Pour les affaires sensibles, ceux-ci vont devoir apprendre à déjouer la surveillance. Et donc à sécuriser leurs conversations, leurs documents et leurs informations. «Sans cela on lit en vous comme dans un livre ouvert», insiste Micah Lee, de l’Electronic Frontier Foundation, qui recommande de passer par le projet Thor, dont il assure que la NSA ne sait pas comment l’épier, et par la messagerie Off The Record – il y a aussi Crypto.cat.

Adieu vieux modèles

Paywalls, revenus publicitaires, applications payantes, «non profit»… «Le point commun de ces modèles, c’est qu’aucun ne fonctionne vraiment», a asséné Justin Ellis, du Nieman Lab. Pour David Spiegel, de Buzzfeed, «le modèle par abonnement n’est pas le meilleur moyen d’attirer les internautes sur des contenus». «Nous sommes dans une compétition globale en ligne, et pas qu’entre éditeurs, avec tout le monde, car les contenus sont partout», reprend-t-il. «Or il faut que les gens voient vos contenus et les partagent».

Si, pour David Spiegel, le salut figure dans le «native adversiting» – 40% des 10 milliards de dollars investis dans des publicités sur les réseaux sociaux d’ici 2017 -, pour Justin Ellis, la clé pour fonder un modèle viable, c’est de récupérer toutes les données possibles sur son audience. «Qui sont vos lecteurs? Combien de temps passent-ils avec vous? Combien dépensent-ils pour vous? Où habitent-ils? Combien gagnent-ils?» Cela signifie avoir un système d’analyse des statistiques ultra performant. «Regardez Netflix», continue Justin Ellis. «Ils savent quelle série va plaire à leur audience, car ils vous connaissent très bien. Des centaines d’ingénieurs travaillent sur l’algorithme de Netflix pour encore mieux vous cerner et savoir quel programme ils vont vous proposer – parce qu’ils sont sûrs que vous allez le regarder».

A la recherche de chefs

Comment diriger une rédaction numérique en 2013? L’enjeu a beau être de taille, la réponse à cette question est floue. Jim Brady, le rédacteur en chef de Digital Media First, et Callie Schweitzer, directrice de l’innovation à Time Magazine depuis septembre, ont débattu des compétences requises pour savoir «manager» des médias en ligne.

Le premier a commencé à travailler en 1990 comme journaliste sportif, la seconde a terminé ses études en 2011. Les deux ont une approche des ressources humaines adaptée à la culture américaine, mais certaines de leurs recommandations peuvent aussi intéresser le marché français. >> A lire sur WIP, “cherche chefs de rédaction numérique” >>

Le prochain WIP sera, promis, plus positif.

Alice Antheaume

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Qui es-tu, consommateur d’informations français?

Crédit: Flickr/CC/gothopotam

L’année dernière, les Français étaient très actifs pour commenter les informations en ligne et répondre à des sondages portant sur l’actualité. Cette année, ils ne participent plus autant. Ils disent préférer s’informer par les médias traditionnels, tout en ne boudant pas leur plaisir lorsqu’il s’agit de suivre un “live”, ce format qui permet de raconter en ligne, au fur et à mesure, via texte, son, vidéo, image et interaction avec l’audience, un événement.

C’est ce que révèle la nouvelle étude intitulée “digital news report” publiée par le Reuters Institute for the Study of Journalism ce 20 juin 2013. En comparant les usages des consommateurs d’informations en France, en Angleterre, Allemagne, Espagne, Italie, Danemark, aux Etats-Unis, au Brésil et au Japon, elle dégage les spécificités des consommateurs d’informations en fonction de leur pays d’appartenance. Et donne à voir un portrait réactualisé du consommateur d’informations en France.

  • Le Français reste attaché à la télévision

Le Français, donc, se fie volontiers aux médias traditionnels pour accéder aux actualités, et notamment à la télévision, alors que le pays bénéficie d’un taux de pénétration d’Internet important (80%) et d’un nombre de pure-players exceptionnel. Paraxodal? La France est le seul pays étudié où même les moins de 34 ans conservent une forme de “loyauté envers la télévision”, note le rapport, et ce, alors que, partout ailleurs, Internet est la principale source d’informations pour les moins de 45 ans.

Crédit: Digital News Survey 2013/Reuters Institute

Crédit: Digital News Survey 2013/Reuters Institute

L’attachement aux médias traditionnels se retrouve en Allemagne où les habitants, bien que très connectés (83% de taux de pénétration d’Internet), restent fidèles à la télévision et continuent à lire des journaux imprimés chaque semaine. Pour s’informer, les Japonais et les Américains, eux, utilisent plutôt des pure-players et des agrégateurs en ligne tandis que les Brésiliens – l’échantillon porte sur ceux qui vivent en ville – se tournent en majorité vers les réseaux sociaux.

  • Le Français participe moins à l’actualité en ligne depuis que l’élection présidentielle est terminée

L’engouement pour l’élection présidentielle étant passé, la verve française serait retombée alors que la France était en 2012 le pays européen “le plus engagé” en ligne, participant à la construction de l’information et répondant à qui mieux mieux à des sondages sur l’actualité. Un engagement qui, d’après l’étude, s’est effondré en 2013. Autant dire que ni l’affaire Cahuzac ni le débat sur le mariage pour tous n’ont suffi à re-mobiliser les commentaires des internautes.

