Anniversaire

Qu’il est regrettable pour les étrangers s’intéressant à la Corée, que le principal journal anglophone du pays, le Korea Herald, soit d’un niveau encore plus médiocre que la plupart des médias en langue coréenne, dont la qualité laisse déjà à désirer.

Alors qu’on pensait avoir été abreuvé des moindres détails de l’anniversaire de Lee Keun-hee, chairman du groupe Samsung, fêté en grande pompe au Shilla hotel, propriété du groupe et dirigé par Lee Boo-jin, fille aînée du chairman, le Korea Herald n’en a visiblement pas eu assez et nous rapporte dans un article en page d’accueil de son site web des compléments d’informations précieux : le lendemain de cette fête d’anniversaire réussie et avant la fermeture temporaire de l’hôtel pour cause de travaux de rénovation, la fille du patron de ce conglomérat qui contrôle 20% du PIB coréen aurait réuni tout le personnel de l’hôtel et leur aurait offert un repas où pour une fois, les managers de l’hôtel faisaient le service pour le petit personnel.

Sans oublier de louer les talents de management de Lee Boo-jin, et de préciser que pendant les travaux, aucun personnel de l’hôtel ne sera mis à la porte, le journal rapporte que celle-ci aurait été émue jusqu’aux larmes, reconnaissante de la dévotion et des efforts de son personnel. Bref, nous ne pouvons nous empêcher d’être nous-mêmes gagnés par l’émotion devant tant de grandeur d’âme et d’humanité dont fait preuve le management de l’hôtel (donc de Samsung) et nous imaginons que c’est parce que toute la rédaction du Korea Herald fut tétanisée par l’émotion qu’il aura fallu mobiliser deux journalistes pour pondre ce qui doit être un copier-coller intégral des paroles d’un responsable de la communication de l’hôtel.

Si cet article a une vertu, c’est qu’il permet aux non coréanophones d’avoir un aperçu de la déférence avec laquelle la plupart des médias traitent les Chaebols et le groupe Samsung en particulier. Car dans un contexte de prise de conscience générale de la domination excessive des Chaebols sur l’économie coréenne, si vraiment on voulait traiter ce quasi-non-événement que constitue l’anniversaire du patron de Samsung ou des travaux que l’hotel dirigé par sa fille aînée est sur le point d’entamer, il y aurait mille et un angles beaucoup plus intéressants de le faire que celui de s’extasier devant la magnanimité des dirigeants de Samsung, à commencer par celui du coût d’une telle fête privée ou encore de l’identité de celui qui paiera l’addition.

Cet anniversaire de l’homme le plus puissant de Corée du Sud aurait pu être également l’occasion de se demander pourquoi 50% de l’économie coréenne et plus de 80% de ses exportations sont entre les mains d’une dizaine de groupes, eux-mêmes contrôlés par des familles qui se transmettent le pouvoir depuis trois générations grâce à des schémas opaques de participations croisées.

Non pas qu’il faille poser un regard inquisiteur sur tous les faits et gestes de familles, aussi puissantes soient elles, dans leurs sphères privées ou les soupçonner systématiquement d’être mal intentionnées. Mais au moins, faire preuve de vigilance et d’esprit critique lorsqu’on choisit d’en parler. Car à force de faire passer docilement tous les messages que les dynasties régnant sur l’économie sud-coréenne souhaiteraient voir diffusés pour soigner leurs images, le Sud se retrouverait rapidement avec une presse digne de celle du Nord.

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Crise? Quelle crise?

Chez Samsung on ne connait pas la crise, ou plutôt on profite de la crise pour écraser la concurrence dans les nombreux secteurs d’activité où ce conglomérat tentaculaire est présent.

Le groupe a ainsi annoncé un plan d’investissement record de près de 33 milliards d’Euro pour l’année 2012, ce qui représente une hausse de 12% par rapport à  l’année précédente. De ce montant record, 20 milliards environ seront consacrés à la construction d’équipements et installations, 8 milliards à la recherche et développement, le solde, 5 milliards d’Euro tout de même, étant dévoué à des investissements en capital. Pas étonnant dans ce contexte que la filiale du groupe Samsung Electronics soit associée à pratiquement toutes les rumeurs de rachats  dans le secteur électronique, qu’il s’agisse d’Olympus, ou de RIM le fabricant des smartphones Blackberry.

