Trop de liens tuent-ils le lien?

Crédit: Flickr/CC/chrisdlugosz

«Où est passé le bon vieux temps où la substance de vos tweets était ce que vous disiez, et non ce sur quoi vous pointiez?», interpelle un étudiant américain qui a fondé FastBlink, une société de marketing sur les réseaux sociaux. Pour lui, trop de liens saturent l’espace en ligne, et ce, au détriment des «messages». Un phénomène qu’il qualifie, en anglais, d’«overlinkification».

Et si cette «overlinkification» ne concernait pas que les messages sur Twitter mais aussi les contenus journalistiques? Y a-t-il trop de liens sur les sites d’informations?

Regardons la colonne centrale de Le Huffington Post, lancé lundi 23 janvier en France. Elle comporte des liens, dès la page d’accueil, vers des actualités issues d’autres médias (voir ci-dessous). Comme ce contenu sur Jean-Claude Trichet remplaçant d’Arnaud Lagardère chez EADS, pointant sur lesechos.fr. Ou ce zoom sur trois projets de François Hollande, à lire sur lemonde.fr (le groupe Le Monde est actionnaire à 34% du projet Huffington Post en France).

Sur l’agrégation de contenus extérieurs directement sur la page d’accueil, il faut le voir comme un service rendu au lecteur – et un geste envers les médias cités. Ensuite, il y a l’enrichissement de liens à l’intérieur-même d’un papier. Oui, les contenus publiés en ligne gagnent à être enrichis de liens si 1. ceux-ci ne sont pas commerciaux et si 2. ils font l’objet d’un travail de sélection journalistique. A quoi bon diffuser un contenu sur le Net si celui-ci ne pointe pas vers les ressources, triées sur le volet, disponibles en ligne?

La recherche de liens pertinents fait partie intrinsèque du journalisme en ligne

Trouver un «bon lien», c’est-à-dire un contenu apportant un vrai complément d’informations, repéré à force de naviguer (Pierre Haski de Rue89 le fait à ciel ouvert sur Twitter cette semaine, en signalant un article du New York Times annonçant la victoire de Nicolas Sarkozy «à se garder sous le coude pour le 6 mai»), cela prend du temps. Parfois autant que d’écrire un article. Un article avec des «bons liens» = 10 ou plus contenus intéressants potentiels à portée de clic pour le lecteur.

Nombreux sont les sites d’informations qui pratiquent l’agrégation de liens comme sport national – dès le lancement du Drudge Report, en 1994, cela était déjà le cas. Ce «sport», Le Huffington Post le revendique, en se voulant une «combinaison de reportages originaux, commentaires, blogueurs, et… d’agrégation». Il s’agit de donner à voir «le meilleur du Web, pas ce que l’on produit, mais ce que les autres produisent», a insisté  la fondatrice Arianna Huffington, lors de la conférence de presse.

Les liens automatiques

Sauf que…. les liens repérés dans les articles ne sont pas tous le fruit d’une recherche fouillée du journaliste. Certains sont des liens automatiques qui s’ajoutent sur des mots, au fil de l’écriture, comme c’est le cas sur le site du Christian Science Monitor. Cette publication utilise en effet, selon Poynter, un programme informatique qui insère des liens sur, par exemple, les termes Harvard et Twitter pour y lier de vieux articles du Christian Science Monitor. Mauvaise idée? Pour le référencement de la page et du site, non. Pour la progression de l’audience, priée de rester cantonnée à l’intérieur de ce même site, idem. Mais c’est le niveau 0 du journalisme en ligne.

Entre le trop et le pas assez

En outre, à partir de combien de liens estime-t-on qu’il y a trop de liens? Cela freine-t-il la lecture, voire la décourage? La réponse n’est pas écrite. Entre le trop et le pas assez, «il y a un équilibre à trouver pour les rédactions en ligne», reprend Justin Martin, de Poynter. «Offrir trop de liens peut conduire les lecteurs à s’interroger sur l’intégrité des références. Les ensevelir sous des liens qui ne ramènent qu’à son propre contenu est preuve d’amateurisme, et peut frustrer les consommateurs d’informations».

Aux étudiants de l’Ecole de journalisme de Sciences Po, à qui l’on enseigne comment éditer en ligne, on suggère de trouver un «bon lien» par paragraphe. La règle n’est pas figée, il s’agit avant tout de donner un repère.

Sur une seule page article de Le Huffington Post, il y a près de 100 liens. Sur les mots ou phrases écrits dans les articles, mais aussi sur l’auteur de l’article, dont on peut suivre l’activité journalistique sur Facebook et Twitter, et sur les utilisateurs du site, parmi lesquels nos amis, dont on voit ce qu’ils lisent et ce qu’ils commentent. Résultat, des contenus remontent par la mécanique de la recommandation sociale (je lis ce que mes amis lisent).

Le lien, enjeu économique

C’est le principe d’utilité du réseau, mentionné dans Une Presse sans Gutenberg, de Bruno Patino et Jean-François Fogel (éd. Grasset) et théorisé par Robert Metcalfe, l’inventeur de l’Ethernet: «L’utilité d’un réseau est proportionnelle au carré du nombre de ses utilisateurs».

Sous ses airs de ne pas y toucher, le lien est devenu une denrée en or dans des espaces où l’on joue à saute-mouton entre les différentes informations. D’après une étude menée par Borchuluun Yadamsuren, une post-doctorante de l’Université de Missouri, aux Etats-Unis, nombreux sont ceux qui s’informent sans même le vouloir, juste parce qu’un lien vers une information traînait sur leur chemin en ligne. Un lien, et qui plus est un titre, qui a retenu leur attention, pendant qu’ils faisaient une requête sur Google, lisaient leurs emails, ou  sur les réseaux sociaux. Ce sont les informations qui trouvent les lecteurs, plutôt que l’inverse.