Cette année, pour discuter de l’actualité, le Français en parle avec sa famille et ses amis, en envoyant l’information qu’il a repérée par email ou, encore, en la recommandant sur un réseau social. Sur le créneau de la participation, les Français se font donc distancer par les Américains et les Espagnols, les plus actifs dans le partage de liens, et par les Brésiliens, les plus gros commentateurs d’articles sur les sites d’informations.

Crédit: Digital News Survey 2013/Reuters Institute

  • Le Français aime les listes et les “lives”

Les Français apprécient avant tout les articles de type “liste” – vous êtes vous-même en train d’en consulter un exemple ici -, les blogs, les vidéos et les sons, et, spécificité hexagonale, les “lives” qui privilégient l’instantanéité et sont réactualisés en temps réel pour raconter un événement inopiné ou un match sportif. Sur ce point, ils talonnent les Japonais, très friands de ce type de format. A l’opposé, les Danois et les Allemands se tournent plus volontiers vers des contenus plus longs.

Crédit: Digital News Survey 2013/Reuters Institute

  • Le Français lit des informations nationales

Le Français aime la politique, les actualités qui concernent son pays, les informations internationales, mais il aime beaucoup moins les informations locales, notamment sur sa ville, les informations people ou l’“entertainment”, ainsi que les informations sur la bourse et la finance. En outre, exception culturelle française ou pas, il ne semble pas non plus se ruer sur les informations concernant l’art et la culture.

  • Le Français accède à l’actualité via des moteurs de recherche

Pour trouver des informations en ligne, les Français passent par les moteurs de recherche, un chemin d’accès majoritaire – un Français effectue en moyenne 134 recherches en ligne par mois -, bien loin devant la recommandation sociale et les agrégateurs. Au Japon, à l’inverse, ce sont en majorité les agrégateurs qui permettent d’accéder aux informations, quand, au Brésil, ce sont les réseaux sociaux qui y mènent.

  • Le Français préfère toujours son ordinateur fixe pour s’informer

Ordinateur? Tablette? Smartphone? Tout à la fois? Dans tous les pays sondés, de plus en plus d’utilisateurs s’informent via une combinaison de plusieurs outils. Un tiers des répondants utilisent au moins deux supports, et c’est le plus souvent l’ordinateur et le smartphone. Est aussi en vigueur l’alliance de l’ordinateur et la tablette, voire l’utilisation des trois (ordinateur, téléphone et tablette) en même temps. Tandis que les Danois dégainent par réflexe leur smartphone pour accéder aux informations, les Français sont toujours, pour la majorité d’entre eux, des usagers fidèles de l’ordinateur, avant le smartphone, et avant la tablette.

Crédit: Digital News Survey 2013/Reuters Institute

  • Le Français prêt à payer pour de l’information en ligne s’il a entre 25 et 34 ans et gagne plus de 50.000 euros par an

En 2012, seuls 8% des Français sondés avaient payé pour accéder à des informations en ligne, selon la précédente étude du Reuters Institute. En 2013, ils seraient désormais 13% à avoir franchi le cap. Fait notable, les utilisateurs les plus enclins à passer à l’acte ont entre 25 et 34 ans. Et ils le font davantage depuis une tablette, ainsi que depuis un smartphone, plutôt que via un ordinateur fixe.

Crédit: Digital News Survey 2013/Reuters Institute

En France et Allemagne, relève l’étude, il y a une corrélation entre le montant des revenus et l’acte d’achat: les foyers gagnant plus de 50.000 euros par an sont deux fois plus prêts à acheter de l’info en ligne que ceux qui gagnent moins de 30.000 euros par an. Enfin, en France, l’achat d’une application constitue l’acte de paiement le plus fréquent pour accéder à des infos en ligne, alors que s’abonner aux sites d’informations prévaut aux Etats-Unis et au Danemark.

Crédit: Digital News Survey 2013/Reuters Institute

Alice Antheaume

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Razzia sur les vidéos en ligne

Crédit: Flickr/CC/casasroger

Sur le front des vidéos en ligne, “c’est la guerre”, déclare Clémence Lemaistre, rédactrice en chef du site de BFMTV.com. C’est une “jungle où chacun fait ce qu’il veut”, ajoute Célia Meriguet, rédactrice en chef de France TV Info.

Alors que les sites d’information cherchent la formule des vidéos qui ne soit pas de la télévision à la papa, certains acteurs se livrent à une bataille sans merci du “qui-a-rippé-quoi”. Ripper, dans le jargon, cela veut dire subtiliser une vidéo produite par un autre pour l’intégrer dans son lecteur. Pour ce faire, il suffit d’enregistrer le flux d’une chaîne de télévision, ou une simple émission, afin de stocker la matière dans laquelle puiser, puis d’y découper un extrait – plus ou moins long -, insérer un générique de début et de fin aux couleurs et au logo du “fauteur”, l’encoder dans son lecteur et le publier. A ce jeu-là, Full HD ready, un ancien de feu Lepost.fr, a été l’un des pionniers.