Aussi impressionnant que son plan d’investissement, voire plus vu de contrées à fort taux de chômage: le plan d’embauche du groupe pour cette année qui prévoit une augmentation de plus de 10% de ses effectifs grâce au recrutement de quelques 26 000 nouveaux salariés, dont 9000 jeunes diplômés et 9000 niveau bac.

La raison de tout ce branle-bas de combat ? Détecter et investir maintenant dans les leviers de croissances de demain, tout en contribuant au soutien de l’économie coréenne en ces temps de crise. Un discours qui me rappelle une discussion avec un Vice-Président d’une branche de Samsung qui me racontait qu’il avait sous ses ordres 2000 collaborateurs, deux fois plus en comptant ceux de ses sous-traitants, et qu’en rajoutant l’ensemble de leurs familles, c’était 200 000 personnes qu’il faisait vivre. “Un mauvais choix de ma part, et c’est 200 000 personnes qui peuvent se retrouver au chômage, c’est pourquoi je ne m’accorde que deux demi-journées de repos par mois.”

Ce monsieur a dû oublier que personne n’est irremplaçable, surtout dans un grand groupe comme Samsung. Je ne suis pas certain non plus que les millions que ce VP gagne ne soient en rien dans sa motivation au travail. Surtout, son argumentaire, comme celui du groupe pour annoncer son plan d’investissement massif, sont des exemples typiques de la communication corporate de Samsung: ce qui est bon pour Samsung est bon pour la Corée tout entière. Un message qui se veut socialement responsable, qui s’appuie sur une réalité économique, le Groupe Samsung représente 20% du PIB de la Corée, mais qui peut également représenter une forme de dissuasion contre toute critique du groupe. Car les motifs pour se plaindre de ce groupe existent largement. Samsung est ainsi l’une des six entreprises nominées pour être la pire de l’année en matière de responsabilité sociale par l’ONG Public Eye, au motif que le groupe aurait utilisé des produits toxiques sans en informer ses salariés, entraînant cancers et décès de plusieurs d’entre eux.

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Batterie à plat

C’est en étant confronté aux problèmes de la vie courante qu’on en apprend le plus sur le lieu où l’on vit: en l’occurrence, une batterie de voiture à plat pour avoir laissé les veilleuses allumées toute une journée. Il est 23h, le parking sous-terrain est vide, et j’ai tout sauf envie de m’aventurer dans la quête d’une nouvelle batterie à cette heure tardive après une journée de travail. Je fais alors comme j’aurais fait à Paris, et je cherche quelque part dans la boite à gants ce porte-documents contenant tous les papiers relatifs à la voiture, l’objectif étant de trouver un équivalent de Renault Assistance à qui j’avais fait appel une fois à Paris dans de telles circonstances.

C’est là que je tombe sur ce qui semble être le début d’une solution à mon problème: une carte de visite avec le logo de la filiale assurance du groupe Samsung. J’ai dû faire comme des milliers d’autres Coréens et choisir cette marque tentaculaire comme assureur.

J’appelle donc le numéro qui figure sur la carte et tombe… sur un répondeur qui m’annonce que malheureusement, tous les assistants sont occupés et que je vais être mis en relation avec un serveur vocal pour répondre à ma demande. Je n’ai pas encore beaucoup d’expérience de serveurs vocaux coréens, mais s’ils ressemblent à leurs cousins français, je sens que je vais prendre directement un taxi pour éviter de perdre encore plus de temps.

– “Veuillez saisir votre numéro d’identification nationale puis appuyez sur dièse…” Je mets un peu de temps pour chercher mon “alien registration number” que l’on m’a attribué au moment de me délivrer mon visa longue durée et qui figure sur ma carte de séjour, mais je suis déjà soulagé qu’on ne me demande pas un numéro client qui figurerait sur le courrier de bienvenue que j’aurais jeté il y a des mois.

– “Si vous venez d’avoir un accident appuyez sur la touche 1, si vous êtes en panne appuyez sur la touche 2…” je n’attends pas la suite du menu vocal et presse la touche 2 de mon téléphone.

– “Si vous êtes en panne de batterie, appuyez sur la touche 1…” Tiens, cette déconvenue n’arriverait donc pas qu’à moi? Pensé-je en pressant la touche 1 de mon téléphone…

– “Si vous souhaitez être geolocalisé appuyez sur la touche 1…” Oui! Oui! Faites donc m’exclamé-je en pressant encore une fois la touche 1, surtout que les adresses à Seoul permettent peut-être aux lettres d’arriver à bon port, mais surtout pas aux gens de s’orienter.

