Slow Web: On se calme et on boit frais…

Crédit: Flickr/CC/photosteve101

Et si, en 2013, on se sortait la tête du guidon? C’est la tendance prônée par un mouvement américain intitulé “Slow Web”. Son ambition? Etre l’antithèse du temps réel en ligne, des moteurs de recherche et autres services Web qui répondent aux requêtes de façon instantanée. “En fin de compte, la philosophie derrière ce mouvement, c’est que chaque personne devrait avoir une vie” et “ne pas être esclave” du temps réel, résume le manifeste du Slow Web.

Jusqu’à présent, il n’y avait que deux possibilités:

1. je suis déconnecté, et donc en dehors du réseau.

2. je suis connecté et mon attention est mobilisée par le flux d’informations en temps réel.

La troisième voie serait donc:

3. je ne suis pas connecté tout le temps mais suis quand même au courant de ce qu’il se passe sur le réseau.

En ligne, quelques initiatives éditoriales surfent sur cette troisième option et montrent que le “live” n’est pas la seule Bible du journalisme numérique. Se développent ainsi des services qui donnent à voir le meilleur de l’actu, la “curation de la curation”, se développent, et ne référencent que les contenus les plus cités sur les réseaux sociaux. C’est le cas de News.me et de l’application Undrip, qui calme avec humour les ardeurs de ses utilisateurs (“bridez vos élans”, “gardez votre pull”) le temps que la sélection s’opère. Quant à The Atlantic, il a regroupé ses meilleurs articles de l’année 2012 dans un ebook, à lire au calme. Plus radicale, cette application gratuite pour Mac, Self Control, bloque l’accès à une liste de sites Web de son choix (mails, Facebook, Dailymotion, etc.), pendant une période limitée, de 15 minutes à 24h.

Calmez le jeu

En France, Slate (sur lequel ce blog est hébergé) veut réfléchir avant de faire de l’actualité chaude mais à J+1 ou plus. Le Huffington Post a lancé une newsletter appelée “on refait l’actu du week-end” pour ceux qui se seraient déconnecté en fin de semaine et auraient besoin d’un rattrapage. Rue89 proposait la même chose, jusqu’en juillet 2012: il s’agissait d’un long papier publié le samedi qui récapitulait les temps forts de l’actualité survenus dans la semaine, entre le lundi et vendredi. Etait-ce le jour de publication? Le format? Toujours est-il que cela ne marchait pas tant que cela, regrette Pascal Riché, rédacteur en chef de Rue89, qui pointe les chiffres: un peu plus de 6.000 clics par “rattrapage de l’actu” quand les autres contenus du site peuvent obtenir 50.000 clics.

Pourtant, la lecture en différé est une réalité pour les consommateurs d’informations, qui mettent de côté des contenus pour les lire plus tard grâce à des outils comme Pocket. “Il n’y a pas de problème à lire demain les informations d’hier”, tranche le journaliste américain Peter Laufer, cité sur Slow News Movement, un site lancé par la journaliste française Marie-Catherine Beuth, qui réfléchit à l’Université de Stanford sur la question suivante: comment “adapter les informations au temps que l’utilisateur a, ou n’a pas”?

Lecteurs et journalistes branchés sur du 5.000 volts

Mais pour la plupart des sites d’informations généralistes, retirer les doigts de la prise s’avère compliqué. Le tempo de l’information n’a jamais cessé de accélérer, et cela s’est encore amplifié à la naissance des réseaux sociaux, réduisant à un clignement d’oeil le laps de temps entre l’arrivée d’un événement et son écho en ligne. Or ce règne de l’information en temps réel n’est pas une création ex-nihilo des journalistes, c’est une demande de l’audience, habituée à prendre son téléphone en main, en moyenne, entre quarante et quatre vingt fois par jour, pour savoir ce qu’il y a de nouveau.