Ce qu’il y a dans la loi

De “l’encodage sauvage” et illégal, juge Marc Lloyd, responsable de la distribution vidéo à BFM TV. C’est vrai. Même si la législation française en la matière est élusive, il est écrit dans le code de propriété intellectuelle qu’un média a le droit de reproduire la vidéo (ou un extrait de cette vidéo) d’un concurrent à condition que :

  1. la vidéo ait déjà été publiée – si non, il faut l’autorisation de l’auteur,
  2. la source et l’auteur soient mentionnés (avec un lien qui renvoie à la source, c’est mieux),
  3. la reprise soit justifiée “par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information de l’oeuvre à laquelle elles sont incorporées”,
  4. et que la citation soit “courte”.

Or les points 3 et 4 sont flous.

  • concernant le point 3, le droit d’informer peut justifier que soient diffusés intégralement “les discours destinés au public prononcés dans les assemblées politiques, administratives, judiciaires ou académiques, ainsi que dans les réunions publiques d’ordre politique et les cérémonies officielles”. En clair, lorsque François Hollande parle aux Français depuis l’Elysée, n’importe qui pourrait a priori ripper la vidéo. En revanche, lorsque Jérôme Cahuzac est interviewé par Jean-François Achilli dans un studio, le 16 avril 2013, on ne peut pas vraiment penser que cela soit une cérémonie officielle, même s’il est évident que son discours est destiné au public.
  • concernant le point 4, on ne sait pas ce que signifie une “courte” citation. Le nombre de signes, de minutes, ou de secondes n’est pas précisé.

Ambiance Far West

En réalité, de telles ambiguïtés en arrangent plus d’un. Dans ce Far West, le site de Jean-Marc Morandini a une rubrique intitulée le Morandini Zap, avec un extrait provenant ici du JT de France 2, là d’une émission de M6, à chaque fois précédés d’une séquence publicitaire et d’un générique fait maison. “Vous avez déjà vu, vous, un zapping avec un unique extrait? Il ne faut pas se moquer du monde!”, tempête Marc Lloyd. “Je suis désolé, mais un zapping digne de ce nom devrait comporter un vrai travail éditorial” de sélection, de hiérarchisation et de montage.

D’autres éditeurs arguent qu’ils s’autorisent à piquer la vidéo quand le diffuseur traîne à la mettre en ligne. Un argument qui n’est pas recevable au regard de la loi (cf le point 1 ci-dessus). “L’idée, c’est d’être le plus rapide, c’est clair”, m’explique Julien Mielcarek, passé par le site PureMédias, devenu en janvier dernier chef du service vidéos du Figaro.fr. Et cela se joue à dix minutes près. “On enregistre tous les flux des émissions politiques des chaînes de télévisions, des matinales des radios, pour que les extraits intéressants soient le plus vite possible en ligne sur lefigaro.fr”, continue-t-il.

Un phénomène qui rappelle la lutte, en 2008, entre les sites d’informations pour éviter les copiés-collés de leurs articles au profit, là encore, d’une “courte citation” suivie d’un lien vers la source originelle…

L’appât publicitaire

“Leur logique n’est pas d’avoir l’info”, décrypte Célia Meriguet, “mais d’avoir la vidéo dans leur lecteur” pour y bénéficier de 100% des revenus provenant d’un pre-roll publicitaire. Insérer le lecteur vidéo “embedabble” d’un autre dans ses pages n’est pas intéressant de ce point de vue, car dans un “embed” il y a certes le contenu vidéo mais aussi… la publicité de la source qui en empoche les revenus.

Tel est donc le nerf de la guerre: l’appât publicitaire. “C’est un problème industriel”, regrette Clémence Lemaistre. “Il suffit de comparer les revenus générés par les pre-roll dans les vidéos (environ 15 euros) et ceux des displays (les bannières disposées sur les sites d’infos, ndlr), très inférieurs (entre 1 et 6 euros, ndlr), pour comprendre…”

Parce qu’il y a une audience friande du format vidéo (jusqu’à 10 millions de consommateurs de vidéos quotidiens, selon Médiamétrie), parce que le CPM (coût de la pub pour mille affichages) y est plus élevé que sur les formats publicitaires classiques, et parce que le nouvel indicateur sur lequel louchent annonceurs et éditeurs se compte en vidéo vue – plutôt qu’en visiteur unique -, tous les grands médias en ligne ont mis le cap sur le format vidéo.

Lemonde.fr poste sur Instagram des photos de son studio “tout neuf” dans lequel sont réalisées des séquences “éclairages” avec des journalistes maison. Lefigaro.fr a un service doté de sept journalistes et trois techniciens dont “la politique, c’est de mettre un maximum de vidéos sur tous les sujets”, reprend Julien Mielcarek. Avec une production actuelle de 50 à 60 vidéos par jour dont trois ou quatre zappings quotidiens, il veut atteindre les 100 vidéos par jour d’ici quelques mois. De son côté, BFMTV.com met en ligne jusqu’à 80 vidéos par jour, dont des “replay” comme l’interview matinale de Jean-Jacques Bourdin, et des séquences tirées de sujets diffusés à l’antenne. A France Télévisions, en dehors du million de vidéos vues par mois en télévision de rattrapage, la plate-forme d’informations en continu France TV Info produit une grosse vingtaine de vidéos au quotidien.