– “Un dépanneur est en route et vous rappellera à ce numéro une fois arrivé à proximité. Merci de votre appel, blablabla.”

J’ai à peine le temps d’ouvrir le capot de ma voiture et de repérer la batterie que mon téléphone sonne. J’indique alors au dépanneur le nom du parking en précisant qu’il se situe derrière tel grand hôtel au niveau de tel carrefour. Il était en fait déjà au coin de la rue et nous raccrochons alors que je le vois s’approcher dans une voiture arborant fièrement la devise “Samsung Anycar”.

Un grand bonjour suffira en guise d’échanges d’amabilité, on devine que le bonhomme a une longue liste de patients. Il ouvre le coffre de sa voiture (de marque Renault Samsung) où se trouve une batterie secondaire d’où partent deux cables qu’il ne reste plus qu’à relier à ma batterie. Je mets le contact et le moteur démarre à mon grand soulagement.

– “Combien vous dois-je?”

-“Rien du tout, c’est compris dans votre forfait.”

Il me salue une dernière fois, et repart aussi vite qu’il est venu.

Et voilà comment on règle en moins de 20 minutes un problème de batterie à plat en Corée du Sud.

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L’histoire de Samsung (partie 2/2): la République de Samsung

Stand Samsung au CES 2010 (cc: joanna8555)

Stand Samsung au CES 2010 (photo cc: joanna8555)

 

 

 

 

 

 

Imaginons un instant qu’en France, Danone, Lagardère, Vivendi et BNP Paribas soient entre les mains d’une même famille, l’un dirigé par le frère de celui qui dirige l’autre, lui-même neveu du président du troisième, etc. Imaginons le poids d’une telle coalition d’annonceurs sur les médias, ou l’influence que pourrait avoir le soutien de ce groupement de mastodontes sur la vie politique. Bien sûr on pourrait arguer que même en France, les intérêts du Medef sont bien représentés lors d’élections, mais imaginons la puissance d’une famille qui détiendrait quelques uns des plus beaux fleurons du CAC 40. Vous mesurerez alors pourquoi les Coréens appellent parfois leur pays  « la République de Samsung ».


Lorsqu’en 2007 Apple dévoile son iPhone, tous les fabricants de téléphones mobiles sont pris de court, Samsung compris. L’iPhone commence alors son déploiement systématique à l’international si bien qu’au début 2009 il est en vente à peu près partout dans le monde, excepté quelques pays sous-développés… et la Corée du Sud, pays ayant sûrement le plus d’appétit au monde pour les gadgets IT. La cause du retard ? Une réglementation coréenne obligeant les fabricants de smartphones à offrir un système d’exploitation compatible avec le standard local WIPI. En clair, la nécessité de développer un nouveau logiciel spécifique à la Corée, une corvée à laquelle ni Apple, ni RIM, la société fabricant les Blackberry ne s’emploiera.


Cette obligation disparaît en 2009 et les Coréens découvriront le iPhone avec deux ans de retard sur le reste du monde. Le WIPI disparaît mais les tracasseries administratives subsistent pour Apple et KT, l’opérateur mobile partenaire, entre convocations devant commissions parlementaires enquêtant sur son service après-vente ou lenteur administrative à délivrer les autorisations : l’Iphone 4 sort lui aussi avec quelques mois de retard sur les autres pays, en septembre 2010, soit deux mois après le lancement du Samsung Galaxy S en Corée. L’iPad sortira plus tard encore, à Noël 2010, alors qu’il est disponible depuis mai 2010 en France.


Bien entendu il n’est prouvé à aucun moment que Samsung soit intervenu pour mettre des bâtons administratifs dans les roues de son concurrent américain. Mais dans un contexte où l’évolution du chiffre d’affaires d’un groupe impacte aussi significativement la situation économique d’un pays entier, ne peut-on pas imaginer que la défense des intérêts de ce groupe devienne cause nationale ?


Il ne s’agit pas uniquement de parts de marché ou de croissance du chiffre d’affaires, mais du poids de ce groupe dans la vie sociale et politique du pays. Car quel média pourrait se mettre à dos un tel hyper-annonceur ? Quel homme politique pourrait s’opposer ouvertement aux intérêts d’un tel géant ?


