Premières leçons de code

«Ici, c’est un camp d’entraînement, c’est militaire, donc on ne laisse personne derrière». C’est par cette phrase qu’a commencé mon séjour à l’école de journalisme de Chapel Hill, en Caroline du Nord, aux Etats-Unis. Un séjour dénommé «multimedia bootcamp» au cours duquel une vingtaine de professionnels se sont exercés pendant une semaine intensive au «visual storytelling» à l’américaine en produisant vidéos et animations.

A priori, nul besoin de traverser l’Atlantique pour apprendre à maîtriser les logiciels Flash et Final Cut Pro. Sauf que, à Chapel Hill, considérée comme l’une des meilleures écoles du monde en matière d’animations, la méthode est, dit-on, exceptionnelle. Cette Université a formé des infographistes que s’arrachent les sites d’informations américains, dont Gabriel Dance, journaliste multimédia pour le New York Times des années durant, qui travaille désormais pour The Daily, l’application iPad de Rupert Murdoch.

A voir le programme du «bootcamp» (1 jour de reportage sur le terrain, 2 jours de Final Cut Pro, 2 jours de Flash), je me demande de prime abord comment, en cinq jours, un être normalement constitué peut emmagasiner toutes ces fonctionnalités en partant parfois de… zéro. «D’ici la fin du bootcamp, vous saurez produire des animations et serez initiés aux bases d’ActionScript pour un usage journalistique», rassure Don Wittekind, directeur du programme. «C’est garanti». ActionScript, c’est le «langage de programmation» utilisé pour Flash. C’est donc du «code», mais pas le même que le HTML.

>> Petite parenthèse pour ceux qui n’ont jamais vu un bout de code HTML >>

Pour comprendre ce que c’est, allons par exemple sur YouTube. Quand vous cliquez sous une vidéo sur le bouton «partager» puis sur «intégrer», apparaît cela:
<iframe width=”560″ height=”349″ src=”http://www.youtube.com/embed/rwoGa6LB3s0″ frameborder=”0″ allowfullscreen></iframe>

Ce code signifie, en bon français, «fais apparaître sur une page Web un cadre dans lequel on verra la vidéo de largeur 560 pixels et de hauteur 349 pixels, visible à l’adresse url http://www.youtube.com/embed/rwoGa6LB3s0 et permets à l’internaute de la voir en grand écran».

>> Vous avez pris votre première leçon de code HTML. Fin de la parenthèse >>

Faut-il vraiment que les journalistes (et les étudiants en journalisme a fortiori) apprennent à coder? Faut-il qu’ils embrasent ce qui, jusque là, était réservé aux développeurs? Le débat fait rage depuis des années, comme l’a rappelé Ryan Tate sur Gawker: «pour publier sur un blog, un professionnel sait utiliser Photoshop, enregistrer une vidéo, l’éditer, la publier, la podcaster, etc. Coder est la suite logique de cette tendance» à devenir des journalistes multi-tâches.

Une nouvelle corde à l’arc journalistique

Alors oui, il faut donner des cours sur les nouvelles écritures et les langages de programmation, répondent nombre d’écoles de journalisme américaines, dont celle de Chapel Hill et de la Columbia. «Je pense qu’il faut absolument que l’enseignement des animations fasse partie des options possibles pour les étudiants en journalisme», m’explique Scott Horner, directeur exécutif de la société Swarm Interactive et enseignant du cours d’animation pendant le «bootcamp». «Tous n’ont pas le tempérament ou le désir de développer des graphiques interactifs. De même, tous n’ont pas envie d’être des experts de bases de données. Néanmoins, que les écoles y donnent accès montre aux étudiants que ces formats sont des formes éditoriales valables pour le monde du journalisme, ce qu’il doivent — c’est bien le moindre — comprendre.»

A l’Ecole de journalisme de Sciences Po, la demande de la part des étudiants est grande: ils souhaitent avoir la main sur leur production éditoriale de A à Z, y compris quand c’est du flash, et ce, même si ce format n’est pas lisible sur certains terminaux Apple. Ils veulent – et c’est fondé – se sentir libres en maîtrisant la technique, plutôt que l’inverse.

Penser en fonction de deux casquettes

Apprendre à coder – même sans devenir un spécialiste du genre, ça sert, pour un journaliste, à «distribuer» l’information de la meilleure façon possible, lit-on dans cet article du Guardian. Et à «penser» selon deux approches: la forme ET le fond, les interfaces ET les contenus. En effet, comment, en ligne ou sur mobile, concevoir le meilleur format éditorial possible si l’on ne sait pas ce qu’il est possible de faire ou pas, techniquement parlant? Appréhender les bases du code, c’est enfin «saisir les forces et les faiblesses de toutes les méthodes pour raconter une histoire», estime Scott Horner. «Face à une information, tous les journalistes doivent être capables de dire si cette information sera plus parlante pour le lecteur en étant racontée sous la forme d’un texte, d’une vidéo, de photos, d’une carte ou d’un graphique interactif».

«Pour moi, c’est une simple question d’efficacité, explique Rebekah Monson, une ancienne étudiante en journalisme. Plus vite on peut trouver un format à un contenu, plus vite ce contenu sera disponible pour le public.»

La méthode d’apprentissage de l’animation pour journalistes, telle qu’observée à Chapel Hill, va dans le détail du langage, mais elle ne perd jamais de vue deux principes simples:

1. Considérer la technique comme un outil, pas une fin en soi.

«Le plus important, c’est le storytelling», martèlent les professeurs de Chapel Hill, «et cela ne change pas avec le multimédia». En vidéo, en flash, en texte, en photos, qu’importe, rien ne sera journalistiquement valable s’il n’y a pas une histoire forte à raconter.