Le sport, chasse gardée

Il y a donc de quoi se servir. Pourtant, aucun média n’a encore intenté d’action en justice auprès des pirates de vidéos. Plutôt attentistes, beaucoup disent réfléchir sérieusement à taper du poing sur la table.

Il n’y a guère que dans le domaine du sport que personne ne se risque à ravir la vidéo d’un autre. La raison est simple: les droits sportifs sont si faramineux que le propriétaire de la vidéo n’hésiterait pas une seconde à mettre en demeure celui qui ripperait une telle vidéo, voire à lui demander des sommes astronomiques. Pour les vidéos de sport, au Figaro.fr, on se contente de reportages plus magazines produits par la rédaction et de faire un commentaire sur des images fixes d’agence, point.

Sur les sites d’informations appartenant à des groupes audiovisuels, cela se passe à un autre niveau. Le moindre écart sur une vidéo – sauf à créer un GIF animé ou à prendre les reconstitutions en 3D faites par l’AFP – montrant un but au foot se répercuterait, non au niveau du Web mais au niveau de l’antenne. En guise de représailles, outre la facture salée, Clémence Lemaistre sait que “Canal+ pourrait faire de la rétorsion d’images des matchs auprès de BFM TV, et ce serait très grave”.

Alice Antheaume

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Petit mobile deviendra grand

C’est officiel: Lemonde.fr fait davantage de pages vues depuis son application mobile que depuis son site Web. Le Guardian estime, de son côté, que cette mutation aura lieu à l’horizon de deux ans, même si, à certains moments de la journée, notamment entre 6h et 7h le matin, l’audience mobile du titre britannique a déjà dépassé celle du site Web. L’ordinateur devenu brontosaure face au mobile superstar n’est plus une projection lointaine. Le changement arrive à la vitesse de la lumière, et notamment en France, où 23,8 millions de personnes – 46,6% des Français – sont équipées d’un smartphone, selon Médiamétrie.

Résumé des sept éléments glanés sur l’information mobile depuis quelques jours, entre le Monaco Média Forum, organisé à Monaco du 14 au 16 novembre 2012, et le Mobile Day, le 19 novembre 2012 à Paris.

  • 1. Les temps de consultation

Les prime time de l’information sur mobile, c’est tôt le matin, entre midi et deux et tard le soir. “On nous lit au lit”, sourit Yann Guégan, rédacteur en chef adjoint de Rue89, lors d’une table ronde sur le futur des médias sur mobile (1). Leurs premiers utilisateurs s’étant plaints du fait que l’écran tournait dès qu’ils s’avachissaient sur leur oreiller, les équipes de Rue89 ont décidé de bloquer la rotation de l’écran. Le soir, ce sont les informations que l’on “désire” lire, et, le matin, celles que l’on “doit” lire avant d’aller travailler pour savoir de quoi discuter en réunion à la machine à café. Olivier Friesse, responsable technique des nouveaux médias de Radio France, estime que c’est vers 7h du matin que le record de la journée est atteint sur mobile. Un rythme qui commence à voler en éclat – cf point suivant sur les alertes.

  • 2. Les alertes

Elles “boostent” l’audience de façon phénoménale, dit Edouard Andrieu, responsable des nouveaux écrans du Monde interactif, sans toutefois donner de chiffre sur la “transformation” de l’envoi d’une alerte en consommation de contenus sur l’application de l’éditeur. Et surtout – et c’est nouveau – elles “lissent” les temps de consultation tout au long de la journée, faisant venir l’audience sur des informations urgentes à d’autres moments que le triumvirat matin-midi-soir. Un constat également partagé par Aurélien Viers, directeur adjoint de la rédaction du Nouvel Obs.

D’ailleurs, pas de pause pour les alertes… Quand Le Monde envoie des alertes pendant la nuit à sa base de 2,2 millions de personnes, le son est automatiquement coupé – si l’utilisateur ne l’a pas paramétré lui-même. Pour Edouard Andrieu, qu’importe que les alertes du Monde.fr ressemblent à celles du Figaro.fr, du Point.fr et du NouvelObs, et qu’elles reprennent les termes des “urgents” de l’AFP, puisque les “lecteurs n’ont pas forcément de multiples sources d’informations” donc pas l’impression de répétition.

Pour l’instant, Rue89 n’a pas encore enclenché le plan alertes sur ses applications, mais compte le faire, sans toutefois “participer à la course à l’échalotte des médias qui font du chaud”, temporise Yann Guégan. Quand alertes il y aura, reprend-t-il, elles seront “personnalisables” et renverront vers des sujets plus magazines et des scoops.

  • 3. Les interactions avec l’audience

“90% des interactions avec les médias se font depuis un écran”, rappelle Terry Kawaja, fondateur de la société d’investissements LUMA Capital. Pourtant, sur un téléphone, difficile d’écrire des commentaires avec le clavier tactile, avec un réseau parfois intermittent. Conséquence: les applications des éditeurs reçoivent moins de commentaires que les sites Web. Le Monde, qui réserve en plus les commentaires à ses abonnés, confie qu’il n’y a pas foule en effet. Rue89 a, lui, carrément retiré l’option “commenter” de son application iPhone, et ne s’en porte pas plus mal.