En 1997, Kim Young-chul, jeune procureur brillant et auréolé pour avoir obtenu la condamnation de l’ancien dictateur Chun Doo-hwan pour corruption, tape dans l’œil du groupe Samsung qui le recrute pour en faire son directeur juridique. Sept ans plus tard, Kim en démissionne, écœuré par les pratiques illégales et non éthiques dont il prétend avoir été le témoin, voire même l’acteur. En 2007 sort son livre témoignage (‘Thinking Samsung’) où il raconte ce qu’est selon lui la face cachée de Samsung. Il accuse notamment le chairman de Samsung Lee Kun-hee et ses lieutenants d’avoir mis de côté l’équivalent de 215 millions de dollars dans des caisses noires. Il accuse également le Groupe d’avoir falsifié certains aspects de sa comptabilité et corrompu une série d’hommes politiques et de magistrats pour obtenir leur silence dans le transfert d’actions à prix avantageux au profit de Lee Jae-yong, fils de Lee Kun-hee, afin de préparer sa succession. Il va même jusqu’à livrer la liste de quelques-uns des magistrats que lui même aurait directement acheté.


A la sortie du livre… Rien. Aucun média ne juge digne d’intérêt ces révélations mettant en cause l’homme le plus riche de Corée dans une affaire de caisses noires de plusieurs centaines de millions de dollars. Aucun article, aucun reportage ne sera consacré à ce livre qui passe inaperçu et il faut attendre le bouche à oreille des lecteurs au travers des Twitter, Facebook et autres médias sociaux locaux, puis la sollicitation de la presse internationale pour que l’opinion publique s’en empare.


Les réactions à ces révélations sont à la mesure de la relation passionnelle que vivent les Coréens avec Samsung, tantôt honnie, tantôt célébrée. L’opinion publique se scinde en deux avec d’une part ceux pour qui Kim Young-chul n’est qu’un traitre crachant sur la main qui l’a nourri pendant dix ans. Dans une société profondément confucéenne, où l’on doit respect et fidélité inconditionnelle à ceux qui nous ont fait grandir, parents, professeurs, et dans une plus large mesure l’entreprise, Samsung apparaît pour certains comme le père que l’un des fils aurait trahi dans l’ingratitude la plus totale. D’autant que la culture de Samsung imprimé par son fondateur impose un contrat moral aux collaborateurs à qui on exige un dévouement sans borne et une fidélité absolue au groupe, en échange des meilleures conditions matérielles de travail du pays, en plus du prestige d’appartenir au fleuron du capitalisme coréen.


Pour d’autres Kim pourrait être l’un des héros d’un roman de Grisham. Avocat dont le sens de l’éthique triomphant n’a d’égal que son courage de se dresser seul contre la toute puissante organisation. Les partisans de l’avocat pointent du doigt Samsung, mais s’interrogent surtout sur l’état de l’indépendance de la classe politique, des médias et de la justice face aux intérêts d’un groupe aussi puissant. Groupe qui nie catégoriquement et en bloc toutes les accusations dont il fait l’objet, qualifiant le livre de Kim Young-chul de pure fiction, puis se contente d’ignorer royalement son ancien directeur juridique.


La justice se penche sur l’affaire et à l’issue d’une enquête hautement médiatisée condamne Lee Kun-hee à trois ans de prisons avec sursis pour fraude fiscale. Mais il sera lavé des accusations de corruption pour faute de preuve. Au printemps 2008, Lee Kun-hee endosse la responsabilité des sujets dont il est reconnu coupable et annonce sa démission du poste de Chairman de Samsung.


Le pot de terre aurait-il éraflé le pot de fer ? A peine : fin 2009, le Président de la République Lee Myung-bak, gracie Lee Kun-hee (aucun lien de parenté entre les deux Lee) au prétexte qu’il est également membre du Comité Olympique et invoquant le rôle majeur que celui-ci pourrait jouer dans la candidature de la ville de Pyeongchang pour les Jeux Olympiques d’hiver de 2018. En fait, le Comité Olympique suspendra la participation de celui-ci aux commissions pour 5 ans, mais qu’à cela ne tienne, cette parenthèse douloureuse pour le groupe se referme lorsque Lee Kun-hee annonce en mars 2010 son retour au poste de Chairman du Groupe Samsung.