Et pour avoir une bonne histoire, il faut la construire en trouvant un «héros», le personnage principal de l’histoire, qui va incarner l’information, et le «méchant», qu’il s’agisse d’un humain ou d’un élément contre qui le «héros» doit se battre. «Trop souvent, quand une information concerne une société, les journalistes montrent des plans du logo de l’entreprise, mais ils oublient de connecter l’information de ladite société à l’histoire d’un homme, or c’est cela qui donnerait de la force à l’histoire», regrettent les enseignants de Chapel Hill.

2. Veiller à l’efficacité de l’interface.

Les animations qui partent dans tous les sens, cela fait peut-être de l’effet, mais cela ne sert à rien. La priorité, c’est de concevoir une navigation simple et intuitive pour l’utilisateur. Le but: qu’il trouve ce qui l’intéresse quasi immédiatement. C’est ce que les Anglo-saxons appellent la «usability», la facilité d’utilisation en français.

Parmi les règles de base, il faut faire en sorte que ce qui est cliquable se voit à l’oeil nu, que des boutons avant et arrière soient toujours à portée de clic, que l’information soit immédiatement compréhensible, et pas noyée sous une multitude de gadgets. Et non, ce n’est pas simple comme bonjour à faire.

Désormais, il ne suffit plus de savoir utiliser les réseaux sociaux pour y trouver des informations, il faut encore savoir trouver l’angle pour une information, mais aussi le format le plus adapté à cet angle.

Pour Scott Hurner, cela correspond à un mouvement de fond. «Le journalisme côtoie la technologie depuis un bon moment, depuis l’imprimerie, déjà», rappelle-t-il. «Puis, dans les années 1980, avec l’essor des Mac, les graphistes se mettent à créer des infographies et s’affirment journalistes. Dans les années 1990, les spécialistes de bases de données portent de plus en plus le chapeau de journaliste (comme Sarah Hinman, directrice du pôle «recherche d’infos» à Times Union dont j’ai fait le portrait dans un précédent WIP). Depuis les années 1990, les journalistes sachant coder ont commencé à se servir de ces outils pour faire de l’information autrement.» Et ce n’est que le début.

Pensez-vous qu’un bon journaliste, en 2011, doit savoir utiliser du code mais aussi en connaître les bases? Seriez-vous prêt à apprendre? Et n’oubliez pas de liker cet article, merci!

Alice Antheaume

7 commentaires pour “Premières leçons de code”

  1. […] Slate.fr […]

  2. Attention aux amalgames, l’actionscript n’a rien à voir avec le code HTML …

  3. Bonjour Alice,
    très bon article, comme d’hab.

    Oui, les journalistes doivent comprendre comment fonctionnent le code. Au même titre qu’un journaliste télé doit apprendre à monter, pour mieux l’oublier ensuite.

    Mais connaitre le potentiel des outils de publication, c’est le coeur.

    Ceci dit, outre des formation “one shot” comme celle décrite dans l’article, ce qui est important, c’est la discussion au quotidien. Et ça, cela n’est possible qu’en ouvrant les rédactions aux autres métiers. La présence de designers et de développeurs lors des conférences de rédaction est quelque chose auquel je crois beaucoup – et nous le poussons lors de nos interventions.

  4. Très intéressant, pour information,
    quel est le prix de cette formation??

  5. Je ne suis qu’un commentateur lambda, pas du monde des médias, mais une question a posé aux “vieux”

    Ont-ils appris les bases de la typographie, de l’impression offset, de la PAO ?

    Il me semble que connaitre la base de l’outil ne serait-ce que pour pouvoir parler la langue de l’équipe technique est un minimum, ne serait-ce que pour décrire ce que l’on veut de manière éfficace, et en connaissant les limites techniques.
    De toute façon, l’informatique et la réduction des couts, font que l’on devient plus polyvalent.

    Mon grand père ingénieur avait un assistant qui lui dessinait les plans, désormais la même personne fait tout devant son ordinateur

  6. Bonjour Alice, ce débat est plus que jamais d’actualité et oui les journalistes doivent désormais “manger du code” comme l’expliquait en décembre dernier Jean-Marc Manach à l’occasion du 1er Obsweb de l’université de Metz. Où depuis 2 ans, dans la cadre de la nouvelle licence pro “journalisme et médias numériques”, nos étudiants, en sus des traditionnels cours de journalisme apprennent les bases du code et du flash et leurs utilisations les plus pertinentes.
    “Vieux journaliste” de 43 ans, je pratique le code très régulièrement pour l’intégration par exemple de player externe, de coveritlive ou de fil twitter dédiés à la couverture d’évènements ciblés sur le site internet de France 3 Lorraine. Et je suis convaincu que pour les journalistes (mais pas seulement…) de ma génération, le code est désormais un passage obligé.

    Bon courage pour cette expérience.

  7. usability = ergonomie
    ergonome, graphiste, webdesigner, développeur. ça en fait des métiers. on pourrait ajouter intégrateur, référenceur, architecte, hébergeur,…
    Comme de nombreux métiers (marketing, commerce, gestionnaire de site) le + important est de pouvoir discuter avec ces acteurs de la création numérique pour appréhender les contraintes au quotidien.
    Connaitre les bases ? oui donc pour “discuter”.
    Savoir utiliser du code ? normalement non, mais tout dépend de la maturité de la plate forme de publication de contenus. Si elle ne tolère pas l’intégration riche de contenus, il faut souvent se débrouiller manuellement… c’est-à-dire coder.

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