Crédit: Monaco Mediax

Plutôt que les commentaires, il y a une brique qu’il ne faut pas zapper sur le mobile: c’est la brique “sociale”. Or, “aujourd’hui, vous ne pouvez pas produire un contenu partageable sans le mobile”, témoigne Jonah Peretti, le fondateur de Buzzfeed, sur la scène du Monaco Media Forum. Pour lui, l’équation magique, c’est sharing + social + mobile. Et cela marche. Lors des Jeux Olympiques de Londres, l’audience qui a regardé les événements via mobile était plus “engagée” que celle qui regardait le même spectacle à la télévision, rappelle Benjamin Faes, directeur des plates-formes de Google en Europe du Nord et Europe centrale, qui rappelle que 25% des vidéos vues sur YouTube le sont depuis le mobile.

  • 4. L’économie du mobile

Lancer un blog, lancer un site Web, cela coûte 0 euro ou presque. Monter une application, ce n’est pas à la portée du premier venu et cela coûte cher, à la fois en temps et en argent. Pour une application de base, comptez autour de 15.000-20.000 euros et entre 3 à 5 mois de délai, le temps du développement, renseigne Baptiste Benezet, le président d’Applidium, une société qui fabrique des applications dont celles, entre autres, de France TV Info et de Canal+. Côté Radio France, la refonte de toutes les applications mobile a été chiffré à 500.000 euros. Pas vraiment une paille. Mais l’investissement peut en valoir la chandelle, selon Terry Kawaja, tant “le mobile est l’environnement de l’efficacité publicitaire ultime parce que c’est en temps réel et qu’avec la géolocalisation, la publicité peut être ciblée”.

Crédit: Monaco Mediax

  • 5. Trop d’applications tuent-elles l’application?

A raison d’environ 700.000 applications dans l’App Store et au moins autant dans l’Android Market, se démarquer devient difficile, dit encore Baptiste Benezet, surtout quand le média n’est pas très connu par ailleurs. A Radio France, l’application lancée pour la présidentielle française, et recyclée pour les législatives, n’a pas “trouvé son public”, glisse Olivier Friesse. Idem pour l’application sport du Monde.fr, lancée à l’occasion de la coupe du monde de football. Autant d’expériences qui laissent penser qu’il ne vaut mieux pas trop s’éparpiller ni multiplier les entrées, malgré la stratégie inverse menée par le Washington Post, que j’ai racontée ici.

  • 6. Interface

“Dans les années 2000, on plaquait le contenu print sur le Web. On est en train de faire la même erreur avec le mobile aujourd’hui”, estime Yann Guégan. De fait, pour l’instant, les médias ne différencient pas leurs productions Web et mobiles. Quelque soit le support et l’environnement sur lequel l’utilisateur est, celui-ci doit retrouver le même environnement et les mêmes fonctionnalités de son média. Une règle martelée par Benjamin Faes, de Google, qui travaille aujourd’hui sur au moins quatre écrans (ordinateur, télévision, tablette, téléphone): “Il faut que les utilisateurs aient la même expérience de Google quel que soit l’outil depuis lequel ils sont connectés”.

Malgré des temps moyens de connection très courts sur mobile (environ 1 minute), le public se régale de deux formats qui peuvent sembler contradictoires: du court et de l’urgent d’un côté, et du long format de l’autre.

  • 7. A quand une rédaction mobile?

Au Monde.fr, un pôle intitulé “Nouveaux écrans” vient d’être créé et comprend six personnes, dont la grande majorité sont développeurs. Au NouvelObs, “on commence à se poser sérieusement la question” de créér une rédaction dédiée au mobile. En attendant, de plus en plus de projets se montent pour que les journalistes existants puissent publier du contenu depuis leur mobile directement dans le CMS de leur média. Le modèle est celui de la BBC, qui a développé une application permettant à ses reporters de poster photos et infos dans son outil de publication.

Lemonde.fr a le même genre d’outil actuellement en test. Côté France TV Info, la rédaction avait imaginé le scénario suivant: il suffisait que les journalistes en reportage se connectent à l’application grand public sur leur téléphone. Ils auraient alors envoyé leurs contenus comme s’ils étaient de simples usagers (dans la fenêtre en bas), et auraient été “identifiés comme étant prioritaires”, explique Baptiste Benezet. “Leurs productions auraient pu ainsi être traitées en primeur par les journalistes restés à la rédaction et chargés d’éditer le live.”

(1) je participais en tant que modératrice à cette table ronde, avec Edouard Andrieu, Olivier Friesse, Yann Guégan, Baptiste Benezet.

Alice Antheaume

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Les innovations éditoriales pendant le débat Barack Obama/Mitt Romney

A cinq semaines de l’élection présidentielle américaine, c’était l’heure du premier des trois débats télévisés entre Mitt Romney, candidat républicain, et Barack Obama, candidat démocrate. Comment couvrir l’événement? Comment le raconter autrement que ses concurrents? Comment faire participer l’audience alors que la moitié des Américains utilisent désormais les réseaux sociaux? Panorama des innovations éditoriales mises en place à cette occasion.