Kim, Young-chul, quant à lui vit reclus à la campagne. Il a certes gagné en notoriété, il compte certes de fervents partisans, mais il semble à jamais banni des cercles d’influence dont il fut autrefois l’un des membres éminents.


Il serait excessif d’avoir une lecture trop manichéenne de ces événements et de se persuader d’un Samsung totalitaire, faisant activement pression sur tous les décideurs politiques et économiques de la Corée pour préserver ses intérêts. Les choses ne se passent sûrement pas aussi grossièrement. Le problème ne réside d’ailleurs pas dans les préméditations supposées de Samsung, mais dans les excès qui émergent automatiquement d’une situation où un seul groupe, voire une seule famille, contrôle à ce point les richesses économiques d’un même pays. Face à une situation où tout le pays sombrerait s’il advenait un malheur à ce groupe, comment ne pas voir la convergence entre les intérêts privés de ce groupe et les intérêts publics, qu’ils soient gérés par des gouvernement de droite ou de gauche ?


Samsung poursuit donc sa route du succès permettant à la Corée de poursuivre sa propre route de la croissance (6,1% en 2010). Lee Kun-hee continue de préparer sa succession au profit de son fils Lee Jae-yong. C’est en tout cas la lecture qu’on peut faire de la nomination fin 2010 de Lee Junior au titre de « President » de Samsung Electronics, rejoignant ainsi le cercle très prisé des 17 autres Présidents de l’entreprise.


Mais la famille regorge de talents et d’ambitions et la nomination de l’une des filles de Lee Kun-hee au poste de President de Samsung Everland, une autre filiale du groupe, prête à confusion. Samsung Everland est en effet la holding de facto du groupe, dont la structure de l’actionnariat est aussi compliquée qu’un jeu de casse-tête coréen. Les médias s’interrogent donc : est-ce un leurre ? Une réelle menace pour le fils, challengé par un père exigeant et souhaitant le mettre en concurrence ? Et l’opinion publique suit les péripéties de cette dynastie, un peu par divertissement comme d’autres liraient des tabloïds, un peu également comme si leur avenir en dépendait.

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L’histoire de Samsung (partie 1/2): success story à la coréenne

samsung HQ (cc: don.lee)

Le siège social de Samsung à Seoul

Quel est le point commun entre le Burj Khalifa, tour la plus haute du monde, le iPhone, smartphone le plus populaire au monde et Piltun-B, la plus grande plateforme off-shore au monde?

La réponse: Samsung, qui est impliqué dans ces trois succès respectifs de leurs secteurs. Sa filiale BTP Samsung C&T a construit le Burj Khalifa, tout comme à peu près toutes les récentes structures qui ont à un moment détenu le record de tour la plus haute du monde (les tours Petronas et Taipei 101). S’agissant de l’iPhone, Samsung Electronics pourrait paraître comme l’un des concurrents majeurs d’Apple. Il l’est sans aucun doute, mais il est également l’un de ses partenaires stratégiques à qui Apple sous-traite un tiers des composants de l’iPhone. Cette année, Samsung prévoit un chiffre d’affaires de 7,8 milliards de dollars de sa relation avec Apple. A se demander si le management de Samsung ne souhaite pas en secret la réussite du produit concurrent. Enfin, la plateforme off-shore Piltun-B est l’oeuvre de Samsung Heavy Industries, deuxième constructeur naval au monde, dont le site de construction de Geoje peut pondre un méga tanker capable de transporter 250 000 m3 de gaz liquide pratiquement tous les mois.

Voilà où en est Samsung aujourd’hui: au sommet de la réussite quel que soit le secteur d’activité où il a choisi de s’investir; sur la plus haute marche du podium de ces grands groupes diversifiés qu’on appelle conglomérats, avec un chiffre d’affaires consolidé de 172,5 milliards de dollars en 2009, soit l’équivalent du PIB de Singapour. Fer de lance du groupe à l’étranger: Samsung Electronics, premier fabricant mondial de dalles LCD pour écrans en tous genres, premier producteur mondial de TV, leader mondial de mémoires DRAM et flash, 2ème fabricant mondial de semiconducteurs derrière Intel et de téléphones mobiles derrière Nokia. Samsung Electronics est devenu en 2009, la première entreprise IT en terme de chiffre d’affaires devant Hewlett Packard. Aujourd’hui, sa capitalisation boursière est supérieure à celles de Sony, Nokia, Toshiba et Panasonic réunis.