«Le lien est au coeur de notre stratégie», m’explique Julien Codorniou, de Facebook. «Facebook, comme Twitter, s’apparentent à des lieux de découverte qui mènent à d’autres endroits où consommer de l’information».

Reliés par le lien

Bref, le lien, c’est un peu l’appel du maître de maison pour passer à table. Autour de cette table, qui désigne le lieu où l’on consomme des informations, il y aurait, pour adapter la terminologie de la chercheuse Yadamsuren, quatre types de publics:

  1. les affamés, qui se connectent aux sites d’actualité plusieurs fois par jour, sciemment.
  2. ceux qui sont au régime et évitent de se rendre sur des sites d’infos, parce qu’ils n’ont pas confiance.
  3. les hôtes, qui n’ont «pas d’habitude ancrée, et ne cherchent ni à s’informer ni à éviter de s’informer. Ils savent que si une information importante survient, ils l’apprendront».
  4. les amateurs de grande tablée, qui «font confiance à leurs amis pour repérer une information qui vaudrait le coup d’oeil plutôt qu’à la hiérarchie des journalistes».

Tous réunis par le sacro-saint pouvoir du lien…

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Alice Antheaume

7 commentaires pour “Trop de liens tuent-ils le lien?”

  1. Bonjour,
    Concernant la terminologie des différents publics, je me situerai pour ma part entre les 3 premiers points.
    Affamé, mes flux RSS sont là pour me prévenir,
    Au régime, je vais rarement sur les sites d’informations, toujours grâce ou à cause du RSS,
    Un hôte, je lâche certaines infos pour me concentrer sur celles qui m’intéresse vraiment

    Je dévie un peu du sujet. Je suis l’actualité de mes sites par RSS. Seulement, la mise en page étant extrêmement sommaire (que du texte brut, de rares photos), je ne vois rien des « liens de recommandations » ou autres « suggestions de mes amis »… Les seuls liens que je lis (et que je clique) sont ceux de l’article même.

    Cet article m’a interpellé. Je suis lecteur de votre blog depuis plus d’un an (c’est mon premier commentaire). WIP, je le lis via mon Google Reader et l’application Flipboard. Me considérant comme lecteur fidèle, je reste néanmoins totalement à côté des différentes stratégies journalistiques pour garder le lecteur.

    J’ai cherché en vain sur WIP un article traitant des flux RSS et pouvant répondre à ma question : suis-je un lecteur (client) intéressant ou qualitatif pour un journal ? Ou plus précisément, les flux RSS sont-ils étudiés par les journaux ? Je ne vois aucune pub, aucun lien de recommandations, participe peu aux commentaires, mais lis les articles quand même…

  2. […] W.I.P. (Work In Progress) » Trop de liens tuent-ils le lien? Regardons la colonne centrale de Le Huffington Post , lancé lundi 23 janvier en France. Elle comporte des liens, dès la page d’accueil, vers des actualités issues d’autres médias (voir ci-dessous). Comme ce contenu sur Jean-Claude Trichet remplaçant d’Arnaud Lagardère chez EADS, pointant sur lesechos.fr . Ou ce zoom sur trois projets de François Hollande, à lire sur lemonde.fr (le groupe Le Monde est actionnaire à 34% du projet Huffington Post en France). […]

  3. Dans l’économie réelle, un bien a d’autant moins de valeur qu’il est partagé; Dans l’économie virtuelle c’est l’inverse : un bien a d’autant PLUS de valeur qu’il est partagé.

    Dans l’économie réelle, l’échange est source de création de valeur et l’agent de l’échange est l’argent. Dans l’économie virtuelle, cet agent d’échange et donc de création de valeur est le lien hypertexte.

    Le coeur de la valeur du web est le lien hypertexte. La raison d’être du web est le partage et son agent est le lien hypertexte. En agrégeant du lien, Twitter centralise ces liens et crée de la valeur pour les utilisateurs. C’est ce qui permet de localiser du contenu grâce à des personnes et localiser des experts grâce à du contenu.

    Du coup je crains que votre billet en réduisant internet à une bibliothèque numérique publiant du contenu sec et non activable perde complètement sa dimension principale : son hypertextualité.

  4. Thank you for referencing my article about the “overlinkification” of Twitter! I can totally agree with you here, that the effect of overlinkification expands beyond Twitter, and includes news sites as well. Nice job!

  5. […] Canal+ des chaînes Bolloré, avant qu’elle n’ait été annoncée en interne. Enfin, pas de lien vers l’extérieur – on reste dans l’univers Canal+, un point c’est […]

  6. […] mais aussi les contenus journalistiques? Y a-t-il trop de liens sur les sites d’informations?Via blog.slate.fr Share this:J'aimeJ'aime  Catégories Bibliothèque – […]

  7. Plus vous donnez le choix, plus ce choix est difficile. Un lien par paragraphe n’a pas beaucoup de sens. Tout dépend de l’article. Aussi, plus vous chargez le contenu en liens, moins il y a de sélection et donc de pertinence. Après, l’auteur se verra tiré l’oreille par le responsable en référencement s’il n’en met pas assez car il y a lieu de considérer les internautes mais aussi les robots. Les liens sont multiples et prennent de nombreuses formes. Difficile de les mettre tous dans un même panier. Ensuite, ils apparaissent à des endroits différents. Un article fouillé peut contenir un encart (généralement placé à droite) avec les ressources vers d’autres sites pour éviter de charger le contenu. Cela permet également d’optimiser l’attention de l’internaute sur le message et de prolonger sa réflexion a posteriori s’il le juge utile. Il y a beaucoup de choses à dire sur le lien, surtout en termes d’ergonomie.

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