  • Le «live-GIF» (The Guardian et Tumblr)


Le live, c’est bien. Le «live-GIF», c’est mieux. Le Guardian et Tumblr ont ainsi décidé de s’associer pour produire, minute par minute, des GIFS animés tout au long des 90 minutes de débat. Gaffes, silences gênés, regards en coin, sourires email diamant… Chaque instant est ainsi mis en GIF et publié en temps réel sur GifWich et intégré au live du Guardian, qui maîtrise ce format à la perfection.

Aux platines, rien de moins que quatre créateurs de GIFS déjà zélés sur Tumblr, et un journaliste du Guardian, Adam Gabbat, pour contextualiser ces GIFS avec les informations de la soirée.

«Nous prenons très au sérieux le potentiel journalistique du GIF», résume Chris Mohney, le directeur éditorial de Tumblr, interrogé par le site journalism.co.uk. Il considère le «live-GIF» comme un nouveau moyen de décomposer l’action et le discours des politiques, et ce, en temps réel.

  • Le jeu des aimants à juxtaposer sur un frigo virtuel (The Guardian)

Autre nouveauté repérée dans le live du Guardian: la possibilité de créer des phrases chocs à partir des mots utilisés par les deux hommes politiques – rien que leurs mots.

Cela s’appelle Spin it! et se présente sous la forme suivante: en bas, une citation-clé de Barack Obama ou de Mitt Romney qui sert de «réserve» de mots et, au dessus, un espace vide dans lequel on peut juxtaposer des termes comme si on alignait des aimants sur un frigo virtuel.

«Pendant que vous regardez les débats entre Mitt Romney et Barack Obama, utilisez leurs propres termes pour construire quelque chose de complètement nouveau – ou juste une phrase plus succincte», peut-on lire dans les consignes de jeu.

  • La vidéo «clipée-collée» (CNN)

Comme le GIF animé, la vidéo bénéficie d’un très fort taux de partage sur les réseaux sociaux. Ce que CNN a bien compris. Non content d’avoir lancé iReport en 2006 pour que les internautes alertent sur ce qu’il se passe près de chez eux, la chaîne américaine souhaite maintenant que ses spectateurs deviennent des «éditeurs de CNN» et «créent leurs propres vidéos virales» sur le débat.

«Bienvenue dans la télévision du futur », annonce la présentatrice, Brianna Keilar, qui renvoie sur le direct du débat, diffusé sur leur site, et le nouvel outil qui l’accompagne, une technologie appelée «clip and share». Objectif: que les spectateurs sélectionnent leur moment préféré, le coupent dans un logiciel de montage ultra simplifié et mettent ensuite en ligne leur vidéo ainsi découpée sur les réseaux sociaux.

 

  • Le tableau de bord (The Washington Post)


Regarder la télévision, faire pause, retourner en arrière ou avancer, voir en même temps le flux de tweets, les photos sur Instagram, lire les articles des autres sites d’informations… Comment tout faire à la fois au moment des débats présidentiels? Le Washington Post a installé, depuis les conventions démocrates et républicaines, un format intitulé “The Grid”, qui permet de voir, sur une grille donc, sur toutes les plates-formes et «dans tous les temps» du débat, de l’instantané à l’analyse. Et, lors du débat qui s’est tenu à Denver, dans le Colorado, le résultat était plutôt bluffant, d’autant qu’on peut choisir si l’on souhaite ne voir que les vidéos, que les photos, que les articles, ou que les tweets, etc.

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Alice Antheaume

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L’ascension du GIF animé jusqu’au sommet journalistique

C’est la renaissance du GIF. Et du GIF animé s’il vous plaît. Ce format, dont l’acronyme signifie Graphics Interchange Format, a eu son heure de gloire à la fin des années 1990 sur le Web. Consécration en 2012: de gadget humoristique, le GIF est devenu, à 25 ans, un outil de storytelling pour le journalisme numérique.

“Plus convaincant qu’une photo statique et plus immédiat que la vidéo Web, le GIF animé (…) a grandi, et il est partout en ce moment”, peut-on lire sur le site Poynter. Partout, et surtout à l’occasion des Jeux Olympiques qui se sont déroulés à Londres cet été.

Un vieux format remis au goût du jour

Sur The Atlantic Wire, une succession de GIF animés permet de comparer les performances de gymnastes en compétition, en montrant si la pirouette sur les barres asymétriques est réalisée avec plus ou moins de hauteur, ou si la chute finale après un enchaînement de figures sur la poutre est maîtrisée ou vacillante. Dans ce cas, le GIF fait office de ralenti télévisuel: il décompose l’action de l’athlète, frame par frame, et sert, il faut bien de le dire, de façon efficace la démonstration. Surtout pour les novices qui ne distinguent pas ce qui fait la différence entre une médaille d’or et les autres en gymnastique.

Crédit : The Altantic Wire

Les mauvaises langues rétorquent que l’utilisation journalistique du GIF concerne forcément les sujets sur lesquels des chaînes de télévision ont obtenu l’exclusivité des droits de retransmission – au hasard les JO et autres événements sportifs. Mais, au delà de la question des droits, le GIF est un format alléchant du point de vue journalistique. Il permet de saisir ce que l’on ne pourrait voir via une image fixe ou une vidéo de plusieurs minutes…

“Les GIFS sont une passerelle entre l’image et la vidéo, ce qui est incroyablement utile dans la couverture du sport ”, observe Kevin Lincoln, éditeur de la rubrique sport de Buzzfeed, cité par le Nieman Lab. “Pas besoin de parcourir ni d’écouter l’ensemble d’une vidéo, et malgré tout, vous obtenez le mouvement et l’action qui fait que le sport est sport”. Mieux: Buzzfeed a développé un outil, “Rub me” (frottez-moi), qui permet aux internautes de changer le cours du GIF avec leur souris (MISE A JOUR du 30 août, 15h, grâce au commentaire de Laurent Suply, du Figaro, merci!).