Si à l’étranger Samsung est surtout connu pour ses produits électroniques, en Corée cette marque est omniprésente dans tous les aspects de la vie quotidienne. C’est ainsi que les meilleurs produits d’assurance sont proposés par  Samsung Life, numéro un du secteur en Corée; les meilleurs appartements sont les résidences “Raemian” made in Samsung C&T; le plus luxueux hotel est le Shilla, propriété du groupe, tout comme le premier réseau d’agences de communication, Cheil ou le premier cabinet de conseil IT, Samsung SDS. Et la liste pourrait s’étendre presque indéfiniment: un pépin de santé? Prenez rendez-vous au Samsung Medical Center; besoin de se changer les idées dans un parc d’attraction? Bienvenu à Samsung Everland; envie de soutenir une équipe de baseball locale? Autant choisir les Samsung Lions, vainqueurs du championnat en 2002, 2005 et 2006… On comprend mieux pourquoi aujourd’hui, Samsung représente 15% du PIB coréen et près de 20% de ses exportations.

Comprendre la réussite de Samsung, c’est comprendre la réussite de la Corée, tant leurs destins sont liés. Celle de Samsung commence en 1938, dans une Corée miséreuse, occupée par le Japon Impérial depuis 1910. Lee Byung-Chull, issu d’une famille de riches propriétaires fonciers du sud de la Corée crée “Samsung Sanghoe” une entreprise de négoce et d’exportation de produits alimentaires essentiellement vers la Chine. L’homme a la fibre entrepreneuriale et malgré les périodes troubles de la Seconde Guerre Mondiale, puis de la guerre de Corée, il multiplie les affaires pour s’aventurer avec succès dans le raffinage de sucre (Cheil Jedang) et le textile (Cheil Mojik), deux produits en forte demande dans la Corée sous-développée de l’époque.

Lee Byung-Chull déclenche ainsi le cercle vertueux de ses affaires. Il faut dire que le contexte est propice: le pays a désespérément  besoin d’entrepreneurs et capitaines d’industries doués comme lui pour sortir de la pauvreté, et le pouvoir est prêt à accorder tous les privilèges à quelques pionniers de l’industrie coréenne dont Lee fait partie, au côté des fondateurs des autres conglomérats coréens en devenir tels que Hyundai, LG ou feu-Daewoo. Aucun des secteurs qu’il juge porteur ne lui échappera: textile, pétrochimie, machines-outils, construction navale, puis en 1969, la création de Samsung Electronics et la production des premières TV noir et blanc.

Jusqu’au début des années 80, Samsung n’est un géant qu’en Corée et reste pratiquement inconnu à l’étranger. Les choses changent avec le développement de Samsung Eletronics et lorsqu’en 1983, Lee Byung-Chull décide de se lancer dans la fabrication de semi-conducteurs: un risque majeur vu la taille des investissements nécessaires, mais une décision visionnaire et lumineuse tant ce composant est devenu essentiel dans l’industrie électronique. C’est l’un des tournants majeurs pour Samsung. Aujourd’hui, cette activité est devenue la vache à lait du groupe, autant qu’elle lui a permis d’acquérir un début de notoriété à l’international, grâce à ses innovations dans ce domaine à partir des années 90.

Lee Byung Chull meurt en 1987 et laisse la place à son fils, Lee Kun-Hee, le chairman actuel du groupe Samsung. Celui-ci aurait déjà fortement influencé le père dans la décision de se lancer dans les semi-conducteurs. Il continuera le développement de Samsung en digne héritier, opérant un autre tournant au milieu des années 90: ne supportant pas de voir ses produits relégués au rang de produits anonymes et bons marchés, il opère le tournant du haut de gamme en misant sur la qualité et le design, deux critères jusque là étrangers à la culture du groupe. Selon la légende, il aurait alors ordonné à ses cadres de “tout jeter à part femme et enfants”. Les forces de Samsung Electronics, notamment sa rapidité d’exécution lui permettant de sortir de nouveaux modèles de portables très design et de qualité plus vite que quiconque, trouvent leur genèse dans ce tournant.