“Donner l’info quand elle arrive, cela fait partie de notre ADN”, rappelle Aurélien Viers, directeur ajoint de la rédaction du Nouvel Obs. Ce mardi 15 janvier, “les 7.500 postes supprimés de Renault, on ne peut pas en faire l’impasse. La mort du cinéaste Nagisa Oshima non plus.” C’est même un contrat tacite entre l’éditeur et l’audience: offrir les dernières informations disponibles au lecteur, au moment où celui-ci se connecte.

Mosaïque de temporalités

Or s’il y a une prime au premier sur l’info, il y a aussi une prime à l’originalité en ligne. En témoigne le salut unanime du projet du New York Times, Snow Fall, qui raconte l’aventure de seize skieurs pris dans une avalanche. Un contenu à la narration efficace, qui a obtenu en quelques jours 3.5 millions de pages vues, avec des lecteurs scotchés sur cette histoire pendant 12 minutes en moyenne. Une durée considérable.

De plus en plus, les rédactions s’organisent pour que le temps de la réactivité cohabite avec d’autres temps, plus lents. “On a deux jambes, une jambe droite, l’actualité chaude, et une jambe gauche, qui concerne des sujets plus magazines”, reprend Aurélien Viers. “On doit être suffisamment forts pour trouver l’équilibre entre couvrir une information urgente, rebondir sur l’information et l’expliquer. Bref, il y a en fait trois temps: le temps de la réactivité, le temps de l’explication de l’information qui vient de tomber, et enfin, le décalé”.

Piquer un sprint et courir un marathon à la fois

Il ne s’agit donc pas d’arrêter le temps réel mais de naviguer entre l’un et l’autre, et produire des types de contenus adaptés à des habitudes variées – et des connaissances de l’actualité différentes selon qu’on est très connecté, moyennement connecté, ou pas du tout.

En termes d’organisation rédactionnelle, cela signifie bénéficier d’une équipe assez grande pour qu’elle comporte à la fois des sprinteurs, des marathoniens, et des coureurs de relais. “Quand on essaie de décélérer, d’enquêter pendant une semaine sur les pilules de troisième ou quatrième génération, il ne faut pas se laisser déborder par les urgents”, dit encore Aurélien Viers. Or les urgents, et l’actualité en général, on ne la contrôle pas.

Autre problème, paradoxal: les journalistes, habitués à faire de la veille en ligne et à réagir au quart de tour, se sentent parfois démunis lorsqu’ils ont soudain la possibilité de passer deux jours sur un format plus long. “Au final, on reçoit assez peu de propositions de sujets qui nécessiteraient une semaine de travail en dehors du flux alors qu’on essaie d’encourager nos journalistes à le faire”, soupire un responsable.

Avez-vous pris la résolution de tempérer votre addiction au temps réel? Dites-le dans les commentaires ci-dessous, sur Facebook et sur Twitter, merci!

Alice Antheaume

12 commentaires pour “Slow Web: On se calme et on boit frais…”

  1. Je tiens un blog traitant de l’innovation dans le domaine du vélo, et il arrive que j’écrive des articles sur des concepts sortis il y a plusieurs mois : ça me permet de constater leur évolution (le projet s’est-i concrétiser, un prototype est-il sorti, quelle portée a eu cette idée, etc).
    Les exclusivités arrivant de toute part, quel que soit le domaine, autant prendre plus de temps pour analyser, comparer, discuter.

  2. J’aime cette idée d’être maître de son temps, de ne pas être soumis au flux continuellement. Et si ça devient une tendance en 2013 et bien c’est tant mieux. 🙂

