Kimchi Chiggae

La cuisine coréenne, c’est la cuisine paysanne par excellence. N’y voyez surtout pas de connotation péjorative, car c’est comme ça que je conçois la cuisine plaisir: simple, accessible, faite de bons produits, de portions généreuses et de convivialité. Un plaisir comparable à celui que procurent ces plats canailles qu’on partage avec des amis dans un bistrot de quartier.

Au coeur de la gastronomie coréenne figure le Kimchi. Il serait trop long d’en faire une explication exhaustive mais retenons qu’il s’agit la plupart du temps de choux chinois saumurés assaisonnés de beaucoup de piments et d’ail, puis fermenté. Le Kimchi est le plat d’accompagnement de tout repas. Il serait aussi étrange d’en manquer lors d’un repas coréen, qu’il le serait de manquer de pain lors d’un repas français.

Comme tout plat fermenté, le Kimchi évolue avec le temps: au début on l’aime pour sa fraicheur et son croquant, un peu comme on apprécierait une salade, tandis qu’à un stade évolué de fermentation, on l’apprécie pour son acidité, un peu comme on apprécierait une bonne choucroute. Lorsqu’il vieillit d’avantage encore, le Kimchi est cuisiné dans du bouillon de porc en “Kimchi chiggae”, ou ragoût de Kimchi, qui pour moi représente l’essence de la cuisine coréenne. Et bien que ce plat figure au menu de nombreux restaurants coréens, il est malheureusement rare de pouvoir en goûter d’authentiquement bons, ce qui explique pourquoi lorsqu’on demande à un Coréen une bonne adresse pour manger un Kimchi Chiggae, la réponse soit souvent: “chez ma mère”.

Chez sa mère donc ou dans quelques rares endroits comme à la maison, qui ne figurent dans aucun guide touristique, mais dont l’adresse circule via le bouche à oreille entre Coréens avertis. Parmi ces bonnes adresses figure “la maison de Gwanghwamun (광화문집)”, située comme son nom l’indique à Gwanghwanum, dans une petite ruelle à côté du Sejong Center.

Surtout ne vous laissez pas dissuader par la devanture ressemblant plus à celui d’un atelier textile clandestin de China Town et tirez la porte en taule pour vous engouffrer dans ce temple de la gastronomie coréenne. Il vous faudra encore surmonter le décor spartiate et la promiscuité des lieux; il vous faudra également vous armer de patience avant qu’une place se libère pour vous y installer.

Ici point de serveur pour venir vous débarrasser, vous conduire à votre table et vous présenter le menu. En guise d’accueil et de menu, l’une des trois patronnes vous interpellera tout en continuant à s’affairer aux fourneaux pour vous demander si vous prendrez une portion de “Gaeran mari (계란말이)”, version coréenne de notre omelette, qui est la seule variante proposée par ce restaurant au menu unique: le Kimchi Chiggae, qui d’ailleurs mijote déjà sur votre table.

Pour 5000 wons (3 euros), le “Gaeran Mari” est vivement conseillé. Il vous aidera à réaliser que le concept d’omelette aux herbes baveuse n’est pas unique à la France, tout en préparant votre estomac à recevoir la suite épicée du programme que vous entendez mijoter depuis tout à l’heure.

 

Le Kimchi Chiggae connait des variantes en fonction des régions: au sud de la Corée, il est préféré austère et pur, c’est à dire avec peu d’autres ingrédients que le Kimchi: quelques morceaux de tofu frais, un peu de navets et poireaux coréens, pour donner un bouillon clair et subtil mettant en valeur les saveurs du Kimchi fermenté. A Séoul il est préparé avec une portion abondante de viande de porc afin de donner de la consistance au bouillon où se marient l’acidulé du Kimchi et l'”umami” de la viande. C’est ainsi qu’il est préparé à la Maison de Gwanghwamun.

 

Beaucoup de Coréens vous diront que pour connaître l’âme des Coréens, il faut apprécier sa nourriture. Faire l’expérience d’un bon Kimchi Chiggae, c’est effectivement pénétrer le caractère coréen: en savourant ce ragoût épicé et bouillonnant; en appréciant ce goût particulier fait de choux fermentés, d’épices et d’ail; en transpirant, soufflant et reniflant sans gêne aux côtés de convives qui en font de même, on a l’impression que c’est la Corée qui entre par tous ses ports le temps d’un repas qui aura coûté 12 000 wons, soit 8 euros.

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Garçon, un demi!

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Pour passer commande dans un restaurant à Paris, il suffit de saisir le moment où le serveur arrête de faire semblant de ne pas vous voir pour l’interpeller d’un signe de la main le plus amical possible, puis répondre d’un sourire le plus avenant possible à son hochement de tête qui signifie que c’est son collègue, là-bas quelque part qui s’occupe de votre table. Il ne vous reste alors plus qu’à repérer son collègue là-bas quelque part et recommencer auprès de lui votre entreprise de séduction.

Pour passer commande dans un restaurant à Séoul, il suffit d’appuyer sur le bouton du boîtier collé sur le coin de votre table. Une sonnerie lointaine retentit alors et le numéro de votre table s’affiche sur un écran quelque part près des cuisines. Les serveurs interrompront alors leur activité pour  jeter un oeil sur l’écran et celui qui sera à proximité de la table indiquée s’empressera de venir prendre votre commande.

Dans le cas de certains bars, on viendra même directement avec votre commande sans que vous ayez eu à la passer depuis qu’une nouvelle génération de boîtiers (photo ci-dessus), propose trois fonctions: appel serveur, commande bière, et commande soju (la boisson nationale, sorte de vodka allégée). Mieux vaut ne pas avoir le coude négligemment appuyé sur le boîtier au risque d’assister à un défilé de boissons alcoolisées…

Bien sûr l’air suffisant du garçon parisien peut avoir son charme, et bien sûr on ne peut pas imputer l’écart dans niveau de service à la seule bonne volonté des serveurs respectifs. Le coût du travail inférieur en Corée permet sûrement au restaurateur local de mettre plus de serveurs à la disposition de ses clients qu’à Paris. Mais au delà des considérations économiques, l’approche commerciale est différente. En Corée, l’accent est avant tout mis sur le service : c’est sa qualité et surtout son efficacité qui permettront de fidéliser le client, alors qu’en France la qualité du produit prime.

Toujours est-il que pour le businessman ou le touriste coréen de passage à Paris, faire l’expérience du service dans un restaurant est un véritable choc.

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