Mais la vrai force de Samsung ne sont ni la qualité ni le design de leurs produits, c’est la capacité de Lee et de son état-major à distiller à ses troupes le sens du danger permanent. Car pour le management de Samsung, le danger est plus que jamais présent : Samsung sait peut-être mieux que quiconque sortir le concurrent le plus sérieux à l’iPhone ou à l’iPad, mais il n’est que l’un des  suiveurs à qui il manque la capacité d’innovation et de créativité du Californien, qualités indispensables pour survivre dans ce secteur au 21ème siècle. Les deux priorités actuelles de Lee sont donc le rajeunissement du management de l’entreprise et l’investissement massif dans l’innovation, pour laquelle 10,7 milliards de dollars seront consacrés cette année.

Aussi géant qu’apparaisse le groupe Samsung, il ne s’agit que d’une portion, certes majeure, de l’empire du fondateur Lee Byung-Chull, tout comme Lee Kun-hee n’est que le troisième enfant d’une famille de cinq. A l’époque de la mort du fondateur, son empire comprend également Hansol, un conglomérat à part entière présent dans les secteurs de la construction, de la chimie, du papier, ou encore du tourisme. Hansol sera légué à la fille aînée du fondateur. Il y a aussi Shinsegae, acteur majeur de la grande distribution, avec un réseau de grands magasins (Shinsegae Department Store) et d’hypermarchés (E-mart). C’est la benjamine de Lee Byung-Chull qui en prendra le contrôle jusqu’à aujourd’hui même. Il y a enfin CJ Group, dont l’ancêtre est la raffinerie de sucre (Cheil Jedang) des débuts, présent aujourd’hui dans l’agro-alimentaire, la pharmaceutique, la logistique, et les médias, notamment avec la production et la distribution de films. L’ancêtre de CJ Group fut légué au fils aîné du père fondateur, dont le propre fils est actuellement CEO du groupe.

Toutes ces entités sont théoriquement séparées depuis les années 90. Mais toutes ces entités sont réunies par des liens peut-être aussi forts que des liens capitalistiques : ceux d’une même famille dans sa conception coréenne, c’est à dire d’une cellule indivisible, réunie pour le meilleur et pour le pire. Et le pire il y’en eut également au cours de ces décennies de développement effréné.

A suivre.

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Objectif Suwon?

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Crédit photo: Krzyżówki (CC-BY-3.0)

“Si t’étais Kim Jongil tu ferais quoi maintenant?”

C’est un sujet de discussion qui revient souvent entre Séoulites en ce moment. Un peu par anxiété, mais un peu aussi parce que c’est un bon moyen de pointer du doigt les défaillances et vulnérabilités de la Corée du Sud.

L’une des options les plus débattues est celle de frapper Suwon, une ville  a priori inconnue aux yeux du monde mais qui revêt une importance stratégique pour le Sud.

D’abord, c’est une ville majeure, de plus d’un million d’habitants. Certes, mais il y en a beaucoup des villes de plus d’un millions d’habitant en Corée du Sud. Ensuite, elle est située à quelques 50 km au sud de Séoul. Là c’est déjà plus intéressant: un obus qui survole Séoul pour faire quelques morts un peu plus au sud, histoire de rappeler aux habitants de la capitale qu’ils sont aisément à portée des tirs du Nord. Certains prédisent que si un tel scénario se produisait, une panique générale s’emparerait de l’agglomération de Séoul et de ses quelques 20 millions d’habitants. Je ne suis pas loin de penser la même chose.

Enfin, Suwon ne serait pas frappée au hasard: c’est le gigantesque complexe industriel de Samsung qui s’y trouve qui serait visé et là, ça serait catastrophique. Car si dans le reste du monde, Samsung est une marque reconnue certes, mais remplaçable par Sony, Apple ou HTC, l’histoire n’est pas la même en Corée.

Ici, Samsung est irremplaçable, conglomérat monstre, occupant une position de leader dans tous les secteurs économiques qui soient. Le Groupe Samsung c’est 15% du PIB sud-coréen et plus de 20% de ses exportations. Au quotidien, ce conglomérat est tellement présent dans la vie des Coréens qu’il serait possible de vivre toute son existence en ne faisant appel qu’aux produits et services de Samsung: naître dans un hôpital Samsung, loger dans un appartement Samsung, se former au lycée puis à l’université financés par Samsung, être assuré par Samsung, rouler Samsung, manger des produits cuisinés Samsung, partir en vacances dans un hôtel de Samsung, voir des films produits par Samsung, s’habiller Samsung…

Pas étonnant que les Sud-coréens appellent parfois leur pays la République de Samsung.

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