Et, tournant en boucle, le GIF exacerbe les émotions, intensifiant l’expression de joie ou d’abattement d’un sportif.

Emotion sportive et politique

Exacerber les émotions… En politique, cela marche aussi. Les équipes de Barack Obama l’ont bien compris et utilisent ce ressort pour la campagne présidentielle américaine. Dans un email intitulé “high five”, envoyé le 24 août 2012, et signé “Obama for America”, figurent pas moins de quatre GIFS animés, où l’on voit l’actuel président des Etats Unis embraser la foule.

Crédit : Obama for America

 

Autre exemple, trouvé sur le Tumblr de Barack Obama: ce GIF d’une jeune femme américaine folle de joie quand, dit le titre, “mon chéri m’a dit qu’il n’allait pas voter pour Romney”.

Crédit: thatfeministmoment

Si le GIF redevient à la mode, c’est aussi parce que c’est le format viral par excellence. Léger (presque aucun temps de chargement, même sur téléphone portable), silencieux (ce qui, quand on consulte des informations dans un open space au bureau, est appréciable), son taux de partage sur les réseaux sociaux, et sur les Tumblr, se montre exceptionnel. La raison est simple: un GIF animé se suffit à lui-même.

Ses défauts sont d’ailleurs le pendant de son avantage.

  1. il s’avère très distrayant. Tant et si bien que placer dans un article des GIFS animés, avec des images en mouvement permanent, comme je le fais ici, peut empêcher la lecture de l’écrit.
  2. Autre inconvénient de ce format: il est très difficile à “sourcer” (à la fois l’auteur du GIF et la provenance des images). Chaque GIF bénéficie en effet d’un tel potentiel de viralité qu’il se retrouve aussitôt échangé, envoyé, partagé sur le réseau. Un obstacle pour les journalistes, supposés citer leurs sources dans un contenu.

Un moment fort, en quelques secondes

Néanmoins, le GIF peut être moins guignolesque qu’il n’y paraît. En témoigne l’utilisation par le New York Times de GIFS animés assez subtils – voire romantiques – de la statue de la Liberté, à New York, entourée d’eau qui ondule et les feuilles des arbres qui tremblent.

En France, les GIFS ont aussi fait leur apparition cet été sur les sites d’informations: pour le sport, bien sûr, mais aussi, sur le site de France TV Info, pour montrer le salut d’extrême droite fait par Breivik, condamné à 21 ans de prison pour le massacre d’Utoya, à la fin de son procès en Norvège.

Crédit : France TV Info

“Il faut que l’image s’y prête”, m’explique Thibaud Vuitton, rédacteur en chef adjoint de France TV Info. C’est-à-dire qu’elle incarne un moment fort de l’actualité, tout en ne durant que quelques secondes. Pour lui, c’est un format intéressant car “dynamique sans avoir l’agressivité d’une vidéo en autoplay”.

Et, argument ultime pour les éditeurs, me rappelle Jean-François Fogel, professeur associé de l’Ecole de journalisme de Sciences Po, le GIF est un bon pourvoyeur de trafic, puisqu’il est hébergé sur une page dédiée du site, contrairement à une vidéo qui, même très vue, ne fait pas monter le nombre de pages vues (MISE A JOUR du 30 août, 15h15).


Travaux pratiques

Et pour finir, quelques outils pour fabriquer son propre GIF animé:

    • Depuis un site Web

      Gickr ou Picasion (deux sites très rapides à utiliser, sur lesquels on télécharge jusqu’à 10 photos, on sélectionne la vitesse de rotation, et hop, c’est terminé)

        • Depuis un mobile

          GifBoom et Cinemagram (deux applications mobile, la première étant intégrée à un réseau social, et la seconde permet de donner une allure plus “arty” à ses GIFS)

          Bonne rentrée à tous !

          Alice Antheaume

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          La pop-up, le retour…

          On croyait la pop-up condamnée à rester un format publicitaire de la fin des années 90 sur le Web. Voici qu’elle revient, en 2012, sur des sites d’informations tels que Rue89, lemonde.fr, Business Insider ou le New York Times. Et, cette fois, elle a des ambitions journalistiques.

          «La pop-up, c’est le sparadrap du capitaine Haddock. On croit qu’elle a disparu, mais non!», s’amuse Julien Laroche-Joubert, rédacteur en chef adjoint au Monde.fr, qui a oeuvré à la refonte de la maquette du site, sortie en mars 2012, où figure désormais, en bas à droite de l’écran, une pop-up à contenus éditoriaux appelée en interne le «toaster».

          De la pub à l’info

          Si la pop-up s’offre une autre vie dans l’univers de l’information en ligne, c’est parce qu’elle a gagné ses galons dans l’univers de la messagerie instantanée. Sur Gtalk et sur Facebook, lorsque des utilisateurs conversent en temps réel, leurs échanges s’affichent par défaut dans… une fenêtre en bas et à droite de l’écran. Un usage installé par des années de pratiques et devenu un code de lecture, et même d’interaction.