  3. Si ça pouvait surtout s’installer durablement, plutôt que de rester une tendance de l’année…

  4. Je lutte au quotidien dans mon travail et dans ma vie perso pour “débrancher”. Au travail par exemple, il est facile de consulter ses mails deux ou trois fois par jour et de fermer ensuite son application afin de ne pas être pollué par les mails entrants. Je décroche plus facilement mon téléphone pour prendre un rendez-vous ou poser une question plutôt que d’envoyer un email, qui demandera une réponse, puis une confirmation. J’ai fait cette année des cartes de voeux papiers que j’ai envoyé en janvier, rappelons que la date limite pour envoyer ses voeux est le 31 ! Cette année les premiers voeux ont été publié sur Facebook le 31 décembre dans l’après-midi ! C’est la course a qui le fera le premier, mais en message collectif… Le web 2.0 est un outil fabuleux, une fenêtre ouverte sur le monde, un puits de savoir accessible au plus grand nombre, une merveilleuse façon de s’informer, de garder le contact avec des personnes qui sont loin, de voyager… Mais de grâce ne perdons pas pied avec le réel, il faut gagner du temps pour s’occuper autrement, lire, réfléchir, méditer, être avec les gens que l’on aime… Je le dis d’autant plus facilement que je suis directrice communication et que le web est mon univers quotidien. En 2013, débranchons !

  5. Trouver l’équilibre… vaste défi.

  6. Très belle note, Alice, merci.
    Dans cette même veine, on voit aussi des applications mobiles émerger pour reprendre la main sur les flots d’infos : Circa (http://cir.ca/) découpe les actus en plusieurs morceaux synthétiques, ce qui permet de se remettre à jour simplement et rapidement sur un sujet ; Summly (http://summly.com/) prend lui le pari de proposer des résumés pour s’informer plus vite…
    Bref : le FOMO est mort, vive le JOMO ! (cf https://www.nytimes.com/2012/08/26/technology/cutting-the-digital-lifeline-and-finding-serenity.html?pagewanted=all&_r=0)

  7. […] Web lent. Slow food, slow science… Désormais le slow web qui nous vient des USA. Le but ? Prendre le contre-pied de l’information instantanée et en continu du web et faire la nique à Google. Les éditeurs de presse français sont en train d’essayer de faire payer le moteur de recherche, eux ont une solution radicale : il y a une vie déconnecté du web. A lire ici. […]

  8. Les propositions de formats longs sont peu nombreuses dites-vous. Pourtant, la demande est là.. En témoigne le succès des mooks : XXI, Charles, Muze… Ces mag proposent uniquement des articles longs et ça marche !
    Sûrement parce qu’en complément du temps court disponible sur le web, nous avons besoin d’un temps long ailleurs…

  9. […] Slow Web : savoir jongler entre sujets d’actualité urgents et enquêtes plus poussées – du […]

  10. […] lire sur le sujet l’article Slow Web: On se calme et on boit frais…  d’Alice Antheaume (Twitter @alicanth, Journaliste, responsable de la prospective et du […]

  11. Chacun met en place sa propre stratégie de consommation. Certains moments de la journée ou de la semaine sont propices pour être branché en direct, d’autres non. En règle générale, on alterne souvent entre ces deux comportements, en fonction du moment et des circonstances.

    Je ne sais donc pas si on peut vraiment parler de tendance en 2013 au sujet d’usages déjà pratiqués, peu ou prou. Cette manière de voir les choses ressemble plutôt à une posture journalistique.
    Mais il est certain que rester connecté en permanence relève d’une attitude obsessionnelle qui doit poser question.

  12. Ravie de découvrir que je ne suis pas une autiste quand je refuse d’être sans cesse sur facebook ou de créer un compte twitter. Le coup d’oeil sur le portable doit aussi se limiter pour supprimer les mails non intéressants et remettre a plus tard les urgences, qui n’en sont pas forcément. Bienvenue dans la vraie vie locale et sociale de tous les jours, c”est chouette de redécouvrir la vraie notion du temps… Qui dure. Vive les tendances de 2013, si ce sont des tendances de fond ! Si en plus ca permet de mieux analyser l’info et de prendre du recul, on n’entendra peut etre moins d’inepties aux infos (radio ou TV), et de spectacle autour de faits normaux… dans la duree ! (La neige en hiver par exemple) !)

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