Montrer ou ne pas montrer les caricatures de Charlie Hebdo

Crédit: Flickr/CC/valentinacala

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Après l’attentat à Paris contre Charlie Hebdo, le 7 janvier 2015, qui a fait 12 morts, dont les dessinateurs Charb, Cabu, Georges Wolinski, Tignous, le chroniqueur économique Bernard Maris et des blessés très graves, les rédactions du monde entier ont manifesté leur soutien et prôné la liberté de parole et de pensée.

Mais certaines, notamment aux Etats-Unis, ont choisi de “décrire” avec des mots – plutôt que de les montrer – les caricatures de l’hebdomadaire, comme CNN, Associated Press, MSNBC ou le New York Times. Pour quelle raison? Peur des représailles? Entrave à la liberté d’expression? Ou prudence?

La sécurité des journalistes sur le terrain pour CNN

Ne pas publier ces dessins est une décision qui vient du haut chez CNN. “En tant que patron, la protection et la sécurité de nos correspondants dans le monde est ce qui me préoccupe plus que tout le reste aujourd’hui”, explique Jeff Zucker, le président de CNN.

“Ce sont pour des questions de sécurité pour les reporters sur le terrain que cette décision a été prise”, me confirme via Facebook Samantha Barry, la responsable des réseaux sociaux de CNN qui confirme qu’aucune caricature polémique n’est diffusée sur les plates-formes en ligne de CNN, pas plus qu’à l’antenne. Représenter le prophète est interdit par le Coran, un “tabou très strict dans l’Islam”, se justifie CNN.

Pourtant, en France, quand Mathieu Dehlinger, journaliste à France TV Info, relève le floutage de CNN, les commentateurs sur Twitter condamnent cette pratique. L’un ironise sur leur absence de courage, l’autre estime que les équipes de CNN “n’ont rien compris donc”.

 

Ne pas offenser les lecteurs pour le New York Times

Faut-il publier – ou non – les caricatures? Pour Associated Press, The Daily News, ou au Canada The Globe and Mail, c’est non. Répondre à cette question a pris une demi-journée de réflexion à Dean Baquet, le directeur exécutif du New York Times, qui reconnaît avoir changé deux fois d’avis avant de statuer: aucune caricature de Mahomet signée Charlie Hebdo ne sera publiée. Pas pour des raisons de sécurité, cette fois, mais pour préserver la sensibilité des lecteurs du journal, notamment les musulmans pour qui la publication de ces dessins aurait pu sembler “sacrilège”.

“Nous avons depuis longtemps une règle, qui dit qu’il y a une différence entre l’insulte gratuite et la satire”, estime Dean Banquet, avant d’asséner que la plupart des représentations de Mahomet par Charlie Hebdo font partie de la première catégorie.

Critiques acerbes

Un postulat difficile à comprendre vu le contexte tragique en France et la vague d’unité qui s’ensuit. Jeff Jarvis, professeur à l’Ecole de journalisme de Cuny à New York, n’en revient pas. Sur son blog, il estime que les justifications du New York Times sont du gros “bullshit”.

“Comment cela, ce n’est pas la mission du New York Times de montrer les caricatures?”, s’étouffe-t-il. “Je n’achète pas du journalisme qui ne gêne personne. Je n’achète pas l’idée que décrire ces dessins avec des mots serait suffisant. (…) Si vous êtes le journal de référence, si vous incarnez l’excellence du journalisme américain, si vous attendez des autres qu’ils se lèvent lorsque vos journalistes sont menacés, si vous faites confiance à votre audience pour se faire son opinion, alors bon sang, soutenez Charlie Hebdo et informez les gens. Publiez ces caricatures.”

C’est ce qu’a fait le Washington Post, dans sa version imprimée. Mais c’est l’un des rares médias installés depuis des décennies aux Etats-Unis à avoir osé.

Différences culturelles

Il y a peut-être là une fraction entre, d’un côté, la posture des médias traditionnels et, de l’autre, la culture transversale des rédactions numériques qui ont, elles, publié les caricatures, comme The Daily Beast, Buzzfeed, Politico, Slate.com, The Huffington Post, et Vox. Mais est-ce pour “afficher leur solidarité envers des camarades abattus” ou pour faire monter le nombre de pages vues, s’interroge la Columbia Journalism Review? Ambiance.

AA

3 commentaires pour “Montrer ou ne pas montrer les caricatures de Charlie Hebdo”

  1. […] de l’acte en soit qui m’a interpellé. Et pour me comprendre, il faut bien savoir que les images ont une force dix fois supérieure à celle des mots. Les plus vieilles théories de la communication le disent: « les médias fonctionnent […]

  2. […] Billets en relation : 09/01/2015. Montrer ou ne pas montrer les caricatures de Charlie Hebdo : blog.slate.fr/labo-journalisme-sciences-po/2015/01/09/montrer-ou-ne-pas-montrer-les-caricatures-de-c… 10/01/2015. Prises d’otages : la couverture médiatique critiquée : […]

  3. […] aux Etats-Unis comme CNN, Associated Press, le New York Times, ou en Angleterre Sky News, ont-elles refusé de publier les caricatures de Mahomet de Charlie Hebdo? Pour Bruno Patino, le directeur de l’Ecole de journalisme de Sciences Po (1) […]

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