          «Personne n’aime les modes d’emploi», estime Julien Laroche-Joubert. L’intérêt de reprendre un code existant, c’est que «les gens comprennent tout de suite que la pop-up en question sera un lieu de dialogue avec la rédaction.»

          De fait, en se connectant sur la page d’accueil du Monde.fr, ce dimanche 10 juin 2012, jour de premier tour des élections législatives, apparaît dans la pop-up la question d’un lecteur à la rédaction – question sélectionnée par celle-ci avant publication: «Avez-vous les résultats pour Mme Rosso Debord (membre de la cellule riposte pendant la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy et candidate UMP dans la 2e circonspection de Nancy, ndlr)?». La réponse tombe aussitôt, visible également dans la pop-up: «@Reno : Avec 33,57 % des voix, Valérie Rosso-Debord (UMP) arrive en seconde position derrière le socialiste Hervé Feron (39,51 %)».

          La vitrine du «live»

          En réalité, plus qu’un espace d’interaction, cette pop-up sert un autre objectif pour lemonde.fr: montrer les «lives», ces formats qui permettent de raconter en direct un événement via mots, photos, vidéos et interactions avec l’audience, que les éditeurs français ont multiplié depuis les révolutions arabes, puis Fukushima, et a fortiori pendant la campagne présidentielle.

          Or la réalisation d’un live nécessite des ressources journalistiques lourdes, comme expliqué dans un précédent WIP, «tous scotchés au live». Dans ces conditions, mieux vaut le mettre en majesté. Ce qui passe, sur lemonde.fr, par l’affichage dès la page d’accueil d’un aperçu du live dans une fenêtre ad hoc. Y remonte – c’est programmé par défaut – le message le plus récent posté dans le live qui se déroule au moment où l’utilisateur se connecte. «S’il n’y a pas de live en cours, il n’y a pas de pop-up. Et s’il y a deux lives en même temps, cela devient compliqué», reprend Julien Laroche-Joubert.

          Clics et allergies

          Un choix qui ne fait pas que des heureux. Certains utilisateurs râlent, estimant que les lives «ne sont que du bruit, et qu’ils n’ont rien à faire sur la page d’accueil du Monde.fr», une page qui, aujourd’hui encore sur ce site, concentre l’essentiel du trafic. D’autres s’énervent contre cette fenêtre jugée intrusive: «Moi qui suis vos lives avec grand intérêt, cette petite fenêtre persistante m’agace au plus haut point pendant la lecture et le choix des articles», peste une lectrice. En effet, cette pop-up, en bonne héritière de son ancêtre publicitaire, peut au mieux se réduire, mais pas se fermer, même lorsque l’on clique sur la croix.

          Malgré les doléances, 70% des lecteurs qui rentrent sur un live le font par la pop-up de la page d’accueil, annoncent les équipes du Monde.fr. Le chiffre est d’autant plus signifiant que cette «pop-up éditoriale» n’est visible que depuis un ordinateur. Elle n’apparaît ni sur mobile ni sur les réseaux sociaux, lesquels devraient bientôt être les meilleurs pourvoyeurs d’affluence sur les sites d’informations.

          Questions d’ergonomie

          Entre tentative d’innovation et résistance au changement, le curseur est difficile à placer pour les éditeurs. Surtout quand il s’agit de s’attaquer à l’ergonomie des sacro-saintes pages d’accueil, symboles de la hiérarchie journalistique choisie par une rédaction.

          Au festival South by South West 2012, à Austin, les professionnels ont rendu un diagnostic pessimiste: selon eux, non seulement l’interface de la majorité des sites d’informations n’a pas évolué depuis presque vingt ans, mais en plus les conventions journalistiques (titre, chapeau, etc.) freinent la création de nouvelles expériences.

          Quant à la pop-up journalistique, elle a le mérite de bousculer un peu la façon de «rentrer» dans des contenus, mais cela reste une surcouche, posée par dessus le «rubriquage» traditionnel des informations.

          Et… autres lectures recommandées

          D’autres éditeurs ont aussi recyclé, dans un but éditorial, le format de la pop-up. Sur les sites du New York Times et Rue89, celle-ci vise à recommander des compléments de lectures, et ce, uniquement dans les pages articles – pas sur les pages d’accueil. Lorsque le lecteur arrive à la fin d’un contenu, surgit ainsi une fenêtre, toujours en bas à droite de l’écran, pour «rebondir» sur d’autres contenus de la même thématique que celle qui vient d’être consultée.

          Si par exemple je parviens à la chute de l’article «Comment les députés gèrent leurs frais de représentation» sur Rue89, la pop-up me préconise ceci:

           

          Si je lis un article sur le New York Times concernant Mitt Romney, ou Barack Obama, on me suggère de poursuivre en cliquant sur un autre article de la rubrique politique:

          Les éditeurs en conviennent volontiers: copier le voisin pour récupérer ce qui marche constitue une recette éprouvée. Et reprendre, dans un but journalistique, un format installé par les géants de la technologie encore plus…

          Alice Antheaume

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